Dictionnaire de théologie catholique/ORIGÈNE I. Vie d'Origène

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.2 : ORDÉRIC VITAL - PAUL (Saint)p. 178-181).

Origène transforma l’organisation du didascalée ; Sens préciser la date de l’événement, Eusèbe nous apprend du moins que le maître répartit ses élèves en deux sections : la première comprenait les débutants et fut mise sous la conduite d’Héraclas : on y apprenait les éléments des sciences profanes et sacrées. La seconde section resta sous l’autorité directe d’Origène : elle recevait les étudiants plus avancés, avec lesquels le maître lisait et commentait les écrits des philosophes, et plus encore les livres saints de l’Ancien et du Nouveau Testament. Eusèbe, H. E., VI, xv, et xviii, 3-4.

Nous ne pouvons pas fixer aussi exactement que nous le voudrions les dates des grands événements de la vie d’Origène au cours des années qu’il passa ainsi à Alexandrie. Nous savons seulement que le maître eut à plusieurs reprises l’occasion de voyager. Eusèbe signale un voyage à Rome au temps où Zéphyrin était pape, H. E., VI, xiv, 10, voyage motivé par le désir de voir cette très ancienne Église, et au cours duquel Origène eut l’occasion d’entendre prêcher Hippolyte : puis un voyage en Arabie où il fut appelé par le gouverneur qui avait hâte de connaître ses doctrines. H.E., VI, xix, 15. En 215, nouvelle absence, provoquée cette fois par des troubles qui avaient éclaté à Alexandrie, à l’occasion d’une visite de l’empereur Caracalla : Origène se retira en Palestine, où il comptait des amis dévoués, Théoctiste, évêque de Gésarée, et Alexandre, évêque d’/Elia. Ceux-ci, très fiers de la présence du chef du didascalée, s’empressèrent d’en faire protiter les fidèles de leurs Églises. Us demandèrent à Origène de prêcher, non seulement devant des catéchumènes, mais en présence des baptisés.

Origène n’était encore qu’un laïque et les usages en vigueur à Alexandrie défendaient aux laïques d’élever la voix dans les églises. Lorsque l’évêque Démétrius apprit cette infraction à la règle, il invita son catéchiste à venir reprendre sa place à la tête de l’école : celui-ci se hâta d’obéir. Il semble que ce fut à ce moment, en 218, que l’impératrice Mammée, alors de passage à Antioche, fit venir Origène auprès d’elle pour s’entretenir avec lui de questions religieuses, Eusèbe, H. E., VI, xxi, 3-4 : nous ne savons rien des détails de cette entrevue.

Revenu à Alexandrie, Origène, désormais en pleine possession de sa doctrine, commença à rédiger ses commentaires : il est possible, que quelques-uns de ses ouvrages, même des plus importants, soient antérieurs à 218 ; mais la grande période de son activité littéraire est bien celle qui prend son point de départ au moment où il fit la connaissance d’un riche valentinien du nom d’Ambroise et le convertit au catholicisme. Ambroise en effet se lia d’amitié avec lui, et mit à sa disposition d’abondantes ressources ; grâce à lui, Origène put avoir à son service plus de sept tachygraphes qui écrivaient sous sa dictée et se relayaient à intervalles fixes. Il n’avait pas moins de copistes et en même temps des jeunes filles exercées à la calligraphie. Eusèbe, H. E., VI, xxiii, 2-3.

Il y eut alors, dans la vie du maître, une période tranquille, remplie par une féconde activité scientifique et dont nous indiquerons les résultats en énumérant tout à l’heure les œuvres d’Origène. Cette période semble s’être prolongée pendant une douzaine d’années, de 218 à 230. A ce moment, Origène entreprit, au témoignage d’Eusèbe, H. E., VI, xxiii, 4, un nouveau voyage qui le conduisit en Grèce, en passant par la Palestine. Au cours de ce voyage, ses amis de Palestine, Théoctiste et Alexandre, lui conférèrent le sacerdoce par l’imposition des mains. Cet acte mit le comble à l’émotion de l’évêque d’Alexandrie, Démétrius, qui se plaignit partout d’une violation des règles ecclésiastiques et fit assembler des conciles au cours desquels Origène fut d’abord condamné à l’exil et privé de sa chaire, puis déposé de la prêtrise. Photius, Bibliolh.. cod. 118.

Le détail de ces événements n’est pas très clair pour nous. Eusèbe assure que le prétexte de la déposition d’Origène fut la mutilation qu’il s’était naguère infligée. La règle d’Alex ; ndrie interdisant l’ordination des eunuques, on ne pouvait regarder comme valide le sacerdoce conféré au maître du didascalée. L’historien ajoute d’ailleurs qu’en réalité Démétrius élait jaloux de la réputation d’Origène et qu’il fut victime d’une passion humaine. H. E., VI, viii, 4. Il semble que l’évêque d’Alexandrie ait cherché à obtenir, de l’ensemble des Églises catholiques, la confirmation des mesures qu’il venait de [rendre : c’est du moins ce qu’écrit saint Jérîme : « Origène est condamné par l’évêque Démétrius : à l’exception des évêques de Palestine, d’Arabie, de Phénicie etd’Achaïe, le monde entier souscrit à sa condamnation. Rome même assemble le sénat contre lui, non pour cause d’hérésie, non pour la nouveauté de ses doctrines, comme feignent aujourd’hui de le croire des chiens enragés contre lui, mais parce qu’on ne pouvait supporter la gloire de son éloquence et de sa science, et que, lorsqu’il parlait, tout le monde pr laissait.muet. » Epist, xxxiii, dans Rufin, Apol., n. 20, P. L., t. xxi, col. 599. L’intérêt de ces témoignages concordants vient avant tout de ce qu’ils ne supposent aucune attaque doctrinale portée contre Origène. Que la condamnation du maître ait été due à la j ; lousie ou motivée par une irrégularité canonique, il importe peu : il est par centre très intéressant de noter que l’enseignement donné par lui n’est pas mis en cause.

Origène supporta vaillamment l’orage, maïs non sans des souffrances intimes dont un chapitre du commentaire sur saint Jean nous apporte l’écho. In Joan., vi, 2. Obligé de quitter définitivement Alexandrie, il se réfugia à Césarée de Palestine dont l’évêque lui témoigna une admirable fidélité. Il y installa une école catéchétique qui brilla d’un vif éclat ; ce fut à Césarée désormais, non plus à Alexandrie, que se trouva porté le centre de la vie intellectuelle de l’Église. Peut-être Origène aurait-il eu quelques motifs d’espérer qu’il lui serait permis de regagner l’Egypte après la mort de Démétrius en 232 ; le nouvel évêque, Héraclas, n’était-il pas un de ses disciples ? et ne lui avait-il pas été associé dens la direction du didascalée ? cet espoir, s’il fut vraiment établi dans l’esprit du maître, fut de courte durée ; Héraclas renouvela la cond ?mnation portée par Démétrius, Gennade, De vir. illuslr., 34 ; et Origène renonça à revoir sa patrie.

Trois occupations surtout remplirent son existence à Césarée de Palestine. D’abord l’enseignement : on venait de partout pour l’entendre, et nous savons encore par le discours de remerciement que lui a adressé Grégoire le Thaumaturge l’rffectueuse admiration qu’il inspirait à ses élèves ; puis la composition de ses ouvrages : interrompue un instant, l’œuvre commencée fut inlessablement poursuivie ; recherches sur le texte biblique, commentaires, apologies, Origène écrivait sans relâche, et sa vaste intelligence suffisait à toutes les besognes. Enfin la prédication populaire : comme prêtre, Origène se devait au peuple, et, pendant de longues ennées, avec une inlassable patience, il expliqua à ses auditeurs une bonne partie des livres saints. Ses homélies, si elles ne sont pas son chefd’œuvre, jettent du moins de remarquables clartés sur la vie chrétienne au m c siècle.

A cela, il faut ajouter quelques voyages. Nous savons qu’Origène visita Firmilien, évêque de Césarée de Cappadoce, Eusèbe, H. E. y VI, xxvii ; qu’il se rendit à deux reprises en Arabie, la première fois sous Gordien pour ramener à l’orthodoxie l’évêque Bérylle de Bostra, la seconde sous Philippe l’Arabe, pour assister à un synode, où furent débattus certains problèmes sur la destinée de l’âme après la mort, lui ce temps, Origène était en quelque sorte l’oracle théologique de l’Orient : Eusèbe a eu entre les mains deux lettres de lui, adressées, l’une à l’empereur Philippe, l’autre à l’impératrice Sévéra, H. E., VI, xxxvi, qui témoignent de son autorité et de son influence.

Mais il faut ajouter qu’il était aussi obligé de se défendre contre de graves accusations. Rufln a cité dans le De adulteralione un long fragment d’une lettre destinée à des amis d’Alexandrie : le maître s’y plaint des faussaires qui ont corrigé et dénaturé certains passages de ses écrits, ou qui même ont répandu dans le monde chrétien des ouvrages apocryphes contre lesquels il ne saurait témoigner assez d’indignation. Nous connaissons par saint Jérôme l’existence d’une autre lettre au pape Fabien, dans laquelle Origène accusait son ami Ambroise d’une publication prématurée et inopportune d’un de ses ouvrages, probablement le De principiis, Epist., lxxxiv, 10, P. L., t. xxii, col. 751 ; cf. Eusèbe, H. E., VI, xxxvi, 4. Les détails nous manquent sur ces faits : mais nous en savons assez pour nous rendre compte que les oppositions soulevées contre le maître n’avaient pas désarmé à la suite de son départ d’Alexandrie et que son séjour à Gésarée, s’il fut fécond, ne fut pas exempt des plus graves soucis.

Un souci d’un autre genre lui vint en 235, de la persécution de Maximin le Thrace, qui, si elle fut locale, n’en fut pas moins redoutable pour les communautés qu’elle atteignit. L’Église de Césarée de Palestine fut frappée : le prêtre Protoctète et Ambroise furent arrêtés ; Origène put craindre pendant quelque temps de partager leur sort. En attendant, il adressa à ses amis, une émouvante Exhortation au martyre, qui rejoint, à travers les années, les encouragements jadis envoyés par l’enfant à son père Léonide. Une , tradition, mal confirmée, veut qu’au cours de la persécution, le maître ait trouvé asile à Gésarée de Cappadoce chez une chrétienne du nom de Julienne : cette tradition demeure improbable.

Origène atteignit ainsi l’année 250, au cours de laquelle éclata la persécution de Dèce. Il ne s’agissait plus cette fois d’une mesure locale, mais d’une guerre d’extermination déclarée au christianisme et à ses chefs. Célèbre comme il l’était. Origène ne pouvait pas échapper aux rigueurs de l’édit ; et ses idées bien connues sur le martyre ne lui permettaient pas de chercher le salut dans la fuite. Il fut donc arrêté et, au témoignage d’Eusèbe, « il endura chaînes, tortures en son corps, tortures par le fer, tortures de l’emprisonnement au fond des cachots ; pendant plusieurs jours, il eut les pieds mis aux ceps jusqu’au troisième trou ; il fut menacé du feu ; il supporta vaillamment tout ce que nos ennemis lui infligèrent encore… car le juge faisait tous ses efforts pour ne pas le réduire à la mort. » Eusèbe, H. E., VI, xxxix.

Il survécut en effet à tous les supplices ; mais ce fut pour peu de temps. Le corps brisé, il mourut sous le principat de Gallus, à ce que rapporte Eusèbe, et à l’âge de soixante-neuf ans. Il est vraisemblable que la ville de Césarée en Palestine recueillit son dernier soupir, bien qu’une tradition, signalée par Photius, ait placé sa mort à Tyr où son tombeau fut longtemps visité.

Il est difficile de marquer exactement les traits saillants du caractère d’Origène, car on y trouve au premier abord une étroite alliance de l’hellénisme et du christianisme qui paraît rendre à peu près impossible toute tentative de simplification. Si pourtant on étudie avec soin tous ses ouvrages, et non pas seulement les plus célèbres ou les plus discutés d’entre eux, tels que le De principiis ou le Contra Celsum, en doit convenir qu’Origène est avant tout un chrétien, disons avec plus de précision, un fils de l’Église catholique. Toute son œuvre est informée par l’étude de la Bible ; toute sa pensée est nourrie de la lecture et de la méditation des Livres Saints : sans doute, il interprète les Écritures d’après la méthode allégorique, qui lui permet de retrouver à peu près tout ce qu’il veut en chacune de leurs pages ; mais, outre qu’il n’est pas l’inventeur de cette méthode, il manifeste partout le souci de rester, dans son emploi, fidèle à la tradition ecclésiastique. Son amour de la règle se manifeste d’abord par cet attachement à l’Église et à son enseignement, par cette lutte incessante contre l’hérésie qu’il ne cesse pas d’affirmer ou de mener.

On peut être d’abord frappé par certaines audaces de sa pensée ; et c’est en effet ce que l’on retient surtout de son œuvre, si l’on s’est contenté d’étudier le De principiis. Mais il ne faut pas oublier que le grand ouvrage sur les principes ne livre qu’une partie de sa pensée et qu’il doit être expliqué en fonction du prologue, où se trouvent rappelées d’une part les vérités rie foi, de l’autre les questions disputées. Sur les vérités de foi, Origène affirme d’une manière instante sa fidélité à la règle. Sur les questions disputées, il proclame sans doute l’indépendance de l’esprit : encore ne propose-t-il des solutions qu’avec réserve et en insistant sur leur caractère provisoire. Volontiers, il donne libre cours à son imagination pour décrire par exemple le sort des âmes après la mort ou la restauration de toutes choses ; il fait appel aux idées philosophiques qu’il a apprises aux écoles helléniques ou dans la lecture des ouvrages classiques ; après quoi il n’a aucune peine à se ranger parmi les enfants dociles de l’Église.

De ce caractère chrétien, mieux encore, ecclésiastique de son esprit, on se rend compte surtout si l’on étudie les homélies qu’il a prêchées, si nombreuses, pendant son séjour à Gésarée. Ici, Origène s’adresse à la masse des fidèles, aux simpliciores, à qui il veut faire connaître les trésors cachés dans l’Écriture. Il ne peut évidemment pas leur expliquer les mystères réservés aux parfaits, et nous aurons à insister sur l’importance de cette distinction des croyants en deux classes, à l’une desquelles appartient la simple foi, tandis que les autres sont appelés à s’élever jusqu’à la gnose. Encore est-il que le gnostique d’Origène n’est pas d’une nature supérieure à celle du simple et que la science ne détruit pas la foi, mais s’y superpose. Nous concevons assez mal Clément d’Alexandrie dans le rôle d’un prédicateur populaire, malgré le Quis clives saloetur ? Ce rôle au contraire convient parfaitement à Origène, prêtre dévoué avi salut des âmes, bien plus que philosophe soucieux d’édifier un système cohérent de théologie rationnelle.


II. Œuvres d’Origène.

Origène a été l’un ries plus féconds polygraphes de l’antiquité, et il a laissé après lui une œuvre immense. Saint Épiphane, Hscres., lxiv. 63, porte à six mille le nombre de ses écrits ; ce chiffre a paru exagéré dans l’antiquité à de fort bons connaisseurs, en particulier à saint Jérôme, Contra Ru fin., ii, 22, qui estime seulement au tiers, soit à deux mille le nombre exact des volumes d’Origène, et qui ailleurs, Epist., lxxxiv, 2, parle de plus de mille tractatus, prêches par Origène, auxquels naturellement il faut ajouter les commentaires et autres livres.

Eusèbe, H. E., VI, xxxii, 3, rappelle qu’il avait transcrit dans la vie du martyr Pamphile, la liste complète des ouvrages d’Origène, et il renvoie à cette liste les lecteurs soucieux de bibliographie. Nous ne pouvons malheureusement pas y avoir recours, car la vie de Pamphile est perdue. Mais, dans une lettre à Paula, Epist., xxxiii, saint Jérôme a recopie la liste dressée par Eusèbe : c’est là que nous trouvons aujourd’hui, malgré les défectuosités de la tradition textuelle, nos meilleurs renseignements sur l’activité littéraire d’Origène. Texte à chercher dans l’édit. Hilberg, t. i, p. 255.

Une œuvre aussi vaste était naturellement exposée aux injures du temps. Plusieurs de ses parties n’ont jamais dû être recopiées, du moins dans leur ensemble et ont ainsi disparu de très bonne heure. Aux motifs extrinsèques qui suffiraient à expliquer la perte de nombreux livres du maître, s’ajoutent des raisons d’ordre doctrinal. Dès la fin, du nie siècle, sinon auparavant, certains de ces ouvrages étaient suspectés d’hérésie. A plusieurs reprises, ils furent de nouveau attaqués, et finalement le concile de Constantinople de 553 anathématisa Origène ; cet anathème fut renouvelé à plusieurs reprises, en 680, en 787, en 869. Ces condamnations solennelles n’étaient pas faites pour assurer la survivance des traités d’Origène ; le texte original de plusieurs d’entre eux, spécialement celui du De principiis, ne tarda pas à disparaître de la circulation.

Du moins à défaut de l’original, avons-nous conservé la traduction latine d’une portion considérable de cette œuvre. A la fin du ive siècle, une vive curiosité orientait les chrétiens d’Occident vers les livres du grand docteur ; saint Jérôme et Rufin s’efforcèrent de satisfaire cette curiosité et publièrent en latin un nombre considérable de traités et d’homélies. Ces traductions ne sont pas toujours fidèles : celle que Rufin a donnée du livre Des principes est particulièrement défectueuse, et nous ne pouvons plus, sauf en quelques rares passages, en contrôler la valeur par la version, beaucoup plus littérale, de saint Jérôme, qui a, elle aussi, disparu.

Nous sommes encore aidés, dans notre connaissance du texte grec, par le recueil de morceaux choisis, la Philocalie, qui a été fait, peu après 360 par saint Basile et saint Grégoire de Nazianze. Sans doute, les passages reproduits dans la Philocalie ne sont pas toujours les plus intéressants du point de vue doctrinal ; ils n’en sont pas moins très précieux pour nous. Ajoutons que, de temps à autre, les bibliothèques mieux explorées, ou les papyrus récemment découverts nous rendent encore quelques fragments d’Origène ; mais on aurait tort, semble-t-il, de compter sur un hasard heureux qui nous remettrait en possession d’éléments essentiels. Les travailleurs de l’avenir n’auront probablement pas grand’chose à ajouter au catalogue que nous pouvons aujourd’hui dresser.

Il serait désirable de classer les œuvres d’Origène selon l’ordre chronologique : sans doute pourrait-on saisir, en procédant ainsi, les traces d’un développement, sinon d’une évolution, dans la pensée du docteur alexandrin. Mais, trop souvent, les renseignements indispensables nous font défaut pour procéder, avec sécurité à ce classement, et l’étude intrinsèque, des idées ne nous apporte aucune conclusion précise. Le plus simple et le plus sûr est, dès lors, de présenter un catalogue méthodique. Nous répartirons donc ici les ouvrages d’Origène entre cinq classes : 1° travaux scripturaires ; 2° livres d’apologie et de polémique ; 3° œuvres théologiques ; 4° livres ascétiques ; 5° lettres.

Travaux scripturaires.


Ceux-ci sont de deux sortes : les travaux critiques et les œuvres d’exégèse proprement dite.

1. Travaux critiques : les Hexaples. —

Après les Septante, plusieurs traducteurs s’étaient efforcés de rendre en grec les livres hébreux de l’Ancien Testament. La vénérable version des Septante elle-même, plusieurs fois recopiée, avait perdu sa primitive pureté. Il était cependant utile, sinon indispensable, aux maîtres chrétiens d’avoir à leur disposition un texte aussi assuré que possible de l’Ancien Testament : comment argumenter avec les Juifs et avec les hérétiques, comment établir le bien-fondé d’une preuve, sinon par le moyen d’un texte sur lequel tout le monde pût se mettre d’accord ? Formé dès sa jeunesse aux méthodes philologiques des Grecs, Origène se préoccupa d’une part de rétablir, dans la mesure du possible, le texte original des Septante, d’autre part de permettre la comparaison facile de ce texte avec l’hébreu et avec les autres versions grecques. En suivant cette préoccupation, il ne visait pas d’abord un but critique, mais on ne saurait dire qu’il s’en désintéressait : à ses frères dans la foi, il voulait avant tout procurer le bénéfice d’un texte indiscutable des Livres saints.

Pour réaliser son projet, il copia ou fit recopier sur six colonnes parallèles, d’où le nom d’Hcxaples : 1. le texte hébreu en lettres hébraïques ; 2. le texte hébreu transcrit en lettres grecques ; 3. la traduction d’Aquila ; 4. la traduction de Symmaque ; 5. la traduction des Septante ; 6. la traduction de Théodotion. Pour les Psaumes, Origène avait à sa disposition deux autres traductions anonymes, qu’il avait trouvées l’une à Nicopolis, l’autre à Jéricho : il les ajouta aux premières, de sorte que l’on eut, pour ce livre, des Oclaples. Une copie, à laquelle manquaient les deux premières colonnes consacrées à l’hébreu, prit naturellement le nom de Tétraples. Comme de juste, le texte des Septante, le plus important, avait été de la part de l’éditeur, l’objet de soins particuliers ; car il avait été muni, selon les cas, de signes critiques conformément aux règles usitées par les philologues profanes : un obèle -jservait à marquer les mots ou les passages qui manquent dans l’hébreu et étaient donc à supprimer ; un astérisque * désignait les mots ou les passages qui, figurant dans l’hébreu, manquaient dans les Septante et devaient y être rétablis, ce qu’Origène faisait d’ordinaire en empruntant les formules de Théodotion.

L’œuvre était colossale : elle occupa son auteur durant de longues années et ne fut terminée qu’entre 240 et 245. Le manuscrit original en fut déposé à la bibliothèque de Césarée où il demeura longtemps. Non seulement Pamphile et Eusèbe purent l’y consulter, mais, à la fin du ive siècle, saint Jérôme le vit encore et nous savons qu’il existait toujours au vie siècle. Il disparut en 638, lors de la prise de Césarée par les Arabes. Ce fut une perte irréparable, car jamais les Hexaples n’avaient été recopiées dans leur intégrité. On en avait parfois reproduit des fragments. On avait surtout copié isolément la cinquième colonne (texte des Septante) avec ou sans les signes critiques, auxquels Origène attachait tant d’importance. On avait même fait de cette cinquième colonne une traduction syriaque très littérale, qui, elle, avait conservé fidèlement obèles et astérisques : cette traduction, œuvre de Paul de Telia (616-617) a été en grande partie conservée.

La reconstitution des Hexaples, dans la mesure où elle est possible, n’a pas cessé depuis le xvie siècle, de préoccuper les érudits. De temps à autre quelques nouveaux fragments viennent s’ajouter à ceux que l’on connaissait depuis longtemps, et permettent de poursuivre la tâche. Il serait vain de croire qu’elle sera jamais achevée.

Un passage, un peu obscur, de saint Jérôme a longtemps fait croire à ses interprètes qu’Origène avait revu le texte du Nouveau Testament et qu’il en avait publié une édition. Quoique, dans ses travaux d’exégèse, Origène ait eu souvent l’occasion de discuter des variantes, rien ne permet de croire qu’il ait