Dictionnaire de théologie catholique/PÉCHÉ III. La distinction des péchés

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 12.1 : PAUL Ier - PHILOPALDp. 87-90).

III. La distinction des péchés.


1° la distinction spécifique des péchés ;
2° la distinction numérique des péchés.

Distinction spécifique.

1. Il y a des espèces de

péchés ; la distinction spécifique se prend de l’objet voulu. — Comme nous avons dit que la malice d’un acte humain, comme aussi sa bonté, a pour cet acte valeur formelle, ainsi les espèces de péchés signalentelles autant d’espèces d’actes humains. La question présente est seulement de découvrir selon quel principe de discernement opérer en espèces le partage des actes humains mauvais.

On ne peut guère hésiter qu’entre la privation dont ils souffrent et le bien où ils adhèrent. Pour nous, notre choix est fait, car, ayant reconnu que le péché, non moins que l’acte moral en généra), est constitué dans l’adhésion même à ses objets, nous devons aussi le diviser spécifiquement selon cette tendance positive qui le constitue. Maints théologiens le spécifient selon la privation. Soit, par exemple, Scot, In II" m Sent., dist. XXXVII, q. i : le pécheur, dit-il, pèche du fait qu’il accomplit un acte volontaire en désaccord avec la loi, et cet acte volontaire n’est péché que parce qu’il peut être d’accord avec la loi ; donc la raison précise du péché est la privation de la conformité de l’acte à la loi ; le péché est donc spécifié selon la privation. Mais Cajétan a répondu que cette analyse est incomplète, Ia-IIæ, q. lxxii, a. 1 : car elle considère dans le péché son caractère d’acte volontaire, abstraction faite de sa qualité morale, et la privation dont cet acte souffre ; mais, entre les deux, n’y a-t-il pas la tendance vers un objet positif, où l’acte volontaire trouve déjà sa qualité morale et se constitue comme péché? Nous croyons que l’objet de l’acte est le principe de spécification qui convient à la nature du péché.

Pour saint Thomas, dont l’enseignement exprès rencontre cette conclusion, il énonce le présent problème à partir de cette donnée que deux éléments concourent à la raison même du péché, savoir l’acte volontaire et son désordre. Cette dualité intrinsèque du péché est ce qui crée l’embarras. Car, s’il faut distribuer les péchés en espèces (et saint Thomas n’en doute pas un instant), il faut d’abord décider selon lequel des deux éléments on y procédera : traitera-t-on le péché, dans le cas, en tant qu’il est acte volontaire, ou bien en tant qu’il est désordre ? On voit l’originalité du problème que pose à saint Thomas la spécification du péché. Pour le résoudre, il invoque l’inten tion du pécheur. Elle porte directement sur l’acte du péché ; ce qu’il veut, c’est exercer tel acte en telle matière ; pour le désordre, il n’est voulu que par accident, en ce qu’il ne peut pas ne pas accompagner l’acte directement voulu. Donc, décide saint Thomas, il faut spécifier le péché en tant qu’il est acte volontaire, non pas en tant qu’il est désordre. Le recoins à l’intention du pécheur, qui est le principe de ce raisonnement, S’inspire de cette pensée que le péché est essentiellement volontaire ; il en faut juger selon ce que le pécheur a voulu. En le spécifiant selon son aversion, on trahirait, peut-on dire, l’intention du pécheur ; on saisirait le péché par l’endroit où il ne l’a pas commis : c’est dire que le pécheur ne ferait plus ce qu’il a voulu faire. Or, achève saint Thomas, c’est une règle commune que les actes volontaires soient spécifiés selon leurs objets : ainsi donc, selon leurs objets seront spécifiquement distingués les péchés. Cette conclusion rencontre la nôtre. On prendra garde qu’elle n’engage pas, telle que saint Thomas l’obtient, la question de la constitution du péché. On nous dit bien que le ma' reçoit ici son espèce de l’objet voulu, mais où est le mal ? Est-il dans la tendance positive vers l’objet ? est-il seulement dans la privation concomitante ? A supposer qu’il ne fût qu’en celle-ci, on comprendrait encore qu’il reçût sa détermination de l’objet même d’où il dérive. Nous faisons cette remarque en faveur de l’intelligence exacte de l’article de saint Thomas.

Les privations distinctes dont soutirent les divers péchés ne peuvent être que consécutives aux espèces diverses où, d’ores et déjà, ils se sont établis. A ce titre d’ailleurs, elles ne sont pas sans intérêt pour la spécification des péchés. Dire que le péché d’intempérance est spécifié comme privé du bien de la tempérance, c’est rencontrer la vérité : aussi bien est-ce encore, en définitive, recourir à un objet, celui de la vertu, selon lequel celle-ci est spécifiée. Mais cette façon de parler n’est point formelle et ne touche pas l’espèce du péché par l’endroit précis qui la fait telle. De plus (encore que saint Thomas ne l’exprime point en son article), on ne peut déterminer sur la seule privation l’espèce dernière du péché : il advient en effet qu'à une seule et même vertu s’opposent des péchés reconnus spécifiquement distincts, voire contraires entre eux, comme l’insensibilité et l’intempérance s 'opposant à la tempérance. Ces deux péchés privent l’un et l’autre du même bien : et. puisque les privations sont spécifiées selon la chose dont elles privent, ces deux péchés seraient de même espèce. Le cas s’en retrouve à propos de toute vertu comportant deux extrêmes contraires, c’est-à-dire à travers toute l'étendue de la vie proprement morale. Notre principe de spécification, l’objet voulu, permet seul d’introduire en cette matière du péché les derniers discernements, et avec la plus formelle rigueur. A l’intérieur même d’une seule espèce de péché, comme l’orgueil et la luxure, on n’appliquera pas un autre principe en vue de partager en espèces secondaires cette espèce principale.

L’objet spécifie le péché comme il spécifie l’acte humain. Or, on sait que la raison d’objet en cet ordre est applicable aux éléments intéressant la constitution de l’acte volontaire, à savoir la fin, et de certaines circonstances. La fin, poursuivie par le moyen de l’action immédiate, est objet d’intention volontaire comme cette action est objet d'élection : ce qui donne lieu à deux espèces morales, à chaque fois que l’objet de l’acte extéreur n’est pas de soi et selon sa nature propre contenue sous la fin poursuivie par la volonté : par exemple, voler en vue de forniquer. En ce cas, ces deux principes de spécification s’organisent en élément formel et en élément matériel : la fin. qui est principalement volontaire, ayant valeur formelle,

l’objet valeur matérielle. D’où l’adage de saint Thomas que celui qui vole en vue de forniquer est davantage fornicateur que voleur. I a - 1 1 83, q. xviii, a. 6, 7.

Les circonstances de l’acte tantôt sont spécifiantes et tantôt ne le sont pas. Le concile de Trente a consacré, sur ce point, un enseignement traditionnel de la théologie, en même temps qu’il en signalait l’importance, quand il inscrivit, comme matière nécessaire de la confession, dans le sacrement de pénitence, les circonstances qui changent l’espèce du péché : eas <ir<umslanlias in con/essione explicandas esse quæ speciem peccaii mutant. Sess. xiv, c. v ; cf. can. 7. Or, sont spécifiantes les circonstances qui passent en condition de l’objet voulu, c’est-à-dire celles-là qui, relatives à l’objet ou à la hn voulus, disent convenance ou répugnance spéciales à la raison, en sorte qu’elles possèdent un intérêt moral propre et que la volonté, inclinant à son objet ou à sa fin, ne les peut accepter sans en recevoir une bonté ou une malice spéciales. Rien n’empêche, en effet, que cela même qui ne constitue pas la substance de l’acte humain, possède un spécial rapport avec la raison. La circonstance ainsi spécifiante demeure une circonstance, n'étant voulue ni comme objet ni comme fin ; néanmoins, elle est spécifiante, constituant, comme dit saint Thomas, une condition de l’objet ou de la fin entendus dans leur sens moral. l a -II æ, q. xviii, a. 10 ; q. lxxii, a. 9. Soit prendre le bien d 'autrui, qui se trouve être un vase consacré au culte : de simple vol, le péché devient vol sacrilège. Dans le cas, cependant, où la circonstance intéressant la raison se trouve n'être point relative à l’objet ni à la fin voulus, elle n’introduit pas une espèce nouvelle de péché, si elle est mauvaise, mais multiplie seulement la raison de péché dans la même espèce. Soit le prodigue qui, dépensant inconsidérément son argent, en donne à qui il ne faut pas : cette circonstance du bénéficiaire non convenable, qui dit spéciale répugnance à la raison, cependant, ne détermine point en une nouvelle espèce le péché de prodigalité, car elle n’en intéresse point l’objet même, qui est de donner plus qu’il ne faut, mais se trouve seulement accompagner l’acte même de la prodigalité, lue étude détaillée de la spécification opérée par les circonstances, comme aussi bien par la fin ou l’objet, appartient à la doctrine de l’acte humain, dont le péché n’est qu’une espèce. Voir l’art. Aggravantes (Circonstances). Il apparaît assez que l’objet dont nous avons parle concerne Je terme de l’appétit volontaire ; il se rencontre donc identique en des matières qui seraient en elles-mêmes spécifiquement distinctes ; l’orgueil, par exemple, trouve son objet dans les plus mesquins avantages, comme une gracieuse démarche, et dans les plus nobles perfections, comme une science consommée.

2. Distinction d’après les précepte*. -On a proposé de distinguer spécifiquement les péchés selon les pr< ceptes auxquels ils s’opposent.

Vasqucz représente cette opinion, op. cit., dlsp. KCVIII, c. il. A la suite de saint Thomas, qui s’en déclare expressément l’ennemi (unde secundum diversa præcepta legis non dmersificantur percata lecundum speciem, Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxii, d ~" iii), les thomistes la réprouvent communément. I.a loi. en effet, donne lieu a l’aversion dans le péché, étant cela de quoi le péché détourne, et la spécification des péchés se prend de la conversion. A cette explica lion, il est vrai, on peut opposer que l’objet même où se porte la volonté du pécheur, et duquel, selon nous,

le péché reçoit son espèce, n’est point l’objel brnl. si l’on peut dire, mais un objet prohibe : d’où la qualité morale de cette tendance ; des lors, la prohibition, donc le précepte, intéresse la conversion même de l’acte et non seulement son aversion. A quoi les Sal

niCT. DB TBKOL. CATHOI.

manticenses répondent, disp. VIII, dub. ii, n. 27, que la condition d'être prohibé ne dit pas dans l’objet quelque chose qui se tienne du côté de l’objet, et vers quoi, dès lors, tendrait le pécheur ; mais bien plutôt un extrême à quoi cet objet s’oppose : le pécheur ne se porte point vers la prohibition ni vers l’objet comme prohibé, mais vers l’objet, lequel est affecté de prohibition, ou plutôt s’oppose à la prohibition. L’objet est dénommé prohibé extrinsèquement. Le précepte intéresse bien l’aversion du péché. Dans la mesure où les préceptes se distinguent selon les matières qu’ils concernent, leur distinction se trouvera rencontrer celle des péchés : coïncidence pareille à celle que nous signalions au sujet de l’opposition des péchés à la vertu, mais dont l’objet même, ici comme là, rend en dernier lieu raison.

Les préceptes, par ailleurs, se divisent comme tels en maintes manières qui ne concernent en rien la division spécifique des péchés. Ils se divisent en négatifs et positifs, lesquels donnent lieu respectivement aux péchés de transgression et d’omission : or, ces deux catégories de péchés n’ont point valeur spécifique. Assurément, la transgression et l’omission représentent matériellement deux espèces (si l’on entend ce dernier mot dans un sens assez large où il puisse comprendre la privation) ; mais un seul et même motif y donne lieu : l’avarice, par exemple, se traduira en rapines désordonnées et en défaut des libéralités convenables. Sum. theol., l^-ll^, q. lxxii, a. 6. Cette réduction de l’omission au même motif qui cause la transgression est une règle fondamentale, et dont s’accommodent toutes les complexités selon lesquelles se vérifie le péché d’omission ; il restera, dans tous les cas, que celui-ci est spécifié selon l’objet même que l’on a omis de poursuivre. Voir sur ce point les Salmanticenses, disp. VIII, dub. i. On peut dire que cette division des préceptes, qui n’entraîne pas une distinction spécifique des péchés, signale la voie montante de la vie morale : s’abstenir du mal, accomplir le bien, et, par là, elle est suffisamment justifiée. Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxii, a. 6, ad 2°™. Les préceptes se divisent encore selon les droits qu’ils traduisent et les législateurs de qui ils procèdent : préceptes de droit naturel, positif, divin, ecclésiastique, civil, etc. Cette division des préceptes n’emporte non plus aucune dist indien spécifique des péchés. Un même acte, qui est défendu par plusieurs de ces préceptes, n’est cependant qu’un seul péché : par exemple, le vol. A plus forte raison, un précepte relevant du même droit, par exemple le droit positif, multiplié par plusieurs représentants de ce droit, ne multipliera-t-il pas le péché qu’il défend. Cajétan, IMI 33, q. lxxii, a. 6 ; Salmant.. disp. VIII, dub. n.

3. Autres divisions des péchés.

Les principes ii dessus établis permettent d’apprécier les diverses divisions du péché qu’a proposées la théologie, au gré des occasions.

Nous venons d’opérer cette critique sur la division du péché en transgression et en omission, qui est des plus traditionnelles ; nous l’avions opérée plus haut sur la division du péché en excès et défaut qui s’inspire de la morale aristotélicienne. Reste que nous

l’appliquions a quelques-unes des autres catégories en cours.

Il en est parmi (elles là qui intéressent l’objet du

péché et donc possèdent une certaine valeur spécl

Qque. Ainsi, la distinction des péchés charnels et des pél lus spirituels. ( >n la doit -., smnt Grégoire qui par lageait les péchés capitaux en ces deux grandes cale

Moralia, i. xlv, 88, /'. l… t ixxiii col..'.' i teptem capttalium vitiorum qutnque $unt splritualla et duo carnalta. Saint Thomas, qui connaît deux espèces de délei i étions, prêt Isément dénommi 1 1

T. — XII —

spirituelle et charnelle, a l’idée d’entendre les deux catégories de péchés selon la délectation à quoi les péchés sont ordonnés, laquelle intéresse essentiellement la conversion du péché : car elle signale la possession du bien que le pécheur convoite ; ainsi peut-il attribuer une valeur spécifique, selon les lois de la plus rigoureuse philosophie, à l’antique et commune division des péchés en charnels et spirituels. Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxii, a. 2.

Il fait de même en faveur de la distinction des péchés selon que l’on pèche contre Dieu, contre soi-même ou contre le prochain. Pierre Lombard lui avait transmis cette distinction usuelle, II Sent., dist. XLII, dont Isidore de Séville, au gré de saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxii, a. 4, est un témoin lointain. On en justifie la valeur spécifique en signalant que les trois termes du partage représentent des objets divers de l’action humaine. L’action mauvaise comme l’action bonne tend vers Dieu, vers soi ou vers le prochain. Et, comme il est des actions qui concernent proprement Dieu, en tant que cet objet dépasse ce que l’on doit et à soi-même et au prochain, comme il en est d’autres qui concernent celui qui les fait, à l’exclusion de quelque devoir relatif au prochain, nous obtenons là, ces trois termes étant entendus comme débordant successivement l’un sur l’autre, un triple objet de l’action humaine ; donc, le cas échéant, trois espèces de péchés. Cette distinction a l’avantage de circonscrire, si l’on peut dire, l’univers hiérarchisé de l’action humaine ; aussi, la distinction des vertus en théologales et morales, et de ces dernières en personnelles et sociales, rencontre-t-elle la même hiérarchie.

D’autres distinctions ne signifient point des espèces véritables de péchés. Telle celle-là, qui se prend des causes, comme lorsque l’on dit : pécher par crainte, pécher par cupidité, pécher par amour. Car, à chacune de ces causes, peuvent correspondre des objets divers, la crainte, par exemple, poussant à voler, à tuer ou à abandonner son poste. Sum. theol.. l’MI 86, q. lxxii, a. 3. Inversement, un péché conserve son espèce quelle que soit la cause d’où il procède. Les causes du péché n’entraîneraient une spécification propre que si elles suggéraient une fin spéciale à laquelle on soumît l’action ; dans la crainte de perdre son amant sacrilège, une femme consent à un laïque : de simple fornication ou d’adultère qu’eût été cet acte, il passe à l’espèce sacrilège, vu la fin enveloppée dans le sentiment qui l’inspire. Cajétan. IMl 33, q. lxxii, a. 3.

Selon saint Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. lxxii, a. 5, la distinction des péchés en mortels et véniels n’a point davantage valeur spécifique. Elle se prend en effet du realus et du désordre, lesquels intéressent l’aversion du péché. Aussi trouve-t-on du véniel et du mortel dans la même espèce de péché. Et si l’on dit exactement que des péchés sont mortels ou véniels ex génère suo, c’est que certains péchés, de leur nature, entraînent normalement des suites d’où leur vient cette qualité. On donnera ci-dessous, VIII, Péché mortel et péché véniel, les compléments et précisions nécessaires sur cette matière. Les théologiens modernes dénomment volontiers cette distinction du péché secundum species theologicas, expression insolite en théologie classique et dont l’apparente commodité ne rachète pas le double artifice.

De saint Jérôme vient à la théologie une autre division des péchés : de pensée, de parole, d’action. In Ezech., t. XIII, c. xliii, 23, P. L., t. xxv. col. 427 ; cf. P. Lombard, 77 Sent., dist. XLII. On sait combien elle est usuelle dans la religion chrétienne. Tertullien, saint Cyprien, Origène en témoignent déjà, entre beaucoup d’autres (voir : Cavallcra, art. cit., 1930, p. 53). Il était naturel d’entendre cette division selon les actes en quoi consiste le péché ou, équiva lemment, les puissances où il se consomme. Ainsi dira-ton que l’infidélité est un péché du cœur, le mensonge un péché de bouche, l’homicide un péché d’action. Saint Albert le Grand, par exemple, et saint Honaventure proposent ce sens-là. // Sent., h. I. Saint Thomas s’avise d’interpréter cette division classique en faveur d’une analyse des péchés où seraient marquées les étapes décisives de leur développement. Sum. theol., I » -II*, q. lxxii, a. 7. Dans le cas, en effet, d’un motif ou d’une fin qui soit de nature à susciter une action de fait, l’homme conçoit d’abord ce dessein, puis il l’exprime en paroles, enfin il l’exécute. Il se peut que le mouvement en ait lieu continûment, comme on bâtit un temple, sans arrêt. La division proposée signale alors les trois degrés du développement du péché. Mais il advient aussi que l’on commence ce péché sans l’achever, comme la construction d’un temple s’arrête quelquefois aux fondations posées ou à la cannelure des colonnes. L’idée d’espèce imparfaite, qu’a énoncée Aristote (Eth. Nicom., t. X, c. m ; S. Thomas, leç. 5) et que saint Thomas rappelle en son article, s’appliquerait assez bien à un tel péché ; Cajétan, toutefois, soucieux de rigueur, distingue ce cas d’avec celui d’une espèce imparfaite proprement dite. l a -II ffi, q. lxxvii, a. 1.

Les péchés capitaux et les péchés contre le Saint-Esprit sont d’autres divisions du péché. Nous en verrons le sens exact au cours de l'étude spéciale que nous en devons faire, et qui se situe de préférence au chapitre des causes du péché. Voir n. VI.

Que nous ayons refusé la valeur spécifique à certaines divisions admises du péché, il n’en faut point déduire qu’elles soient sans intérêt. Nous retrouverons, pour notre compte, ces catégories. Notre critique a seulement fait œuvre de discernement formel.

Distinction numérique.

 La théologie n’a traité

de la distinction numérique des péchés que tardivement, par suite des prescriptions du concile de Trente sur la confession des péchés, laquelle doit déclarer omnia et singula peccala morlalia. Sess. xiv, c. vu. Cette matière, on le devine, est d’autant plus complexe qu’elle confine davantage à la particularité de l’action ; aussi, les règles précises qui la déterminent ne se sont-elles élaborées que peu à peu, sous l’effort divers et persévérant des théologiens. On peut tenir pour communes les appréciations suivantes.

Le nombre des actes physiques mauvais ne détermine pas le nombre des péchés. On le dit malgré cette loi que les accidents sont individués par leur sujet : la moralité, qui est d’une certaine façon un accident de l’acte humain physique, est à ce titre soumise à la loi commune ; et il est vrai que, métaphysiquement, il y a autant de péchés que d’actes physiques mauvais. Mais il n’y a point lieu de faire le compte des péchés métaphysiques ; on les dénombre en fonction de l’objet, d’où vient à l’acte sa moralité. Où il n’y a qu’un objet adéquat de moralité, fût-il atteint moyennant plusieurs actes physiques, il n’y a aussi qu’un péché : comme de tuer un homme en trois coups. Où il y a plusieurs objets adéquats de moralité, fussent-ils atteints par un seul acte physique, il y a plusieurs péchés : comme de tuer trois hommes en un seul coup.

Quelques cas spéciaux ont été débattus relativement à cette règle : le prêtre en état de péché mcrtel, qui distribue la sainte eucharistie à plusieurs communiants, qui absout l’un après l’autre plusieurs pénitents, commet-il dans les deux cas autant de sacrilèges qu’il a donné de communions, qu’il a absout de pécheurs ? On convient communément que la distribution de la sainte eucharistie ne constitue qu’un seul acte moral, comme il n’y a qu’un seul repas : le nombre des convives ne multiplie pas l’unité du repas ni donc, en l’espèce, le sacrilège du prêtre distribuant 165

PÉCHÉ. DISTINCTIOiN NUMÉRIQUE

la sainte nourriture. Au contraire, d’une absolution à l’autre, il n’y a pas de suite essentielle ; chacune d’elles constitue de la part du prêtre un acte ayant son objet complet et adéquat. Aussi, les péchés dû confesseur, dans le cas supposé, se multiplient-ils selon Je nombre des absolutions données.

Par rapport au même objet adéquat de moralité, les péchés sont susceptibles de multiplication ; il y en a autant que d’actes volontaires moralement interrompus. Un acte volontaire a été interrompu qui n’a persévéré ni formellement, ni virtuellement. La règle en est constante. Mais quand un acte volontaire ne persévère-t-il en aucune de ces deux manières ? C’est quand on l’a expressément révoqué, quand on l’a volontairement cessé ; les deux cas sont clairs..Mais il advient que l’on cesse involontairement d’agir, du fait de causes ou circonstances étrangères à la volonté et qui interrompent l’action ; dira-t-on, en ce cas, que l’acte recommencé l’est en vertu d’une volonté nouvelle ? On le dira, si l’acte en cause est purement intérieur, en sorte qu’H n’y ait aucun lien nécessaire entre le premier et le second. On ne le dira point, si l’acte en cause est purement extérieur, en sorte qu’il poursuive ou complète l'œuvre même que le précédent avait commencée. Si l’acte en cause est un acte intérieur ordonné à un acte extérieur, comme le propos de voler, son renouvellement, après cessation involontaire, ne constitue pas un nouveau péché, ces différents désirs étant ordonnés au seul et même acte où ils doivent trouver leur assouvissement.

On prendra garde que la multiplication numérique des péchés ne mesure pas exclusivement la culpabilité du pécheur : la gravité réunie de plusieurs péchés peut le céder à la gravité d’un seul, et dans la même espèce. La multitude des actes volontaires et l’intensité de la volonté ne sont point proportionnelles. Pour le détail des cas, voir les manuels de théologie morale, au traité du péché ou au traité de la pénitence. Pour une étude doctrinale, voir spécialement les Salmanticenses, Cursus (heologicus, tract. De peenitentia, disp. VIII, dub. ni, édit. cit., t. xx, p. 250 sq.


IV. Les péchés comparés entre eux.

Les péchés se distribuent selon des espèces diverses. Il se pourrait « pie celles-ci fussent organisées de manière à ne former qu’un seul système, ainsi qu’il advient aux vertus qui n’existent pas en régime indépendant. Il se pourrait du moins que les péchés, divers et indépendants quant à leurs espèces, fussent égaux dans la privation qu’ils infligent. D’où les deux recherches distinctes que nous entreprenons sous le titre général des péchés comparés entre eux : 1° les rapports des péchés entre eux ; 2° l’inégale gravité des péchés.

1° Rapports îles péchés mire eux. Comme les

vertus sont connexes entre elles, il serait assez naturel rie rechercher si les vires ne le sont pas. Mais la théologie sans doute eût moins insisté sur ce point sans le texte célèbre de saint Jacques qui, au rebours du sentiment commun, semble rendre l’auteur d’un seul péché coupable de tous les péchés : Quicumque lolam legem servaverit, oflendat autem in uno, factus est Wimium reus. Jac, ii, 10. Ce versel a beaucoup troublé Mlnt Augustin, au point qu’il consulta à ce sujel saint Jérôme, non sans trahir son émoi, EpisL, ex xvii, /'. /… |. XXXIII, col. 733 sq. P, Lombard

i transmis aux théologiens médiévaux la question de saint Augustin avec la solution que ie Père proposait /// Sent., dist. X |.

Une théologie systématique, comme est celle de Mini Thomas, peut traitei ce poinl comme il suit. Xnl "' ' i l’intention du v< rtueux, autre celle du p< cheiir, par rapport à la raisin. Le premier entend se conformer à la raison, « i |e sou< i de mesurer son ai lion m < ette règle lui dicte sa conduite. Don la connexion

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de toutes les vertus, préposées aux actes divers de sa conduite, en cette vertu de la droite raison qui est la prudence. Le pécheur ne se propose point de se détourner de la raison, mais bien plutôt de poursuivre quelque bien, lequel est l’objet propre de son acte au point de conférer au péché son espèce. Il n’y a donc pas lieu de faire procéder tous les péchés d’une sorte d’imprudence foncière ; s’il y a entre eux quelque connexion, elle doit être cherchée du côté du bien qui est l’objet de l’intention volontaire. Or, y a-t-il là quelque unité? Certains thèmes célèbres de la littérature chrétienne le feraient d’abord penser, telles les antithèses augustiniennes : l’amour de Dieu faisant la cité céleste, l’amour de soi faisant celle de la terre De cio. Dei, XIV. xxviir, P. L., t. xli, col. 436 ; cf. Enarr. in ps. lxiv, t. xxxvi, col. 772 sq. Mais ces formules ne peuvent dérober à l’analyse la dissemblance des deux cas. Il est vrai que l’amour de Dieu opère l’unité de tous nos appétits du bien ; mais l’amour de soi n’opère pas l’unité de tous nos appétits du mal. Car aimer Dieu, c’est aimer cet objet qu’est Dieu ; s’aimer soi-même, c’est aimer comme objet tout ce qui pourra convenir à soi. Aimer Dieu, c’est aimer Dieu lui-même ; s’aimer, c’est aimer quelque autre chose en faveur de soi-même. Or, pour qui ne s’est pas fixé au bien absolu, la multitude des biens changeants séduit successivement son amour. Il n’y a pas de rapport nécessaire entre ce qu’il aimait hier et ce qu’il aime aujourd’hui. La séduction qu’il a subie d’un bien ne le rend pas insensible à quelque bien nouveau, qui est avec le premier sans commune mesure. Le pécheur est en proie à la multiplicité. Et cette douloureuse condition de sa vie, recedendo ab unitale ad muililudinem (Sum. theol., I a -Il^, q. lxxiii, a. 1), est du moins le signe qu’en faisant un péché il ne se rend pas coupable de tous les autres

Mais qu’advient-il en cette théologie du texte de saint Jacques ? Saint Thomas l’entend ex parle aversionis. L’apôtre enseigne, explique-t-il, que l’homme, en commettant un péché, s'écarte d’un commandement de la loi ; or, tous les commandements viennent d’un seul et même auteur, aussi le même Dieu est-il offensé dans tous les péchés. Et comme la peine du péché vient de ce qu’on y a offensé Dieu, on peut dire justement qu’un seul péché rend digne de la peine attachée à tous les péchés : omnium reus (ibid., ad lum). En somme, quel que soit le péché commis, et tout en n’encourant la culpabilité que d’un seul péché, le pécheur a offensé le même Dieu qui es1 offensé en tous les péchés : el de l’offense de Dieu vient qu’il est soumis au châtiment, Cette interprétation du théologien scolas liquc n’est point sans parenté avec celle que découvrait déjà saint Augustin : il y a, en tout péché, ce point commun qu’il est contraire à la charité, don dépend toute la loi : par là. il se rend coupable contre toute la loi puisqu’il offense le principe qui la contient floe. til.). L’exégèse moderne se rencontre, pour le principal, avec ces vénérables témoignages. L’objet de saint.la..pies est de faire sentir aux Juifs, ses correspondants, la gravité d’une seule faute, puisque, par cette faute, c’est la loi qui est atteinte, la même loi qui prohibe tous les péchés ; aussi, au %. 11. conclut il. non pas que Ton a commis <vu.rimes, mais que I on a transgressé la loi. Du reste. le rap inocliement que l’on peut faire entre le y. lu de saint Jacques et la littérature juive invite à voir dans l’es pression de l’apôtre, moins renoncé- d’un fin Idéal qu’un procédé juif d’amplification pour mettre en

relief la gravité d’un.- tauie.i Chaîne, L'épttre de

latnt JacqtUS, Paris. [927, p. 52. On retiendra.1. explications que le texte inspire ne saurait autoiin

ie qu’on appelle une connexion « les péi lies, mais qu’il

se prêt* a signaler les conditions privative ! dont est