Dictionnaire de théologie catholique/RUSSIE (Pensée religieuse) I. 2. Polémique anti-latine avant l'invasion des Mongols

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané ( Tome 14.1 : ROSNY - SCHNEIDERp. 115-118).

a rendu les plus grands services ; du même, Matériaux pour l’histoire de ta littérature ecclésiastique en ancienne Russie (en russe : Materialy…), dans Izv. Odt., 1902-1903 ; autre édition (Izsledovanija…), dans Sbor. OUI., t. lxxxii, 1907 ; A.-I. Sobolevskij, a publié beaucoup d’études sur cette période dans Jzv. Otd., ou Sbor. Otd-, ce sont là ses meilleures études, plus fouillées que celles qu’il imprima au début de sa carrière dans le Husskii filolog. Vêstnik de Varsovie ; citons en particulier ses Matériaux et remarques sur l’ancienne littérature russe, dans Izv. Otd., 1912-1916 ; ses Matériaux et recherclies dans le domaine de la philologie et l’archéologie slaves, dans S60r. Otd., t. lxxxvii, 1910 ; A.-I. Jatsimirskij, Petits textes et remarques sur la littérature slaroslave et russe, dans Izv. Otd., févr. 1897, avril 1898, févr. 1899, avril 1900, janv. 1902, févr. 1906, janv., févr. 1916. Cette période est également traitée avec plus ou moins de détail par tous les historiens de la littérature russe, Porfiriev, Pypin, Sevirev, etc.

Pour la polémique antilatine proprement dite, consulter : A. Popov, Bévue hislorico-liltéraire des travaux polémiques staro-russes contre les latins, Moscou, 1875, et A. Pavlov, Essai critique sur l’histoire de l’ancienne polémique grécorusse contre les latins, Pétersbourg, 1878 ; Pavlov avait commencé à écrire une recension du livre de Popov, mais son ouvrage prit de telles proportions qu’il en fit une brochure. Voir aussi M. Cel’tsov, Polémique entre grecs et latins au sujet des azymes (en russe : Polemika mezdu…), Pétersbourg, 1879.

Nous examinerons brièvement :
1° la chronique primitive ;
2° l’épître de l’archevêque Léon sur les azymes ;
3° les discours antilatins attribués à saint Théodose Piô-’rskij ;
4° la lettre du métropolite Georges :
5° celle du métropolite Jean ;
6° celles de Nice’phore, enfin
7° divers écrits c’esxiie et xiiie siècles.

La chronique primitive.


D’après la Chronique dite de Nestor, le philosophe grec qui vint prêcher la religion chrétienne à saint Vladimir ne reprochait aux latins que l’usage des azymes : « Il n’y a pas une grande différence entre leur religion et la nôtre, dit-il ; dans la liturgie, ils se servent de pain non fermenté, c’est-à-dire d’azymes. » Lors du baptême de saint Vladimir à Chcrson, toujours d’après la même source, les prêtres grecs l’avertirent sérieusement de ne pas accepter les erreurs des latins, et à cette occasion, ils dressèrent un catalogue d’erreurs… Ils inventèrent le pape Pierre le Bègue qui était destiné à avoir une vogue incomparable en Russie. Il est manifestement impossible de considérer l’une et l’autre affirmation comme étant de 087 et de 988. Le catalogua d’erreurs latines dépend d’ailleurs du Ilept tô>v (DpàYycov. un écrit polémique composé durant la seconde moitié du xie sièc’e. Golubinskij a attribué tout le récit sur la conversion de saint ladimir que nous lisons aujourd’hui dans Nestor à un Grec du xiie siècle. Nikolskij, Matériaux pour un catalogue provisoire…, p. 16-40 ; Golubinrkij, H isl. de l’Église russe, t. i a.

Épitre de l’archevêque Léon sur les azymes.


Ce Léon, parfois appelé archevêque de Russie, ou encore de Prestav en Russie, n’a pas été identifié jusqu’ici. Quelques savants exclusivement russes, égarés par le titre de Russie qu’on donnait à l’occasion, paraît-il, aux archevêques de Bulgarie orientale, ont traduit Prestav par Penjislav sur le D.iicpr (petite forteresse, renouvelée par Vladimir, qui défendait les terres des princes kiéviens contre les incursions pétt henègues), y envoyèrent ce Léon qu’ils crurent pouvoir identifier avec un métropolite Léont. envoyé par Fhotius (sid) à saint Vladimir, d’après la chronique primitive. La gloire d’avoir eu en Russie le premier pol miste antilatin sur la question des azymes leur fit manquer quelque peu de sérénité. Après le Russe C l’tsov et le Grec Dimitracopoulo, le Bulgare Tsukltv et le P. Leib, S. J., reconnaissons que l’auteur de ce traité sur les azymes fut métropolite en Bulgarie et écrivit en grec à une époque plus tardive, certainement après Léon d’Ochrida et Cérulaire. Nous

n’avons donc pas à nous en occuper. Il convient cependant de noter que BenfSiVÎC qui fit une édition critique de cette lettre en 1920, la datait encore de l’an 1000. Cf. Nikolskij, Matériaux…, p. 43-47 : V. BemS vie, Monun enls de l’ancien droit canonique russe, t. n a, dans Russ. Isl. Bibl., t. xxxvi, 1920.

Saint Théodose Pcô’rskij.


On a attribué au célèbre fondateur du monastère des Cryptes de Kiev deux écrits antilatins. Izjaslav, grand-prince de Kiev, aurait demandé au saint moine ce qu’était la foi variague. Théodose aurait répondu en faisant un catalogue d’erreurs latines. Mais il nous semble impossible d’attribuer ces écrits à Théodose qui resta fidèle à Izjaslav au moment où ce dernier afficha sa foi catholique en envoyant son fils Jaropolk implorer l’aide du pape Grégoire VII à Rome et mettre la Russie sous la protection de Saint-Pierre. L’adversaire d’Bjaslav d’ailleurs, le grand-prince Svjatoslav, recevait alors comme ambassadeurs des prélats allemands qui étaient ses parents par alliance. Un examen sérieux de l’écrit principal de Théodose (dont la recension la plus ancienne — il y a quatre recensions différentes de cet écrit extraordinairemeni rép ;.n : lu à une époque plus tardive — est connue par un manuscrit du xive siècle) démontre qu’il ne peut être attribué au troisième quart du xie siècle. I es sources en sont Fhotius, Cérulaire, le LTepl tSv OpàyytoV ct le Ta oà-n.à(J.aTa r7 ; ç Xa-n.vt, x9 ; < ; êy.x), r, aéaç qui dépend à son tour eiu Ilepî tcTjv Ipâyycov. Aussi la plupart des chercheurs plus récents, Gulubinskij, Sakhinatov, Nikolskij attribuent ces écrits au xii*e siècle. Voir Nikolskij, Matériaux…, p. 157-197. surtout p. 188-194 ; A. Ljasdeiko, Remarques sur les œuvres de Théodose, écrivain du XIIe siècle (en russe : Zamelki o sd nenijakh), Pétersbourg, 1900 ; A. -A. Sakhinatov, Le Paterik des cryptes de Kiev et la chronique des cryptes (Kiev-P, c : rskij), dans Izv. Otd., 1897, p. 827-833.

Le métropolite Georges.


Il nous est difficile d’admettre l’authenticité de la Dispute avec un latin attribuée au métropolite Georges qui ne siégea à Kiev, semble-t-il, que durant l’année 1072. Georges lui-même, venu de Byzancc, devait sans doute partager les idées qui étaient en vogue alors à Constant inople ; il n’eut guère en tous cas la faveur du prince Iziaslav qui le chassa bien vite quand, avec l’appui du Saint-Sié ge, il se trouva de nouveau en possession ele sa capitale. La Dispute a vingt-huit griefs contre les litins (quoique le titre exact soit Dispute, avec un lit in : 70 accusations). Les sources sont C’-rulaire pour la maji ire part ie eles grie fs, le LTepi to>v <r>pàyycûv, Théodose, Ta aÎTtà[i.aTa et épie Ique source non encore ielentifiée. La seule énumération eles sources renel difficile l’attribution ele la Dispute à l’année 1072. On a remarqué aussi une parenté textuelle entre cet ouvrage et une lettre du métropolite Nicéphore à Vladimir Monomaque. Il est vrai que la plupart des savants russes ont admis l’authenticité ele l’écrit ele Georges, mais depuis l’énergique négation ele Pavlov qui voulut en faire un écrit du xiie siècle tout au plus, on a commencé à hésiter davantage. Voir N. Nikol kij, Matériaux. .., p. 201-202, qui donne bien l’état de la question sur l’authenticité du document ; édit. V. Ben, swè, Monum. de l’une, droit canon, russe, t. n a, Pétrograd, 1920, dans Russ. Isl. Bibl., t. xxxvi.

Le métropolite Jean.


Plus connue et beaucoup plus importante est la lettre du métropolite Jean à l’antipape Clément III (1080-1100) en réponse à un appel à l’union. Le métropolite, un Grec (comme tous les auteurs antilatins cités jusqu’ici), au lieu de multiplier les « erreurs romaines » n’en donne que « quelques-unes choisies parmi beaucoup » : il parle des azymes, du jeûne du samedi, de l’omission du jeûne durant la première semaine du carême, du célibat des prêtres, de la confirmation conférée par un simple prêtre que les latins’refusent de reconnaître comme valide et. enfin et surtout, du Filioquc. Le ton est modéré. Jean invile Clément à écrire au patriarche de Constantinople.

Quand plus tard on traduisit cette lettre slave et qu’on en fit une recension à l’usage exclusivement indigène, on enleva tous ces ménagements. Jean montre une intolérance plus marquée dans ses Réponses canoniques au moine Jacob. Non seulement il interdit la communicaiio in sacris, mais, à moins de scandale ou d’inimitié, il défend même de manger en commua avec les latins. Cependant il montre un esprit plus large que les antilatins futurs. Sa treizième réponse est sévère : « Il est indigne et tout à fait inconvenant que les filles des nobles princes soient données en mariage à ceux qui communient in azymis. Ceux qui font cela devront Être excommuniés. » La menace du métropolite n’eut aucun effet. Les mariages mixtes continuèrent encore longtemps. C’est que les laïques ne partageaient pas l’exaltation antilatine de leurs hiérarques. Le métropolite Jean siégea jusqu’en 1089 (on ne sait quand son pontificat commença, ce fut après 1072). Or, durant le dernier quart du xie siècle, il y eut trois alliances princières avec les cours allemandes, un mariage suédois, un hongrois, un polonais et un poméranien. Il n’y eut pas une seule alliance byzantine. Nikolskij, Matériaux…, p. 21 1-225. La lettre a été éditée par Pavlov, Essais critiques sur l’histoire, Pétcrsbourg, 1878, p. 169-186. Les Réponses canoniques se trouvent dans Monuments de l’ancien droit canonique russe (Pamjatniki drevne-russkago…), dans Russ. Isl. Bibl., t. vi (2 « éd., 1908), n. 1, et dans le dernier supplément de ce même ouvrage, p. 321.

6° Le métropolite Nicéphorc (1104-1121). —

Il vint lui aussi de Grèce. Il nous a laissé deux écrits antilatins qui semblent avoir l’un et l’autre d’excellentes garanties d’authenticité : d’abord son épître à Vladimir Monomaque (1113-1125), qui ressemble tellement à la Dispute du métropolite Georges que l’on se demande quelle est au juste la relation mutuelle de ces deux documents. Nous n’avons ici que vingt erreurs latines ; il en manque donc huit par rapport à l’écrit de Georges. On a remarqué aussi que Nicéphorc suivait bien plus rigoureusement l’ordre de la lettre de Michel Cérulaire à Pierre d’Antioche. Cette double raison nous porte à conclure que la Dispute de Georges est postérieure à l’écrit de Nicéphorc. Une seconde lettre, semblable à la première, est adressée à Jaroslav de Volhynic.

Nicéphorc donc (si l’on exclut l’épître du métropolite Jean qui est d’un ton plus calme) aurait fourni le premier traité à peu près sûrement daté.

Tous ces écrits, sans exception, sont d’origine grecque. Les auteurs russes : Théodosc (au moins dans ses ouvrages qui ont quelque probabilité d’authenticité), Cyrille de Turov, Clément de Smolensk, Nestor, l’hagiographe des Cryptes, Ililarion, ne soupçonnent pas, semble-t-il, l’immense tragédie qui vient de déchirer l’Europe chrél ienne. Au cours des événements sanglants qui se déroulèrent en Russie au milieu du xiie siècle, les princes (surtout ceux de la maison régnante de Kiev) ne semblent passe douter qu’ils ont une autre religion que les Hongrois et les Polonais, leurs alliés. Le prince de Vladimir-sur-Kliazma. André Bogoliubskij, fort irrité contre Constantinople, parle de proclamer l’aulocéphalie en Russie. Le peuple ne croyait pas encore a une scission ecclésiasl ique, l’n bel exemple de cette union, qui régnait encore entre les cœurs, nous est donné par riiigoumènc de la terre lusse, Daniel, qui nous a laissé un délicieux Itinéraire en Terre sainte. Nous le voyons recevoir l’hospitalité des croisés (dont les chefs étaient d’ailleurs cousins des princes de Kiev), îles moines latins, des moines grecs. des évêques… et en même temps que l’hospitalité, il recevait également les bénédictions des uns et des autres. « Dans ce contact des pèlerins slaves avec les Francs, l’entente paraît régner sans ombre (nous avons relevé cependant l’un ou l’autre indice qui manifeste les préférences de l’Église russe pour la liturgie grecque : l’allusion aux azymes, les lampes allumées). Daniel est reçu à la métochie de Saint -Sabas, un monastère de rite grec, mais nous le voyons, lui et ses compagnons, fraterniser avec les Latins, soit au Thabor, soit à Jérusalem ». Lcib, op. cit., p. 284 ; < f. A. Leskien, Die l’ilgerfarlirtdes russischen Alites Daniel ins Heilige Land, dans Zeitschrifl des Deutsch-Palæstina Vereins, t. vii, Leipzig, 1884 ; Malinin, Vie et pèlerinage de l’higoumène de la terre russe, Daniel, dans Trudy, janvier 1884. Une excellente édition aété publiée par.M. Vcnevitov, dans Pravoslavnyj Palestinskij sbornik, fasc. 3 (1883), 9 (1885), compte rendu dans Zarn. Min. Nar. Pr., août 1884, p. 248-258.

Niphon et autres.


Un des premiers auteurs de polémique antilatine qui fut peut-être russe est l’archevêque Niphon de Novgorod (1130-1156). Il fut le champion du parti grec en Russie et reçut pour cette raison le titre d’archevêque du patriarche de Constantinople. Les Novgorodiens l’accusèrent continuellement d’avoir envoyé de l’argent à Constantinople et même d’avoir dépouillé Sainte-Sophie à cet effet. Ce Niphon est l’auteur d’une série de réponses canoniques faites à un certain Kirik qui cherchait à s’instruire non seulement auprès de Niphon, mais aussi auprès du pire ennemi de l’archevêque de Nogvorod, le métropolite Clément de Smolensk, et de quelques autres encore. Ces Réponses canoniques donnent un tableau vivant des mœurs de l’époque. On y trouve de tout : des coutumes intéressantes observées dans l’administration des sacrements, les purifications rituelles qui ne manquent pas d’une certaine saveur hébraïque, des indications sur ce qu’on peut manger à différents jours (c’était là la grande préoccupation des Russes d’alors), les restes de superstition, etc. Voici, d’après Niphon, la manière de recevoir les latins qui veulent se faire orthodoxes : « 10. (Que faut-il faire) si quelqu’un qui a été baptisé dans la foi latine désire se joindre à nous ? Réponse : Qu’il aille à l’église durant sept jours, tu lui donneras d’abord un nom, tu feras les prières des catéchumènes sur lui quatre fois par jour durant trois jours ; il gardera le silence ; il ne mangera pas de viande et il ne boira pas de lait ; le huitième jour il prendra un bain et il viendra vers toi ; tu feras sur lui les prières rituelles ; tu lui mettras des habits (littéralement : des pantalons) propres (ou il le fera lui-même) ; tu lui mettras l’habit baptismal et la couronne ; tu l’oindras du saint chrême et tu lui donneras un cierge. Pendant la liturgie, tu lui donneras la communion et il suivra les pratiques des néobaptisés jusqu’au huitième jour. » On ne rebaptise donc pas encore, mais peu s’en faut. Toutes ces pratiques semblent Incompréhensibles à Novgorod, car l’influence latine y est puissante à cause des relations commerciales avec un grand nombre de villes allemandes. .Mais Niphon n’est pas Novgorodien. Il a été envoyé de Kiev par le métropolite Michel qui aimait placer des Grecs à la tête des évêchés russes (Manuel à Smolensk, Théodose à Vladimir de Volhynic). Aussi plus d’un savant russe, Ikonnikov en particulier, avance, au moins comme une hypothèse bien fondée, quc Niphon était grec. Dès lors tout s’explique. Les auteurs russes sont toujours unanimes à ne pas s’occuper du schisme grec et il y a un Grec de plus à ajoutera notre liste de polémistes. Les Réponses de Niphon se trouvent dans les Monuments de l’ancien droit canonique russe, dans Russ. Isl Bibl., t. VI (2 « éd., 1908), n. 2.

Mais déjà les écrits antilatins se font de plus en plus nombreux. Après l’invasion des Mongols, ils vont entrer jusque dans les recueils juridiques de l’Église russe. Les quelques Kormcija de l’époque prémongolienne (ms. de la bibliothèque synodale du xiie siècle, ms. du musée Rumjantzev du xiiie que l’on croit être une copie du Nomoranon de saint Méthode) ne contiennent pas de traités antilatins. L’EIremovskaja Kormcaja contient des traités contre les bogomiles et les autres hérétiques, une profession de foi pour les convertis du judaïsme, de l’islam, « de ceux qui ont été baptisés dans l’hérésie », mais rien au sujet, des latins, sauf la lettre du métropolite Jean à l’antipape Clément III et les réponses de Niphon.

C’est des Balkans que vinrent les Kormcaja antilatins. Le premier qui parut en Russie, fut, ce semble, celui qui fut envoyé par le despote Jacques Svatoslav de Bulgarie au métropolite Cyrille en 1262. Il disparut, mais nous avons quatre autres Kormcaja de cette même fin de siècle : l’un de rédaction serbe (serbskago pis’ma) de 12C2, celui de Rjazan de 1284, celui de Novgorod de 1280 et celui de Volhynie de 1286. Ici nous avons déjà toutes les productions classiques : lettre de Cérulaire à Pierre d’Antioche, lettre de Léon d’Ochrida, AiccXeÇiç de Nicétas Stéthatos, Ilepl tô>v Œpàyywv, etc. Dès lors, la Russie devient de plus en plus antilatine. V.-I. Sreznevskij, Examen des anciens manuscrits russes de la Korméjja, dans Sbor. Old., t. lxv, 1899, n. 2.


III. Polémique antijuive jusqu’à l’invasion des Mongols.

On sait que l’influence juive se lit sentir fortement en ancienne Russie jusqu’au règne de Vladimir Monomaquc (c’est-à-dire jusqu’au pogrom de Kiev de 1113). Sans nous arrêter ici aux hypothèses de Firkovic et de Daniel Chwolson sur l’existence de larges colonies karamites en Crimée et sur les documents vrais ou faux, découverts (ou fabriqués ) en 1839 par le même Firkovié, rappelons qu’avant l’avènement d’Oleg, une grande partie de la Russie méridionale, Kiev en particulier, se trouvait sous la domination khazare. Or, les Khazars étaient juifs : c’était le seul peuple qui ait été converti au judaïsme depuis la prise de Jérusalem. Aussi l’influence juive se fit-elle fortement sentir partout où leui empire s’étendait. Un savant juif converti à l’orthodoxie, G. Baratz, a fait paraître une série de brillantes études sur les rapprochements littéraires à faire entre certains ouvrages de l’ancienne Russie et tel passage du Talmud. Nous sommes loin de partager toutes ses hypothèses, en particulier quand il affirme que la chronique primitive de Russie (Nestor, ou son prédécesseur ) et la Vie de saint Vladimir sont des documents littéraires basés presque uniquement sur des sources juives, mais il semble avoir démontré que plusieurs ouvrages, notamment la parabole de l’aveugle et du boiteux (ou dans sa forme plus abrégée, la parabole du corps et de l’âme) attribuée à saint Cyrille de Turov est prise directement du Talmud. On peut en dire autant du Discours à un certain caloyer sur la lecture des livres, et d’autres ouvrages encore.

G.-M. Baratz, Parallèles biblico-agadiques avec la narralion de la chronique sur saint Vladimir (en russe : Biblejskongadiéeskija Paralleli…), Kiev, 1908 ; du même. Les compositeurs du « Récit des années écoulées » et ses sources surtotit juives (en russe : O sostaviteljakh…), Berlin, 1921, cet ouvrage tut très critiqué pur B. Salomon dans Jinzanlinisclie Zeitschrifl, t. xxvi, 1926, p. 418 ; cf. A. Bruckner, dans Archiv f. slav. Philologie, t. XL, 1926, p. 141-148 ; G.-M. Baratz, Questions cyrillo-méthodiennes, dans Trudy, août 1891, p. 606-680.

Aussi ne nous étonnons pas de remarquer une forte influence juive à Kiev. Dans la Vie de saint Théodose des Cryptes, il est rapporté que celui-ci avait l’habitude de sortir en secret de sa cellule et du monastère, le soir, pour aller chez les juifs et disputer avec eux sur le Christ ; il les réprimandait et les appelait apostats, car, ajoute son biographe, « il désirait être tué pour la confession du Christ… » Théodose était obligé de se limiter à des désirs, car les juifs d’alors étaient aussi inoffensifs que ceux d’aujourd’hui, mais il est manifeste qu’ils exerçaient alors à Kiev une. influence considérable.

Sous Svjatopolk Izjaslaviô, l’influence juive augmenta encore. « Svjatopolk, rapporte TatiSêîV dans son histoire, était fort avaricieux, aussi il donna aux juifs beaucoup de privilèges au détriment des chrétiens dont beaucoup perdirent leur commerce et leur industrie, » À la mort de Svjatopolk il y eut un pogrom, le premier signalé dans l’histoire de Russie (1113). Les Kiéviens commencèrent par attaquer les liait isans de Svjatopolk, ils dévastèrent la maison d’un certain Putiata Tysetskij, puis se portèrent aux maisons des juifs « car ceux-ci avaient causé beaucoup de torts aux chrétiens dans les marchés ». Les juifs se retirèrent dans leur synagogue, et se défendirent comme ils purent. La noblesse de Kiev envoya un exprès à Vladimir (Monomaque) pour le faire venir et arrêter les désordres. Le prince fut accueilli par la ville comme un sauveur. On lui demanda de proclamer un édit contre les juifs ; il refusa d’abord de le faire, alléguant que les juifs avaient été tolérés par d’autres princes et que c’était leur faire une injustice que de les dépouiller. Il promit cependant de réunir les princes russes pour discuter à ce sujet. Le meeting princier promulgua la loi suivante : < ; On chassera maintenant tous les juifs de toute la Russie avec toute leur propriété et on ne les laissera plus s’y établir, et s’il y en a qui viennent en secret, il sera permis de les tuer et de les piller. » En 1151, on parle encore des portes juives à Kiev, mais c’est la dernière notice.

La polémique antijuive, à l’inverse de la polémique antilatine, n’intéresse pas les prélats grecs, mais elle constitue un des lieux communs de la littérature nationale.

Pour le xe -xi c siècle, voir toujours N. Nikolskij, Matériaux. .. ; Dr Levitskij Jaroslav, Les premiers prédicateurs ukrainiens et leurs œuvres, L’viv, 1930 (en ukrainien : PerSi ukrains’ki…).

Le métropolite Hilarion.

Ce premier métropolite de nationalité russe qui ait siégé à Kiev écrivit, entre 1037 et 1050, sou fameux discours.Sur la loi et la grâce. Ce discours, le monument de la littérature russe du xie siècle le plus universellement connu et apprécié, est divisé en deux parties : la première démontre la supériorité de la foi chrétienne sur la loi juive ; l’auteur, s’inspirant de l’épître aux Romains, développe la comparaison d’Agar et de Sara ; il nous parle ensuite des deux fils de Joseph : Éphraïm et Manassé. Gédéon commanda qu’il y ait rosée sur la toison et il en fut ainsi ; seul le peuple juif reçut la rosée divine ; puis le peuple juif se dessécha et toute la terre fut baignée de rosée. Puis l’orateur décrit le mystère de l’incarnation : une personne en deux natures, les attributs de l’une et de l’autre depuis la naissance du Sauveur jusqu’à la résurrection ; enfin, il traite de la réprobation des juifs du fait qu’ils crucifièrent le Sauveur. La doctrine d’Hilarion sur l’incarnation est parfaitement orthodoxe. Nous connaissons d’ailleurs une profession de foi du même auteur qui est également catholique.

Le Discours sur la loi et la grâce ne dépend pas des écrits byzantins antijuifs dont quelques-uns (Dispute de Gregenlios, évêque de Tarphar avec U juif Herban

— Vie de Jacques le Juif — Sermons de saint Jean Chrysoslome contre les juifs) furent traduits en slave