Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS III. L'institution et le nombre septénaire. 1. L'intention du Christ suggérée par l'étude des sacrements eux-mêmes et de leur rôle respectif dans la vie surnaturelle de l'homme

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané ( Tome 14.1 : ROSNY - SCHNEIDERp. 275-277).

tement ». N. Gihr, Les sacrements, trad. franc., t. i, p. 41. Cf. S. Thomas, In IV » ™ Sent., dist. I, q. i, a. 2, sol. 2 ; S. Bonaventure, ibid., dist. I, part. I, q. i.

Le but principal des sacrements est la justification de l’homme. Pour atteindre ce but, Dieu n’est pas obligé de se servir d’éléments sensibles : sacramentis non alligavit potentiam suani Deus. Pierre Lombard, Sententiarum, t. IV, dist. I, part. I, c. v. Mais en fait, il a choisi des éléments sensibles pour leur communiquer une vertu sacramentelle. Voir plus haut, col. 532. Que ces éléments sensibles soient très convenables pour obtenir la sanctification des hommes, Hugues de Saint-Victor en a rappelé, sur le rythme ternaire cher au Moyen Age, une triple raison : propter humiliationem, propter cruditiunem, propter exercitationem. De sacramentis, t. I, part. IX, c. m. Les scolastiques ont adopté ce texte et l’ont développé plus ou moins. Cf. Pierre Lombard, Sent., t. IV, dist. I, part. I, c. v ; S. Bonaventure, Brcvilaquium, part. VI. c. i, édit. citée, p. 265 ; S. Thomas, 111% q. lxi, a. 1.

1. Convenance par rapport aux attributs divins. —

Bien de plus convenable que les sacrements pour manifester la miséricorde et la justice, la sagesse et la puissance de Dieu. S. Bonaventure, In IV m Sent., dist. I, part. I, q. i ; S. Thomas, Quodl., IV, q. x ; Suarez, De sacramentis, disp. III, sect. iii, n. 5. Voir d’autres références dans Gihr, op. cit., p. 43-47. On connaît, sur ce sujet, la belle paraphrase de Bède, sur la parabole du bon Samaritain, dans son commentaire sur l’évangile de saint Luc, paraphrase reproduite et commentée par Billot, dans le Proosmium du De sacramentis.

2. Convenance par rapport aux exigences de l’homme déchu. —

Bien de plus convenable que les sacrements comme réponse de Dieu aux besoins et aux exigences de la nature humaine blessée par le péché. Comme on l’a dit plus haut, les signes sensibles sont en harmonie avec la nature de l’homme, à la fois corporelle et spirituelle. Mais avec combien plus de force s’impose cette convenance quand on considère la cécité de l’homme par rapport aux vérités surnaturelles ! Par le moyen des signes sensibles, les sacrements nous rendent plus facilement saisissables les trésors cachés de la grâce divine. Cf. Denys le Chartreux, Dialogus, t. V, a. 1. Saint Bonaventure rappelle à ce sujet que l’homme est par lui-même peu porté à la contemplation des choses divines et surnaturelles ; les sacrements l’excitent à sortir de son indolence et, par leur multiplicité même, le préservent du dégoût et de l’ennui. In IV am Sent., dist. I, part. I, q. i. Mais la convenance des sacrements par rapport à l’homme déchu s’affirme surtout en ce que, par leur nature et leur but, les sacrements sont le moyen le plus propre d’arriver à une sorte de certitude morale, à la tranquillité de conscience par rapport à notre salut, ce que saint Thomas appelle certa fiducia salutis. Cont. gent., t. IV, c. lxxvii, et saint Bonaventure, securitas salutis. Loc. cit. Saint Augustin raconte que la foi ne le rassurait pas sur ses fautes passées, qui n’avaient pas encore été remises par le baptême, mais qu’après la réception de ce sacrement, il n’éprouva plus aucune inquiétude. Conf., t. IX, n. 6, P. L., t. xxxii, col. 705. On trouve des déclarations semblables chez nombre de théologiens mystiques ou simplement sacramentaires.

3. Convenance des sacrements par rapport au mystère de l’incarnation, soit considéré en lui-même, soit considéré dans l’Église qui en est la suite. —

Le mystère de l’incarnation est la source visible de toutes les grâces ; il était donc convenable qu’il y eût des canaux et des ruisseaux visibles pour apporter ces grâces à chacun en particulier, visibles comme avait été visible la personne de l’Homme-Dieu. Quia passio Christi prœcessit, ut causa quædam universalis rernissionis peccatorum, necesse est quod singulis adhibeatur ad deletionem propriorum peccatorum. Hoc autern fit per baptismum et pœnitentiam et alia sacramenta, quæ habent virtutem ex passione Cliristi. S. Thomas, III a, q. xlix, a. 1, ad 4um. Ces derniers mots pourraient être appliqués à une autre convenance des sacrements par rapport à l’incarnation : les sacrements ne causent effectivement la grâce qu’en tant qu’ils sont les instruments vivifiés par la passion du Christ. Voir ci-dessus, col. 535. Ils sont donc, par rapport aux hommes que Jésus-Christ est venu racheter, une continuation véritable de l’instrument de salut que fut l’humanité sainte du Sauveur. De plus, l’Église continuant sur terre l’incarnation, elle doit pouvoir leur communiquer visiblement les grâces et les dons issus de l’incarnation. Elle doit pouvoir le faire visiblement, en s’agrégeant les membres vivants du corps mystique, en leur assurant la croissance spirituelle, en les guérissant de leurs blessures, en leur donnant des chefs, en leur procurant le moyen de perpétuer la race des rachetés. De même que le salut est dans le Christ et par le Christ, de même les moyens visibles de salut doivent être dans l’Église et par l’Église qui continue le Christ.

4. Convenance des sacrements par rapport à la création matérielle. —

Enfin, grâce aux sacrements, la création matérielle, frappée par la malédiction du péché, est relevée et appelée à prêter son concours à l’économie du salut. Des substances naturelles, eau, huile, baume, pain, viii, etc., deviennent les symboles et le véhicule de la grâce. Ainsi l’ordre naturel tout entier doit coopérer au salut de l’homme. C’est là un commencement de cette transformation que la rédemption des hommes doit opérer sur la nature inanimée elle-même :

Terra, pontus, astra, mundus : quo lavantur flumine !

La conclusion de ces considérations sur l’extrême convenance des sacrements, c’est que Jésus-Christ, Bédempteur du genre humain, ne pouvait guère se dispenser d’instituer des sacrements. Sa sagesse, sa puissance, sa miséricorde, son amour pour nous l’y obligeaient moralement.

Convenance de l’institution de sept sacrements.


Cette convenance ressort avec grande vraisemblance du rapprochement fait entre la vie inférieure du corps et la vie supérieure de l’âme par la grâce : de ce rapprochement, en effet, ressort un certain parallélisme qui va à montrer que les sept sacrements sont appropriés et suffisent à communiquer aux individus comme à l’humanité tout entière la vie surnaturelle dans sa plénitude. Voici, sur ce point, le résumé du parallélisme établi par saint Thomas, III 11, q. lxv, a. 1. « À la génération et à la naissance naturelles qui donnent à l’homme la vie terrestre, répond le baptême par lequel l’homme renaît surnaturellement à une vie plus haute et divine, à la vie de la grâce. De même que l’homme par la croissance naturelle, atteint ensuite tout son développement et sa force physique, ainsi la confirmation fortifie, développe et perfectionne la vie surnaturelle communiquée à l’âme dans le baptême. La vie et les forces physiques doivent continuellement être entretenues par la nourriture et le breuvage ; ainsi les enfants de Dieu ont, dans le sacrement de l’autel, une nourriture céleste qui alimente leur vie spirituelle. En eux-mêmes, ces trois sacrements suffiraient aux individus pour établir, fortifier et conserver la vie de la grâce, si cette vie ne pouvait être perdue ; mais la santé surnaturelle, la vie même de l’âme peut être ruinée par la maladie du péché, comme la santé du corps par la maladie corporelle : dans les deux sphères, certains moyens sont donc accidentellement (per accidens) nécessaires pour écarter la maladie et rendre les forces premières. Or, de même que l’usage des remèdes éloigne les maladies du corps, ainsi le sacrement de la pénitence guérit les blessures mortelles de l’âme et rend la vie de la grâce ; et comme, enfin, des soins particuliers et le repos raniment les forces perdues, de même, l’extrême-onction efface les restes et les suites de la maladie spirituelle en donnant à l’âme de nouvelles grâces de force. « Les cinq sacrements dont nous venons de parler concernent et produisent la complète guérison et la sanctification de l’homme considéré individuellement ; mais l’homme est fait pour vivre en société ; il faut donc l’envisager comme partie du tout, comme membre de la famille humaine. Deux autres sacrements servent à perfectionner l’homme à ce point de vue : le mariage et l’ordre. La société humaine, dans l’ordre naturel, doit être gouvernée et elle doit se propager ; dans l’ordre surnaturel, deux choses sont pareillement indispensables : il faut que, toujours, des supérieurs se succèdent et soient pourvus du pouvoir nécessaire pour la sanctification et la direction de la société chrétienne, qui est l’Église : c’est à quoi l’ordre est destiné ; il faut que, toujours, de nouveaux membres soient donnés et engendrés à l’Église : telle est la fin du mariage. » N. Gihr, op. cit., p. 214-215. Le concile de Florence consacrera cet exposé dans son décret Pro Armenis, voir plus loin, col. 595.


II. L’INTENTION DU CHRIST, PLUS PRÉCISÉMENT INDIQUÉE PAR L’ÉCRITURE SAINTE.

La précédente démonstration, par raisons de convenance, quelle que soit l’apparence de rigueur qu’elle affecte, ne pouvait suffire en présence des arguments d’ordre historique mis en avant par les réformateurs du XVIe siècle. Il fallut en venir à une argumentation positive. Bellarmin et Grégoire de Valencia furent, à cet égard, des initiateurs.

L’autorité de la sainte Écriture est une des principales sources d’argumentation positive. Mais peut-on, avec la seule Écriture, prouver l’institution, par Jésus-Christ, des sept sacrements ? Nous avons rappelé plus haut, col. 495 sq., que, « dans l’Écrit ure, à propos des rites auxquels nous donnons aujourd’hui le nom de sacrements, se trouvent déjà exprimés à la fois leur symbolisme et leur efficacité dans la sanctification des âmes ». Sans prétendre trouver, dans les indications rassemblées, une démonstration proprement dite de l’intention de Jésus-Christ par rapport à la signification sacramentelle de nos sept rites, il semble néanmoins qu’une indication précieuse ressort à cet égard de leur rôle sanctificateur attesté par l’Écriture. Qui peut remettre les péchés, qui peut sanctifier les âmes, sinon Dieu ou celui qui a l’autorité de Dieu ? C’est vraisemblablement par une inconsciente identification entre l’élément sensible et matériel du sacrement et l’élément symbolique et proprement sacramentel, que nombre d’auteurs modernes et contemporains, étudiant l’origine des sacrements autres que le baptême et l’eucharistie, ont cru devoir recourir à l’hypothèse d’un développement faisant suite à une institution purement implicite. Sans doute, une telle hypothèse est bien différente de l’erreur moderniste contenue dans la proposition 40 du décret Lamentabili, voir plus loin, col. 561 ; il n’en est pas moins vrai qu’elle restreint singulièrement la portée de l’institution divine et qu’elle va à rencontre des plus sûrs principes de la théologie sacramentaire.

Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point : présentement, il suffit de souligner que l’Écriture sainte fournit des indications suffisantes d’où il est permis de déduire logiquement que le Christ a eu l’intention de conférer une signification sacramentelle a certains rites implicitement proposés dans les enseignements du Sauveur. Le développement affecterait l’élément matériel, non l’élément formel (au sens où nous entendons ce mot avec Jean de Saint-Thomas) du sacrement.

D’ailleurs, n’est-ce pas le travail de recherche positive qui a été accompli dans ce Dictionnaire, à propos de chaque sacrement étudié séparément ? Pour le baptême, voir t. ii, col. 167-168. Pour la confirmation, t. iii, col. 975-1026, où l’auteur conclut que le Christ a voulu et laissé entrevoir la confirmation au moment de son baptême dans le Jourdain. Peu importe, d’ailleurs, la précision relative au temps et au lieu : ce qui importe, c’est la volonté du Christ (col. 1026). Pour l’eucharistie, voir t. v, col. 989-1121. Pour la pénitence, voir t.xii, col. 749-752. Étudiant la pénitence primitive, l’auteur envisage la collation par Jésus à l’Église d’un pouvoir sur le péché. Ici encore, la volonté de Jésus apparaît clairement, touchant la rémission des péchés commis après le baptême et confiant à l’Église l’exercice de ce pouvoir. Ce sont les modalités de cet exercice qui constituent le développement historique. La volonté du Christ existe formelle et explicite dès la collation du pouvoir. Pour l’extrême-onction, voir t. v, col. 1898-1927. « L’extrême-onction est antérieure à l’épître. Saint Jacques n’invente pas. Il parle d’un rite connu… Sa lettre a été composée vers 61. L’extrême-onction avait donc été connue et employée avant cette date. Il devient bien difficile, sinon impossible, de trouver entre son apparition et la mort de Jésus le temps matériel nécessaire pour qu’elle ait pu se glisser dans les communautés, puis se faire accepter et enfin s’imposer comme un rite qui s’accomplit au nom du Seigneur » (col. 1826). Pour l’ordre, voir son institution par le Christ, t. xi, col. 1193-1209 : « Le Christ pouvait instituer l’ordre simplement en le voulant et en exprimant sa volonté par rapport à ceux qu’il revêtait du caractère sacré (col. 1206). Le rite employé ensuite a pu être choisi par le Christ d’une manière très générale. Ici encore, le rite a pu subir des modifications, la volonté du Christ de lui conférer une signification sacramentelle est demeurée la même. D’ailleurs, le concile de Trente (session xxiii, c. iii) enseigne que l’ordre est un sacrement en s’appuyant sur II Tim., i, 6, 7. Pour le mariage, plusieurs paroles du Christ, notamment Matth., xix, 6, indiquent sa volonté d’élever l’institution naturelle du mariage à l’état de sacrement. Le texte de saint Paul aux Éphésiens (v, 32) indique que « le mariage n’est plus seulement un état qui impose des devoirs difficiles en certains cas et qui exige des grâces spéciales ; ces devoirs reçoivent par le seul fait de leur assimilation aux rapports entre le Christ et l’Église, non pas une difficulté de plus, mais une élévation qui les place en plein surnaturel ; c’est un nouveau titre pour qu’au mariage soit attachée la grâce de Dieu ». Voir t. x, col. 2069.

Dans le cas du mariage, avec plus d’évidence que dans les autres sacrements, se vérifie la souplesse des principes théologiques posés par Jean de Saint-Thomas. L’institution du sacrement de mariage se réduit à une simple élévation, par un acte de la volonté du Christ, d’une institution déjà existante à l’état de sacramentalité.


III. L’INTENTION DU CHRIST, FORMELLEMENT ATTESTÉE PAU LE MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE. '

La Vraie preuve de l’existence de sept sacrements institués par le Christ réside dans l’enseignement traditionnel de l’Église. Le principe général de la démonstration positive est exprimé par la décrétale Ad abolendam de Lucius III, au concile de Vérone de 118-1 : « Il ne faut pas en cette matière (sur l’eucharistie, le baptême, la confession des péchés, le mariage ou les autres sacrements de l’Église) aliter sentire aut docere… quant sacrosancta romana Ecclesia prædicat et observât. Denz.-Bannw., n. 403.