Dictionnaire de théologie catholique/TRANSFORMISME I. Exposé du transformisme

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 15.1 : TABARAUD - TRINCARELLAp. 690-694).

TRANSFORMISME. — C’est la doctrine biologique qui exprime l’origine des êtres vivants, animaux ou végétaux, en fonction de leur descendance. La parenté entre formes organiques n’est pas seulement dans cette doctrine, une parenté idéale, mais une parenté réelle. Les vivants actuels descendent d’autres vivants, qui différaient plus ou moins notablement de ceux d’aujourd’hui, et ainsi de suite jusqu'à ce que l’on arrive à des vivants très élémentaires dont, par différenciations successives, sont dérivées progressivement les formes actuelles. Cette doctrine est encore appelée, d’un terme plus général, l'évolutionnisme. En dépit de certains exemples, nous ne mettrons aucune différence entre les deux termes, que nous emploierons couramment l’un pour l’autre ; mais nous préciserons ultérieurement qu’il y a plusieurs formes de transformisme ou d'évolutionnisme. La doctrine transformiste s’oppose à la doctrine fixiste, suivant laquelle il existe entre espèces, même très voisines, des barrières infranchissables, en sorte que l’apparition d’une véritable espèce nouvelle ne peut être l’effet que d’une création. — Nous exposerons d’abord du point de vue scientifique la doctrine transformiste ; nous l’examinerons ensuite du point de vue de la philosophie et de la théologie.
I. Exposé du transformisme.
II. Critique du transformisme du point de vue de la philosophie (col. 1374).
III. Critique du point de vue de la théologie (col. 1382).

I. Exposé du transformisme comme doctrine biologique. —

Orientation générale.


La multitude des espèces actuellement vivantes ayant été répartie, par la classification, en ses différents genres, familles, ordres, classes, embranchements, il n’est pas difficile de voir qu’aujourd’hui même il existe entre telle et telle espèce des ressemblances qui font songer à des liens de parenté. L’expression même de famille, créée par les naturalistes à l'époque où il n'était point encore question de transformisme, pour désigner des groupements supérieurs d’espèces, évoque très vivement cette idée. En d’autres termes les espèces vivantes ne sont pas sans lien entre elles. Leur étude révèle qu’entre les espèces, soit très voisines, comme nous disons, soit même assez éloignées, d’indéniables ressemblances existent tant au point de vue de l’organisation morphologique qu'à celui du fonctionnement biologique. Cette parenté est-elle simplement idéale, résulte-t-elle seulement du fait que les divers êtres vivants ont été conçus suivant un plan commun, est-elle au contraire une parenté réelle comme est celle d’une famille humaine dont les divers individus ont entre eux des rapports de consanguinité et descendent d’un ancêtre commun ? Telle est la question du transformisme. Ce à quoi le généalogiste aboutit pour les divers individus d’une famille humaine, le naturaliste transformiste voudrait le faire pour les diverses espèces actuellement vivantes, en constituant leur arbre généalogique.

Il faut ajouter que la seule considération des espèces actuelles n’aurait peut-être pas suffi à mettre l’esprit humain sur le chemin de la doctrine transformiste. Le développement de la géologie et de la paléontologie devait apporter à la doctrine de la descendance un argument décisif. D’abord simple étude technique des matériaux constitutifs de l'écorce terrestre, la géologie avait été peu à peu amenée à considérer que l'état actuel de la planète, tant du point de vue de la répartition des terres et des mers, des plaines et des montagnes, finalement des espèces animales et végétales, n'était que le point d’arrivée de nombreuses transformations successives, quelquefois brusques, d’autres fois continues et insensibles, qui avaient modifié à bien des reprises la géographie d’une part, les conditions diverses du peuplement d’autre part. Pour parler comme les naturalistes, la « biosphère » s'était modifiée en même temps que la « lithosphère ». Ainsi au cours de millénaires dont il est impossible de supputer le nombre, la face de la terre avait maintes fois changé. Recueillant patiemment les restes que les anciens êtres vivants avaient laissés dans les divers terrains, la paléontologie reconstituait ainsi l’histoire des faunes et des flores qui s'étaient succédé sur la face du globe et qui différaient très sensiblement les unes des autres. Y avait-il lieu de couper tout lien entre ces faunes et ces flores successives ? Pouvait-on imaginer que, chaque époque géologique se trouvant séparée de la précédente par une coupure brutale et, comme l’on disait, par un « cataclysme », le Créateur était intervenu, après chacune de ces « révolutions », pour remplacer sur nouveaux frais la faune et la flore anéanties par un peuplement tout nouveau et sans lien avec le précédent ? Tant que vécut la théorie des « cataclysmes », l’hypothèse d’une création renouvelée à chaque époque géologique pouvait encore se soutenir. La doctrine des « causes actuelles » a fini par éliminer à peu près définitivement les grands « cataclysmes » de l’histoire de la terre. La plupart du temps la transition s’est faite de manière insensible entre les époques géologiques, de même que, dans l’histoire de l’humanité, entre l’antiquité et le Moyen Age, le Moyen Age et l'époque moderne. Le faune et la flore des débuts de l'âge secondaire continuent celles des temps primaires. Seulement, au fur et à mesure que, partant des époques les plus reculées, nous descendons la suite des temps, nous voyons ces faunes et ces flores se transformer progressivement ; nous voyons apparaître des types nouveaux d’organisation, qui, d’ordinaire vont se compliquant, pour faire place, en tout état de cause, à des formes de vie plus voisines de celles que nous connaissons aujourd’hui. Les choses se passent, en gros, comme si les faunes et les flores successives des temps géologiques descendaient des faunes et des flores qui les précèdent et préparaient celles qui les suivent. Alors que la simple considération des espèces actuelles laisse incertain, en bien des points, le degré de parenté qui existe entre celles-ci, la paléontologie permet de reconstituer, d’une manière beaucoup plus satisfaisante, les liens qui existent entre les espèces d’aujourd’hui : tel le généalogiste qui retrouve en quelque vieux chartrier la preuve de l’existence, dans une descendance familiale, d’un chaînon qui lui avait jusque-là échappé. On ne saurait trop insister sur le lien qu’il y a entre les développements de la paléontologie — et d’une façon plus générale de la science géologique — d’une part et l’affermissement de la doctrine transformiste d’autre part. Ce que la taxonomie (étude de la classification) avait commencé, la paléontologie l’a fait incroyablement progresser. Plus, sur un des points précis de la science naturelle, se développent les découvertes paléontologiques et stratigraphiques, plus aussi, semble-t-il, se précisent les certitudes de la doctrine de la descendance. Les toutes récentes recherches dans le domaine de la paléontologie stratigraphique de l’homme illustreraient aisément cette corrélation.

Les vicissitudes de ta doctrine transformiste.


On remarquera que nous avons parlé, dès l’abord, non point de l' « hypothèse » transformiste, mais de la « doctrine » transformiste. Comme le fait très bien remarquer le P. Teilliard de Chardin, le transformisme, réduit à son essence, n’est pas une hypothèse. Il est l’expression particulière, appliquée au cas de la vie, de

la loi qui conditionne toute notre connaissance du sensible : ne pouvoir rien comprendre dans le domaine de la nature que sous forme de séries et d’ensembles ». Comment se pose aujourd’hui la question transformiste ? dans Études, t. clxvii, 1921, p. 541.

Il s’en faut que le transformisme soit arrivé d’abord à cette sorte de possession et encore n’y est-ii parvenu qu’en se dépouillant de bon nombre de parties désuètes.

Nous n’avons pas à insister ici sur l’histoire du transformisme. On en trouvera une très complète dans L. Cuénot, La genèse des espèces animales, Paris, 1932, l re partie, et des éléments à la rigueur suffisants, soit dans P. -M. Périer, Le transformisme, Paris, 1938, p. 28-34, soit dans l’art. Transformisme (B. de Sinéty), du Dictionn. apolog., t. iv, col. 1796 sq. Qu’il suffise de rappeler ici les noms de Buffon († 1788), qui a entrevu, l’un des premiers, l’idée de descendance, de Lamarck (1744-1829), dont la Philosophie zoologique a posé les premiers principes de la doctrine, des deux Geoffroy Saint-Hilaire, Etienne (1772-1844) et son fils Isidore (1805-1861), dont l’autorité réelle fut contrebattue par celle de Cuvier (1769-1832). Le plus illustre représentant de la nouvelle doctrine au xix c siècle fut Darwin (1809-1882) dont le livre fondamental, The origin of Species parut en 1859, 2e édition, en 1860, tandis que The descent of Man (La descendance de l’homme) ne vit le jour qu’en 1871. L’Anglais Huxley (1825-1895) et l’Allemand Hæckel (1834-1919) se sont fait un nom surtout comme propagateurs de la doctrine, le dernier dans des vues et parfois à l’aide de moyens qui n’avaient rien de scientifique. Les naturalistes français Paul Bert († 1886), A. Giard († 1908), F. Le Dantec († 1917), Yves Delage († 1908), dans les dernières années du xixe siècle ou les premières du xxe, ont représenté dans notre haut enseignement, soit au Collège de France, soit au Muséum, soit à la Sorbonne, le transformisme intégral. Monnayés à l’usage de la grande presse d’information ou à l’usage de l’enseignement plus élémentaire, leurs arguments ont fait pénétrer dans les milieux populaires, plus ou moins bien comprise, plus ou moins correctement interprétée, la doctrine, parfois très hasardeuse, dont ils s'étaient faits les champions.

Ii est incontestable qu'à l’heure présente la doctrine évolutionniste (nous ne disons pas le transformisme intégral et monophylétique) a cause gagnée dans les milieux savants. À la légion des naturalistes transformistes on opposerait à peine une poignée de biologistes qui se proclameraient fixistes ou, si l’on veut, créationnistes. Encore faut-il être prudent dans le calcul de ces derniers, car tel d’entre eux qui se range dans le camp des antiévolutionnistes, ne laisse pas de professer un certain nombre des principes de la doctrine, tout en refusant de les pousser jusqu’au bout. C’est le cas, par exemple, de Louis Vialleton dont nombre de publications donneraient à croire, si l’on n’en jugeait que par les titres, qu’il repousse délibérément toute évolution des êtres organisés : Un problème de l'évolution (1908) ; Membres et ceintures des vertébrés tétrapodes. Critique morphologique du transformisme (1924) ; L’origine des êtres vivants. L’illusion transformiste (1929). Les profanes qui, à tort ou à raison, considèrent comme un gain pour la religion tout recul du transformisme, seraient bien inspirés en se renseignant d’abord sur les limites, la portée, la signification des arguments mis en ligne par les adversaires de l'évolutionnisme intégral. Il reste néanmoins que, depuis une dizaine d’années un certain flottement se constate dans les rangs des naturalistes et que l’on assiste à un recul du transformisme intégral. Voir P. Descoqs, S. J., Autour de la crise du transformisme (1944).

Au fait si des querelles, dont quelques-unes très bruyantes, qui ont éclaté, en ces quarante dernières années, dans le camp des biologistes transformistes, l’on concluait que la doctrine est en désarroi et cesse de s’imposer à l’ensemble des esprits, on se ferait une singulière illusion. Les discussions roulent en effet non point sur la doctrine même de la descendance, mais sur des questions accessoires à la doctrine ellemême, en tant que celle-ci cherche à écrire une histoire complète de l’apparition et des transformations de la Vie. Les uns, en effet, fidèles à l’esprit de la méthode, prolongent soit par le bas, soit par le haut l’arbre généalogique des vivants : au bas, ils se représentent la vie sortant spontanément des virtualités de la matière minérale ; en haut ils n’hésitent pas à faire de l’espèce humaine un rameau, d’ailleurs plus ou moins touffu, dudit arbre généalogique, quelle que soit la place où ce rameau s’insère sur la souche commune. D’autres naturalistes sont moins osés ; entre la matière vivante et la matière brute, ils n’admettent pas qu’il puisse y avoir passage spontané : l’apparition de la vie sur la planète constitue à leurs yeux un commencement absolu, est le résultat d’une création. Ils pensent aussi que, loin de s'être développée à partir d’une forme unique, intermédiaire entre la plante et l’animal, la vie, dès son apparition, s’est révélée sous un nombre plus ou moins considérable d’organismes déjà nettement différenciés, ceux-ci étant le point de départ de chacun des grands groupes, animaux et végétaux, qui se sont ultérieurement développés. En d’autres termes, au monophylétisme des premiers ils préfèrent le polyphylétisme, qui leur paraît mieux expliquer les coupures, d’apparence parfois infranchissable, qui séparent divers groupes de la classification. Faisant application au groupe humain de ce principe, quelques-uns iront jusqu'à l’isoler complètement de l’ensemble des vivants et réclameront pour lui une création spéciale.

Outre ces discussions sur les limites dans lesquelles il convient de resserrer l'évolution et qui amènent entre naturalistes des altercations parfois très vives, la question du mécanisme même de l'évolution est la cause de luttes encore plus âpres. Si l’on entend dire que le lamarckisme ou le néo-lamarckisme a fait faillite, que le darwinisme est incapable d’expliquer la formation des espèces, qu’on n’en conclue pas, pour autant, que le transformisme est en déroute et que, sur ses ruines, le créationnisme n’a plus qu'à se réinstaller. Il est incontestable que les facteurs assignés par Lamarck ou Darwin à la formation des espèces, si ingénieusement qu’ils aient été compliqués par leurs modernes disciples, ne rendent compte que d’une façon très imparfaite de la manière dont se sont différenciés les êtres vivants. De plus, à l’heure présente, aux hypothèses de Lamarck et de Darwin qui n’admettaient guère que des variations insensibles, en quelque sorte infinitésimales, se fixant lentement par l’hérédité, s’est substituée l’hypothèse des « mutations brusques », qui, se produisant aux origines de tel être vivant, font apparaître un vivant nouveau assez différent de ses « parents » pour que l’on puisse parler, si les circonstances lui permettent de faire souche, d’une espèce nouvelle. Ainsi l’apparition d’une espèce nouvelle proviendrait en dernière, analyse d’une « monstruosité », au sens étymologique du mot.

Divergeant sur les limites de l'évolution, divergeant sur ses facteurs, les biologistes sont plus encore partagés sur son interprétation philosophique, les uns y voyant le confirmatur des principes mécanistes et monistes où ils se sont fixés pour de multiples raisons qui ne sont pas toutes d’oVdre scientifique, les autres n’y trouvant au contraire qu’une raison de plus pour adhérer aux doctrines théistes. Nous reviendrons plus

loin sur cette « critique » philosophique du transformisme, mais il fallait dès l’abord signaler cette divergence d’interprétation. L’adhésion au transformisme même intégral se concilie de fait, chez bon nombre de naturalistes, avec la profession du spiritualisme et du théisme ; elle accompagne, chez d’autres, le monisme matérialiste le plus radical. Mais il nous paraît que, dans l’un et l’autre cas, les doctrines métaphysiques sont sans action décisive sur les convictions scientifiques et inversement. Ceci est, à la vérité, quelque chose d’assez récent ; aux dernières décades du xixe siècle il est incontestable que plusieurs naturalistes se sont fait de l’évolution une arme contre les doctrines philosophiques qui sont à la base de la foi chrétienne ; non moins incontestable aussi que des vulgarisateurs, plus ou moins informés, ont fait à la doctrine transformiste une large publicité dans l’intention à peine dissimulée de battre en brèche le christianisme ou même le théisme. Et cette attitude, nettement antiscientifique, aide à comprendre la réaction qui s’est, dès l’abord, manifestée dans les milieux religieux à l’endroit du transformisme. Cette défiance s’atténue à la vérité, mais elle n’a pas encore entièrement disparu.

État actuel de la doctrine transformiste.

1. L’exposé

des preuves que les naturalistes apportent à l’appui de la doctrine transformiste demanderait, pour être fait de manière scientifique des développements qui ne seraient pas à leur place ici. On en trouvera l’exposé dans les ouvrages proprement techniques mentionnés à la bibliographie. Mieux vaut essayer d’en faire comprendre l’agencement.

a) La preuve directe de la vérité du transformisme consisterait, de toute évidence, à saisir sur le fait la naissance d’une forme nouvelle à partir d’une forme différente. Ce serait ensuite le cas de répéter ab aclu ad posse valet conseculio. On s’est donc mis à étudier les variations lentes que peuvent produire sur telle espèce animale ou végétale déterminée des variations très profondes dans le régime, le climat, les conditions générales de vie. Que ces variations aboutissent souvent à des modifications considérables et transmissibles, cela est incontestable. La formation des races et des variétés est un fait très anciennement connu. Mais que de ces variations sortent en fin de compte des espèces nouvelles, au sens précis du mot, c’est ce que l’on a toujours pu contester. Les variétés ainsi créées soit parla nature, soit par l’art de l’éleveur, dès que cessent d’agir les causes qui leur ont donné naissance, ne tardent pas à revenir au type spécifique primitif. On ne peut donc considérer comme absolument démontrée la formation d’espèces nouvelles par variations lentes. Au contraire un assez grand nombre de faits bien établis montrent que des transformations discontinues ont lieu dans la nature ; qu’on les appelle saltations, « mutations », peu importe ; l’intérêt est que l’on ait pu voir, dans des conditions favorables.se con itituei de toutes pièces une espèce nouvelle à partir d’une espèce antérieure bien caractérisée. Pour se cantonner dans le monde végétal, dans celui des infiniment petits, ou encore dans celui des insectes, ces observations ne laissent pas d’avoir leur prix. Elles expliquent le repain (le faveur qu’a rencontré, en ces derniirs temps, la théorie des » mutations ». En tout état de cause, il serait prudent, à l’heure actuelle, de ne pas répéter trop facilement l’aphorisme ancien des flxistes que « l’on n’a jamais constaté l’apparition d’une espèce nouvelle à partir d’une espèce antérieure ».

b) Praires indirectes. — Si la preuve directe du transformisme ne se laisse pas fournir sans de sérieuses difficultés, il existe, par contre, pour appuyer la doctrine, un faisceau de preuves indirectes, dont chacune

peut-être serait incapable d’entraîner la conviction mais dont l’assemblage donne une grande impression de force. Le transformisme supposé vrai, voici que trouvent une. explication simple et obvie des faits de nature très diverse, pour lesquels, dans l’hypothèse du fixisme, on ne découvre que des raisons très différentes les unes des autres ou peu plausibles. C’est le cas, ici comme dans les sciences mathématiques, de donner la préférence à la solution élégante, qui, en une seule formule, rend raison de toutes les parties du problème. En bref, l’hypothèse transformiste étant admise, trouvent une explication : a. Les ressemblances étroites que constatent, entre espèces voisines, l’anatomie et la physiologie comparées : que la nageoire d’un cétacé ressemble au membre antérieur d’un memmifère terrestre, à cela rien d’étonnant, si l’un et l’autre dérivent d’une espèce antérieure qui possédait déjà un membre analogue. — b. La présence d’organes rudimentaires, qui existaient plus développés dans les ascendants et ne paraissent plus guère aujourd’hui que les vestiges, les témoins d’organes disparus ; à un certain nombre de ces organes rudimentaires

— rudimentaires d’ailleurs ne voulant pas dire inutiles — il est difficile de ne pas reconnaître un caractère régressif. — c. Le développement embryonnaire. Sans doute nul biologiste ne voudrait plus prendre à son compte, sans de sérieux aménagements, la fameuse « loi biogénétique fondamentale », énoncée par Hæckel et suivant laquelle « l’ontogenèse récapitule la phylogénèse », ce qui n vient à dire que l’individu, dans son développement embryonnaire, passe par les div. > formes des espèces qui l’ont précédé. Pour faire admettre cette loi, Hæckel n’a pas reculé devant certains procédés qui ont été sévèn nvnt jugés, y compris des « truquages » de dessins. Mai.-, il n’empêche que, nonobstant la valeur très approximative de la loi en question, les embryons des diverses espèces liassent par une série de stades qui s’expliquent au mieux si l’on admet que l’espèce considérée est ûlîc d’autres espèces dont le souvenir subsiste, pourrait-on dire, dans les formes successives que prend l’embryon. — d. La continuité remarquable des séries paléonlologiques, qui permet d’établir, au moins en gros, la filiation des espèces récentes en remontant plus ou moins haut dans l’histoire de la vie. A. Gaudry pouvait écrire, il y a cinquante ans. trois gros volumes où il étudiait les « enchaînements du monde animal dans les temps géologiques ». Si un certain nombre des « formes de passage » qu’il proposait entre les genres, les familles, voire les embranchements n’apparaissent nullement évidentes à beaucoup de naturalistes, par contre nombre d’espèces fossiles ont été découvertes depuis, qui assurent une reconstitution plus exacte des arbres généalogiques, du plujlum comme l’on dit, d’espèces soit disparues, soit encore existantes. Le progrès est continu dans ce sens et il est bien rare que la découverte d’un nouveau fossile n’apporte pas un confirmatur à la doctrine. À l’heure présente c’est la paléontologie surtout qui donne à la doctrine transformiste son plus sûr appui. Tour un pa léontologiste ayant une claire vue du développement de la vie dans L’immensité des temps géologiques, ce développement serait proprement Impensable s : nis la doctrine de la « descendance ». Cf. oi-desi n. col. 1366. Que si, abandonnant la considération » cnble « h la faune et de la flore, on n’applique à l’étude du peuplement de telle région donnée) soit terrestre, soit marine, on constate, avec plus de preclsion encore, que le transformisme rend mieux eompte qui ! ’fixisme des particularité* de la distribution dt s i pèces. Sur di s continents IsoléV l< "if- à autr<

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culiers, se rattachant, par leur point de départ, aux formes archaïques de l'époque où ces continents étaient rattachés les uns aux autres, mais ayant continué à évoluer après la séparation, chacune à sa manière, pour arriver à l'état actuel.

2. Aménagements nécessaires.

Telles sont les grandes lignes de l’argumentation apportée par le transformisme. Il faut ajouter que les plus avertis tout au moins des naturalistes-philosophes se rendent compte que bien des trous subsistent encore dans la doctrine et que, si les grands principes en demeurent assurés, bien des aménagements sont néanmoins indispensables pour qu’elle puisse encadrer tous les faits. Nul ne l’a mieux fait comprendre, en ces derniers temps, que le transformiste très décidé qu’est le R. P. Teilhard de Chardin, S. J. : Comment se pose aujourd’hui la question du transformisme ? dans Études, juin 1921, t. clxvii, p. 524-544 ; Le paradoxe transformiste, dans Revue des questions scientifiques, 20 janvier 1925, p. 53-80 ; Que penser du transformisme ? même revue, 1930, p. 90-98. Ému de diverses attaques parties de certains milieux chrétiens ou neutres contre le transformisme, l’auteur, après une vigoureuse profession de foi dans la vérité de la doctrine, essaie de faire le point de ce qui est acquis à l’heure présente, de ce qui reste incertain, des données précises enfin sur lesquelles tous devraient se mettre d’accord. Nous découvrons, aujourd’hui, dit-il, en substance, que l'évolution biologique est beaucoup plus compliquée dans son processus que l’on ne l’avait d’abord imaginé. On s’est aperçu que beaucoup de séries vivantes considérées comme généalogiques (phylétiques) étaient seulement morphologiques, c’est-à-dire n’avaient été établies qu’en suivant la variation d’un organe en particulier. (L’histoire des ancêtres du cheval est à ce point de vue particulièrement instructive.) Il a fallu renoncer aussi à l’idée d’une évolution régulière, continue, totale. (De fait, par exemple, tels groupes déjà très compliqués nous arrivent à peu près sans changement du plus profond des âges géologiques.) Tout est plus ancien que nous ne pensions dans le monde et tout est beaucoup plus stable aussi. Ces restrictions apportées par les faits aux concepts premiers du transformisme ont été souvent considérées par les flxistes comme des défaites infligées à leurs adversaires. C’est un tort. En dépit de tout, dans la foule si variée des espèces disparues, il est possible de reconnaître certaines lignes de développement indubitables. Il y a des généalogies bien constituées qui permettent de remonter des animaux actuellement vivants à de petites bêtes chez qui un œil non exercé cherche vainement ce qui peut bien rappeler les types d’aujourd’hui. Ces quelques lignes solidement établies ont, en zoologie, la même importance que la mesure d’une base en géodésie ou l'établissement d’une maille en cristallographie. Elles fournissent, en effet, des axes et une loi de périodicité suivant lesquels nous pouvons ordonner progressivement la troupe confuse de tous les autres vivants, et l'étude des rameaux isolés nous amène à la contemplation de l’arbre même de la vie… Ce vaste édifice n’est pas une mosaïque d'éléments artificiellement groupés, mais la distribution de ses parties est l’effet d’un processus naturel. Depuis le plus petit détail jusqu’aux plus vastes ensembles, notre univers vivant a une structure et cette structure ne peut être due qu'à un phénomène de croissance. Voilà la grande preuve du transformisme et la mesure de ce que cette théorie a de définitivement acquis… Les vivants se tiennent biologiquement. Ils se commandent organiquement dans leurs apparitions successives, de telle sorte que ni l’homme, ni le cheval, ni la première cellule ne pouvaient apparaître ni plus tôt, ni plus tard qu’ils ne

l’ont fait. Par suite de cette connexion enregistrable entre formes vivantes, nous devons chercher et nous pouvons trouver un fondement matériel, c’est-à-dire une raison scientifique de leur enchaînement. Les accroissements successifs de la vie peuvent être l’objet d’une histoire. En définitive, si l'évolution biologique nous apparaît de plus en plus compliquée dans son processus, elle nous apparaît de plus en plus certaine, à condition d'être comprise comme une relation générale de dépendance et de continuité physique entre formes organisées… Mais quand l’esprit a saisi dans les choses un fragment d’ordre, il ne se résout pas facilement à en abandonner l’achèvement ; il cherche à prolonger les lignes entrevues. À peine les sciences naturelles nous ont-elles découvert l’existence d’un courant de la vie et déjà nous voudrions savoir d’où vient ce courant et où il va, quelle force de cohésion cimente ses gouttes innombrables, quelle pente mystérieuse entraîne son flot. Sous quelle forme, nous demandons-nous, s’est manifestée la vie primordiale ? Est-elle apparue comme une spore unique d’où le grand arbre des espèces serait issu tout entier (monophylétisme)? ou bien, au contraire, ne s’est-elle pas condensée comme une large rosée qui a brusquement couvert notre planète d’une myriade de germes initiaux où déjà était préformée la pluralité à venir des formes vivantes (polyphylétisme)? Art. cité des Études, passim.

Ne parlons donc pas, continue le même auteur, de « l’immense illusion transformiste » (allusion au livre de Vialleton, signalé ici col. 1367). Non, ce n’est pas une illusion que la distribution ordonnée, organisée, inéluctable des vivants à travers le temps et l’espace. Que si des difficultés sont opposées à la vieille hypothèse d’une transformation par descendance, il n’est pas impossible, en maintenant celle-ci, d’expliquer comment il peut se faire que le mouvement qui entraîne les vivants dans leurs évolutions successives soit si vaste ou si intermittent que nous ne puissions jamais, en fait, saisir dans nos laboratoires que des fragments d’immobile et de rigidité.

Et d’abord il convient de se faire une idée plus claire des mutations (dont on sait qu’elles sont considérées aujourd’hui comme le facteur capital de l'évolution). Ces mutations n’aboutissent pas en fait à des « monstruosités » au sens vulgaire du mot. La formation brusque d’un chiroptère (chauve-souris) ou d’un phoque actuels à partir d’un animal analogue à une musaraigne ou à une loutre est évidemment inimaginable. Mais les choses n’ont pas dû se passer ainsi. Au point d’insertion sur le phylum généalogique du bourgeon inchoatif d’une nouvelle branche, les caractères nouveaux sont si enveloppés que leur acquisition ne paraît plus dépasser notablement les limites de la refonte organique qu’accompagne la venue au monde de n’importe quelle individualité vivante.

A quoi l’adversaire ne manque pas de demander pourquoi ces formes de passage, ces formes estompées, les plus intéressantes pour la science, sont précisément toujours les formes qui font défaut dans nos collections ? Pourquoi cette fatalité qui fait toujours disparaître de nos séries les termes où nous pourrions saisir avec le plus de certitude l’existence d’un mouvement de la vie ? Mais notre auteur de répondre que cette destruction automatique du pédoncule des phylums zoologiques tient à deux causes simultanées, qui se représentent à peu près régulièrement : d’une part la taille très petite des êtres au niveau desquels se sont opérés les grands changements morphologiques : VHyracotherium, par exemple (un des ancêtres présumés du cheval actuel) est grand comme un renard ; les premiers ruminants sont plus petits qu’un lièvre ; les petits primates de l'éocène inférieur sont de la

taille d’une musaraigne ; les choses se passant comme si la petitesse absolue d’un animal était une condition à l’ampleur possible de ses mutations. D’autre part le nombre relativement faible des individus composant à l’origine les espèces vivantes explique, lui aussi, la disparition des traces de ces vivants en passe d’évoluer. Pour qu’une forme animale commence à apparaître à l’état fossile, il faut qu’elle soit déjà légion.

En fin de compte, d’ailleurs, et pour donner de la doctrine transformiste une idée moins insuffisante du point de vue strictement scientifique, il faut faire appel à une considération plus générale. Les mystérieuses mutations, dont on fait pour l’heure si grand état, ne sauraient guère s’expliquer de façon purement mécanique et les transformations successives du monde animé ne pourraient guère se concevoir si l’on ne recourt à d’impondérables forces de synthèse. « Nous ne pouvons pas mieux comprendre ce qui se passe dans un phylum au moment de sa naissance qu’en songeant à une invention. Invention instinctive, ni analysée, ni calculée par ses auteurs, c’est bien clair. Mais invention quand même, ou bien, ce qui revient au même, éveil et mise en organisme d’un désir et d’une puissance. Rien ne s’oppose à ce que certains phylums (animaux fouisseurs ou cavernicoles, par exemple) aient à leur origine quelque anomalie ou quelque tare organique utilisées. Néanmoins, le plus souvent, c’est une force positive qui paraît entrer en jeu pour différencier la vie. N’est-ce pas, dirait-on, une sorte d’attrait ou de capacité pressentie qui ont lancé les animaux terrestres dans les eaux ou dans les airs, qui ont aiguisé les griffes ou amenuisé les sabots ? Quand on voit avec étonnement, le long d’un phylum de carnassiers, se réduire et s’effiler les dents (c’est-à-dire se modeler les organes les mieux construits, par leur rigidité, pour échapper aux modifications acquises par l’usage), comment ne pas songer invinciblement à l’accentuation d’un tempérament ou d’une passion, c’est-à-dire au développement d’un caractère moral beaucoup plus qu’à l’évolution d’un caractère anatomique ? — Qu’il en soit ainsi et tout aussitôt la parfaite corrélation des diverses modifications organiques au moment d’une mutation n’a plus rien d’extraordinaire. Si ce n’est pas un élément morphologique isolé qui change, mais le centre même de coordination de tous les organes qui se déplace, le vivant ne peut se transformer que d’une seule pièce et harmonieusement. .. Si le naturaliste ne se décide point à recourir à ces tendances comme à la source expérimentale dernière ries énergies évolutives qu’il étudie, les transformations organiques du monde animal lui seront aussi inexplicables qu’à un historien purement déterministe les péripéties historiques de la société humaine. » Reo. des quest. scient., janv. 1925, p. 72-75.

Mais il ne suffirait pas encore, au gré de notre auteur, d’admettre dans la formation des espèces le rôle d’une « psyché ». À rapprocher divers symptômes rie l’évolution envisagée dans son ensemble, « on se prenri à envisager sérieusement l’existence possible d’une vaste entité vivante tcllurique, difficile à représenter (parce qu’elle est ri’un orrirc de grandeur supérieur au nôtre et qu’en elle nous sommes noyés) ; mais siège rie propriétés physiques parfaitement déterminées. F, t dans cette mystérieuse mais non métaphorique « Biosphère » on se sent disposé à aller chercher la réponse à tant fie questions demeurées uni réponse autour de nous. Ne serait-ce pas en elle qu’il faudrait transférer rmatl le siège, le ressort, la régulation ultime rie l’ÊVOlUtion zoologique ». Ibid., p. 77-78. P ; ir où l’auteot cité rejoindrait les vues de Bergson et de son Évolution créatrice, dont on sait, de reste, que Bergson lui-même en a donné, dans sa lettre au 1’. de Tonquédec, une interprétation capable de rassurer les théistes. Cf. Études, an. 1912, t. i, p. 515.

En définitive, pour se faire admettre de tous, la doctrine évolutionniste doit non seulement s’assouplir en se départissant de l’allure bien trop schématique qu’on lui voit prendre dans les arbres généalogiques dressés jadis par Hseckel, mais encore s’imprégner largement d’un dynamisme qui est en parfait contraste avec le mécanisme intégral que plusieurs de ses premiers partisans lui avaient donné comme caractéristique essentielle. Et ceci nous introduit à la critique, nous voulons dire à l’examen, de la doctrine transformiste.