Dictionnaire de théologie catholique/Vie éternelle

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 713-720).


VIE ÉTERNELLE.

— Le symbole des apôtres se termine par le petit article : « la vie éternelle ». Ce texte, on le verra, n’est pas primitif ; il est une simple explication de l’article précédent : « la résurrection de la chair ». On se bornera ici à en marquer :

I. Les fondements scripturaires ; II. L’origine historique.

I. Fondements scripturaires.

La vie éternelle pourrait être envisagée du côté de Dieu qui est essentiellement vie et vie éternelle. Cf. Deut., xxxii, 40 ; Num., xiv, 21, 28 ; Jud., viii, 19 ; I Reg., xvii, 26 ; Ruth, iii, 13 ; Dan., vi, 26 ; Apoc, iv, 10 ; x, 6 et surtout Joa., i, 4 ; xiv, 6 ; I Joa., v, 20, etc. Dieu est vie, principe éternel de toute vie. Act., xvii, 25-28. — L’expression « vie éternelle » pourrait désigner aussi cette durée indéfinie que l’Écriture appelle fréquemment « le siècle à venir » et qui se confond plus ou moins avec l’ère messianique laquelle en doit marquer le début ; ou encore répondre à ces formules si fréquemment employées dans les psaumes ou les prophéties, in œternum, in sœcula, in sœcula sœculorum. — Le dernier article du symbole que nous avons à expliquer a une signification plus déterminée et se rapporte à cette vie future qui ne doit pas finir et sera le partage de tous les hommes sans exception après leur mort. « Éternel » est donc pris ici, non au sens absolu du mot, ni en un sens indéterminé, mais au sens relatif d’une vie participant de l’éternité, parce que n’ayant pas de fin. Voir Éternité, t. v, col. 919.

Ancien Testament.


Cette croyance en une survie était admise plus ou moins confusément dans les anciennes religions, Voir Ame, t. i, col. 977 ; mais elle est devenue particulièrement précise grâce à la révélation divine. Toutefois, cette révélation fut progressive : « La loi de Moïse, dit à ce sujet Bossuet, ne donnait à l’homme qu’une première notion de l’âme et de sa félicité… Mais les suites de cette doctrine et les merveilles de la vie future ne furent pas alors universellement développées, et c’était aux jours du Messie que cette grande lumière devait paraître à découvert… Encore donc que les Juifs eussent dans leurs Écritures quelques promesses des félicités éternelles et que, vers le temps du Messie où elles doivent être déclarées, elles en parlassent beaucoup davantage, comme il paraît par les livres de la Sagesse et des Machabées, toutefois cette vérité faisait si peu un dogme formel et universel de l’ancien peuple, que les sadducéens, sans le reconnaître, non seulement étaient admis dans la synagogue, mais encore étaient élevés au sacerdoce. C’est un des caractères du peuple nouveau de poser pour fondement de la religion la foi de la vie future, et ce devait être le fruit de la venue du Messie. » Discours sur l’hist. univ., IIe Part., c. xix.

1. Période de croyance confuse. —

Les plus anciens livres de la Bible attestent la croyance des patriarches et du peuple hébreu en une vie future, croyance encore bien vague et s’apparentant à une tradition commune aux peuples anciens plutôt qu’à une révélation proprement dite. Après leur mort, les hommes iraient dans le Se’ôl. Ce Se’ôl n’est pas l’anéantissement, ni une expression générique pour désigner le tombeau ; c’est le séjour des âmes et non des corps. Cf. Gen. xxxvii, 35 ; xlii, 38 ; xliv, 29, 31 ; Num., xvi, 30, 33 ; Deut., xxxii, 22. Ainsi les âmes se réunissent en ce séjour : « descendre au séjour des morts », c’est « être réuni à son peuple » ou encore « retourner à ses pères » ; ce qui implique une survivance dans l’au-delà de ce peuple et de ces pères. Gen., xv, 15 ; xxv, 8, 17 ; xxxv, 29 ; xliv, 29, 32 ; Num., xx, 24, 26 ; xxvii, 13 ; xxxi, 2 ; Deut., xxxi, 16 ; xxxii, 50. Car il ne s’agit pas seulement de partager le lieu de sépulture des pères : témoin Jacob, réuni à son peuple et à ses pères longtemps avant de recevoir la sépulture. Gen., xlix, 29, 33 ; l, 2, 7.

La croyance à la survie trouve deux autres preuves dans la pratique d’évoquer les morts, Deut., xviii, 11 ; cf. Is., xiv, 9 et surtout I Reg., xxviii, 8 (évocation de l’ombre de Samuel) ; et dans le récit des trois résurrections opérées par Élie et Elisée, III Reg., xvii, 17-24 ; IV Reg., iv, 17-37 ; xiii, 20-21. L’enlèvement d’Élie sur un char de feu manifeste aussi l’existence d’une autre vie.

Une notion aussi vague de la vie future ne pouvait comporter qu’une idée très imprécise sur l’état des .unes dans le Se’ôl. Ces âmes, les re/û’im, sont décrites, dans les livres postérieurs au Pentatcuque, comme des ("très inertes, sans force, ps. lxxxvii (Vulg.), 5-6, 9 iq. ; l’rov., ix, 18 ; xxi, 16, des ombres, Job, xxvi, Is., xiv, 9, des êtres déchus, Is., xiv, 10, couchés flans le repos d’un sommeil que certains textes disent I. Ez., xxxi, 18 ;, cf. xxxii, 21 ;.1er.. LI, 39-57 ; Nahum, iii, 18 ; cf. Eccli., xxii, 9-11 ; xxx, 17 ; xli, 4. de délices dans le séjour des morts. F.rcli., xiv, 16-17. Sur cet état des âmes, voir également Job, m, 13, 17-18 ; Is., v, 14-15 ; xiv, 11 ; xxvi, 24 ; xxxviii, 18 ; Bar., ii, 17. Êtres insaisissables, les refâ’im ne peuvent plus célébrer les louanges de Dieu, ps. vi, 6 ; xxix, 10 ; lxxxvii, Il sq. ; exiv, 17 sq., et Dieu, dit-on, ne se soucie plus d’eux, ps. lxxxvii, 6. Cette dernière assertion s’explique en ce sens que les habitants du Se’ôl ne sont plus sujets aux vicissitudes d’ici-bas, dirigées par la Providence. Cf. Vaccari, art. Psaumes, dans le Dict. apol. de la foi calh., t. iv, col. 484.

2. Premières lueurs. —

Il n’est donc pas question de bonheur éternel, récompense de la vertu, ni de malheur éternel, châtiment du crime. Récompenses et châtiments appartiennent à la vie présente. C’est du moins l’affirmation qui semble ressortir des textes cités jusqu’ici. Et pourtant Dieu est souverainement juste ; cf. ps. x, 12 ; xxxiv, 24 ; cxviii, 137 ; Jer., xxin, 6 ; xxxiii, 16 ; et il saura venger le bon affligé et confondre le méchant, ps. xxxiv, 8 ; xxxv, 4 ; lxi, 2 ; lxiii, 4-7, etc. Il rendra à chacun selon ses œuvres, ps. lxi, 13 ; Lam., iii, 64. Comment accorder cette justice avec le fait de la prospérité du méchant et du malheur du juste, fait maintes fois constaté ? cf. ps. ix, 1-2 ; lxxii ; Eccl., ii, 14-15 ; iii, 16-22 ; iv, 1 ; vu, 15-16 ; viii, 10, 14 ; ix, 11 ; x, 5-7. C’est là un grave problème, agité tout au long du livre de Job et bien posé en xxi, 7-16.

De nombreux textes semblent résoudre la difficulté dans le plan de la restauration messianique. Les bons triompheront avec le nouveau royaume d’Israël. C’est dans ce triomphe que la justice de Dieu s’affirmera avec éclat. Mais ce point de vue, fréquemment mis en relief par les prophètes, ne saurait apporter le moindre élément de solution au problème de la destinée des âmes individuelles dans l’au-delà.

Cet aspect individuel du problème a reçu de la révélation, même avant Jésus-Christ, quelques lumières encore confuses, mais qui, se complétant peu à peu, ont permis à la pensée juive de s’orienter vers des solutions définitives.

Une première solution veut demeurer cohérente avec la donnée archaïque du problème : le se’ôl réceptacle commun des âmes justes et impies, condamnées toutes à un sommeil éternel. La justice de Dieu s’est faite sur la terre : le bonheur des méchants dure très peu et bien vite la mort ou quelque autre accident y vient mettre un terme, tandis que les justes, après une très courte épreuve, jouiront d’une longue paix, ps. xxxvi, 10-11. C’est la solution préconisée par les amis de Job, viii, 11-22 ; xv. — Malheureusement si une telle expérience se vérifie parfois, elle est loin d’être universelle : Job innocent n’a-t-il pas eu à supporter une longue épreuve ? Aussi Job se contente de se taire pour ne pas offenser Dieu et scandaliser le prochain. Cf. Job, vi-vii ; xvi, 4 sq. ; xxi, 16 sq.

On répond aussi que, si le juste souffre, c’est qu’il n’est pas sans péché, ps. xxxvii, 5 ; xxxix, 13 ; cxlii, 1-2 ; Job, vii, 20-21 ; ix, 17-21 ; x, 14 ; xiii, 26 ; xix, 4-6, et que le méchant qui jouit présentement est réservé à de grands châtiments, ps. ix, 18-35. L’EccIésiaste enseigne que le juste a son vrai bonheur en lui-même et que le méchant n’est pas heureux, vin, 12-13. Voir ici t. iv, col. 2023. Pour une étude plus approfondie de la doctrine de PEcclésiaste, voir E. Podechard, L’EccIésiaste, Paris, 1912, Introd., p. 186-189 ; cf. p. 72 sq. ; 81 sq. ; 95-97 et les notes sur iii, 21, p. 312-316 ; iii, 22, p. 317-319 etxii, 7, p. 170-472.

En face des faits, cette réponse est, de toute évidence, insuffisante. Le livre des Proverbes encourage le juste, dont l’espérance ne saurait être confondue, xiv, 33 ; xv, 9-11 ; xxiii, 18 ; xxiv, 14. Et cette espérance s’oriente vers un autre monde, vers un au-delà mystérieux qu’entrevoit déjà Isaïe, xxvi, 19. Le péché conduit l’homme aux lieux infernaux, Prov., n, 16-18, 22, tandis que « le sage suit un sentier de vie qui mène en haut pour se détourner du séjour des morts qui est en bas ». xvi, 24. Pareillement Job, malgré l’ignorance et, pourrait-on dire, la non-espérance en laquelle il se débat, sent en lui une aspiration profonde vers une éternelle destinée de son âme. Voir ici t. viii, col. 1472-1474. Certains psaumes complètent ces lueurs de vérité : une discrimination doit s’établir entre justes et impies au jour du jugement divin, ps. i, 5 ; ix, 8-11, 16-19, 35-39 (heb. 14-18), xvi, 13-15 ; xlix ; lxxxi. Il semble que, par suite de ce jugement, l’âme juste doive être libérée du Se’ôl, xv, 9-11 ; xvi, 15. Cette dernière affirmation — progrès intéressant — se trouve plus explicitement marquée au ps. xlviii, 15-16 : jamais les impies ne pourront racheter leur âme du Se’ôl, « mais Dieu, dit le psalmiste, rachètera mon âme de la puissance du Se’ôl, car il me prendra avec lui ». « L’opposition bien marquée avec le sort des impies qui précède et le sens technique du mot prendre (laqah) employé déjà à propos de la translation d’Hénoch et d’Élie (Gen., v, 24 ; IV Reg., ii, 10) montrent à l’évidence que dans les derniers mots il s’agit d’une vie de bonheur après la mort, vraie vie menée auprès de Dieu, loin de cette région désolée qu’est le se’ôl… La formule est encore vague, imprécise ; mais le principe est posé, la justice souveraine de Dieu est brillamment revendiquée, les destinées de l’homme s’éclairent d’un jour splendide. » Vaccari, art. cit., col. 485. Voir aussi le ps. lxxii, 23-24 et ici t. xiii, col. 1140-1143.

3. La vie éternelle des justes. —

De nouvelles révélations ajoutent encore à ces demi-précisions. Laissons de côté Eccli., xxiv, 21, où l’affirmation d’une vie éternelle promise à ceux qui mettent en lumière la sagesse ne se lit que dans la Vulgate, et Tob., xii, 9, où la vie éternelle promis : a ceux qui tout l’aumône e « t simplement, d’après les Septante, une longue vie.

Daniel, le premier, jette une lumière plus nette sur les conditions de la vie future. C’est dans la perspective du jugement dernier, précédé de la résurrection : « Seront sauvés parmi ton peuple tous ceux qui seront trouvés inscrits dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront les uns pour une vie éternelle, les autres pour un opprobre, une infamie éternelle. » xii, 1-2.

La même foi en une résurrection suivie d’une vie éternelle de félicité pour ceux qui auront été fidèles à la loi de Dieu fait la consolation des frères martyrs du second livre des Machabées, vii, 9, sic oùcoviov àva6îwaiv Çcorjç àværrrçaEi. Cf. ꝟ. 23, 36. La résurrection de l’impie, par contre, ne semble pas enseignée au v. 14. Le séjour des morts ne sera que transitoire pour les justes. Judas Machabée fait prier pour les soldats coupables, morts à Jamnia : « S’il n’avait pas cru que les soldats tués dans la bataille dussent ressusciter, c’eût été chose difficile et vaine de prier pour les morts. Il considérait en outre qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui s’endorment dans la piété. » Ibid., xii, 43-45. Une controverse existe entre exégètes concernant les rapports de la résurrection et de la vie éternelle dans ces textes de l’Ancien Testament. Cf. M.-J. Lagrange, Le judaïsme avant Jésus-Christ, p. 343 sq. Voici la conclusion de cet auteur : « Ce n’est pas par la foi en la résurrection qu’on est venu à la foi en la vie éternelle. La vie éternelle de la personne humaine est l’essentiel, la résurrection est une conséquence de la vraie nature de l’homme que Dieu daignera reconstituer tout entière », p. 351. Voir ici t. ix, col. 1490.

Le livre de la Sagesse atteste également ce progrès doctrinal. Dieu avait créé l’homme, âme et corps pour l’immortalité, ètt’àçôocpaîqc, ii, 23. Mais, après le péché, « le corps, sujet à la corruption, appesantit l’âme », ix, 15. La sagesse toutefois rappelle à l’homme sa destinée immortelle, dont elle porte en elle-même la raison, la promesse, le gage, vi, 18-20 ; viii, 13, 17 ; xv, 3. Les justes, après de légères souffrances, peines pour leurs péchés ou simples épreuves, seront dans la paix ; leur espérance est pleine d’immortalité ; ils brilleront comme la flamme, jugeront les nations et domineront sur les peuples, et le Seigneur régnera sur eux à jamais, iii, 3-8. Les impies, au contraire, rejetant la sagesse et la discipline, sont voués au malheur : leur espérance est vaine. Si leur vie est longue, ils seront comptés pour rien ; s’ils meurent promptement, ils n’auront pas d’espérance, iii, 10-1718. Le juste qui meurt jeune a fourni en peu de temps une longue carrière et, parce que son âme était agréable à Dieu, le Seigneur s’est hâté de le retirer de l’iniquité. Dieu a ses desseins sur lui et il l’a mis en sûreté, iv, 13-17. Les impies ne comprendront pas et se moqueront, mais le Seigneur les brisera et ils seront parmi les morts dans l’opprobre pour toujours, iv, 18-19. Suit le contraste entre bons et méchants après leur mort : gémissements et regrets des impies, témoins stupéfiés de cette révélation inattendue du salut des justes, v, 1-14 ; vie éternelle des justes dans le Seigneur, v, 15 sq. Tous ces textes montrent clairement qu’une vie éternelle de bonheur sera la récompense des justes. Si le sort des impies est décrit avec moins de netteté, il n’en apparaît pas moins comme une déchéance et une souffrance éternelle : le séjour dans le se’ôl est désormais réservé exclusivement aux impies, iii, 10-11 ; iv, 18 ; xvii, 14, 20. Voir Sagesse, t. xiv, col. 742.

4. Reflet de cette évolution dans la théologie juive. —

Cet aspect du problème n’est pas négligeable et manifeste l’influence de la révélation et des conceptions alexandrines sur le judaïsme palestinien. Cf. J. Bonsirven, Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, t. i, Paris, 1935. De l’homme qui meurt, il est dit fréquemment que son âme sort ou se sépare du corps, qu’elle monte vers Dieu, que Dieu la « reprend ». Voir plus haut la remarque sur la valeur technique de ce mot. Que deviennnent les âmes ? « Suivant les doctrines juives, elles sont mises en réserve jusqu’au moment de la résurrection, moment où elles seront de nouveau réunies au corps pour être récompensées ou punies avec lui. En attendant, ou bien justes et impies partagent également l’existence amoindrie en commun et comme sans vie des ombres ; ou bien les unes et les autres ont déjà reçu, sous des formes diverses, un mode d’être correspondant à leurs œuvres bonnes ou mauvaises. » Bonsirven, op. cit., p. 323-324.

Tel est le thème général, dont s’écarte assez résolument la conception des esséniens Pour eux, l’âme, détachée des liens du corps, débarrassée de son long esclavage, prend son vol joyeux vers les hauteurs. L’influence grecque domine ici, ainsi que, mais avec moins de cohérence, chez Josèphe. Voir les références dans Bonsirven, p. 324.

Les apocryphes serrent de plus près le thème fondamental. L’Hénoch éthiopien (voir F. Martin, Le livre d’Hénoch, traduit sur le texte éthiopien, Paris, 1906) enseigne que toutes les âmes, après la mort, séjournent au même lieu de tristesse, le Se’ôl. Mais elles sont reçues dans des réceptacles différents : les justes martyrs avec Abel, les autres justes, les pécheurs non encore jugés et condamnés sur terre, les autres pécheurs. La destinée de ces âmes reçoit déjà par là une différenciation : les justes ont tout au moins l’espérance des récompenses futures. Mais déjà quelques-unes sont placées au paradis ou même au ciel près de Dieu, tandis que certains pécheurs sont dès maintenant en possession de leur punition définitive et ne ressusciteront pas. Bonsirven, p. 330331.

Avec les Jubilés, nous retrouvons une note strictement archaïque. La mort est le sommeil éternel ; tous les morts vont dans le Se’ôl. Toutefois, durant l’établissement de l’ère messianique — laquelle ne comporte pas de résurrection — tandis que les ossements resteront en terre, les esprits des justes auront beaucoup de joie ( ?). Ibid., p. 331.

Les Testaments reprennent les anciennes formules : sommeil éternel, réunion aux pères, repos. Cependant l’âme coupable sera tourmentée ; juste, « elle connaîtra avec joie l’ange de la paix qui l’introduira dans la vie éternelle » Test. d’Azer, vi, 5-6. Ibid., p. 331.

Avec les psaumes de Salomon (voir J. Viteau, Les psaumes de Salomon, Paris, 1911), nous trouvons une doctrine déjà bien évoluée. Le malheur des impies est assuré aussitôt après leur mort. Immédiatement après la mort, il existe donc déjà une différenciation de sort entre justes et pécheurs. Le Se’ôl n’est plus considéré que comme le séjour des pécheurs. Les âmes justes attendent la vie éternelle qui leur est promise, xii, 5, 7 ; xv, 15 ; xiii, 9 ; cf. iii, 16 ; xiv, 1, 2, 6 ; ix, 9. Cette vie éternelle est précédée de la résurrection : oï 8è <po60u|j.evoi xûpiov àvaar/jaovToa stç Çc ! >"J)v aîwvoov (rapprocher cette phrase de II Mac, vu, 9). La vie éternelle ici envisagée appartient bien à l’au-delà, car en deux textes au moins, ix, 9, xiii, 9, elle est opposée à la perdition définitive. Les fidèles serviteurs du Seigneur auront, près de lui, cette vie en héritage ; oi Se oaiot xiipiou xXy ; povo|i.y)oouat Çcoyjv, xix, 1, 2, 7, Bonsirven, p. 332. Cf. M.-J. Lagrange, l.r judaïsme avant J.-C, Paris 1931, p. 162 ; Le messianisme chez les Juifs, Paris, 1909, p. 170 sq.

L’Apocalypse de Moïse fait preuve d’une doctrine cohérente en montrant l’âme d’Adam montant au troisième ciel jusqu’au jour de la résurrection, xxxii, 3 ; xxxvii, 5 ; Bonsirven, p. 333.

L’Ascension d’Isaïe (voir E. Tisserant, L’Ascension d’Isaïe, Paris, 1908) place au ciel les âmes justes ; mais ces âmes n’auront leur gloire définitive qu’après la résurrection, ix, 7-26 ; Bonsirven, p. 333.

D’après YHénoch slave, le bonheur des justes ne se réalisera que dans le dernier éon (siècle), c’est-à-dire dans l’éternité, au paradis du troisième ciel. En attendant, l’Hénoch slave conserve encore la doctrine archaïque du Se’ôl. Ibid., p. 333.

Le IVe livre d’Esdras enseigne la séparation Immédiate des justes et des impics. Les impies sont sans repos et condamnés à subir sept espèces de tortures avant le jugement ; les justes, pendant sept jours, jouiront de sept joies, puis seront placés dans les réceptacles gardés par des anges, en attendant leur récompense. Ibid., p. 333-334.

Enfin le Baruch syriaque s’attache d’abord aux formules archaïques ; mais il parle aussi de réceptacles îles âmes, distincts du Se’ôl, séjour des justes, dont les âmes sortiront quand aura sonné l’heure de la récompense. Les impies s’attristeront sachant qu’est venue l’heure de leur supplice et de leur perte. Ibid., p. 334 335.

Ainsi, pouvons-nous conclure avec le P. Bonsirven, la conception n’est pas encore abandonnée, bien qu’elle soit de plus en plus concurrencée, du ie’ôl, séjour commun des morts. La Croyance s’accrédite qu’après leur mort, les Ames des justes sont réunies dans un réceptacle particulier ; là, leur étal est diva lement Imaginé, depuis une existence amoindrie ci un sommeil tranquille Jusqu’aux joies de la récompense ; ordinairement cette récompense est envi comme une préparation et une attente de la récompense définitive ; on incline à situer ces réceptacles des bienheureux dans le paradis terrestre ou dans le ciel. — Pour ce qui touche les impies, les conceptions sont moins nettes : on assure généralement que les anges pervers (cf. Hénoch éthiopien et Songes d’Hénoch ) sont déjà torturés dans un lieu de supplice ; on commence à peine à connaître un enfer où souffriraient déjà les pécheurs ; on les laisse souvent dans le Se’ôl, qui prend de plus en plus la figure du séjour des damnés ; parfois aussi leur peine paraît différée jusqu’au jour du grand jugement. De toute façon, « la théologie juive s’oriente nettement vers l’idée d’une rétribution immédiatement consécutive à la mort ». Ibid., p. 335-336.

Cette orientation est aussi, nonobstant la survivance de quelques conceptions archaïques, celle de nombreux rabbins qui n’hésitent pas à décrire les joies du paradis éternel sous des aspects flattant les sens. Ils répugnent au contraire à admettre un enfer éternel. Cf. Bonsirven, op. cit., p. 517 sq., 529-541.

J. Touzard, Le développement de la doctrine de ! ’immortalité, dans la Revue biblique, 1898, p. 207-241 ; A. Durand, Les rétributions de la vie future dans les psaumes, dans les Études, t. I.XXX1, 1899, p. 328-348 ; M.-J. Lagrange, Le messianisme chez les Juifs, Paris, 1909, surtout 3e part., c. iii, p. 158-175 ; Le judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931, p. 343-363 (La rétribution dans la vie future) ; Uici. apol. de la foi cath., .1. Touzard, art. Juif (Peuple), t. ii, col. 1590-1593 (La justice divine et le problème des rétributions) ; A. Vaccari, art. Psaumes, t. iv, col. 484486 (Destinée de l’âme ; la vie future).

En ce qui concerne la littérature extra-canonique, on trouve des indications abondantes dans.1. Bonsirven, Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, t. I, Paris, 1935, p. 310-319 ; 517-541. Les rapports du jugement et de la résurrection aux rétributions de l’au-delà ont été exposés à JUGEMENT, t. VII, Col. 1748-1750 et à RÉSUR-RECTION, t. xiii, col. 2507-2512.

Nouveau Testament.


La prédication du Christ projette une lumière nouvelle et définitive sur « la vie éternelle dans le siècle à venir ». Luc, xviii, 30. Mais c’est beaucoup plus sur « la vie éternelle » que sur « le siècle à venir », qu’il convient de mettre ici l’accent. Dans le Nouveau Testament et particulièrement dans saint Paul, la conception du monde et du siècle présent joue un rôle d’une importance exceptionnelle : le monde, c’est ici bas le royaume de Satan, le siècle, c’est la durée assignée à ce règne. Cf. F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, Paris, 1923, p. 74-75. Le siècle à venir qui, dans l’Ancien Testament, prenait un relief considérable en raison de sa synonymie avec les temps messianiques, n’a pas, à beaucoup près, dans le Nouveau, la même importance : « Pour les écrivains du Nouveau Testament, le siècle présent ou le monde présent n’ont plus qu’une valeur morale ; le siècle présent a perdu la notion de durée et le monde présent, la notion d’espace ; dès lors, le siècle présent et le siècle à venir peuvent se compénétrer ; il n’y a plus entre eux d’intervalle chronologique ; il n’y a qu’une opposition d’influences contraires. D’un autre côté, l’idée d’une catastrophe soudaine Inaugurant le règne du Messie et d’un bouleversement opéré par Dieu seul, sans le concours de l’homme qui ne serait que spectateur passif, fait place peu à peu.i celle d’un royaume messianique se développant par degrés jusqu’à la consommation des siècles. Dans ces conditions, le concept judaïque du siècle ou du monde à venir était presque inapplicable et il fallait le remplacer par la vie et ci nelle. i F. Prat, op. cit., p. 432.

1. Les synoptiques.

thème de la prédication du Christ est le royaume de Dieu à Venir, mais déjà commence, royaume annoncé et établi par Jésus pour conduire les hommes à son royaume éternel. Ce royaume éternel auquel doit aboutir le royaume présent de l’Église est appelé parfois « la vie ». Matth., vu, 14 ; xviii, 8, 9 ; xix, 7 ; Marc, ix, 42. Mais il est clair d’après le contexte que cette vie est la vie éternelle de l’au-delà et dans laquelle chaque homme doit entrer après la mort. Dans Matth., vii, 14, la voie étroite qui conduit à la vie est opposée à la voie large qui mène à la perdition. Or, cette perdition est l’éloignement éternel de Dieu, dans les souffrances de la géhenne du feu éternel ; cf. c. xviii, 8-9 ; voir aussi Marc, ix, 42-43. C’est cette vie (éternelle) que l’homme trouvera en perdant la vie (corporelle) pour le Christ. Matth., x, 39 ; xvi, 25 ; Marc, viii, 34-39 ; Luc, xvii, 33 ; xxii, 24.

La même constatation s’impose au c. xix, 16 sq. de saint Matthieu. Un jeune homme aborde Jésus : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Et Jésus répond : « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. » Cf. Marc, x, 18 ; Luc, xviii, 18. Dans sa réponse, Jésus précise que la vie éternelle est un trésor dans le ciel, Marc, x, 21 ; Luc, xviii, 22. Prise individuellement, la vie éternelle est pour chacun de nous le salut de son âme, Matth., xviii, 25 ; Marc, x, 26 ; Luc, xviii, 26. Cette vie éternelle est promise à ceux qui, ayant entendu l’appel divin, ont tout abandonné pour suivre Jésus, Matth., xix, 29 ; Marc, x, 30 ; Luc, xviii, 30 ; ou, plus simplement, elle récompense ceux qui ont observé la loi, Luc, x, 25-28.

Ainsi, dans l’enseignement des synoptiques, la vie éternelle, récompense de l’âme juste, se situe nettement dans l’autre vie, après la mort, « dans le siècle à venir » comme dit saint Luc S’il fallait une confirmation de cette doctrine, on la trouverait dans saint Matthieu, xxv, 34, 41, 46, concluant la scène du jugement dernier par la sentence du Fils de l’homme : « Venez, les bénis de mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été préparé… Retirez-vous de moi, maudits, (allez) au feu éternel. Et ceux-ci s’en iront à l’éternel supplice et les justes à la vie éternelle. »

2. Saint Paul. —

On vient de noter l’équivalence entre « le royaume » préparé aux élus et « la vie éternelle ». Chez saint Paul, la vie éternelle se concrétise fréquemmet dans « le royaume », récompense accordée aux justes. Cette équivalence s’impose dans I Cor., vi, 9, 10 ; xv, 50 ; Gal., v, 21 ; Eph., v, 5 ; II Thess., i, 5 ; II Tim., iv, 1, 8. Les cinq premiers textes excluent les pécheurs du royaume ; les trois derniers parlent du royaume comme de la récompense qu’attend le juste. C’est, en effet, la constance et la fidélité des Thessaloniciens qui les fera juger par Dieu dignes du royaume pour lequel ils souffrent. Timothée est adjuré au nom du règne à venir après la parousie, de remplir à la perfection son ministère de prédicateur de la vérité. Enfin Paul déclare que Dieu le sauvera (en le faisant entrer) dans le royaume céleste.

Cette entrée dans la vie éternelle est la suite d’un juste jugement ; « jugement éternel », Hebr., vi, 2, éternel dans ses effets et ses conséquences. Les justes seront « toujours avec le Seigneur », I Thess., iv, 17 ; la vie éternelle qu’ils auront conquise les met à l’abri d’une seconde mort. Les méchants sont voués à la perdition éternelle ». II Thess., i, 9. Ce dernier trait est emprunté à un passage rappelant la description du jugement dernier par saint Matthieu. II Thess., i, 5-10. En voir le commentaire avec l’indication des réminiscences et allusions bibliques qu’il renferme, dans F. Prat, op. cit., p. 455-456, texte et note.

Ces indications générales sur la vie éternelle se rattachent essentiellement, dans la théologie de saint Paul, aux considérations sur la nature et les

caractères de cette vie. Cet aspect de la question a été envisagé ailleurs et on n’a pas à y revenir. Voir Gloire (des élus), t. vi, col. 1393 ; Intuitive (Vision ), t. vii, col. 2351 ; Corps glorieux, t. iii, col. 1879.

Dans les textes rapportés plus haut, saint Paul a déjà marqué le rapport étroit qui unit la fidélité à Dieu ou l’habitude du péché à la possession ou à l’exclusion du royaume. Ce rapport étroit est marqué dès ici-bas par la vie dans le Christ ou dans l’esprit du Christ ou par la mort spirituelle. Sur cette acception du vocable « mort » chez saint Paul, voir Prat, op. cit., p. 434, note 1. La vie spirituelle, principe de la vie éternelle, prend sa source dans la foi, Rom., vi, 10-11 ; Gal., iii, 11-12 ; Tit., i, 2 ; Hebr., x, 38 ; elle est une vie pour Dieu en Jésus-Christ, Rom., vi, 10-11 ; xiv, 7-8 ; II Cor., v, 15 ; Gal., ii, 19 ; I Thess, v, 10 ; plus exactement, c’est le Christ qui vit en nous, Gal., ii, 20, afin de faire régner en nous l’esprit et d’y mortifier la chair et le péché, Rom., viii.’IO, 12-13 ; Gal., ii, 19 ; v, 25 ; Hebr., xii, 9, et cela en vue de la résurrection glorieuse à l’image du Christ. Rom., vi, 8. Nous dirions en langage moderne : la vie de la grâce prépare ici-bas la vie éternelle dans l’autre monde.

Il suffira, en terminant, de rappeler que les expressions dont saint Paul se sert pour désigner ceux qui sont morts (les dormants ou les endormis, cf. I Cor., vu, 39 ; xv, 18, 20, 51 ; I Thess. iv, 13, 15, Act., xiii, 36) ne peuvent recevoir qu’une interprétation métaphorique, justifiée d’ailleurs par le rapprochement naturel qu’on a fait, dans toutes les littératures, entre la mort et le sommeil. Il ne subsiste ici rien de la doctrine juive du Se’ôl. La même métaphore se retrouve ailleurs ; cf. Matth., xxvii, 52 ; Act., vii, 60 ; II Pet., iii, 4.

3. Saint Jean. —

La préparation de la vie éternelle par la vie de la grâce est fortement marquée chez saint Jean, car, pour « Jean le théologien », la vie spirituelle de l’âme est déjà la vie éternelle de l’audelà commencée ici-bas.

Cette vie spirituelle sur la terre que l’Ancien Testament avait entrevue, cf. ps. xxxv, 10 ; Is., lv, 8 ; Prov., xv, 24, Jésus la préconise dans l’évangile johannique avec d’autant plus de force qu’il s’en présente lui-même comme la source. Joa., i, 4 ; v, 26 ; x, 10. Et cette vie, dont Jésus est pour l’homme dès ici-bas la source, se prolonge dans l’au-delà par la vie éternelle proprement dite. Relevons tout d’abord l’affirmation de cette vie éternelle dans l’au-delà : ce sens est clair dans les textes suivants où il est question d’une Çoyr) octomoç, Joa., iii, 15 ; iv, 36 ; v, 29 (ici expressément eîç àviaraoïv Çcotjç), 39, 40 ; vi, 27 ; x, 28 ; xii, 25. Mais d’autres textes montrent que cette vie éternelle est déjà commencée ici-bas : « Celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé a (ë/et) la vie éternelle », v, 24 ; cf. vi, 40. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède (£xe l a v ie éternelle », vi, 54. C’est vraisemblablement aussi en ce sens qu’il faut entendre « la source d’eau jaillissante en vie éternelle », proposée à la Samaritaine, iv, 14, et « le pain qui donne la vie », vi, 33 ; cf. vi, 47, 63, 68.

Les deux aspects de la doctrine johannique sont, non pas contradictoires, mais complémentaires ; et, en affirmant la vie éternelle commencée dans l’âme par la foi ou par l’eucharistie, Jean ne perd pas de vue la vie éternelle consommée, conditionnée par la résurrection au dernier jour. Cf. Joa., v, 29 ; vi, 39, 40, 44, 54 ; xi, 25. Sur une prétendue opposition entre Jean et les synoptiques touchant la notion de vie éternelle, voir M.-J. Lagrange, Évangile selon saint Jean, introd. p. clxiv-clxvi et les notes aux textes cités.

La première épître de saint Jean résume parfaitement toute cette doctrine du Nouveau Testament : « Nous vous annonçons la Vie éternelle qui était dans le Père et qui nous a été manifestée (i, 2)… Voici par quoi nous savons que nous connaissons le Verbe (cette Vie éternelle manifestée aux hommes), c’est si nous gardons ses commandements. Celui qui garde sa parole, c’est en lui véritablement que l’amour de Dieu est parfait ; par là nous connaissons que nous sommes en lui (n, 3, 5)… Si ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous, vous demeurerez aussi dans le Fils et dans le Père. Et la promesse que lui-même nous a faite, c’est la vie éternelle (ii, 24-25)… Nous sommes maintenant enfants de Dieu et ce que nous serons un jour n’a pas encore été manifesté ; mais nous savons qu’au temps de cette manifestation, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est (m, 2)… Nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères… Quiconque hait son frère est un meurtrier et vous savez qu’aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui (m, 14-15)… Celui qui croit au Fils de Dieu a le témoignage de Dieu en lui-même, et voici ce témoignage, c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle et que cette vie est dans son Fils ; celui qui a le Fils a la vie et celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie (v, 10-12). Je vous ai écrit ces choses afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle (v, 13)… Nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le vrai Dieu et nous sommes en ce vrai (Dieu, étant) en son Fils Jésus-Christ : c’est lui qui est le Dieu véritable et la vie éternelle » (v, 19-20). Développement admirable de ce passage de la prière sacerdotale : « Père, glorifiez votre Fils… afin qu’à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle. Et la vie éternelle, c’est qu’ils vous connaissent, vous, le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. » Joa., xvii, 1-2.

4. Continuité de cet enseignement chez tes Pères apostoliques. —

L’enseignement des Pères apostoliques est en continuité parfaite avec la doctrine néotestamentaire. Les lignes générales sont les mêmes : vie spirituelle de l’âme, fruit de la passion du Sauveur, déposée en nous par la rémission des péchés (le baptême ) et l’eucharistie, conservée par le renoncement aux convoitises de la chair et se continuant dans l’au-delà par la vie éternelle, bonheur sans mélange accordé à ceux dont le jugement de Dieu aura consacré la justice, châtiment sans fin infligé aux impies.

a) La Didachè. —

Reprenant, en l’appliquant à l’ordre surnaturel, une alternative proposée par Dieu à son peuple dans l’Ancien Testament, cf. Deut., xxx, 1°>, 19 ; Jer., xxi, 8, la Didachè place immédiatement le chrétien en face des deux termes possibles de son existence terrestre : la vie ou la mort (éternelles). î, 1. Le chemin de la vie est l’amour de Dieu et du prochain, i, 2. Le chemin de la mort est le péché sous toutes ses formes, v, 1-2. Cette instruction devait préparer le catéchumène au baptême décrit au c. vii, ce qui laisse entendre que le chemin de la vie commence au baptême. -L’eucharistie élargit ce chemin en le prolongeant. Au pain rompu, on rend grâces au l’ère i pour la vie et la science qu’il a fait connaître par.Jésus.. ix..’i. Lien plus, sans citer Jean, la Didachè’l’accord avec lui pour présenter la vie éternelle > comme le fruit de l’eucharistie, x, 3 ; cf. Joa., vi, 5), 58. Recommandation finale faite au chrétien :

Veillez sur votre Vie… Soyez prêt, car VOUS ignorez l’heure on Notre-Scigncur viendra ». xvi, 1. Suit une sorte d’apocalypse sur la parousie. la résurrection des morts, ic Jugement, ibid.. fi-7, ce qui Indique le i ommencement de la vie éternelle proprement dite.

b) Épître de Barnabe. —

Saint Paul avait rappelé à Tite (i, 2) que la vérité, issue de la prédication de la foi, donne l’espérance de la vie éternelle. L’auteur de l’épître de Barnabe présente cette affirmation comme une des trois maximes résumant l’enseignement du Sauveur, i, 6 ; et la révélation chrétienne elle-même est un avant-goût des choses futures, i, 7. Nous devons donc donner un soin minutieux à notre salut et éviter que le Malin ne nous lance loin de notre vie (de notre salut), ii, 10. La perspective de la juste rétribution du jugement nous y incite, iv, 12-14. La vie éternelle a pour principe la foi en Jésus-Christ, vi, 3, avec un renouvellement intérieur de notre être par la rémission des péchés, vi, 11, germe de notre glorification future, « quand nous-mêmes serons devenus assez parfaits pour entrer en possession de l’héritage du testament du Seigneur ». vi, 19.

Nous vivons des blessures de Jésus-Christ qui n’a pu souffrir qu’à cause de nous, vii, 2. Le juste devra donc marcher en ce monde, tout en attendant la sainte éternité, x, 11. Il recevra la vie spirituelle par l’eau (du baptême) et par la croix, xi, 1 sq. : heureux ceux qui, ayant espéré en la croix, sont descendus dans l’eau, xi, 8. La purification par le baptême est, avec la foi, la source de la vie éternelle, xi, 11. La croix symbolisée jadis par le serpent d’airain fait revivre celui qui était mort, xii, 7 : ainsi, Jésus donne la vie.xii, 5. Recréés de fond en comble, nous sommes devenus des hommes nouveaux, les temples spirituels du Seigneur, en vue de notre salut, xvi, 8-10. Pour aboutir au salut, il faut suivre la voie de la lumière, xix, opposée au chemin du noir (des ténèbres), xx. Instruit des volontés divines et cheminant d’après elles, l’homme sera glorifié dans le royaume de Dieu, tandis que celui qui choisit les iniquités de l’autre voie périra avec ses œuvres. C’est pour cela qu’il existe une résurrection, xxi, 1. À nous de nous préparer pour être trouvés dignes au jour du jugement, xxi, 6.

On le voit, par de la les explications allégoriques qui fourmillent dans l’épître, c’est encore la doctrine des deux voies qui en constitue l’enseignement moral principal, doctrine essentiellement liée à la perspective de la vie éternelle, préparée par la résurrection.

c) L’épître de Clément. —

En s’efforçant d’apaiser les divisions de l’église de Corinthe et en rappelant aux Corinthiens les vertus qu’ils doivent pratiquer, Clément ne laisse pas de diriger leurs regards vers les perspectives de la vie éternelle. Si le terme de « vie éternelle » est absent de la lettre, la pensée en est formulée à plusieurs reprises.

Clément rappelle aux Corinthiens la promesse de la résurrection, dont les prémices nous ont été données dans la résurrection même de Jésus, xxiv, 1. C’est dans cette espérance que nos âmes doivent s’attacher à celui qui est fidèle dans ses promesses et juste dans ses jugements, xxvii, 1. Nous préservant de tout désir impur d’actions criminelles pour nous protéger contre les jugements futurs, xxviii, 1, il faut nous approcher de lui avec une âme sainte, des mains pures et sans souillure, xxix, 1, cf. xxx sq., et, sur le modèle du Christ, nous appliquer à faire la volonté divine et à pratiquer les œuvres de la justice, xxxiii, 7. Nous nous efforcerons ainsi d’avoir part aux grandes et magnifiques promesses que l’œil de l’homme n’a pas vues (cf. I Cor., ii, 9), mais dont l’intelligence est déjà sur terre « la vie dans l’immortalité ». xxxiv 8-xxxv, 2. Soyons trouvés au nombre « le ceux qui attendent le Seigneur pour recevoir ces biens en partage, xxxv. 3-4, en demeurant dans la voie du salnl. XXXVI, 1.

Parmi les premiers disciples i Christ, il y a eu des justes persécutés par des Impies ; ils ont tout enduré avec confiance et ont obtenu la gloire et l’honneur en héritage. Dieu les a exaltés et inscrits dans le livre qui conserve leur mémoire pour les siècles des siècles. xlv, 4, 8. Imitons-les, surtout par la charité : « Ceux qui, par la grâce de Dieu, ont été consommés dans la charité, demeurent au séjour des saints, lesquels seront manifestés quand apparaîtra le royaume du Christ. » l, 3.

d) L’homélie aux Corinthiens. —

L’homélie pseudoclémentine nous met plus directement en face du problème de la vie éternelle. Il s’agit de notre salut, iv, 1. Les œuvres de la justice seules nous donneront accès auprès de Dieu ; les péchés nous feront rejeter de lui, iv, 2-5. Aussi, « sachant que le séjour de cette chair en ce monde est bref et de peu de durée, tandis que la promesse du Christ est grande et merveilleuse, ainsi que le repos du royaume futur et de la vie éternelle », il faut « passer sa vie dans la sainteté et la justice, regarder les biens de ce monde comme nous étant étrangers et ne point les désirer ». v, 5-6. Le siècle présent et le siècle futur sont deux ennemis, vi, 3. Il faut aimer les seuls biens incorruptibles, vi, 6. A faire la volonté du Christ, nous aurons le repos ; si nous refusons d’obéir aux commandements, rien ne nous sauvera de l’éternel châtiment, vi, 7. Il faut choisir les combats de la voie droite, vii, faire pénitence sur terre, vii, car « c’est en faisant la volonté du Père, en conservant pure notre chair, en gardant les commandements du Seigneur, que nous obtiendrons la vie éternelle », viii, 4 ; cꝟ. 6. La chair ressuscitera, ix, 2 ; il faut la garder comme un temple de Dieu, 3 ; c’est en elle que nous recevrons notre récompense. 5. Si nous sommes fidèles à la vertu, la paix nous suivra, x, 2 ; la paix ne peut se rencontrer chez ceux qui préfèrent la volupté d’ici-bas à la promesse future. 3. Dieu rendra à chacun selon ses œuvres ; si donc nous pratiquons la justice devant Dieu, nous entrerons dans son royaume et recevrons l’effet des promesses « dont l’oreille n’a rien entendu, que l’œil n’a pas vues et qui n’ont point pénétré dans le cœur de l’homme » (cf. I Cor., ii, 9). xi, 6-7. Attendons donc d’heure en heure le royaume de Dieu dans la charité et la justice, xii, 1. Faisons en sorte d’appartenir à l’Église spirituelle, afin d’avoir part à l’esprit du Christ, xiv. Dans la perspective du retour du Christ pour le jugement, il faut se hâter de poursuivre la justice, xviii, 2. Les justes « vendangeront le fruit immortel de la résurrection. » L’homme pieux ne doit pas s’attrister s’il est malheureux ; d’heureux jours l’attendent : ressuscité, il se réjouira là-haut avec ses pères pour la bienheureuse éternité ». xix, 4.

On notera tout spécialement dans l’homélie l’insistance avec laquelle les joies de la vie éternelle sont rattachées à la résurrection préalable.

e) Les épîtres ignatiennes. —

On peut y relever quelques textes significatifs. Toutes choses ont une fin : la mort et la vie (éternelles) sont également proposées à notre choix et chacun ira dans le lieu qui lui convient, Magn., v, 1. Le prix proposé, c’est l’incorruptibilité et la vie éternelle, Polyc, ii, 3. N’avoir, en raison de l’autre vie, d’amour que pour Dieu seul, Eph., ix, 2. Ceux qui portent le déshonneur dans les familles n’entreront pas dans le royaume de Dieu (cf. I Cor., vi, 9) ; l’homme qui aura corrompu la foi ira au feu éternel, lui et celui qui l’écoute, Eph., xvi, 1-2. Gardez-vous des doctrines du prince du monde ; il vous entraînerait en captivité, loin de la vie qui vous est offerte. Ihid., xvii, 1. Quel que soit le motif qui nous incite à demeurer fidèles à Dieu, ou la crainte de la colère à venir, ou l’amour de la grâce présente, l’essentiel est d’être trouvé, par notre union avec le Christ Jésus, dignes de la véritable vie. Ibid., xi, 1.

Jésus est pour nous le principe de la vie. Eph., iii, 2 ; cf. Smyrn., iv, 1. Il est notre éternelle vie. Magn., i, 2. Il a souffert, il est mort, cloué à la croix pour nous sauver, Trait., ii, 1 ; ix, 2 ; Rom., vi, 1 ; Smyrn., i, 2 ; cf. Eph., ix, 1. C’est donc au fruit de la croix (implicitement comparé à l’arbre de vie) que nous devons la vie, Smyrn., i, 2 ; la croix, scandale pour les incrédules, est ainsi pour nous le salut et la vie éternelle ; Eph., xviii, 1. L’eucharistie est un remède d’immortalité, un antidote contre la mort (spirituelle et éternelle). Eph., xx, 2.

Aussi, dans l’épître aux Romains, Ignace supplie ses correspondants de le laisser mourir pour Jésus : « Ne m’empêchez pas de naître à la vie ; ne cherchez pas ma mort… Laissez-moi arriver à la pure lumière, vi, 2… Il y a en moi une eau vive qui murmure et me dit : Viens vers le Père, vii, 2… Je ne veux plus vivre de cette vie terrestre ». viii, 1. Ce sont bien là les enseignements et les aspirations d’un homme convaincu de la vie éternelle.

f) Épître et martyre de saint Polycarpe. —

Mêmes accents dans l’épître. Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts nous ressuscitera nous-mêmes si nous accomplissons sa volonté, ii, 1. Si nous accomplissons sa volonté dans la vie présente, il nous donnera la vie future car il nous a promis de nous ressusciter, si notre conduite ici-bas est digne de lui, de nous associer à son trône, v, 2. Ayons donc les yeux attachés sur notre espérance et le gage de notre justice, sur Jésus… afin que nous ayons la vie en lui. vm, 1. Pour occuper près du Seigneur la place due à notre foi et à notre justice, n’aimons pas le siècle présent, mais Jésus qui est mort pour nous, ix, 2 ; cf.xii, 2.

Les martyrs se sont rachetés de l’éternel châtiment par une heure de souffrance, Mari., ii, 3. Le feu du jugement et du supplice éternel est réservé aux impies. xi, 2. Les martyrs ressusciteront à la vie éternelle de l’âme et du corps dans l’incorruptibilité de l’Esprit, xiv, 2. Polycarpe lui-même, par son martyre, a ceint la couronne de l’immortalité, xvii, 1 ; cf. xix, 2. A son exemple, nous pouvons entrer dans le royaume éternel par Jésus-Christ, xx, 1 ; xxii, 1.

Conclusion. —

De ces textes, inspirés ou non, qui expriment la pensée chrétienne, depuis la prédication du Christ jusqu’au milieu du iie siècle, ressort une foi très nette en une vie éternelle dans l’au-delà. Fréquemment, on affirme que cette vie éternelle est consécutive à la résurrection des corps ; mais toujours c’est le jugement de Dieu qui fixe l’état des âmes dans cette vie éternelle, état de bonheur pour les justes, état de souffrance pour les impies. La vie éternelle de bonheur pour les justes a été préparée sur terre par une vie d’union avec le Christ, renoncement aux vices du monde, obéissance aux commandements. Les impies souffriront éternellement parce que dès ici-bas, par leur attachement au péché, ils sont déjà morts à la vie surnaturelle.

Ce sont là les idées de l’évangile, paroles tombées de la bouche du Christ et transmises par les apôtres aux premières générations.chrétiennes. Il n’y a donc rien d’étonnant que le symbole des apôtres en ait recueilli l’écho.

Dans cette première partie, uniquement consacrée à la doctrine révélée ou issue de la révélation, préparant l’insertion de l’article « la vie éternelle » dans le symbole, on n’a pas voulu aborder l’explication scolastique, psychologique et physique de cette vie « éternelle », envisagée au point de vue des esprits et des âmes séparées. Cet aspect de la question sera étudié à Volonté (§ 2, volonté des anges et des âmes séparées). — On pourra consulter les traités De novissimis indiqués à Intuitivk (Vision), t. vii, col. 2393, et les ouvrages cités à Gloire (des élus), t. vi, col. 1401. Voir également Mgr Élie Méric, L’autre vie, Paris, 1912 ; L. Elbe, La vie future, Paris, 1926. Mais ces ouvrages ne s’attachent guère au point de vue scripturaire qui, seul, a retenu ici notre attention. À cet égard, on devra consulter J.-M. Lagrange, Évangile selon saint Matthieu, Paris, 1923, Introd., Le royaume de Dieu, p. clvi-clxvii ; Évangile selon saint Jean, Paris, 1925, Introd., c. IV, § 6 : Jésus-Christ, vie et auteur de la vie, p. r.LXiii-CLXvm, et les notes sur l’entretien de Jésus et de Nicodème, p. 72-86 ; F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, Paris, 1923, I. VI, c. ii, Les fins dernières, p. 427-465 ; cf. note Z, Eschatologie judaïque, p. 564-566.

En ce qui concerne les Pères apostoliques, nous avons utilisé, texte et traduction, les trois premiers volumes de la collection Hemmer-Lejay : i-ii, Doctrine des apôtres, Êpitre de Barnabe, par II. Hemmer, G. Oger et A. Laurent, Paris, 1926 ; II. Clément de Rome, Êpitre aux Corinthiens, Homélie (2e ép.) aux Corinthiens, par H. Hemmer, Paris, 1926 ; m. Ignace d’Antioche, et Polycarpe de Sniyrne, Êpîtres, Martyre de Polycarpe par Aug. Lelong, Paris, 1927. On a suivi l’ordre de cette publication.