Dictionnaire des proverbes (Quitard)/belle

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belle. — Il l’a échappé belle.

Il a évité heureusement un danger ou un malheur. On s’étonne de l’usage qui veut qu’on écrive ici au masculin le participe échappé, qu’il faudrait écrire, dit-on, au féminin, parce qu’il se trouve précédé d’un régime de ce genre indiqué par le mot belle. Cependant cet usage ne viole pas la loi de l’accord, car le régime qu’on croit du féminin est du masculin, et le mot belle qu’on suppose adjectif de ce régime n’est l’est point. Il l’a échappé belle doit s’analyser ainsi : il l’a (le malheur) échappé belle, c’est-à-dire d’une belle manière ou bellement. Si le résultat de l’analyse était : il l’a (la chose) échappée belle, c’est-à-dire étant belle, la locution mentirait à la pensée, elle présenterait un sens différent de celui qu’elle a, à moins qu’elle ne fût entendue ironiquement. Mais ce n’est point de cette façon qu’il convient de l’entendre. Le mot belle ne se rapporte donc pas au régime du participe ; il fait partie de l’adverbe bellement, dont la terminaison ment, qui, comme on sait, signifie manière, a été ellipsée, et sa fonction est de modifier le verbe. Les auteurs de la langue romane usaient ordinairement de la même ellipse, lorsqu’ils avaient à mettre des adverbes terminés en ment à la suite l’un de l’autre ; ils n’en écrivaient qu’un seul dans son entier, le premier ou le dernier, à leur choix. Ils disaient, par exemple : Il l’a échappé bellement et heureuse, ou Il l’a échappé belle et heureusement ; et notre expression n’est sans doute qu’un démembrement de la leur. Le grammairien Bescher pensait qu’elle pouvait être un démembrement de cette autre : Il l’a échappé bel et bien, l’adverbe bel ayant été confondu par l’orthographe avec l’adjectif belle, à cause de la ressemblance de prononciation.

Quoi qu’il en soit, on n’est pas fondé à penser que la règle de l’accord du participe ait pu être méconnue dans la locution Il l’a échappé belle, qui est née précisément à une époque où tout participe s’accordait, qu’il fût suivi ou précédé de son complément direct.

Les belles ne sont pas pour les beaux.

Les hommes les plus beaux ne sont pas les plus heureux en amour. Les mères et les maris les redoutent et les observent ; les femmes tendres croient qu’ils s’aiment trop ; les fières ne leur trouvent point assez de soumission ; celles qui craignent la médisance les jugent dangereux pour leur réputation. Ils coûtent trop cher à celles qui paient ; ils ne donnent rien à celles qui se font payer : d’ailleurs ils n’ont point ces craintes obligeantes d’être quittés qui flattent tant la vanité féminine ; au contraire, ils menacent de quitter eux-mêmes, et ils reçoivent les faveurs comme des tributs mérités.

Fastus inest pulchris sequiturque superbia formam.

Ce ne sont pas les plus belles qui font les grandes passions.

La raison de cette observation proverbiale est très bien développée dans le passage suivant de Montesquieu (Essai sur le goût) : « Il y a quelquefois dans les personnes ou dans les choses un charme invisible, une grâce naturelle qu’on n’a pu définir, et qu’on a été forcé d’appeler le je ne sais quoi. Il me semble que c’est un effet naturellement fondé sur la surprise. Nous sommes touchés de ce qu’une personne nous plaît plus qu’elle ne nous a paru d’abord devoir nous plaire, et nous sommes agréablement surpris de ce qu’elle a su vaincre des défauts que les yeux nous montrent et que le cœur ne croit plus. Voilà pourquoi les femmes laides ont très souvent des grâces et qu’il est rare que les belles en aient ; car une belle personne fait ordinairement le contraire de ce que nous avions attendu ; elle parvient à nous paraître moins aimable ; après nous avoir surpris en bien, elle nous surprend en mal ; mais l’impression du bien est ancienne, et celle du mal est nouvelle. Aussi les belles personnes font-elles rarement les grandes passions, presque toujours réservées à celles qui ont des grâces, c’est-à-dire des agréments que nous n’attendions pas et que nous n’avions pas sujet d’attendre. »