Dictionnaire des proverbes (Quitard)/chien

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chien. — Chien qui aboie ne mord pas.

C’est-à-dire que celui qui fait le plus de menaces n’est pas celui qui est le plus à craindre. — Ce proverbe est très ancien. Quinte-Curce nous apprend qu’il était usité chez les Bactriens. Apud Bactryanos vulgo usurpabant canem timidum vehementius latrare quam mordere. — Les Turcs disent : Le chien aboie, mais la caravane passe.

Un chien regarde bien un évêque.

On ne doit pas s’offenser d’être regardé par un inférieur.

Ce dicton, qu’on adresse à un sot dont la susceptibilité s’irrite quand on fixe les yeux sur lui, signifie en développement : Êtes-vous donc un objet si sacré qu’il faille baisser respectueusement la vue en votre présence, et un homme ne peut-il vous regarder, lorsqu’un chien peut regarder un évêque qui est un personnage bien au-dessus de vous ? Quant au rapprochement du chien et de l’évêque, qui fait le sel de ce dicton, il n’a pas été produit par le simple caprice de l’imagination, qui aurait pu choisir tout aussi bien un chien et un roi, un chien et un pape ; il a probablement sa raison dans ce fait historique peu connu : c’est qu’autrefois il était défendu aux évêques d’avoir chez eux aucun chien. La défense avait été faite par le second concile de Mâcon, le 23 octobre 585, afin que les fidèles qui iraient leur demander l’hospitalité ne fussent point exposés à être mordus.

C’est le chien de Jean de Nivelle,
Il s’enfuit quand on l’appelle.

Jean II, duc de Montmorency, voyant que la guerre allait se rallumer entre Louis XI et le duc de Bourgogne, fit sommer à son de trompe ses deux fils, Jean de Nivelle et Louis de Fosseuse, de quitter la Flandre où ils avaient des biens considérables, et de venir servir le roi. Ni l’un ni l’autre n’obéirent ; leur père, irrité, les déshérita en les traitant de chiens. — Suivant le dictionnaire de Trévoux, Jean de Montmorency, seigneur de Nivelle, ayant donné un soufflet à son père, fut cité au parlement, proclamé et sommé à son de trompe pour comparaître en justice. Mais plus on l’appelait, plus il se hâtait de fuir du côté de la Flandre. Il fut traité de chien, à cause de l’horreur qu’inspiraient son crime et son impiété.

Telle est l’explication généralement adoptée ; en voici une autre moins connue et peut-être plus exacte. Il y avait autre fois sur le haut du clocher de Nivelle un homme de fer, appelé Jean de Nivelle, qui frappait les heures sur la cloche de l’horloge. Comme les heures, représentées par des statues, ne se montraient que pour disparaître à mesure que ce jaquemart semblait les appeler avec son marteau, on disait d’une personne qui se dérobait à un appel, qu’elle était comme les heures de Jean de Nivelle. Le peuple, qui abrége volontiers les termes, même aux dépens du sens, supprima les heures, en attribuant le rôle qui leur appartenait à Jean de Nivelle ; et plus tard, probablement à l’époque où l’on traita de chien le seigneur du même nom, il introduisit cette épithète dans le dicton.

La Fontaine paraît avoir cru qu’il s’agissait d’un véritable chien, lorsqu’il a dit :

Une traîtresse voix bien souvent vous appelle ;
Ne vous pressez donc nullement.
Ce n’était pas un sot, non, non, et croyez-m’en,
Que le chien de Jean de Nivelle.

Les Italiens disent : Far come il can d’Arlotto che chiamato se la batte ; faire comme le chien d’Arlotto, qui décampe quand on l’appelle. Ici le mot chien désigne l’animal de ce nom.

Jamais bon chien n’aboie à faux.

Proverbe qu’on applique à un homme qui ne menace point sans frapper, ou à un homme dont les paroles et les résolutions ne restent point sans effet.

Il n’est pas nécessaire de montrer le méchant au chien.

Proverbe fort ancien, qui se trouve dans le petit lexique de l’ancienne langue bretonne, à la suite des origines gauloises de Boxhornius : Nid rhaid dangos diriaid i gwn. — Le chien est doué d’un instinct merveilleux qui le tient constamment en garde contre les hommes capables de nuire ou de faire du mal à son maître. Il les connaît aux vêtements, à la physionomie, à la voix, à la démarche, aux gestes. Il semble même qu’averti par l’odorat, il les devine avant de les apercevoir. De là ce pro verbe, dont le sens est qu’il n’est pas besoin de signaler à un homme habile et vigilant les piéges qu’il doit éviter.

Bon chien chasse de race.

Les enfants tiennent ordinairement des inclinations et des mœurs de leurs parents. Ce proverbe, appliqué à un homme, s’emploie en bonne et en mauvaise part ; appliqué à une femme, il se prend toujours en mauvaise part.

Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage.

On trouve aisément un prétexte quand on veut quereller ou perdre quelqu’un.

Chien hargneux a toujours l’oreille déchirée.

Il arrive toujours quelque accident aux gens querelleurs.

Battre le chien devant le lion.

C’est châtier le faible devant le fort, ou le petit devant le grand, pour une faute que l’un et l’autre ont commise. Ma fille, disent les Turcs, c’est à vous que je parle, afin que ma bru me comprenne.

Entre chien et loup.

Cette expression, qui a de l’analogie avec le πρῶτη υπ’ Αμφιλυϰη des Grecs (à la première heure autour du loup), est fort ancienne en France, puisqu’on lit dans les Formules de Marculfe, auteur du viie siècle, Infra horam vespertinam, inter canem et lupum. Elle s’emploie pour dire : à l’heure du crépuscule du soir, lorsque n’étant plus jour il n’est pas encore nuit ; sideribus dubiis. Mais ce n’est point par allusion à la difficulté qu’éprouve alors la vue de discerner les objets sans se méprendre entre ceux qui se ressemblent, sans confondre, par exemple, un chien avec un loup, ou un loup avec un chien, comme l’ont prétendu tous les glossateurs qui ont adopté pour explication ces deux vers de Baïf :

Lorsqu’il n’est jour ne nuit, quand le vaillant berger
Si c’est un chien ou loup ne peut au vrai juger.

L’expression Entre chien et loup désigne proprement l’intervalle qui sépare le moment où le chien est placé à la garde du bercail et le moment où le loup profite de l’obscurité qui commence pour aller rôder à l’entour, car c’est un usage, de tout temps observé par les bergers, de lâcher le chien ou de le mettre en sentinelle aussitôt que la chute du jour les avertit que le loup ne tardera pas à sortir du bois ; et de là vient sans doute qu’on ne peut dire Entre loup et chien, comme on dit Entre chien et loup, car l’ordre des faits serait interverti.

On trouve dans des lettres de rémission de 1409 : « À l’heure tarde, quæ vulgariter vocatur inter canem et lupum, à l’heure d’encour (entour) chien et leu. » Madame de Sévigné a employé substantivement l’expression Entre chien et loup, pour signifier des idées douteuses ou obscures. On lit dans sa 802e lettre à madame de Grignan : « Il me semble que vous êtes une substance qui pense beaucoup. Que ce soit du moins d’une couleur à ne pas vous noircir l’imagination. Pour moi, j’essaie d’éclaircir mes entre chiens et loups, autant qu’il m’est possible. »

Leurs chiens ne chassent point ensemble.

Les chiens savent pénétrer les sentiments de leur maître et s’y conformer. Prévenants pour ses amis, ils se déclarent contre ses ennemis, et s’éloignent même par un instinct naturel des chiens qui leur appartiennent. De là cette expression proverbiale, qu’on emploie en parlant des personnes qui ne sont pas en bonne intelligence.

Les chiens d’Orléans.

Mathieu Paris, dans la vie de Henri III roi d’Angleterre, rapporte que les Orléanais furent appelés chiens, pour être demeurés tranquilles spectateurs et même approbateurs de la violence qui fut faite aux écoliers et au clergé de leur ville par les pastoureaux, brigands dont les bandes fanatiques désolèrent la France durant la captivité de saint Louis. Il paraît que ce fut leur évêque qui les qualifia de la sorte dans une bulle qu’il fulmina contre eux à cause de leur lâche silence. Si cette origine est vraie, dit l’abbé Tuet, il faut prendre le sobriquet dans le sens du passage de l’Écriture, Canes muti non valentes latrare… chiens muets qui ne savent pas aboyer. Mais Lemaire, dans ses Antiquités d’Orléans, pense que ce sobriquet fut donné aux Orléanais parce qu’ils firent preuve de fidélité envers nos rois.

Il n’est chasse que de vieux chiens.

Parce que les vieux chiens sont les plus habiles à dépister le gibier dont ils connaissent toutes les ruses. Le sens figuré du proverbe est, qu’il n’y a point d’hommes plus propres au conseil et aux affaires que les vieillards, à cause de leur expérience.

Camus, évêque de Belley, fit un jour à ce proverbe une variante assez singulière. Peu partisan des saints nouveaux, il s’écria dans un de ses sermons : Je donnerais cent de nos saints nouveaux pour un ancien. Il n’est chasse que de vieux chiens ; il n’est châsse que de vieux saints. — Il avait peut-être raison dans le fond, à cause de certains abus de la canonisation. Mais il avait tort dans la forme, et l’on aurait pu lui adresser cette interrogation proverbiale de l’Ecclésiastique (ch. 13, v. 22) : Quæ communicatio sancto homini ad canem ? quel rapport a le saint avec le chien ?

D’oiseaux, de chiens, d’armes, d’amours,
Pour un plaisir mille doulours.

Ce vieux proverbe atteste combien les anciens seigneurs français devaient prendre à cœur tout ce qui concernait la fauconnerie, la vénerie, les tournois et la galanterie, quatre objets importants de leurs occupations et de leurs goûts.

Rompre les chiens.

Au propre, c’est rappeler les chiens de la voie qu’ils suivaient, leur faire quitter ce qu’ils chassaient ; au figuré, c’est interrompre des propos qui prenaient une tournure désagréable pour quelqu’un des auditeurs, ramener la conversation sur un autre sujet.