Dictionnaire des proverbes (Quitard)/mentir

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mentir. — Il n’enrage pas pour mentir.

Feydel prétend qu’enrage est ici une altération d’enraie, qui s’écrivait autrefois enraje, et qu’il faudrait dire : Il n’enraie point pour mentir. Sur quoi l’abbé Morellet lui reproche de ne fournir aucune preuve de son assertion et d’ignorer complétement le sens du dicton qui est : Pour mentir il ne sort point de son état naturel, c’est de sang-froid et par habitude qu’il ment. — L’abbé Morellet a probablement raison contre Feydel. Cependant l’explication qu’il donne me paraît laisser quelque chose à dire. Citons d’abord le dicton entier : Il est de la compagnie de saint Hubert ; il n’enrage point pour mentir. Remarquons ensuite qu’on attribuait à saint Hubert le privilége de préserver de la rage tous ses parents et toutes les personnes qui étaient taillées de son étole merveilleuse, qu’un ange lui avait apportée de la part de la mère de Dieu[1]. Après cela, il sera facile de comprendre l’idée qui a déterminé l’emploi du verbe enrager dans ce dicton, qu’on applique aux chasseurs dont saint Hubert, comme on sait, est le patron.

Il y avait à Metz et en plusieurs autres endroits de la Lorraine, au xvie siècle, une compagnie de Saint-Hubert, ou un ordre des Menteurs. Tous les membres s’engageaient par serment à ne jamais dire la vérité en fait de chasse. Les candidats juraient à genoux ; les chevaliers attachaient leurs fusils par la bandoulière à des pitons enfoncés dans le tronc d’un chêne ; le président siégeait sur une borne.

  1. Tailler quoiqu’un de l’étole de saint Hubert, c’était insérer une parcelle de cette étole dans une entaille qu’on lui fesait au front avec la clef de saint Hubert, espèce de cor ou de cornet de fer béni. Cette expression était technique.