Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alciat 1

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ALCIAT (André), grand jurisconsulte, a fleuri au XVIe. siècle[* 1]. Il était fils d’un riche marchand de Milan (A), et il naquit en cette ville au mois de mai 1492[* 2][a]. On prétend que sa mère ne sentit presque aucune douleur lorsqu’elle accoucha de lui [b]. Après avoir étudié les humanités sous Janus Parrhasius, qui enseignait à Milan[c], il fut étudier en droit à Pavie et à Bologne [d], et s’attacha principalement aux leçons de Jason, dans la première de ces universités, et à celles de Charles Ruinus, dans la seconde[e]. Après sa promotion au doctorat, il s’appliqua au barreau dans la ville de Milan[f] jusqu’à ce qu’il se vit appelé pour une chaire de droit par l’université d’Avignon (B). Il remplit cette charge avec tant de capacité, que François Ier le crut propre à faire fleurir la jurisprudence dans l’académie de Bourges. Il l’y attira donc[* 3], en 1529 (C) ; et dès l’année suivante, il lui fit doubler[* 4] sa pension qui avait été d’abord de six cents écus. Alciat professa cinq ans à Bourges, et il acquit de la gloire : mais il se servit d’une ruse pour obtenir une augmentation de gages (D). Il mêlait beaucoup de littérature à l’explication des lois, et chassait heureusement la barbarie de langage qui avait régné jusque-là dans les leçons et dans les écrits des jurisconsultes. M. de Thou le loue fort noblement là-dessus ; M. de Thou, dis-je, qui d’ailleurs était mal instruit de son histoire (E). La harangue que ce professeur fit sur-le-champ à François Ier, qui était entré dans son auditoire (F), plut beaucoup à ce monarque. François Sforce, duc de Milan, se crut obligé à faire revenir dans la patrie un homme qui pouvait y tant briller ; et il en vint à bout en lui donnant, outre de gros gages, la dignité de sénateur. Alciat alla donc enseigner le droit à Pavie ; mais il passa peu après à l’université de Bologne[g], et s’y arrêta quatre ans. Puis il revint à Pavie, d’où il alla à Ferrare [h], attiré par le duc Hercule d’Est, qui tâchait de rendre célèbre son académie. Elle reprit son éclat sous un professeur si couru ; mais au bout de quatre ans, Alciat la quitta pour retourner à Pavie, où enfin il trouva le vrai remède de son humeur inconstante (G), je veux dire la mort, le 12e. jour de janvier 1550[i]. Il n’avait pas encore cinquante-huit ans accomplis. Paul III lui fit un accueil honorable en passant par Ferrare, et lui offrit de l’avancement dans les dignités ecclésiastiques. Alciat se contenta de celle de protonotaire, et ne voulut point renoncer à la profession en droit (H). L’empereur le créa comte palatin et sénateur. Philippe, roi d’Espagne[* 5], passant par Pavie, lui fit présent d’une chaîne d’or. On croit que la maladie dont Alciat mourut lui était venue d’avoir trop mangé [j] ; car il avait le défaut d’être non-seulement fort avare, mais un grand mangeur (I). C’était un gros homme et de grande taille[k]. Après que sa mère fut morte dans un âge fort avancé, il eut envie d’employer son bien à la fondation d’un collége ; mais ayant reçu un affront de quelques écoliers insolens, il abandonna ce dessein, et choisit pour son héritier François Alciat, jeune homme de grande espérance, qu’il avait élevé chez lui [l], quoique leur parenté fût fort éloignée[m]. Ce François Alciat succéda et aux biens et à la chaire d’André, et se rendit célèbre à Pavie par ses leçons de jurisprudence. Le cardinal Borromée, qui avait été son disciple, le fit venir à Rome, et lui servit de si bon patron auprès de Pie IV, qu’il lui fit avoir un évêché, la charge de dataire, et un chapeau de cardinal[n]. On a quelques Traités de jurisprudence de ce cardinal Alciat, qui mourut à Rome, au mois d’avril 1580, âgé d’un peu plus de cinquante ans. Voyez Nicius Erythreus, au chapitre XLVII de sa seconde Pinacotheca. Ceux qui disent que notre André passa toute sa vie dans le célibat, se trompent (K). Il s’érigea de très-bonne heure en auteur, comme je l’ai observé dans la remarque (B). Il a publié beaucoup de livres en droit, et quelques Notes sur Tacite, la latinité duquel lui paraissait d’une extrême dureté (L). Muret s’emporta beaucoup contre cette délicatesse dans l’une de ses harangues[o]. Alciat n’en sentit rien, car il était déjà mort ; mais d’autres critiques, et nommément Floridus Sabinus, qui l’attaquèrent de son vivant, lui firent bien sentir leurs dents et leurs ongles[p]. Ses Emblèmes ont été fort estimés, et ont mérité que trois ou quatre savans les aient ornés de Commentaires (M). On a trop loué ses poésies, comme M. Baillet l’a remarqué finement au tome III des Jugemens sur les poëtes, numéro 1286[* 6].

Il n’est pas de ceux qui ont persisté dans leurs premiers sentimens ; car on trouve dans ses Parerga, qui est un ouvrage qu’il publia sur ses vieux jours, la rétractation de plusieurs choses que le feu de la jeunesse lui avait fait débiter précipitamment ; et lorsqu’on réimprima, en 1529, ses Dispunctiones, il fit savoir[q] qu’en retouchant ce livre-là, il n’avait point prétendu donner son approbation à tout ce qu’il y avait mis dans ses jeunes ans, ni s’ôter la liberté de changer d’avis. Cette remarque a été faite par un apologiste de l’empereur Justinien[r]. On[s] fit imprimer à Leide, en 1695, une lettre qu’André Alciat n’avait point écrite pour le public, car il faisait une description trop forte des abus de la vie monastique. Il écrivit cette lettre à Bernard Mattius, qui avait été son collègue, et qui tout d’un coup et sans consulter ses amis, s’était fait moine dans l’ordre de saint François. On lui représente doctement et éloquemment son imprudence. Cet écrit d’Alciat fut composé dans quatre jours : on le trouva dans le cabinet de Scrivérius[t]. Il est daté du 7 de juin 1553 (N).

  1. * Joly renvoie aux Mémoires de Nicéron, dont cependant il corrige quelques fautes.
  2. * Joly avait d’abord adopté l’opinion de la Monnaie qui regardait, d’après Naudé, le nom d’Alciat comme un nom de patrie, tiré d’Alzato, bourg du Milanais, et s’appuyait sur des vers latins signés Andreas Alzatus Victor, pour croire que Victor était le nom de famille. Mais, dans ses Corrections et Additions, Joly déclare que cette conjecture de la Monnaie est fausse.
  3. * Leclerc, d’après un passage d’une lettre d’Alciat, dit fort bien que ce ne fut pas François Ier., mais les magistrats et les professeurs de Bourges, qui l’avaient vu en 1527, qui l’engagèrent à y revenir.
  4. * Leclerc remarque qu’elle ne fut pas doublée, mais seulement augmentée de trois cents écus.
  5. (*) Alciat, à qui on veut que Philippe ait fait présent d’une chaîne d’or, mourut en 1550. Or ce prince ne parvint à la couronne que par l’abdication de l’empereur son père, en 1556. Si M. Bayle avait fait cette réflexion, il aurait dit prince d’Espagne, et non pas roi d’Espagne. Du reste, cette petite inadvertance est proprement de Panzirole que M. Bayle ne fait ici que copier. Rem. crit.
  6. * La Monnaie, dans ses notes sur les Jugemens des Savans (Enfans célèbres, n. 39), rappelle les titres de cinq ouvrages d’Alciat, omis par Bayle, et qui ne sont mentionnés que par J. de Nevizan, à la fin du ier. livre de sa Sylva nuptialis. Nevizan parle de six ouvrages, et tous les six sont énumérés par Leduchat. Joly, d’après le père Montfaucon, cite quelques manuscrits d’Alciat, et, d’après Jordan, quelques lettres qui sont dans la bibliothèque publique de Sainte-Élisabeth, à Breslau.
  1. Voyez la remarque (E).
  2. Panzir. de Claris Legum Interpret., lib. II, cap. CLXIX, pag. 353.
  3. Minos, in Vitâ Alciati.
  4. M. Teissier, Élog. tirés de M. de Thou, tom. I, p. 35, citant Claude Minos, dit qu’Alciat étudia à Vérone. Je n’ai point trouvé cela.
  5. Panz. de Claris Leg. Interpret., lib. II, cap. CLXIX.
  6. Minos in Vitâ Alciati.
  7. Il y fit sa harangue inaugurale, le 3 de novembre 1537.
  8. Il y fit sa harangue inaugurale, en 1543.
  9. Ex Panziroli de Claris Leg. Interpret., lib. II, cap. CLXIX. Voyez touchant le temps de sa mort la remarque (E), à la fin.
  10. Ex cibo quem largiorem sumere consueverat morbum contraxit. Idem, ibid.
  11. Vir fuit corpulentus, proceræ staturæ. Panzir. de Claris Legum Interpretibus, lib. II, cap. CLXIX. M. Teissier, tom. II, pag. 394 de ses Éloges, lui donne pourtant une taille médiocre.
  12. Il n’est donc pas vrai qu’il y eût à Naples, en 1686, un petit-fils du grand Alciat. Voyez le Voyage du Docteur Burnet, pag. 339, édition de Rotterdam, en 1683. Il aurait fallu d’ailleurs qu’il eût été fort vieux.
  13. Moréri la fait de l’oncle au neveu.
  14. Panzir. de Claris Leg. Interpret., lib. II, cap. CLXIX.
  15. C’est la XVIIe. du IIe. tome. Voyez aussi Bodini Meth. Hist., cap. IV, p. 85.
  16. Cl. Minos, in Vitâ Alciati.
  17. Voyez la préface du Livre.
  18. Gabriel Trivorius, Observat. Apologet. d’Inscript. Orationis ad Antecessores, pag. 187, édit. Paris, an. 1631.
  19. M. Matthæus, Professeur en droit, à Leide.
  20. Voyez l’Épître dédicatoire de M. Matthæus.

(A) Il était fils d’un riche marchand de Milan ] J’ai suivi Panzirole, le seul des auteurs que j’aie consultés qui le fasse fils d’un homme de cette profession : Ex Joanne pecunioso negotiatore Mediolani ferè nullo parentis dolore natus et educatus fuit[1]. Les autres le font plutôt fils d’un gentilhomme d’ancienne famille : Andreas Alciatus in pago Alciato seu Alzalo Mediolanensi natus è nobili Alciatorum familiâ. C’est ainsi que Claude Minos[* 1] débute[2]. On ne peut pas m’objecter qu’en certains lieux la qualité de marchand et celle de gentilhomme ne sont pas incompatibles ; car lorsqu’elles sont jointes, un historien ne parle guère de la plus faible, sans parler de la plus forte. Puis donc que Panzirole n’a parlé que du négoce du père d’Alciat, il semble qu’il n’ait pas été du sentiment de Claude Minos.

(B) Il s’appliqua au barreau... de Milan, jusqu’à ce qu’il se vit appelé... par l’université d’Avignon. ] Pour le coup, je me garde bien d’adopter le récit de Panzirole. Si je l’adoptais, il faudrait que j’assurasse qu’Alciat, ayant été fait docteur en droit civil et en droit canon, l’an 1517, à l’âge d’un peu plus de vingt-deux ans, enseigna premièrement à Pavie, et ensuite à Avignon : Primùm itaque Ticini professus, posteà Avenioni docuit[3]. Si je disais cela, je démentirais Alciat lui-même, qui, dans une harangue qu’il récita à Pavie, déclare, que lorsqu’il obtint six cents écus de gages à Avignon, il n’était jamais monté en chaire : Avenioni cùm nunquàm ad eam diem cathedram ascendissem stipendium sexcentorum mererer[4]. Le récit de Panzirole est d’ailleurs suspect de fausseté ; il marque une extrême négligence : on y voit qu’Alciat n’a point encore vingt-trois ans en 1517 ; et cependant son épitaphe, rapportée par Panzirole trois pages après, témoigne qu’il avait près de cinquante-neuf ans au mois de janvier 1550 : il en avait donc vingt-cinq en 1517. Ce que Panzirole assure, qu’Alciat publia ses Paradoxes et ses Dispunctiones, environ l’an 1517, ne peut pas être éclairci par Claude Minos ; car jamais chaos de livre ne fut plus absurde que l’endroit où ce dernier écrivain a parlé de l’édition des Paradoxes d’Alciat. Duodecim post annos, dit-il[5], cùm civilis et pontificii juris professoriis insignibus donatus esset, Paradoxa et Dispunctiones in publicum emisit, opus, ut ipse dicit, elaboratum horis succisivis, et à candidato adhuc et tirone. On ne saurait comprendre à quoi se rapporte le terme duodecim[* 2] ; car tout ce qui précède est le récit de diverses stations d’Alciat, et de sa manière d’enseigner le droit. Si l’on pouvait entendre par ces paroles de Minos, qu’Alciat publia ses Paradoxes douze ans après sa promotion au doctorat, on dissiperait tout le chaos ; mais alors, que deviendrait Panzirole, qui place l’édition de ce livre environ le temps du doctorat, c’est-à-dire environ l’an 1517 ? Que deviendrait Tiraqueau, qui assure « qu’Alciat fit un ouvrage important vers l’âge de vingt ans[6] ? C’est celui que nous avons sous le titre de Paradoxes du Droit civil, qu’il divisa en six livres, et qu’il dédia au chancelier Du Prat, étant à Bourges, en 1529, douze ans après l’avoir publié dans son pays, en prenant le bonnet de docteur, mais dix-sept ou dix-huit ans après l’avoir composé[7]. » L’ouvrage que je cite m’apprend que le coup d’essai d’Alciat fut l’Explication et la correction des termes grecs qui se trouvent dans le Digeste ; que ce livre parut d’abord en Italie, et quelques années après à Strasbourg, en 1515. J’ai lu quelque part[8], que la première dédicace qu’Alciat ait faite de ses Œuvres est de l’année 1513, et que c’est celle des trois derniers livres du Code. Ce qu’il y a de bien sûr, c’est qu’il publia ses Paradoxes, dédiés au chancelier Antoine Du Prat, environ l’an 1517[9]. Il publia environ le même temps ses Dispunctiones dédiées à Jean de Selve, président du sénat de Milan, et ses Prætermissa, dédiés à Jacques de Minut, conseiller au même sénat, et ancien professeur en jurisprudence à Orléans. Il était professeur à Avignon dès l’année 1521 ; car dans l’Épître dédicatoire de son Traité de Verborum Significatione, datée de Bourges le 1er. mai 1529, il dit qu’il y avait huit ans qu’il l’avait dicté à ses écoliers.

Je viens d’apprendre que Budé, dans une lettre écrite à Christophle Longueil, au mois de février 1520[10], a fait mention d’une visite qu’Alciat lui avait rendue quelque temps auparavant à Avignon. C’est M. de la Monnaie qui m’a fait part de cette particularité. J’ajoute qu’on a publié à Utrecht quelques lettres de notre Alciat, qui témoignent qu’il était professeur en jurisprudence à Avignon dès l’an 1518[11] ; que ses gages montaient à cinq cents écus ; et qu’il avait sept cents auditeurs. Deux ans après, il écrivit qu’on lui donnait six cents écus, et quelques autres gratifications ; et que son auditoire était composé de plus de huit cents personnes, parmi lesquelles on pouvait compter des prélats, des abbés, des comtes[12]. Il quitta cette profession, et s’en retourna à Milan, vers la fin d’octobre 1522[* 3]. Entre plusieurs choses qui l’engagèrent à cette retraite, celle-ci fut la principale, qu’on ne lui payait point ses gages assez promptement depuis que la ville d’Avignon s’était endettée à cause de la maladie contagieuse : outre qu’on lui fit entendre que, si la peste revenait, il faudrait qu’il consentît à une diminution de gages. Il rejeta cette condition[13]. Il s’appliqua au barreau dans sa patrie, et trouva cet emploi plus lucratif qu’il ne l’avait espéré[14]. Il s’arrêta en Italie jusqu’à ce qu’il eût accepté la profession qui lui fut offerte dans l’académie de Bourges[15][* 4]

(C) François Ier... l’attira à Bourges..... en 1529. ] J’ai mieux aimé suivre Minos et M. Catherinot[16], que Panzirole. Ce dernier anticipe d’un an cette vocation : Deindè, anno 1528 Bituriges quò magna studiosorum rnultitudo ad ejus famam confluxit, amplo 1200 aureorum stipendio à Rege Francisco est conductus[17]. Je n’objecte point à Panzirole, que la pension ne fut d’abord que de dix-huit cents francs[* 5], et qu’en la doublant l’année suivante, on la porta à la somme qu’il a marquée : j’ai de plus grands reproches d’inexactitude à lui faire. Il dit 1°. qu’Alciat ne put demeurer en France que peu d’années, parce que François Marie, duc de Milan, lui ordonna de revenir, et le menaça de la confiscation de tous ses biens en cas de désobéissance ; 2°. qu’Alciat, étant retourné chez lui, enseigna quelques années à Pavie, jusqu’à ce que, à cause des guerres, il s’en allât à Bologne, l’an 1532. Il est certain qu’Alciat séjourna cinq ans à Bourges : cela paraît par les vers qu’il fit en la quittant :

Urbs Biturix, invitus amant le desero amantem,
Quinque per æstates terra habitata mihi[18].


Puis donc qu’au dire de Panzirole il y avait été appelé l’an 1528, il faut qu’il ne l’ait quittée qu’en 1533. Comment aurait-il donc pu enseigner quelques années à Pavie depuis sa sortie de Bourges, et aller ensuite à Bologne l’an 1532 ? Sa Dissertation du Duel, dédiée à François Ier., est datée d’Avignon le Ier. de mars 1529. La préface de ses Paradoxes est datée de Bourges le 24 d’août 1529. Voilà qui est décisif contre Panzirole. Il nous reste deux faussetés à relever : l’une de M. Moréri, l’autre de Paul Freher. Celui-là dit que la libéralité de François Ier. attira Alciat en France, où il enseigna à Avignon : selon celui-ci, Alciat alla enseigner dans cette ville, lorsqu’il ne faisait que de sortir de l’école de Parrhasius[19]. C’est une fausseté absurde que de dire que la libéralité d’un roi de France fait venir un professeur au pays d’autrui ; et qui ne sait, que depuis qu’Alciat eut quitté l’école de Parrhasius, il alla étudier à Pavie et à Bologne, et qu’il fut reçu docteur en 1517, et qu’il fit imprimer des livres avant que de professer dans Avignon ?

(D) Il se servit d’une ruse pour obtenir une augmentation de gages. ] Ce fut de faire par ses intrigues qu’on lui adressât une vocation de la part de l’académie de Padoue. Vossius, qui m’apprend cela, craignait qu’en différant de répondre à ceux qui lui offraient une profession dans l’académie de Cambrige, il ne se fût rendu suspect d’un pareil manège ; car, ajoute-t-il, la plupart des gens en usent ainsi : Quis rerum mearum ignarus, aliud sibi persuadere possit, quàm diutinam hanc in respondendo cessationem indè duntaxat, aut potissimùm saltem, promanare, ut vocatione anglicanâ aliquid mihi apud Batavos lucelli acquiram ? Scimus id plerisque moris esse. Nec notam hanc effugit summus jurisconsultus, Andreas Alciatus, cùm Biturigibus Patavium vocaretur. Et ille quidem callidè hoc egerat ipse, ut vocaretur. Mihi, ut scis, ne per somnium tale quid cogitanti spontè apud vos professio oblata est. Ille item, immane quantùm aucto stipendio, apud Biturigias remansit. Ego, uti hoc nunquàm egi, ita nec quicquam accessionis (quam quidem scio mihi minimè invideres) consequar remanendo, nisi simul accessio fiat fortè novi laboris[20]. Je sentirais quelques remords de conscience, si je ne disais ici que M. de la Monnaie m’a indiqué ce passage de Vossius. Outre cela, il m’a fait savoir les particularités suivantes : « Il paroît par la XIIe. lettre du IIe. livre des lettres de Sadolet, qu’Alciat, dès la première année de son séjour à Bourges, avoit ou feignoit avoir dessein d’aller professer le Droit à Bologne. Deux lettres italiennes du Bembe, l’une du 7 de juillet 1532, et l’autre du 23 de février 1533, apprennent beaucoup de particularités touchant le dessein qu’avoit la république de Venise d’attirer Alciat à Padoue[21] Les professeurs de cette université en étoient dans une appréhension mortelle : entre autres, Franceschin da Corte, en latin Franciscus Curtius, qui, pour détourner la venue d’un tel collègue, faisoit courir le bruit que le duc de Milan, François Sforce, mal nommé François Marie par Pancirole, lui avoit défendu sous de très-rigoureuses peines de quitter la chaire de Pavie, sotto pena di confiacatione. » Pour ne pas trouver ici un peu d’embarras, il faut, ce me semble, que nous supposions que le 23 de février 1533 de la lettre de Pierre Bembus est de l’an 1534, à commencer l’année au mois de janvier ; car, sans cela, nous ne pourrions point comprendre qu’Alciat eût été à Pavie lorsque cette lettre fut datée : lui, qui avait professé cinq ans à Bourges, et qui n’avait commencé à y professer qu’en 1529. En consultant les lettres latines du même Bembus, j’ai trouvé qu’il écrivit à notre Alciat, le 15 de juillet 1532, pour l’exhorter à venir prendre possession de la chaire qui lui avait été offerte dans l’académie de Padoue. Il lui lève la difficulté qui le tenait en suspens, et qui consistait en ce que la république de Venise ne promettait pas la même espèce d’écus qui avait été demandée [22]. Bembus lui fait voir que pour une si petite différence, il ne fallait pas se dégager de sa promesse ; et si vous venez, ajoute-t-il, je prends sur moi de vous faire avoir en peu de temps toute la somme que vous avez indiquée, et bien d’autres avantages. Il lui écrivit encore le 21 d’avril 1534. Alciat était alors à Pavie, et n’y vivait pas content. Bembus lui déclare que, quant à lui, il acquiesce à ses excuses ; mais que les curateurs de l’académie de Padoue ne s’en payaient pas, et qu’ils étaient persuadés que la demande d’une chaire de jurisprudence au milieu d’eux avait été fondée sur un motif d’intérêt, c’est-à-dire, qu’Alciat n’avait voulu être professeur dans l’académie de Padoue, qu’afin de se servir de ce poste pour se procurer de plus gros gages auprès du duc de Milan : Utinam tam æqui in te judices Præfecti Ludi Patavini essent, neque sibi persuasissimum haberent, te proptereà profitendi jus civile hâc in urbe locum postulavisse, ut eo tradito apud ducem istum tuum uterere ad largius atque uberius ab eo stipendium promerendum [23].

Alciat s’était déjà servi de la même ruse, pendant qu’il était à Avignon. Il chargea l’un de ses amis[24] de faire en sorte qu’on l’appelât, ou à Bologne, ou à Padoue. Il n’avait point dessein d’accepter ces vocations ; mais il s’en voulait servir pour faire augmenter ses gages. Nous savons cela par des lettres qu’il écrivait en ce temps-là, et qui ont été imprimées à Utrecht, l’an 1697 : Si mille mihi aurei Ferrariæ constitueruntur, eò non irem : et satis non possum non mirari, qui tibi in mentem venerit, hanc conventionem cum eo tractare ; cùm de Patavino, aut Bononiensi Gymnasio solùm tibi mandata dederim : quamvis nec mihi displiceant tua ista consilia : non quòd in has Academias venturus sim, sed quòd Avenionenses, si sciverint ab aliis quoque me sollicitari, ne eos deseram, timebunt, et augebunt stipendia. Quare cum eis potissimùm velim hæc dissemines, quos conjectabis idoneos esse ; ut in Avenionensem Academiam litteras harum rerum indices dent[25]. Son ami faisait des cabales à Padoue pour obliger les écoliers allemands à demander à la république de Venise que l’on fît venir Alciat[26]. Celui-ci le pria de s’abstenir de cette peine, vu qu’il s’était engagé pour deux ans à la ville d’Avignon. Sa lettre est datée du 26 de septembre 1520. Quelles bassesses ! quel amour sordide du gain !

(E) M. de Thou.…. était mal instruit de son histoire. ] Il suppose 1°. qu’Alciat, après avoir enseigné long-temps à Bourges, fut professeur à Avignon ; c’est tout le contraire : 2°. qu’Alciat sortit de France sur le déclin de son âge ; il n’avait qu’une quarantaine d’années, plus ou moins : 3°. qu’Alciat, de retour en Italie, lut premièrement à Bologne, et puis à Ferrare ; il lut à Pavie, avant que d’aller à Bologne : 4°. qu’Alciat mourut l’an 1551 ; son épitaphe marque le 12 de Janvier 1550. Il est vrai que quelques auteurs rapportent qu’elle donne cinquante-huit ans, huit mois, et quatre jours, à Alciat : ce qui prouverait qu’il mourut le 12 de janvier 1551 : mais d’autres rapportent qu’elle ne lui donne que cinquante-sept ans, huit mois, et quatre jours[27]. L’erreur de M. de Thou est moindre que celle de Forsterus, adoptée par M. Doujat [28], et que celle d’Imperialis. Celui-ci met la mort d’Alciat à l’année 1559[29]. Forsterus la met à l’année 1548[30]. Mais remarquons principalement la fausseté d’un astrologue, qui, ayant dit qu’Alciat mourut à Ferrare l’an 1546, ajoute que ce fut d’une blessure de Saturne et du Soleil : Andreas Alciatus didicit litteras græcas à Pomponio Gaurico Patavii… obiit Ferrariæ anno 1546, ex Saturno in oppositione horoscopi, et Sole Martis tetragono sauciato. In conversione annuâ non solùm directiones Aphetarum, sed annuæ conversiones penitùs commaculatæ interimunt[31]. Voilà ce que Luc Gauric marque au-dessous de la figure de nativité de notre jurisconsulte, Il le fait naître le 8 de mai 1492, à une heure 30 minutes après le lever du soleil. Ne voilà-t-il pas un bel art ! il a des règles, selon lesquelles un homme devait mourir plusieurs années avant sa mort. J’ai lu une lettre d’Alciat, datée du 3 de septembre 1530, où il assure qu’il ne fait qu’entrer dans sa trente-septième année, ou qu’il n’a guère que trente-sept ans : Vix trigesimum et septimum annum attingenti[32]. Cela prouverait qu’il naquit en 1494, ou en 1493.

(F) Il fit sur-le-champ une harangue à François Ier., qui était entré dans son auditoire. ] Minos rapporte ce fait : Panzirole n’en dit rien ; mais, au lieu de cela, il assure que le dauphin, ayant assisté à une leçon d’Alciat, lui fit présent d’une médaille qui valait quatre cents écus. C’était celle que les habitans avaient donnée au dauphin. Je l’ai déjà dit en d’autres rencontres, dès qu’un fait de la nature de celui-ci varie dans les auteurs, ou ne paraît point dans la plupart de ceux qui font l’éloge d’une personne, il mérite de passer pour fort douteux. Cependant, il faut excepter celui-ci de cette règle ; car on trouve parmi les œuvres d’Alciat[33] le discours qu’il fit quand François Ier. assista à une de ses leçons.

(G) Le vrai remède de son humeur inconstante. ] Si j’avais voulu me prévaloir de tout ce que j’ai rencontré dans les auteurs sur les divers déménagemens d’Alciat, j’aurais pu le faire paraître encore plus inconstant qu’il ne l’a été ; mais j’eusse fait conscience de le charger davantage. C’est bien assez que d’Avignon il se soit transporté à Bourges, de Bourges à Pavie, de Pavie à Bologne, de Pologne à Pavie, de Pavie à Ferrare, de Ferrare à Pavie ; et cela avant l’âge de soixante ans, Thevet arrange si mal ce qu’il dit de ce docte jurisconsulte, qu’il n’y a point de lecteur qui n’en infère qu’Alciat retourna en France, après que le duc de Milan l’eut tiré de Bourges. Nous avons vu que Panzirole l’envoie de Pavie à Avignon. M. Moréri l’envoie de Bourges à Orléans, et d’Orléans à Padoue. M. Teissier le fait professeur à Milan [34]. Il cite Pasquier au chapitre XXIX du IXe. livre des Recherches : il fallait citer le chapitre XXXIX ; mais on n’y trouve point Milan. Voici les paroles de Pasquier : J’ouïs 3 ou 4 des leçons d’Alciat dedans la ville de Pavie. De là m’estant transporté en la ville de Bologne, où lisoit Marianus Socinus, neveu de Bartholomæus, tous les escoliers italiens faisoient beaucoup plus de compte de cestui que de l’autre. Voire que ceux qui plaidoient, pour s’asseurer de leurs causes, recherchoient plus le Socin, pour ceste seule considération (disoient-ils) que jamais il n’avoit perdu le temps en l’estude des lettres humaines, comme Alciat. M. Teissier, citant ce passage, dit que Bartélemi Sucin enseignoit la jurisprudence à Bologne, dans le temps qu’Alciat étoit professeur à Milan. Ces deux faits ne se trouvent point dans Pasquier. Si j’avais voulu faire une masse générale de tout cela, quelle girouette n’aurais-je pas fait de notre inconstant professeur ? Mais j’aurais été mille fois plus condamnable que les auteurs de ces mensonges, si je m’en étais prévalu à son préjudice. Il n’ignorait pas qu’on le blâmait de tous ces fréquens changemens d’académie ; il voulut s’en justifier entre autres raisons par celle-ci : c’est que personne ne trouve mauvais que le soleil parcoure toute la terre, afin d’animer toutes choses par sa chaleur, et par ses rayons : il ajoutait, que quand on loue les étoiles fixes, on n’a pas dessein de condamner les planètes [35]. Il y avait une vanité insupportable dans ces sortes de comparaisons : C’était se regarder comme une source de lumière qui devait successivement parcourir toute la république des lettres, afin que par sa présence les ténèbres de la barbarie fussent chassées de tous les endroits où elles voudraient se cantonner. Mais accordons-lui sa comparaison, et disons-lui qu’il devait faire comme le soleil de Copernic : se tenir dans son centre, et illuminer de là tous ceux qui s’en approcheraient. Il y a bien plus de gloire à faire venir où l’on demeure un grand nombre d’écoliers, comme fit le philosophe Abélard [36], qu’à se transporter soi-même dans les villes où se rendent beaucoup d’écoliers. Et, sans doute, si l’amour de la gloire était tout seul dans une âme, s’il n’était mêlé avec l’amour du profit, ou avec une bizarrerie d’humeur qui fait que l’on se dégoûte bientôt des mêmes choses, on ne verrait pas tant de gens frappés de la maladie d’André Alciat. L’idée de la belle gloire inspirerait à un homme la résolution, non pas d’aller chercher les grands théâtres, mais de convertir en un grand théâtre celui où l’on se trouve placé, quelque petit qu’il soit : on se souviendrait de la réponse d’Agésilaüs. On l’avait placé dans un lieu indigne, un jour de cérémonie : Εὖγε, dit-il, δείξω γὰρ ὁτι οὑχ οἱ τόποι τοὺς ἅνδρας, ἐντίμους, αλλ᾽ οἱ ἄνδες τοὺς τόπους ἐπιδεικνύουσι. Benè habet, ostendam enim non loco virum, sed locum viro cohonestari[37]. On verrait dans cette idée qu’il est bien plus beau de faire gratuitement une chose, que de la faire à gages, et qu’ainsi, plus on approche du don gratuit, c’est à dire d’une profession sans gages, plus on s’approche du grand et du beau : au lieu qu’on s’en éloigne pour s’approcher de l’esprit bas et mercenaire, à proportion de l’augmentation de gages que l’on extorque. C’est réduire à la nature des arts les plus mécaniques la profession des sciences. Un cordonnier ou un chapelier qui se fait plus payer de sa besogne qu’un autre, se fait par cela même la réputation d’un habile ouvrier. Quand vous prétendez que, si l’on vous donne une plus grosse pension pour ce que vous direz en chaire, c’est une preuve qu’on vous estime un plus grand prédicateur ou un plus savant professeur, ne jugez-vous pas de votre métier comme l’on juge de celui d’un cordonnier ou d’un chapelier ? Cela est fort propre à décrier les sciences et à faire mépriser ceux qui les professent ; car un faux goût de gloire joint à l’avarice est ordinairement cause du défaut que l’on blâmait dans Alciat : je veux dire de cette passion de faire bientôt tout le tour des académies, de laquelle j’ai déjà parlé en un autre endroit[38]. C’est assûrément mettre son érudition à l’encan, et faire savoir au public qu’on ne se livrera qu’au plus offrant et dernier enchérisseur.

(H) Il ne voulut point renoncer à la profession en droit. ] Il s’en félicite dans une lettre qu’il écrivit à Paul Jove, que le pape Paul III avait longtemps amusé par des promesses trompeuses. Je suis bien aise, dit-il, de ne m’être pas laissé tromper par ce pontife, qui, sous ta promesse d’une grande récompense, m’a voulu attirer à Rome. Là-dessus, il étale les biens solides de sa profession, et les oppose aux espérances imaginaires du cardinalat : Mihi gratulor, quòd ab eo (inveterati astûs sene principe) me decipi non sim passus, quùm me, uti scis, magnis propositis præmiis Ticino, Ferrariâ, atque Bononiâ, in Urbem accerseret. Tum enim ex jure meo magis cautus fui, quàm tu ex sapientiæ præceptis prudens philosophus. Cur enim pro inani aut incertâ spe purpuræ, hos tantos primi suggestûs honores relinquerem, opimis præsertìm firmatos stipendiis ? Cur has tantas contemnerem circumfusæ juventutis salutationes ? et hanc deniquè tot consultoribus januam pulsantibus, existimationem magno lucro, et non obscurâ cum laude quæsitam, ineptè stultèque desererem [39] ? Notez, en passant, que ceci réfute ceux qui disent qu’il refusa le chapeau de cardinal que le pape lui offrait[40]. Ce conte est le fruit de l’hyperbole, la figure favorite d’une infinité de gens. On aurait dit tout ce qu’il y a de vrai dans cette affaire, si l’on s’était contenté de dire que le pape, pour mieux attirer à Rome André Alciat, lui fit entendre que ce serait le moyen de se frayer le chemin du sacré collége. Un tel discours est bien éloigné de l’offre d’un chapeau de cardinal.

(I) Il était non-seulement fort avare, mais aussi un grand mangeur. ] Panzirole s’exprime ainsi : Avarior habitus est, et cibi avidior. Il ajoute qu’Alciat, ayant reçu trois cents écus pour une consulte, et su qu’on en avait donné davantage à Marianus Socin pour la même affaire, s’écria qu’on avait trouvé un meilleur marchand, mais non pas un meilleur jurisconsulte. Prenez ceci en passant pour une confirmation de ce qui a été cité de Pasquier[41]. Nous allons apprendre d’autres nouvelles de l’avarice d’Alciat : « De deux points est-il taxé. L’un, que sa méthode ressentoit je ne sçai quelle ostentation doctorale.... L’autre, que l’avarice lui commandoit tellement, qu’il sembloit que sa langue, plume et doctrine, fussent à gage des seigneurs qui plus lui donnoient d’escus. Et mesme je me souviens qu’aux Parerges, parlant de Jason, il vueille prescher pour l’argent, le prisant de ce qu’à lui ont esté augmentez les gages des docteurs. D’où Alciat bien sceu faire son profit, ayant tiré de l’université de Bourges douze cens escus d’estat, outre ses licences et doctorats, qu’il faisait bien tripler, suivant la trace du docteur Jason, lequel fut le premier qui, pour les degrez et honneurs qu’il donnoit aux jurisconsultes, prenoit cinquante et cent escus, au lieu qu’auparavant lui on avoit accoustumé de passer pour trois ou quatre escus. A cause de ce (dit-il) que lui, Décius, Ruine, et les autres docteurs peuvent s’enrichir de ces gratieusetez, que paient les écoliers sans estre sujets à repréhension. De là il n’est pas mal-aisé de recueillir qu’il se fait fort de Jason contre ceux qui se formalisoient à l’encontre de lui, de ce qu’il estoit tellement tenant à l’argent, que, pour recevoir de lui la dignité de docteur, bachelier ou licentié, il falloit qu’on desgaignast à foison des escus. Ce qui me fait persister davantage en cette opinion est qu’au dernier chapitre du cinquième livre de ses Parerges, reprenant son propos de Jason, il se plaind des princes et seigneurs, qui couchent en si petit estat les doctes et sçavans hommes, au lieu qu’au tems passé, même du tems de Vespasian (au rapport de Tranquille), cet empereur faisoit délivrer de ses deniers publics quinze cens escus aux orateurs et rhétoriciens grecs et latins ; mesmes adjouste-il l’authorité du rhétoricien Euménius, qui exerçoit sa vocation à Authun, auquel, par l’ordonnance des empereurs Diocletian et Maximian, on donnoit d’estat quinze mil escus par an. » Ces paroles sont de Thevet, à la page 279 du VIIe. tome de l’Histoire des Hommes illustres.

(K) Ceux qui disent qu’il passa toute sa vie dans le célibat se trompent. ] Voici comme il parle dans une lettre qu’il écrivit à son ami François Calvus, après s’être retire de Milan à Avignon : Vice versâ, et ego te rerum mearum admoneo ; multis affectum me ærumnis patriâ excessisse, uxorem vivam et sospitem ibi reliquisse ; cæteros fato functos[42], fortunis plerisque amissis, virtuti soli innixum non omninò concidisse. Libros et Bibliothecam onmnem conservâsse. In præsentiâ Jus Civile Avenione profiteor[43]. Corrigeons donc ces paroles de M. Teissier, il passa sa vie dans le célibat[44].

(L) La latinité de Tacite lui paraissait d’une extrême dureté. ] C’est en écrivant à Paul Jove que cette plainte lui échappa : Alciatus non dubitat affirmare dictionem ejus præ illâ Pauli Jovii esse senticeta[45]. Dans une autre rencontre il avait parlé bien autrement : Certat in Tacito sermonis gravitas cum elegantiâ[46]. Je renvoie la discussion de ceci à l’article de Tacite.

(M) Ses Emblèmes ont été fort estimés..... et ornés de divers commentaires. ] Scaliger le père, qui n’était point prodigue de louanges, comme chacun sait, parle ainsi de cet ouvrage : Alciati præter Emblemata nihil mihi videre contigit. Ea verò talia sunt, ut cum quovis ingenio certare possint. Dulcia sunt, pura sunt, elegantia sunt ; sed non sine nervis : sententiæ verò tales, ut etiam ad usus civilis vitæ conferant[47]. Ces Emblèmes ont été traduits en français, en italien et en espagnol[48]. Les versions françaises sont trois pour le moins ; celle de Barthélemi Aneau[* 6], celle de Jean le Fèvre, et celle de Claude Minos [49]. Ce dernier ne se contenta pas de les traduire, il les commenta aussi. Un des plus savans humanistes d’Espagne [50] les a crus dignes d’un commentaire de sa façon. Pignorius, savant Italien, en a fait le même jugement, et, après eux tous, un professeur de Fribourg[51] les a publiés avec leurs notes et avec les siennes, et y a joint à la fin celles de Frédéric Morel. Cette édition est fort bonne, c’est dommage qu’on n’y puisse pas distinguer ce qui appartient à chaque commentateur : elle est de Padoue, en 1661, in-4o. Je ne parle point de Sébastien Stockhamerus, dont le travail n’a pas été fort estimé : Sebastianum Stockhamerum vix Commentatoris nomine dignor, quia in solâ Epigrammatis resolutione occupatur, paucissimis, iisque satis vulgatis sententiis et fabulis additis ; ad hæc vix mediam Emblematum partem hoc suo more explicat[52]. Je ne parle point non plus de ce jésuite qui expliqua publiquement à Paris ces mêmes Emblèmes [53] ; mais je pense qu’on ne sera pas fâché de voir le titre dont Barthélemi Aneau (Bartholomæus Anulus) se servit. Le voici : Les Emblesmes d’André Alciat, traduits vers pour vers jouxte la diction latine, et ordonnez en lieux communs, avec sommaires, inscriptions, schemes, et briefves expositions epimythiques, selon l’allégorie naturelle, morale, ou historiale. Les éditions de cet ouvrage d’Alciat sont innombrables : dans celle de Thuilius, dont je me sers, il y a deux cent douze Emblèmes : ainsi j’ai été surpris que Paul Freher nous assure que ce livre ne contient que cent Emblèmes[* 7][54].

(N) Son écrit des Abus de la Vie Monastique est daté du 7 de juin 1553 ] Si cette date était bonne, il faudrait rejeter tous les auteurs qui mettent la mort d’Alciat au 12 de janvier 1550 ou 1551, et qui allèguent son épitaphe[55]. Mais on s’est trompé en datant cet écrit-là ; et je pense qu’il fut composé avant l’année 1520, et que c’est la même pièce qu’Alciat eut peur qu’Érasme ne fît imprimer ; Quod ut facias te quoque ipse oro : nec minus ut de unguibus Erasmi reglutines Orationem illam meam ad Matthiam Minoritam, cùm id quæso, ne si in cinerariorum istorum manus inciderit, parata sint mihi cum eis æterna bella[56]. C’est ce qu’il écrivit à son ami François Calvus, le 26 de septembre 1520. On a publié à Utrecht, en 1697, quelques lettres du même jurisconsulte qui nous apprennent bien des choses particulières, et surtout les louanges qu’il se donnait avec une vanité de fanfaron.

  1. * Leclerc dit qu’il fallait écrire Mignault : c’est en effet le vrai nom de l’auteur qui traduisit son nom en latin par Minos.
  2. * « Si, dit Joly, Bayle avait su que Mignault traduisit lui-même la vie d’Alciat.…. il aurait pu voir que Mignault a effectivement voulu dire qu’Alciat mit au jour ses Paradoxes douze ans après qu’il eut reçu le bonnet de docteur. » Joly, pour discuter l’âge d’Alciat, s’appuie ensuite sur J. de Nevisan qui parle de cet auteur à du fin du premier livre de sa Sylva nuptialis, mais l’édition de 1519 qu’il cite de ce livre est tout-à-fait inconnue ; la plus ancienne paraît être de 1521. Alciat avait alors vingt-neuf ans.
  3. * Leclerc prouve qu’il y était dès le 5 avril 1521.
  4. * Leclerc prouve encore que, lorsque Alciat quitta l’Italie ou il se trouvait mal, il n’avait d’autre intention que de venir à Avignon, dans l’espoir d’y trouver un poste.
  5. * Leclerc remarque que les écus ne valant alors que deux livres ou francs, la pension n’était d’abord que de 1200 fr.
  6. * La version de le Fèvre est de 1536 ; celle d’Aneau de 1558 ; celle de Mignault, de 1584. C’était dans cet ordre, qu’au jugement de Leclerc il fallait les citer.
  7. * Leclerc remarque que Gesner, qui n’avait vu que l’édition de 1531, faite à Augsbourg, dit qu’elle contenait environ cent Emblèmes ; mais Freher ne cite pas Gesner.
  1. Panzir. de Claris Legum Interpret., lib. II, cap. CLXIX, pag. 353.
  2. Minos, in Vitâ Andreæ Alciati. Ghilini, Lorenzo Crasso, Paul Freher, Bullart, etc., le font sortir d’ancienne noblesse.
  3. Pamir, de Claris Leg. Interpretib., p. 353
  4. Voyez les Commentaires sur les Emblèmes, pag. 612, édit. de Padoue, en 1661, in-4°.
  5. Minos, in Vitâ Alciati.
  6. Tiraq. de Jur. Primigen., pag. 158, cité par Baillet, Enfans célèbres, pag. 126, où vous trouverez aussi cités Ghilini, Theatrum Litterat., pag. 1, et Picinell. Athen. Milan, pag. 26, 28.
  7. Baillet, Enfans célèbres, pag. 126.
  8. Dans les Recherches de Pasquier, liv. IX, chap. XXXIX, pag. 901.
  9. Voyez la préface des Paradoxes, au-devant de l’édition de 1529.
  10. À commencer l’année au mois de janvier.
  11. Epist. Gudii, etc., pag. 76.
  12. Epist. Gudii, etc., pag. 78.
  13. Ibid., pag. 96.
  14. Ibidem.
  15. Ibid., pag. 106.
  16. Il dit, dans la première page de son Calvinisme de Berri, qu’Alciat fit sa première leçon à Bourges, le lundi 19 d’avril 1529.
  17. Panzirol. de Clar. Leg. Interpretibus, lib. II, cap. CLXIX.
  18. Minos, in Vitâ Alciati.
  19. Freheri Viror. illustr. Theatrum. p. 826.
  20. Vossius, Epist. XLVIII, pag. 91, 92. Elle est datée de Leide, le 1er. de juin 1625.
  21. Ces Lettres du Bembe sont aux pages 645 et 654 du Recueil intitulé Lettere di XIII Huomini illustri, imprimé à Venise, en 1560, in-8°. Voyez aussi les XXIXe. et XXXe. Lettres du VIe. livre du Bembe.
  22. Cùm tu nummos aureos solares petieris, illa tibi tantùm aureos est pollicita. Petrus Bembus. Epist. XXIX, lib. VI, pag. 634.
  23. Bembus, Epist. XXX, lib. VI, p. 635.
  24. Nommé Franciscus Calvus.
  25. Epist. Gudii, etc., pag. 79.
  26. Ibidem, pag. 78.
  27. Ghilini, Teatro de’ Letterati, parte I, pag. 11.
  28. Doujat. Prænot, Canon., pag. 619.
  29. Imper. in Musæo Histor., pag. 52.
  30. Forsteri Histor. Juris Civil., lib. III, cap. XLI, pag. 542.
  31. Lucas Gauricus in Schematib., folio 73.
  32. Epist. Gudii, etc., pag. 106.
  33. Au IVe. tome, pag. 870 de l’édition de Francfort, en 1617.
  34. Teissier, Éloges des Hommes illustres, tom. II, pag. 395, édition de Genève, en 1683.
  35. Voyez la Harangue qu’il récita à Ferrare, l’an 1543. Operum tom. IV, pag. 862, et Claude Minos, dans sa Vie.
  36. Voyez la remarque (A) de l’article Foulques.
  37. Plutarch. in Apophth. Laconicis, init., pag. 208.
  38. Dans la remarque (A) de l’article de (François) Accarisi.
  39. Alciat. Epistol. ad Paulum Jovium. Elle est à la tête du Ier. volume des Histoires de Paul Jove, et datée de Pavie, le 7 d’octobre 1549.
  40. Teissier, Élog. tom. II, pag. 394, édition de 1683 ; et tom. I, pag. 34, édit. de 1696.
  41. Au commencement de la remarque (G), après la citation (32).
  42. Il dit néanmoins, dans une lettre écrite l’an 1522, que sa mère et son oncle paternel étaient en vie. Epistola Gudii, etc., pag. 96.
  43. Ibidem, pag. 75.
  44. Teissier, Addit. aux Élog., tom. I, p. 34.
  45. Vossius, de Hist. Lat., lib. I, p. 160.
  46. Vide Canonherii Disc. Politic. in Tacit., pag. 3.
  47. Jul. Cæsar. Scalig. de Poëtic, lib. VI.
  48. Joh. Matthæus Toscan. in Peplo Ital., lib. III.
  49. Voyez la Bibliothéq. de la Croix du Maine.
  50. Sanctius, Brocens.
  51. Joannes Thuilius, Mariæmontanus, Tirol. Phil. et Med. D. atque olim in Archid. Friburg Brisgoiæ Universitate Human. Litter. Professor ordinarius.
  52. Thuilius in Præf. Claude Minos en juge à peu près de même dans sa préface.
  53. Minos, là même.
  54. Paul. Freher. in Theatro.
  55. Voyez la remarque (E).
  56. Epist. Gudii, etc., pag. 80. Voyez aussi pag. 81, 82, et la Préface de M. Burinan.

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