Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aldringer

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ALDRINGER, fameux général d’armée sous l’empereur Ferdinand II, s’était poussé par la seule recommandation de son mérite. Il était du pays de Luxembourg, et d’une naissance tout-à-fait obscure (A). Dès sa première jeunesse, il se mit au service de quelques gentilshommes qui allaient en France : il s’appliqua avec eux à l’étude, et se rendit fort habile. Étant passé en Italie, il devint chancelier du comte Madrucci. Il alla ensuite à Trente, et y eut un emploi honorable dans la chancellerie ; mais la jalousie de ses collègues, et leur conduite, lui causèrent un si grand dépit, qu’il abandonna sa charge, rempli d’un esprit mutin contre la fortune, et résolu de s’attacher à la profession du premier homme qu’il rencontrerait sur son chemin. Il prit la route d’Inspruck ; et comme il rencontra proche du pont un soldat qui s’en retournait en Italie, il prit le parti des armes, et s’enrôla simple soldat. Il devint sergent peu après ; et comme il fit connaître qu’il savait très-bien manier la plume, on l’employa à dresser tous les comptes de la compagnie, et à écrire les réponses que le capitaine avait à faire. Il donna des lumières à ce capitaine, qui lui ouvrirent la porte d’un plus grand emploi. Cet avancement fut cause que le lieutenant de la compagnie devint capitaine, et qu’Aldringer monta à la place de lieutenant. Il se défendit si bien avec cinquante hommes dans un méchant poste, qu’il le conserva malgré les rudes attaques de l’ennemi. Dès lors, la réputation de son courage ne fut pas moins répandue que celle de son habileté : plusieurs colonels lui offrirent une compagnie ; le neveu de l’archevêque de Saltzbourg fut de ce nombre. Il avait besoin, à cause de sa jeunesse, d’avoir un tel homme dans son régiment ; il le rechercha, il l’obtint, et il s’acquit tant de gloire par les bons conseils d’Aldringer, que, pour lui en témoigner sa reconnaissance, il le fit son sergent-major. Aldringer fut ensuite lieutenant colonel, puis colonel ; et il fit tellement paraître qu’il entendait à fond le métier, qu’on le jugea digne de commander en chef à l’expédition de Mantoue [a]. Il joignit fort à propos aux débris de la bataille de Leipsick les troupes qu’il ramena d’Italie [b] ; et peut être que si le comte de Tilli avait attendu à donner bataille que ces troupes fussent arrivées, comme on le lui conseillait, l’événement n’eût pas été si funeste aux Impériaux. Aldringer se sépara de Tilli quelque temps après pour se retirer en Bohème, à cause des défiances que le mauvais état des affaires semait entre les Impériaux et les Bavarois[c] ; mais cette désunion ne dura pas. Il était, dès le mois de mars 1632, avec Tilli sur les bords du Leck, pour en disputer le passage au roi de Suède. Il était alors grand-maître de l’artillerie [d]. La blessure qu’il reçut à la tête ne contribua pas peu à l’avantage que les ennemis eurent de passer cette rivière ; mais elle ne l’empêcha pas de servir la même campagne : il alla joindre en Bohème Wallestein, malgré les efforts que firent les Suédois pour empêcher cette jonction : il fallut bientôt revenir dans la Bavière pour s’opposer aux troupes du général Horn. Les succès varièrent de part et d’autre dans ces quartiers-là tout le reste de l’année et au commencement de la suivante. Le plus glorieux exploit d’Aldringer pendant ce temps-là fut d’avoir contribué, en 1633, à faire lever le siége de la ville de Constance. Il fut joindre ensuite le duc de Feria, qui avait amené d’Italie quelques troupes espagnoles. On a cru que Wallestein avait donné des ordres secrets à Aldringer de rendre inutiles tous les desseins de ce duc (B), et que ce fut la véritable raison et le motif secret pourquoi Aldringer ne voulait jamais consentir à livrer bataille. Il ne faut pas croire néanmoins qu’il entrât dans toutes complots de Wallestein : il n’avait pour lui que certaines complaisances qui, sans ruiner les affaires du maître commun, avançaient beaucoup les intérêts particuliers de ce généralissime. Il y a de semblables intelligences dans presque toutes les armées. Il fut tué l’an 1634, à Landshut, ville de Bavière, et l’on n’a jamais bien su si ce furent ses propres soldats ou les Suédois qui firent ce coup. Il avait été élevé à la dignité de comte[e]. C’était un homme qui avait d’excellentes qualités (C) : c’est dommage qu’elles aient été accompagnées d’une avarice et d’une cruauté excessives (D). Tel est presque toujours le destin de l’homme. Il ressemble à ces terroirs qui produisent pêle-mêle de bonnes herbes et de mauvaises.

  1. En 1630. Tiré du comte Galeazzo Gualdo Priorato, au livre IX de l’Histoire des guerres d’Allemagne.
  2. En 1631.
  3. Priorato, liv. IX, à l’an 1631.
  4. Le Blanc, Histoire de Bavière, tom. IV, pag. 374.
  5. Là même, pag. 436.

(A) Il était d’une naissance tout-à-fait obscure. ] Humili apud Lucenburgicos loco ortus, dit M. de Pufendorf, qui ajoute qu’il fut d’abord laquais de quelques barons français, et ensuite secrétaire[1]. Un autre historien ne lui donne pas une condition si chétive : il le fait d’abord étudier, puis aller à la guerre, puis servir de secrétaire, ensuite reprendre les armes : Luxemburgi tenui sed honesto loco editus primam ætatem litteris dedit[2]. Il le fait boileau[* 1] de son naturel, Ingenio prompto atque acri, et naturâ vini abstinens[3], ce qui était une très-mauvaise et très-nuisible qualité en Allemagne dans un homme de guerre.

(B) On croit que Wallestein lui avait donné des ordres secrets de rendre inutiles les desseins du duc de Féria. ] L’historien de Bavière, que j’ai cité[4], convient que les Suédois ne demandaient pas mieux que de venir à un combat général, quoiqu’ils ne se trouvassent pas si avantageusement postés que les catholiques. Le duc de Féria, poursuit-il, voyant l’occasion belle, fit d’inutiles efforts pour obliger Aldringer à venir aux mains avec l’ennemi ; mais jamais il ne put rien obtenir d’un homme qui était sous la férule de Wallestein ; et les Suédois s’étant retirés comme en triomphe, sur la fin d’octobre, le mauvais procédé d’Aldringer, qui coûta bon à l’union catholique, déplut tant au duc de Féria, que bientôt après il en mourut de douleur. Cet historien avait dit dans la page précédente qu’Aldringer, affidé à Wallestein, n’agissait guère que par ses ordres, et qu’en ce temps-là on publia un écrit qui assurait que tandis que Wallestein mandait à l’empereur qu’il envoyait Aldringer au duc de Bavière pour en disposer entièrement, il lui donnait des ordres secrets de ne le servir que pour la défensive du petit secours qu’il commandait : ce qu’Aldringer n’ayant pas ponctuellement exécuté, Galas lui témoigna, de la part de Wallestein, qu’il ne lui pardonnerait jamais cette désobéissance.

(C) Il avait d’excellentes qualités. ] Il avait l’esprit fort vif et fort pénétrant, beaucoup d’acquis, une intelligence raffinée, un grand courage : il se faisait admirer dans un conseil de guerre par la force de ses raisons, et par la vraisemblance de ses conjectures : c’était d’ailleurs une bonne plume, il savait plusieurs langues, il avait su tirer la quintessence des maximes de divers pays. La politique d’un Espagnol italianisé ne surpassait pas la sienne : Le da lui praticate varie nationi, l’osservate diverse massime, e gli investigati genii e inclinationi di molti popoli, lo resero cosi accorto nelle attioni, che alcuno Spagnuolo Italianato non lo avanzava[5].

(D) Il était d’une avarice et d’une cruauté excessives. ] Il était sans miséricorde pour les peuples, et il exigeait les contributions avec la dernière rigueur : il n’avait nul égard aux nécessités du soldat ; de sorte qu’il n’était aimé, ni des peuples, ni armées. Il fit bien sa main au sac de Mantoue, et il n’y eut point d’officier dans l’armée impériale qui sortît de là avec autant de butin que lui[6]. On a cru que ses propres gens l’avaient tué sur le pont de Landshbut, l’occasion de le faire sans être connu étant fort bonne. Fu colpito e fatto cader morto, non senza sospetto cio divenisse dalla parte de’ suoi, per vendetta d’alcune ingiurie fatte loro, essendo egli per la sua severità piu temuto che amato dalla militia[7].

  1. * Combien de gens, dit Leclerc, ne comprendront pas que cela veut dire, buveur d’eau !
  1. Pufendorf, Rerum Suecicar. lib. VI, pag. 157.
  2. Joh. Cluverius, Epit. Histor., lib. XI, Append.
  3. Id. ibid.
  4. Le Blanc, Hist. de Bavière, tom. IV, p. 424.
  5. Priorato, Histoire des Guerres d’Allemag., liv. IX, pag. 291, édit. in-4°.
  6. Là même.
  7. Là même, pag. 289.

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