Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Bêtes

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Henri Plon (p. 95-96).
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Bêtes. Il y a dans les choses prodigieuses de ce monde beaucoup de bêtes qui figurent avec distinction. Les bêtes ont été longtemps des instruments à présages : les sorciers et les démons ont emprunté leurs formes, et souvent on a brûlé des chats et des chiens dans lesquels on croyait reconnaître un démon caché ou une sorcière.

Dans les campagnes, on effraye encore les enfants avec la menace de la Bête à sept têtes, dont l’imagination varie en tous lieux la laideur. L’opinion de cette bête monstrueuse remonte à la Bête de l’Apocalypse. Selon quelques-uns, les sept têtes sont les sept péchés capitaux. Depuis les troubles des Cévennes, on a aussi effrayé les imaginations par l’image de la Bête du Gévaudan, qui n’est autre chose que la sombre hérésie de cette contrée, laquelle produisait les excès des calvinistes, entés sur les abominations des Albigeois.

Des personnes accoutumées aux visions extraordinaires ont vu quelquefois des spectres de bêtes. On sait la petite anecdote de ce malade à qui son médecin disait : — Amendez-vous, car je viens de voir le diable à votre porte. — Sous quelle forme ? demanda le moribond. — Sous celle d’un âne. — Bon, répliqua le malade, vous avez eu peur de votre ombre.

Des doctes croient encore que les animaux, à qui ils n’accordent point d’âme, peuvent revenir, et on cite des spectres de ce genre.

Meyer, professeur à l’université de Halle, dans son Essai sur les apparitions, § 17, dit que les revenants et les spectres ne sont peut-être que les âmes des bêtes, qui, ne pouvant aller ni dans le ciel ni dans les enfers, restent ici errantes et diversement conformées. Pour que cette opinion eût quelque fondement, il faudrait croire, avec les péripatéticiens, que les bêtes ont une âme quelconque ; ce qui n’est pas facile.

Les pythagoriciens sont allés plus loin ; ils ont cru que par la métempsycose les âmes passaient successivement du corps d’un homme dans celui d’un animal.

Le père Bougeant, de la compagnie de Jésus, dans un petit ouvrage plein d’esprit, l’Amusement philosophique sur le langage des bêtes, adopta par plaisanterie un système assez singulier. Il trouve aux bêtes trop d’esprit et de sentiment pour n’avoir pas un âme ; mais il prétend qu’elles sont animées par les démons les moins coupables, qui font pénitence sous cette enveloppe, en attendant le jugement dernier, époque où ils seront renvoyés en une contrée de l’enfer. Ce système est soutenu de la manière la plus ingénieuse : ce n’était qu’un amusement ; on le prit trop au sérieux. L’auteur fut gravement réfuté, et obligé de désavouer publiquement des opinions qu’il n’avait mises au jour que comme un délassement.

Cependant le père Gaston de Pardies, de la même société de Jésus, avait écrit quelque temps auparavant que les bêtes ont une certaine âme[1], et on ne l’avait pas repris. Mais on pensa qu’auprès de quelques esprits l’ingénieux amusement du père Bougeant pouvait faire naître de fausses idées.

  1. Dans son Discours de la connaissance des bêtes. Paris, 4 e édition, 1696.