Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Cauchemar

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Henri Plon (p. 145-146).
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Cauchemar. On appelle ainsi un embarras dans la poitrine, une oppression et une

difficulté de respirer qui surviennent pendant le sommeil, causent des rêves fatigants, et ne cessent que quand on se réveille. On ne savait pas trop autrefois, et encore au quinzième siècle, ce que c’était que le cauchemar, qu’on appelait aussi alors chauche-poulet. On en fit un monstre ; c’était un moyen prompt de résoudre la difficulté. Les uns imaginaient dans cet accident une sorcière ou un spectre qui pressait le ventre des gens endormis, leur dérobait la parole et la respiration, et les empêchait de crier et de s’éveiller pour demander du secours ; les autres, un démon qui étouffait les gens. Les médecins n’y voyaient guère plus clair. On ne savait d’autre remède pour se garantir du cauchemar que de suspendre une pierre creuse dans l’écurie de sa maison ; et Delrio, embarrassé, crut décider la question en disant que Cauchemar était un suppôt de Belzébuth ; il l’appelle ailleurs incubas morbus.

Dans les guerres de la république française en Italie, on caserna en une église profanée un de nos régiments. Les paysans avaient averti les soldats que la nuit on se sentait presque suffoqué dans ce lieu-là, et que l’on voyait passer un gros chien sur sa poitrine. Les soldats en riaient ; ils se couchèrent après mille plaisanteries. Minuit arrive, tous se sentent oppressés, ne respirent plus et voient, chacun sur son estomac, un chien noir qui disparut enlin, et leur laissa reprendre leurs sens. Ils rapportèrent le fait à leurs officiers, qui vinrent y coucher eux-mêmes la nuit suivante, et furent tourmentés du même fantôme. — Comment expliquer ce fait ? — « Mangez peu, tenez-vous le


ventre libre, ne couchez point sur le dos, et votre cauchemar vous quittera sans grimoire, » dit M. Salgues[1]. Il est certain que dans les pays où l’on ne soupe plus, on a moins de cauchemars.

Bodin conte[2] qu’au pays de Valois, en Picardie, il y avait de son temps une sorte de sorciers et de sorcières qu’on appelait cauchemares, qu’on ne pouvait chasser qu’à force de prières.

  1. M. Salgues, Des erreurs et des préjugés, t. I, p, 332.
  2. Dèmonomanie des sorciers, liv. II, ch. vii.