Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/Preface

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ÉPITRE DÉDICATOIRE


À MESSIEURS


LES REPRÉSENTANS


DE


LA COMMUNE DE RIS.


Messieurs,

Si j’ai le bonheur inappréciable de vous offrir aujourd’hui le fruit de mes travaux, je le dois à l’illustre M. Beauzée dont vous n’avez pas lu la grammaire, parce que personne ne la lit ; à l’illustre M. Beauzée, qui a augmenté en volume les synonymes de l’abbé Girard, auxquels il n’auroit jamais dû toucher ; à l’illustre M. Beauzée enfin qui a enrichi l’Encyclopédie sans méthode d’une infinité d’articles que l’Encyclopédie avec méthode a trouvés très à propos de copier ; ce fut lui, Messieurs, qui, dans mes jeunes ans, me donna le conseil de m’appliquer à l’étude des mots qu’il appelloit l’étude des langues. Je déférai d’abord en jeune homme aux conseils du maître. En vain il chercha à me lier avec M. Chav.… qui, depuis trente ans, soutient qu’Adam parloit bas-Breton ; en vain il me mit dans les mains ces belles dissertations sur les langues Chinoise & Japonoise qui sont si nécessaires pour apprendre la nôtre, ces vocabulaires en langues negres dont M. de la Harpe a si utilement rempli son abrégé de l’Histoire générale des voyages, où l’on reconnoît la touche de l’auteur de Warwick. Je m’écartai du sentier qui m’étoit indiqué pour m’en frayer un nouveau, & je crus surprendre la nature, surprendre son procédé dans la contexture des langues en me livrant à la lecture des Charades, des Logogriphes & des Énigmes. Je fis des progrès, ou du moins je crus en faire, car je bâtissois sur le sable. Un Traité sur l’anagramme que je publiai quelque temps avant la révolution, & qui fut lu avec transport au Musée de Paris où on lit de si belles choses ; ce Traité, dis-je, alloit encore me jetter loin du vrai but, quand les choses changerent de face. Cette révolution fameuse qui vous rend aujourd’hui une des plus célebres de nos quarante-huit mille municipalités ; cette révolution, Messieurs, me ramena sur la bonne route ; je fus vivement frappé de voir notre langue s’enrichir chaque jour d’une foule de mots qui caractérisent un peuple libre. Je m’écriai : Je suis libre aussi, moi ! Alors l’idée d’être utile à la nation fut la seule qui s’empara de mes facultés. Énigmes, Logogriphes, Charades, Anagrammes.… je foulai tout aux pieds, & n’en lus plus que dans les Actes des Apôtres. Ce fut dans un de ces momens d’enthousiasme que je formai le dessein de travailler au Dictionnaire que j’ai l’honneur de vous présenter. J’ai tout sacrifié pour remplir cette tâche comme elle méritoit de l’être. J’ai éloigné de moi l’ambition qui m’appelloit dans les districts où je pouvois prétendre à l’honneur du commissariat. Assez de gens à talens sont capables de remplir ce poste éminent, me suis-je dit ; l’homme de Lettres doit servir l’État dans son cabinet, il y est mieux que dans un comité. Aussi-tôt plus de district ; je me suis sequestré, enterré dans les livres & livré à des recherches pénibles. Enfin, après un long travail d’un mois je suis parvenu à mon but, & j’en suis trop récompensé par l’hommage que je puis vous faire de ce Dictionnaire, qui vous sera de la plus grande utilité si vous n’en faites pas comme de la Grammaire du maître. Au reste, si j’ai cette petite mortification, j’aurai assez de modestie pour l’attribuer à vos importantes occupations, & n’en serai pas moins, avec tout le respect qui est dû à vos Seigneuries Municipes,


Messieurs,


Votre très-humble & très-
obéissant serviteur,


De l’Épithete.