Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Faculté

La bibliothèque libre.
Éd. Garnier - Tome 19
◄  Faction Faculté Faible   ►



FACULTÉ[1].

Toutes les puissances du corps et de l’entendement ne sont-elles pas des facultés, et, qui pis est, des facultés très-ignorées, de franches qualités occultes, à commencer par le mouvement, dont personne n’a découvert l’origine ?

Quand le président de la faculté de médecine, dans le Malade imaginaire, demande à Thomas Diafoirus[2] « quare opium facit dormire », Thomas répond très-pertinemment « quia est in eo virtus dormitiva, cujus est natura sensus assoupire », parce qu’il y a dans l’opium une faculté soporative qui fait dormir. Les plus grands physiciens ne peuvent guère mieux dire.

Le sincère chevalier de Jaucourt avoue, à l’article Sommeil, qu’on ne peut former sur la cause du sommeil que de simples conjectures. Un autre Thomas[3], plus révéré que Diafoirus, n’a pas répondu autrement que ce bachelier de comédie à toutes les questions qu’il propose dans ses volumes immenses.

Il est dit à l’article Faculté du grand Dictionnaire encyclopédique[4] « que la faculté vitale une fois établie dans le principe intelligent qui nous anime, on conçoit aisément que cette faculté, excitée par les impressions que le sensorium vital transmet à la partie du sensorium commun, détermine l’influx alternatif du suc nerveux dans les fibres motrices des organes vitaux, pour faire contracter alternativement ces organes ».

Cela revient précisément à la réponse du jeune médecin Thomas, « quia est in eo virtus alternativa quæ facit alternare ». Et ce Thomas Diafoirus a du moins le mérite d’être plus court.

La faculté de remuer le pied quand on le veut, celle de se ressouvenir du passé, celle d’user de ses cinq sens, toutes nos facultés, en un mot, ne sont-elles pas à la Diafoirus ?

Mais la pensée ! nous disent les gens qui savent le secret ; la pensée, qui distingue l’homme du reste des animaux !

Sanctius his animal, mentisque capacius altæ.

(Ovid., Met., I, 76.)

Cet animal si saint, plein d’un esprit sublime.

Si saint qu’il vous plaira ; c’est ici que Diafoirus triomphe plus que jamais. Tout le monde au fond répond « quia est in eo virtus pensativaquæ facit pensare ». Personne ne saura jamais par quel mystère il pense.

Cette question s’étend donc à tout dans la nature entière. Je ne sais s’il n’y aurait pas dans cet abîme même une preuve de l’existence de l’Être suprême. Il y a un secret dans tous les premiers ressorts de tous les êtres, à commencer par un galet des bords de la mer, et à finir par l’anneau de Saturne et par la voie lactée. Or comment ce secret sans que personne le sût ? il faut bien qu’il y ait un être qui soit au fait.

Des savants, pour éclairer notre ignorance, nous disent qu’il faut faire des systèmes, qu’à la fin nous trouverons le secret ; mais nous avons tant cherché sans rien trouver qu’à la fin on se dégoûte. C’est la philosophie paresseuse, nous crient-ils. — Non, c’est le repos raisonnable de gens qui ont couru en vain ; et après tout, philosophie paresseuse vaut mieux que théologie turbulente et chimères métaphysiques.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, sixième partie, 1771. (B.)
  2. Ce n’est pas Thomas Diafoirus, c’est Argan qui, dans le troisième intermède du Malade imaginaire, est le bachelierus, et fait en cette qualité la réponse que cite Voltaire.
  3. Saint Thomas d’Aquin.
  4. Article de Bouillet père.


Faction

Faculté

Faible