Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Térélas

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Éd. Garnier - Tome 20
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TÉRÉLAS[1].

Térélas ou Ptérélas, ou Ptérélaüs, tout comme vous voudrez, était fils de Taphus ou Taphius. Que m’importe ? dites-vous. Doucement, vous allez voir. Ce Térélas avait un cheveu d’or, auquel était attaché le destin de sa ville de Taphe. Il y avait bien plus, ce cheveu rendait Térélas immortel ; Térélas ne pouvait mourir tant que ce cheveu serait à sa tête ; aussi ne se peignait-il jamais, de peur de le faire tomber. Mais une immortalité qui ne tient qu’à un cheveu n’est pas chose fort assurée.

Amphitryon, général de la république de Thèbes, assiégea Taphe. La fille du roi Térélas devint éperdument amoureuse d’Amphitryon, en le voyant passer près des remparts. Elle alla pendant la nuit couper le cheveu de son père, et en fit présent au général. Taphe fut prise, Térélas fut tué. Quelques savants assurent que ce fut la femme de Térélas qui lui joua ce tour. Ils se fondent sur de grandes autorités : ce serait le sujet d’une dissertation utile. J’avoue que j’aurais quelque penchant pour l’opinion de ces savants : il me semble qu’une femme est d’ordinaire moins timorée qu’une fille.

Même chose advint à Nisus, roi de Mégare. Minos assiégeait cette ville. Scylla, fille de Nisus, devint folle de Minos. Son père, à la vérité, n’avait point de cheveu d’or : mais il en avait un de pourpre, et l’on sait qu’à ce cheveu était attachée la durée de sa vie et de l’empire mégarien. Scylla, pour obliger Minos, coupa ce cheveu fatal, et en fit présent à son amant.

« Toute l’histoire de Minos est vraie, dit le profond Banier[2], et elle est attestée par toute l’antiquité. » Je la crois aussi vraie que celle de Térélas, mais je suis bien embarrassé entre le profond Calmet et le profond Huet. Calmet pense que l’aventure du cheveu de Nisus présenté à Minos, et du cheveu de Térélas, ou Ptérélas, offert à Amphitryon, est visiblement tirée de l’histoire véridique de Samson juge d’Israël. D’un autre côté, Huet le démontreur vous démontre que Minos est visiblement Moïse, puisqu’un de ces noms est visiblement l’anagramme de l’autre en retranchant les lettres n et e.

Mais malgré la démonstration de Huet, je suis entièrement pour le délicat dom Calmet, et pour ceux qui pensent que tout ce qui concerne les cheveux de Térélas et de Nisus doit se rapporter aux cheveux de Samson. La plus convaincante de mes raisons victorieuses est que, sans parler de la famille de Térélas, dont j’ignore la métamorphose, il est certain que Scylla fut changée en alouette, et que son père Nisus fut changé en épervier. Or, Bochart ayant cru qu’un épervier s’appelle neïs en hébreu, j’en conclus que toute l’histoire de Térélas, d’Amphitryon, de Nisus, de Minos, est une copie de l’histoire de Samson.

Je sais qu’il s’est déjà élevé de nos jours une secte abominable, en horreur à Dieu et aux hommes, qui ose prétendre que les fables grecques sont plus anciennes que l’histoire juive ; que les Grecs n’entendirent pas plus parler de Samson que d’Adam, d’Ève, d’Abel, de Caïn, etc., etc ; que ces noms ne sont cités dans aucun auteur grec. Ils disent, comme nous l’avons modestement insinué à l’article Bacchus et à l’article Juifs, que les Grecs n’ont pu rien prendre des Juifs, et que les Juifs ont pu prendre quelque chose des Grecs.

Je réponds, avec le docteur Hayer, le docteur Gauchat, l’ex-jésuite Patouillet, l’ex-jésuite Nonotte, et l’ex-jésuite Paulian, que cette hérésie est la plus damnable opinion qui soit jamais sortie de l’enfer ; qu’elle fut anathématisée autrefois en plein parlement par un réquisitoire, et condamnée au rapport du sieur P..... ; que si on porte l’indulgence jusqu’à tolérer ceux qui débitent ces systèmes affreux, il n’y a plus de sûreté dans le monde, et que certainement l’antechrist va venir, s’il n’est déjà venu.



  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
  2. Mythologie de Banier, livre II, page 151, tome III, édition in-4o. Commentaires littéraires sur Samson, chapitre xvi. (Note de Voltaire.)


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