Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Divinité de Jésus

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Cramer (Tome 1p. 249-250).

DIVINITÉ DE JÉSUS.



Les Sociniens qui sont regardés comme des blasphémateurs ne reconnaissent point la divinité de Jésus-Christ. Ils osent prétendre avec les philosophes de l’antiquité, avec les Juifs, les Mahométans & tant d’autres nations, que l’idée d’un Dieu homme est monstrueuse, que la distance d’un Dieu à l’homme est infinie, & qu’il est impossible que l’Être infini, immense, éternel, ait été contenu dans un corps périssable.

Ils ont la confiance de citer en leur faveur Eusèbe évêque de Césarée, qui, dans son Histoire ecclésiastique, liv. premier, chap. 11., déclare qu’il est absurde que la nature non engendrée, immuable du Dieu tout-puissant, prenne la forme d’un homme. Ils citent les Pères de l’Église Justin & Tertullien qui ont dit la même chose. Justin dans son dialogue avec Triphon, & Tertullien dans son discours contre Praxéas.

Ils citent St. Paul qui n’appelle jamais Jésus-Christ Dieu, & qui l’appelle homme très souvent. Ils poussent l’audace jusqu’au point d’affirmer que les chrétiens passèrent trois siècles entiers à former peu à peu l’apothéose de Jésus, & qu’ils n’élevaient cet étonnant édifice qu’à l’exemple des païens qui avaient divinisé des mortels. D’abord, selon eux, on ne regarda Jésus que comme un homme inspiré de Dieu. Ensuite comme une créature plus parfaite que les autres. On lui donna quelque tems après une place au-dessus des anges, comme le dit St. Paul. Chaque jour ajoutait à sa grandeur. Il devint une émanation de Dieu produite dans le tems. Ce ne fut pas assez ; on le fit naître avant le tems même. Enfin on le fit Dieu consubstantiel à Dieu. Crellius, Voquelsius, Natalis Alexander, Hornebeck, ont appuyé tous ces blasphèmes par des arguments qui étonnent les sages, & qui pervertissent les faibles. Ce fut surtout Fauste Socin qui répandit les semences de cette doctrine dans l’Europe, & sur la fin du seizième siècle il s’en est peu fallu qu’il n’établît une nouvelle espèce de christianisme. Il y en avait déjà eu plus de trois cents espèces.