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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Bretèche

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BRETÈCHE, s. f. Bretesche, bretesce, bertesche, berteiche, bretreske. On désignait ainsi, au moyen âge, un ouvrage de bois à plusieurs étages, crénelé, dont on se servait pour attaquer et défendre les places fortes. Quand il s’agit de l’attaque, la bretèche diffère du beffroi en ce qu’elle est immobile, tandis que le beffroi est mobile (voy. Beffroi). La bretèche se confond souvent avec la bastide ; la dénomination de bretèche paraît être la plus ancienne. On disait, dès le XIe siècle, bretescher pour fortifier, garnir de créneaux de bois, ou de hourds (voy. Hourd).

« La cité (Rouen) esteit close de mur è de fossé.
Franceiz et Alemanz, quant il furent armé,
Ont à cels de Roen un grant assalt doné :
Normanz se desfendirent come vassal prové ;
As berteiches montent et al mur quernelé ;
N’i ont rienz par assalt cil de fors conquesté…[1] »

Ces bretèches étaient souvent des ouvrages de campagne élevés à la hâte.

« De cele part el chief del pont,
Par où la gent vienent è vont,
Aveit à cel tems un fossé
Haut è parfont è réparé ;
Sor li fossé ont heriçun (chevaux de frise),
Et dedenz close une maison ;
Encore unt bertesches levées,
Bien planchies è kernelées…[2]. »

Les bretèches se démontaient et pouvaient être transportées d’un lieu à un autre, suivant les besoins. Guillaume de Normandie, après s’être emparé de Domfront, veut fortifier Ambrières sur la Mayenne.

« E li Dus fist sun gonfanon
Lever è porter el dangon (donjon) :
El chastel a altres miz
Od ki il out Danfront assiz.
Li bertesches en fist porter,
Por li Conte Giffrei grever,
A Anbrieres les fist lever :
Un chastel fist iloec fermer…[3] »

Le duc prétend défendre un château, ou plutôt un poste, au moyen de bretèches qu’il fait charrier de Domfront à Ambrières. Beaucoup plus tard, « le roy d’Angleterre, qui ne pouvoit conquester la ville de Calais fors par famine, fit charpenter un chastel grand et haut de longs mesrins, tant fort et si bien bretesché, qu’on ne l’eust pu grever[4]. »

Quand on voulait défendre une brèche faite par l’assiégeant, on établissait, le plus promptement possible, en dedans de la ville, un pâlis en arrière de cette brèche, et on renforçait ce pâlis d’une ou plusieurs bretèches (voy. Architecture Militaire, fig. 10). Ces ouvrages s’établissaient aussi pour protéger un passage, une tête de pont.

« Et par devant le pont dont je vous ai parlé
Furent faites défences, brestèques ou terré,
A la fin qu’il ne soient souspris ne engingnié.
...............
Quant Englois ont véu jus chéoir une tour,
A l’autre tour s’en sont fui pour le secour ;
Barrières y ont fait à force et à vigour,
S’ont sur arbalestrier et maint bon arc à tour.
La tour fu bretechée noblement tout entour…[5] »

On breteschait des défenses fixes en maçonnerie, soit par des charpentes à demeure, soit par des saillies provisoires en bois qui permettaient de battre le pied de ces défenses, des passages, des portes. Dans ce cas, ce qui distingue la bretèche du hourd, c’est que le hourd est une galerie continue qui couronne une muraille ou une tour, tandis que la bretèche est un appentis isolé, saillant, adossé à l’édifice, fermé de trois côtés, crénelé, couvert et percé de mâchicoulis.

Voici (1) une porte de ville surmontée d’une bretèche[6] posée en temps de guerre et pouvant se démonter. Nous connaissons quelques très-rares exemples encore existants de bretèches à demeure posées au niveau des combles des tours, se combinant avec leurs charpentes, et destinées à flanquer leurs faces ; et, parmi ceux-ci, nous citerons les bretèches de la tour des deniers de Strasbourg, qui sont fort belles et paraissent appartenir aux dernières années du XIVe siècle (2). Ces ouvrages de charpente sont assez saillants sur le nu des faces en maçonnerie pour ouvrir de larges mâchicoulis et des créneaux latéraux ; ceux-ci sont encore garnis de leurs volets. Leurs appuis sont couverts de tuiles en écaille et leurs combles en tuiles creuses hourdées en mortier. Les poinçons ont conservé leur plomberie et leurs épis avec girouettes.

Les bretèches en bois étaient aussi posées sur des édifices civils qui n’étaient pas spécialement affectés à la défense ; telles sont les deux bretèches qui sont encore conservées aux angles du bâtiment de la Douane de Constance (fig. 3), au-dessus de hourds également en bois. Ce bâtiment fut élevé en 1388, et ces ouvrages de charpente datent de la construction primitive ; les bretèches sont posées en diagonale aux angles des hourds, et donnent ainsi, outre les faces diagonales destinées à protéger les angles, deux mâchicoulis triangulaires doublant les mâchicoulis du hourdage. Dès le XIVe siècle, les bretèches ne furent pas seulement des ouvrages d’architecture militaire ;
les maisons de ville étaient garnies, sur la façade du côté de la place publique, d’une bretèche, en bois ou maçonnée, sorte de balcon d’où l’on faisait les criées, où on lisait les actes publics, les proclamations et condamnations judiciaires. On disait bretéquer pour proclamer. On voit encore à l’hôtel de ville d’Arras les restes d’une bretèche couverte qui était posée en encorbellement sur le milieu de la façade. La bretèche de l’hôtel de ville de Luxeuil est encore entière. Cette disposition fut adoptée dans tous les édifices municipaux d’Europe. En Italie, ce sont des loges élevées au-dessus du sol au moyen d’un emmarchement, comme au palais de Sienne, ou des portiques supérieurs, ou des balcons, comme au palais des Doges de Venise. En Allemagne, non-seulement les édifices publics sont garnis de bretèches, mais les palais, les maisons particulières ont presque toujours une bretèche à plusieurs étages, sorte de demi-tourelle saillante posée souvent au-dessus de la porte.
À Nuremberg, à Insbruck, à Augsbourg, à Prague, les maisons des XIVe, XVe et XVIe siècles ont toutes une ou plusieurs bretèches fermées sur leur façade, qui permettent de voir à couvert tout ce qui se passe d’un bout à l’autre de la rue. En France, les bretèches affectent plus particulièrement la forme de tourelles (voy. Tourelles), et sont alors posées de préférence aux angles des habitations. On peut considérer comme de véritables bretèches les petits balcons à deux étages en encorbellement qui flanquent la façade extérieure du château de Blois (aile de François Ier).

  1. Le Roman de Rou, Ire part., vers 4 059 et suiv.
  2. Le Rom. de Rou, IIe part., vers 9444 et suiv.
  3. Le Rom. de Rou, IIe part., vers 9625 et suiv.
  4. Froissart, chap. CXLIV.
  5. Chron. de B. Duguesclin, vers 19525 et suiv.
  6. Man. de Froissart, XVe siècle ; Bib. imp. « Cy parle de la bataille à Meaux en Brye où les Jacques furent desconfitz par le Conte de Foix et le Captal de Beus ; et est le IXxx Ve chapitre. »