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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Carrelage

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CARRELAGE, s, m. Assemblage de carreaux de pierre, de marbre ou de terre cuite. Les Romains couvraient ordinairement l’aire des salles à rez-de-chaussée de mosaïques composées de petits cubes de marbre de diverses couleurs, formant, par leur juxtaposition, des dessins colorés, des ornements et même des sujets. Ils employaient souvent aussi de grandes tables de marbre ou de pierre carrées, oblongues, polygonales et circulaires, pour daller les salles qui devaient recevoir un grand concours de monde ; car la mosaïque ne pouvait durer longtemps sous les pas de la foule. La brique était réservée pour les pavages les plus vulgaires. Pendant les premiers siècles du moyen âge, en France, ces traditions furent conservées ; mais les marbres, dans le Nord, n’étaient pas communs, la façon de la mosaïque dispendieuse ; elle ne fut que rarement employée pour les pavages (voy. Mosaïque) ; on lui préféra les dallages gravés et incrustés de mastics de couleur, ou les terres cuites émaillées. Partout, en effet, on pouvait fabriquer de la brique, et rien n’est plus aisé que de lui donner des tons variés par une couverte cuite au four. Il est vraisemblable que, dès l’époque carlovingienne, les carrelages en briques de couleur étaient en usage ; on pouvait ainsi, à peu de frais, obtenir des pavages présentant à peu près l’aspect des mosaïques. Cependant nous devons dire que nous ne connaissons aucun carrelage de terre cuite antérieur au XIIe siècle ; on n’en doit pas être surpris, quand on observe combien peu durent les émaux dont on revêt cette matière ; promptement usés, les carrelages en terre cuite devaient être souvent remplacés.

Les carrelages les plus anciens que nous connaissions sont ceux que nous avons découverts, il y a quelques années, dans les chapelles absidales de l’église abbatiale de Saint-Denis ; ces carrelages sont du temps de Suger ; ils furent laissés la plupart en place, à cause probablement de leur beauté, lorsque, sous le règne de saint Louis, ces chapelles furent remises à neuf. Ils sont en grande partie composés de très-petits morceaux de terre cuite émaillés en noir, en jaune, en vert foncé et en rouge, coupés en triangles, en carrés, en lozanges, en portion de cercle, en polygones, etc. ; ils forment, par leur assemblage, de véritables mosaïques d’un dessin charmant. Le carrelage de la chapelle de la Vierge, publié dans les Annales archéologiques de M. Didron et dans l’Encyclopédie d’Architecture de M. Bance, celui de la chapelle de saint-Cucuphas, également reproduit dans ce dernier ouvrage et dans les Études sur les carrelages historiés de M. Alfred Ramé, et restaurés aujourd’hui, sont deux très-beaux spécimen des carrelages mosaïques du XIIe siècle. Nous croyons inutile de reproduire ici les ensembles de ces carrelages, et nous nous bornerons à en donner des fragments, afin de faire connaître la méthode suivie par les architectes de ce temps. Ces carrelages se composent généralement de bandes formant des dessins variés, séparées par des bordures étroites. L’influence de la mosaïque antique se fait encore sentir dans ces combinaisons, car chaque carreau porte sa couleur, et c’est par leur assemblage que les dessins sont obtenus. Les briquetiers du XIIe siècle avaient poussé fort loin l’art de mouler ces petits morceaux de terre, et souvent ils composaient des dessins assez compliqués, des ornements même, par l’enchevêtrement de courbes les unes dans les autres.
L’exemple que voici (fig. 1) d’un fragment de carrelage de la chapelle de la Vierge de l’église de Saint-Denis, nous fait voir des bandes formées de cercles noirs et rouges qui se pénètrent,
et des compartiments très-fins composés de morceaux triangulaires, carrés, ou en fuseaux qui n’ont pas plus de 0,03 centimètres de côté[1]. Nous trouvons même dans le carrelage de la chapelle Saint-Cucuphas de l’église de Saint-Denis des fleurs de lis jaune sur fond noir-vert ainsi combinées (2). La fig. 2 bis présente la disposition des morceaux dont est formée cette sorte de mosaïque.
Quelquefois les carreaux sont pénétrés d’une petite pièce de terre cuite d’une autre couleur qui vient s’adapter dans le creux ménagé pour la recevoir (3). Ces exemples sont tirés de la même chapelle, dont tout le carrelage est jaune et noir-vert.

M. Percier nous a laissé, parmi ses précieux croquis faits en 1797 dans l’église de Saint-Denis, quelques-uns de ces carrelages du XIIe siècle dont la composition est si originale. Nous donnons ici (4) l’un des plus beaux ; l’exactitude de ces croquis nous est confirmée par la découverte de carreaux qui, quoique dérangés, coïncident parfaitement avec l’ensemble que nous reproduisons. Dans ce dernier carrelage, beaucoup de morceaux de terre cuite simulent un marbre vert jaspé[2]. Évidemment, les artistes du XIIe siècle, imbus des traditions antiques, cherchaient à rendre l’effet des mosaïques romaines des bas-temps, dont ils possédaient encore de nombreux exemples ; n’ayant pas de marbres à leur disposition, ils les imitaient au moyen de l’émail dont ils revêtaient leurs carreaux.

Nous avons encore trouvé en Allemagne des combinaisons de carreaux de terre cuite de couleur formant des dessins variés par leur silhouette et leur assemblage. Ces carreaux datent des premières années du XIIIe siècle ; il ne faut pas oublier que les arts de l’Allemagne étaient alors en retard d’une cinquantaine d’années sur les arts de la France. Nous pensons qu’il est utile de présenter ici quelques-uns de ces exemples qui, d’ailleurs, appartiennent bien nettement au style du XIIe siècle, et cela d’autant mieux que ces carreaux proviennent des environs de Dresde, et que ces contrées recevaient alors tous leurs arts de l’Occident. Ces fragments (fig. 5 et 5 bis) sont aujourd’hui déposés dans le musée du Grand Jardin, à Dresde, et appartiennent au cloître de Tzelle, situé à vingt-quatre kilomètres de cette ville. Les figures A et B font voir comment ces carreaux sont fabriqués et comment ils s’assemblent ; ils sont noirs et rouges ; les petites pièces C sont seules bordées d’un filet blanc. On remarquera que, dans tous les exemples que nous venons de donner ci-dessus, le noir-vert joue un grand rôle ; c’est là un des traits caractéristiques des carrelages du XIIe siècle, tandis qu’au XIIIe siècle c’est le rouge qui domine.
En règle générale, dans les décorations intérieures, au XIIe siècle, les pavages sont d’un ton très-soutenu et chargé, tandis que les peintures sont claires ; le vert, le jaune, l’ocre rouge et le blanc sont les couleurs qu’elles préfèrent.
Au XIIIe siècle, au contraire, les surfaces horizontales, les pavages sont brillants, clairs, tandis que les peintures des parements sont très-vigoureuses de ton, et il n’est pas rare même, vers la fin du XIIIe siècle et pendant le XIVe, de voir le noir occuper des surfaces importantes dans la décoration des parements verticaux (voy. Peinture).

Mais ce n’est pas seulement par l’harmonie des tons que les carrelages du XIIIe siècle diffèrent de ceux du XIIe, c’est aussi par le mode de fabrication ; en cela, comme en toute chose, le XIIIe siècle rompt franchement avec les traditions ; au lieu de composer les dessins des carrelages au moyen de pièces assemblées de formes variées, il adopta un système de carreaux ordinairement carrés, ornés au moyen d’incrustations de terres de couleurs différentes, rouges sur jaunes, ou jaunes sur rouges. Les carreaux noirs furent employés, le plus souvent alors, comme encadrements ; le noir-vert devint plus rare, pour reparaître au XIVe siècle. Les exemples de carrelages du XIIIe siècle abondent dans nos anciennes églises, dans les châteaux, palais et maisons. Il faut toutefois remarquer ici que le carrelage en terre cuite émaillée n’est guère employé que dans les chœurs, les chapelles, ou les salles qui n’étaient pas faites pour recevoir un grand concours de monde. L’émail s’enlevant assez facilement par le frottement des chaussures, on n’employait pas les carreaux émaillés dans les nefs ou collatéraux, dans les galeries ou grandes salles des châteaux et palais. Si la terre cuite était mise en œuvre dans les lieux très-fréquentés, elle était posée sans émail et alternée souvent avec des dalles de pierre et même des carreaux de marbre. D’ailleurs, il ne faut pas oublier qu’à partir du XIIe siècle le sol des nefs servait de sépulture, et qu’étant ainsi bouleversé sans cesse et recouvert de dalles funéraires, il n’était guère possible d’y maintenir un dessin général composé de petites pièces de terre cuite.

Nous avons dit que le XIIIe siècle avait remplacé le carrelage en terre cuite mosaïque par des carreaux incrustés d’ornements. L’origine de ce mode de fabrication est facile à découvrir : dès l’époque mérovingienne, on cuisait des briques pour pavage, présentant en creux des dessins plus ou moins compliqués ; ces dessins s’obtenaient au moyen d’une estampille appliquée sur la terre encore molle. On retrouve dans l’église de l’ancien prieuré de Laître-sous-Amance, consacré en 1076, des carreaux qui ne sont pas recouverts d’émail, mais simplement estampés en creux. « Ces briques[3] sont carrées ou barlongues ; ces dernières ont 0,09 c. de largeur sur 0,18 c. de longueur. Elles offrent soit des lignes droites qui se coupent de manière à former des carrés, soit des rinceaux enfermés entre deux bandes chargées de hachures. Les briques barlongues formaient des encadrements dans lesquels on rangeait, l’une à côté de l’autre, un certain nombre de briques carrées. »

Nous avons trouvé, dans des fouilles faites à Saint-Denis, quelques carreaux ainsi gravés de cercles et de lozanges recouverts d’un émail tendre, opaque, blanc sale, produit par une légère couche de terre plus fusible que le corps de la brique. Voici une copie, moitié d’exécution, de carreaux ainsi estampillés provenant des fouilles faites sur l’emplacement de l’ancienne église de Sainte-Colombe à Sens, et dont la date paraît fort ancienne (6)[4]. Ils sont composés d’une terre blanc jaunâtre assez résistante, mais sans couverte. Du moment qu’on possédait des carreaux gravés en creux, il était naturel de chercher à remplir cette gravure par une terre d’une autre couleur, et de recouvrir le tout d’un émail transparent ; c’est ce que l’on fit dès le XIIe siècle et peut-être même antérieurement à cette époque ; cette méthode de fabrication devint générale au XIIIe. Par ce procédé, en supposant l’émail enlevé, la terre incrustée ayant une épaisseur de quelques millimètres, le carreau conservait longtemps son dessin. La gravure du carrelage étant remplie, la poussière n’était plus arrêtée par les intailles, et on pouvait maintenir ces carrelages propres en les lavant et les balayant. Posés dans des chapelles ou dans des salles capitulaires, ou des appartements intérieurs dans lesquels on n’entrait qu’avec des chaussures molles et légères, on ne risquait pas de glisser sur leur surface émaillée.

L’un des plus anciens carrelages incrustés connus est celui de l’église de Saint-Pierre-sur-Dive ; il est reproduit avec une scrupuleuse exactitude dans les Annales archéologiques[5]. Le carrelage de Saint-Pierre-sur-Dive (près Caen) se compose d’une grande rosace de carreaux concentriques, coupée par une croix de dalles de pierre, et encadrée de même. Nous partageons complétement l’opinion de M. Alfred Ramé qui, contrairement à celle de M. de Caumont, admet ce mélange de dalles de pierre et de carrelage de terre cuite, comme étant de l’époque primitive, c’est-à-dire de la fin du XIIe siècle. Les irrégularités que l’on observe dans ce carrelage ne prouvent pas qu’il y ait eu remaniement, mais simplement restauration ; nous avons remarqué, d’ailleurs, dans tous les anciens carrelages, des défauts de pose très-fréquents. Cela est facile à expliquer ; les fabriques envoyaient, sur commande, un certain nombre de carreaux cuits depuis longtemps et emmagasinés ; lorsqu’on les mettait en place, à moins de se résoudre à faire une commande partielle et spéciale, et à attendre une nouvelle cuisson, ce qui pouvait retarder l’achèvement du pavage de deux ou trois mois, il fallait se résoudre à employer tels quels les carreaux envoyés par le briquetier ; de là souvent des combinaisons commencées avec un dessin et achevées avec un autre, des carreaux posés pêle-mêle, ou par rangées sans relations entre elles. À Saint-Pierre-sur-Dive, le sujet principal, la rosace centrale, croisée de dalles de pierre, est régulière ; mais le grand encadrement carré qui la cerne n’est composé que de rangs de briques de dessins divers, la plupart de la même époque cependant et fort beaux. D’ailleurs, il faut bien reconnaître que les artistes du moyen âge n’étaient pas pénétrés de ce besoin de symétrie puérile qui fait loi aujourd’hui ; ils étaient guidés par une idée toute opposée : la variété. Rien n’est plus ordinaire que de voir, dans les carrelages anciens, jusqu’à l’époque de la renaissance, de ces mélanges de dessins, de ces divisions inégales de bandes, de bordures, de compartiments.

Le carrelage de Saint-Pierre-sur-Dive est incrusté jaune sur noir-brun ; il est en cela conforme, comme couleur, aux carrelages mosaïques du XIIe siècle, où le noir domine, où le rouge n’est qu’accessoire quand on le rencontre. Le procédé de fabrication du carrelage de Saint-Pierre-sur-Dive mérite d’être mentionné ; il consiste en une couche de terre fine noircie, posée sur une argile rouge grossière, estampée, incrustée d’une terre jaunâtre et couverte d’un émail transparent ; le dessin de ces carreaux est noir sur jaune, ou jaune sur noir. La terre blanc-jaunâtre pénètre à travers l’engobe brune et vient s’incruster jusque dans l’argile rouge, ainsi que l’indique la coupe (fig. 7) ; l’émail, étant safrané, donne un éclat d’or à la terre blanche.

Nous présentons (Fig. 8) une portion de la rosace en terre cuite émaillée de Saint-Pierre-sur-Dive, qui est certainement une des belles compositions de ce genre. Les carreaux qui forment cette rosace excèdent les dimensions ordinaires ; quelques-uns ont 0,18 c. de côté, ceux octogones des écoinçons ont jusqu’à 0,23 c.

On voit encore, dans la chapelle Saint-Michel de l’ancienne collégiale de Saint-Quentin, un carrelage de la fin du XIIe siècle, composé également de bandes de pierre encadrant des briques de couleur brun foncé. De même à Saint-Denis, si nous en croyons les croquis de M. Percier, quelques carrelages des chapelles présentaient des encadrements de pierres unies. Ce système paraît donc avoir été adopté au XIIe siècle, tandis qu’au XIIIe siècle les deux matières ne se trouvent plus réunies, le carrelage de terre cuite couvre sans mélanges les salles pour le pavage desquelles il est réservé, et les dalles ne viennent plus s’y mêler.

Ainsi que nous l’avons dit déjà, le rouge domine dans les carrelages du XIIIe siècle ; c’est qu’aussi le procédé de fabrication change, et se simplifie. Il est à remarquer que, dans tous les arts et industries qui se rattachent à l’architecture, le XIIe siècle a, sur le XIIIe, une grande supériorité d’exécution ; les vitraux, les peintures, les sculptures, dallages incrustés et carrelages du XIIe siècle, et nous dirons même la construction des édifices, dénotent un soin et une recherche que le XIIIe siècle, préoccupé de ses grandes conceptions, abandonne bientôt. Le procédé de fabrication des carrelages du XIIe siècle, soit qu’ils fussent composés de pièces enchevêtrées, soit qu’ils fussent incrustés, exigeait beaucoup de temps, un grand nombre d’opérations successives, une main-d’œuvre lente. Au XIIIe siècle, on se contente de la brique rouge estampée, incrustée d’une terre blanc-jaune, et couverte d’un émail transparent. Quelquefois la terre blanche fait le fond, plus fréquemment elle fait le dessin ; dans l’un comme dans l’autre cas, le procédé de fabrication est le même. Les carreaux noirs, pour être incrustés comme ceux de Saint-Pierre-sur-Dive, exigeaient cinq opérations successives, sans la cuisson : 1o le moulage de la brique ; 2o une première couverte d’une terre fine, noircie par un oxyde métallique ; 3o l’estampage du dessin en creux ; 4o le remplissage du creux par une terre blanche, le battage ; 5o l’émaillage. Les carreaux rouges incrustés de blanc n’en exigeaient que quatre : 1o le moulage de la brique ; 2o l’estampage ; 3o le remplissage du creux, le battage ; 4o l’émaillage. Aussi, pendant le XIIIe siècle, les carreaux noirs sont généralement unis et ne sont employés que comme encadrements. L’émail des carrelages du XIIIe siècle est toujours, comme celui du XIIe, coloré en jaune ; il contribue à donner ainsi de l’éclat au blanc et au rouge.

Les carreaux de brique rouge carrée incrustée, si fort en vogue au XIIIe siècle, forment des dessins isolés ou par quatre. Il n’est pas besoin de démontrer comment ce système permettait de trouver des combinaisons, de dessins à l’infini.

Voici des carreaux incrustés et émaillés provenant du château de Coucy, façonnés d’après cette donnée. La fig. 9 présente deux carreaux dont le dessin est isolé ; l’un d’eux est un écusson armoyé.
Les fig. 10 et 11 donnent chacune un assemblage de quatre carreaux complétant un dessin circulaire[6].
La fabrication de ces carreaux est grossière ; nous sommes ici bien éloignés de la finesse et de la pureté des carreaux de Saint-Pierre-sur-Dive. Mais cependant, en simplifiant l’exécution pour obtenir des produits plus nombreux et moins longs à fabriquer, le XIIIe siècle sut faire d’admirables carrelages, et nous citerons entre autres ceux des chapelles de la cathédrale de Laon, dont nous figurons ici (fig. 12 et 13) quelques échantillons,
et le beau pavé de la salle du trésor de l’ancienne cathédrale de Saint-Omer, reproduit en entier dans les Annales archéologiques de M. Didron[7]. Ce dernier carrelage, qui date de la fin du XIIIe siècle, présente une suite de compartiments de seize carreaux rouges incrustés de jaune avec encadrements noirs unis. Les compartiments sont posés sur la diagonale, et les carreaux ont environ 0,12 c. de côté. De deux en deux, les compartiments offrent un mélange de carreaux noirs et blancs, à dessins mosaïques très-fins, qui jettent de l’éclat au milieu de cette riche composition. Les carreaux rouges et jaunes sont variés à chaque compartiment, et leurs dessins se combinent par quatre ou sont complets dans chaque brique.

Au XIIIe siècle, les dessins des carrelages incrustés sont encore larges, simples comme disposition générale ; ils deviennent plus confus et plus maigres pendant le XIVe siècle. Une difficulté de nature à embarrasser les archéologues, lorsqu’il s’agit de reconnaître l’époque des carrelages, se présente fréquemment à partir du XIIIe siècle. Les briquetiers, qui possédaient dans leurs ateliers ces matrices en bois propres à imprimer les dessins destinés à orner les carreaux, s’en servirent longtemps après que ces estampilles avaient été gravées, et souvent des carrelages furent fabriqués au XIVe siècle avec des matrices faites pendant le XIIIe ; cela explique comment on retrouve, dans des carrelages posés évidemment à une certaine époque, des échantillons de carreaux beaucoup plus anciens que les édifices auxquels ils appartiennent. Comme principe décoratif, les carrelages ne se modifient guère du XIIIe au XVe siècle ; leur dessin s’amaigrit de plus en plus ; à la fin du XIVe siècle, on introduit à profusion dans les carrelages des chiffres, des inscriptions, des armoiries, quelquefois même de petites scènes ; on voit apparaître les tons verts, bleu clair ; le noir devient plus rare.

Voici (fig. 14 et 15) deux portions de carrelages de cette époque qui proviennent des fouilles exécutées en 1840 dans les jardins de l’hôtel des Archives à Paris (ancien hôtel Soubise), et dont les dessins rouges sur jaunes sont exécutés avec une rare perfection. Des fragments d’une bordure bleue et blanche furent découverts en même temps.

Les carrelages des XIVe et XVe siècles abondent ; les villes de la Champagne, de la Brie, de la Bourgogne en sont encore remplies, et les ouvrages spéciaux sur cette matière, nous en présenteront des exemples assez nombreux pour que nous nous dispensions de les reproduire ici.

Pendant le XVIe siècle, le carrelage en brique incrustée se rencontre encore, et nous en trouvons de beaux spécimen dans la ville de Troyes (fig. 16)[8].
Mais alors apparaissent les carrelages en faïence peints, dans lesquels les tons blancs, bleus, jaunes et verts dominent. Tout le monde connaît les carrelages des châteaux d’Écouen, de Blois, de l’église de Brou ; nous en citerons un toutefois qui surpasse tous ceux que nous avons vus de cette époque ; c’est le carrelage en faïence de la chapelle située au nord de la nef de la cathédrale de Langres. Il est difficile de rencontrer une décoration de pavage à la fois plus riche, mieux composée et plus harmonieuse de tons.

On ne se contenta pas, pendant le moyen âge, de faire des carreaux mosaïques ou incrustés de terres de couleurs différentes, on en fabriqua aussi avec des dessins en relief. Ces sortes de carrelages ne pouvaient s’exécuter qu’avec des terres très-dures, autrement les dessins eussent été promptement usés par les chaussures. Ces dessins en relief avaient l’avantage d’empêcher de glisser sur la surface du carrelage ; mais il devait être difficile de le maintenir en bon état de propreté, la poussière se trouvant arrêtée par les aspérités des dessins.

Nous possédons un échantillon de carreaux fabriqués suivant ce système et qui nous paraissent appartenir au XVe siècle[9]. La fig. 17 en donne le dessin ; les saillies n’ont pas plus de deux millimètres ; la terre en est fort compacte, bien battue et bien cuite.

Les carrelages en faïence furent encore employés en France pendant le XVIIe siècle, et l’usage s’en est perpétué en Italie, en Espagne, en Afrique et en Orient jusqu’à nos jours. Chez nous, on ne les emploie plus guère que pour carreler des fourneaux de cuisine, et, dans le midi, des salles de bain ou des offices[10].

  1. Nous avons rendu les tons noir ou vert sombre par du noir, le rouge par des hachures, et le jaune par le blanc. Le rouge est couleur brique, le jaune est d’un ton d’ocre clair fort doux.
  2. Ces morceaux sont rendus dans la gravure par un travail irrégulier.
  3. Voir l’Essai sur le pavage des églises antér. au XVe siècle, par M. Deschamps du Pas (Annales archéol., t. X). Bullet. monum. de M. de Caumont, 1848, p. 742.
  4. Le monastère de Sainte-Colombe, fondé en 630 par Clotaire II, est situé à deux kilomètres de Sens, ces briques nous paraissent appartenir à ces premières constructions.
  5. Annales archéol., pub. par M. Didron aîné, t. XII, p. 281. M. Alfred Ramé fait paraître en ce moment un ouvrage spécial sur les carrelages émaillés (voy. Étud. sur les carrelages historiés du XIIe au XVIIe siècle). Cet ouvrage, accompagné de nombreuses planches exécutées avec le plus grand soin, ne saurait trop être recommandé. C’est une étude complète de cette partie importante de la décoration des édifices au moyen âge. Un de nos jeunes architectes, M. Amé, fait également paraître un volume contenant les plus beaux carrelages des provinces de la Bourgogne et de la Champagne.
  6. Ces carreaux, aujourd’hui déposés dans l’ancienne abbaye de Prémontré, ont 0,12 c. de côté ; ils nous ont été donnés par M. de Violaine. Ils servaient certainement de pavage aux salles du château de Coucy, qui datent de la première moitié du XIIIe siècle.
  7. Voy. Annales archéol., pub. par M. Didron aîné, t. XI, p. 65. Nous renvoyons nos lecteurs aux belles planches de ce recueil ; elles donnent l’ensemble de ce carrelage.
  8. De l’église de Saint-Nicolas à Troyes. Ce carrelage, qui se compose de briques circulaires enfermées dans d’autres briques carrées entaillées en quart de cercle, représente le monogramme du Christ entouré de la couronne d’épines. La date de 1552 est incrustée au-dessous du monogramme.
  9. Ces carreaux nous ont été donnés par M. Mallay, architecte du Puy-de-Dôme ; ils proviennent de Riom.
  10. Quelques fabricants briquetiers ont fait renaître l’art du carreleur émailleur avec succès. Nous citerons, entre autres fabriques, celles de M. Dubois à Paris, qui a fourni les carrelages neufs de l’église de Saint-Denis, restaurés sur les fragments anciens ; celle de M. Millard à Troyes, dont les produits sont beaux ; la fabrique de terres cuites émaillées de Langeais. Nous renvoyons nos lecteurs, pour de plus amples renseignements sur cet article spécial, à l’ouvrage de M. Alfred Ramé cité ci-dessus.