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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Chaire à prêcher

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> Chaire (siège épiscopal)
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CHAIRE à prêcher, s. f. Pupitre. Sorte de petite tribune élevée au-dessus du sol des églises, des cloîtres ou des réfectoires de monastères, destinée à recevoir un lecteur ou prédicateur. Dans les églises primitives, il n’y avait pas, à proprement parler, de chaires à prêcher, mais deux ambons ou pupitres placés des deux côtés du chœur pour lire l’épître et l’Évangile aux fidèles. On voit encore cette disposition conservée dans la petite basilique de Saint-Clément à Rome et dans celle de Saint-Laurent hors les murs. Dès le XIIe siècle, cependant, il paraîtrait qu’outre les ambons destinés à la lecture de l’épître et de l’Évangile, on avait aussi parfois, dans l’église, un pupitre destiné à la prédication.

Guillaume Durand, dans son Rational, s’exprime ainsi à l’égard du pupitre[1] : « Le pupitre placé dans l’église, c’est la vie des hommes parfaits, et on l’appelle ainsi pour signifier en quelque sorte un pupitre public ou placé dans un lieu public et exposé aux regards de tous. En effet, nous lisons ces mots dans les Paralipomènes : « Salomon fit une tribune d’airain, la plaça au milieu du temple, et, se tenant debout dessus et étendant la main, il parlait au peuple de Dieu. » Esdras fit aussi un degré de bois pour y parler, et lorsqu’il y montait, il était élevé au-dessus de tout le peuple… On donne encore à ce pupitre le nom d’analogium, parce qu’on y lit et qu’on y annonce la parole de Dieu… On l’appelle aussi ambon, de ambiendo, entourer, parce qu’il entoure comme d’une ceinture celui qui y monte. »

Mais le plus souvent c’était sur une estrade mobile que se tenait le prédicateur lorsqu’une circonstance voulait que l’on exhortât les fidèles réunis dans une église ou dans le préau d’un cloître.

Les églises italiennes ont conservé des chaires à prêcher d’une époque assez ancienne, des XIIIe et XIVe siècles ; elles sont en pierre, ou plutôt en marbre, ou en bronze. Celle de la cathédrale de Sienne, qui date du XIIIe siècle[2] est fort belle ; elle est portée sur des colonnes posées sur des lions, et son garde-corps est orné de bas-reliefs représentant la Nativité. À Saint-Marc de Venise, les ambons placés à droite et à gauche des jubés affectent la forme de chaires à prêcher et sont composés de marbres précieux, de porphyre et de jaspe. On voit également, dans l’église San-Miniato de Florence, dans la chapelle royale de Palerme, des pupitres pouvant servir de chaires, placés à la gauche de l’autel, à l’entrée du chœur.

Mais en France, aucune de nos anciennes églises n’a conservé, que nous sachions, de chaires à prêcher, ou pupitres pouvant en tenir lieu, antérieurs au XVe siècle. L’usage, à partir du XIIe siècle surtout, était, dans nos églises du Nord, de disposer à l’entrée des chœurs des jubés, sur lesquels on montait pour lire l’épître et l’Évangile et pour exhorter les fidèles, s’il y avait lieu (voy. Jubé). Toutefois ces prédications, avant l’institution des frères prêcheurs, ne se faisaient qu’accidentellement. Jacques de Vitry, écrivain du XIIIe siècle, dit « que Pierre, chantre de Paris, voulant faire connaître les talents extraordinaires de Foulques, son disciple, le fit prêcher en sa présence et devant plusieurs habiles gens dans l’église de Saint-Severin ; et que Dieu donna une telle bénédiction à ses sermons, quoiqu’ils fussent d’un style fort simple, que même tous les sçavans de Paris s’excitoient les uns les autres à venir entendre le prêtre Foulques, qui preschoit, disoient-ils, comme un second saint Paul. Ces faits sont d’environ l’an 1180…[3] » Il est probable que, dans ces cas particuliers, les prédicateurs se plaçaient dans une chaire mobile disposée en quelque lieu de l’église pour la circonstance. La chaire n’était alors, ainsi que l’indique la fig. 1[4], qu’une petite estrade en bois fermée de trois côtés par un garde-corps recouvert sur le devant d’un tapis.

Mais, au XIIIe siècle, quand les ordres prêcheurs se furent établis pour combattre l’hérésie et expliquer au peuple les vérités du christianisme, la prédication devint un besoin auquel les dispositions architectoniques des édifices religieux durent obéir. Pour remplir exactement ces conditions, les dominicains, les jacobins entre autres, bâtirent des églises à deux nefs, l’une étant réservée pour le chœur des religieux et le service divin, l’autre pour la prédication (voy. Architecture Monastique, fig. 24 et 24 bis). Alors les chaires devinrent fixes et entrèrent dans la construction. Elles formaient comme un balcon saillant à l’intérieur de l’église, porté en encorbellement, accompagné d’une niche prise aux dépens du mur, et ordinairement éclairée par de petites fenêtres ; on y montait par un escalier pratiqué dans l’épaisseur de la construction. La nef sud de la grande église du couvent des jacobins de Toulouse possédait, à son extrémité occidentale, une chaire de ce genre à laquelle on montait par un escalier s’ouvrant en dehors de l’église dans le petit cloître ; nous en avons vu encore les traces, quoique la saillie du cul-de-lampe eût été coupée et la niche bouchée. C’est ainsi qu’étaient disposées les chaires des réfectoires des monastères, destinées à contenir le lecteur pendant les repas des religieux. L’une des plus anciennes et des plus belles chaires de réfectoire qui nous soient conservées est celle de l’abbaye Saint-Martin-des-Champs ; nous en donnons ici (2) le plan, (2 bis) la coupe, et (3) l’élévation perspective.

On remarquera la disposition ingénieuse de l’escalier montant à cette chaire : pratiqué dans l’épaisseur du mur, il n’est clos du côté de l’intérieur que par une claire-voie ; mais pour éviter que la charge du mur au-dessus n’écrasât cette claire-voie, le constructeur a posé un arc de décharge A qui vient la soulager, et, afin que cet arc ne poussât pas à son arrivée en B, les deux premiers pieds-droits C C de la claire-voie ont été inclinés de façon à opposer une butée à cette poussée. Aujourd’hui on trouverait étrange qu’un architecte se permit une pareille hardiesse ; incliner des pieds-droits ! On lui demanderait d’user d’artifices pour obtenir ce résultat de butée sans le rendre apparent ; au commencement du XIIIe siècle, on n’y mettait pas autrement de finesses.

Sauval cite la chaire du réfectoire de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, bâti par Pierre de Montereau, comme un chef-d’œuvre en ce genre. Elle était, dit-il, « portée sur un gros cul-de-lampe, chargé d’un grand cep de vigne coupé et fouillé avec une patience incroyable[5]. » Lebeuf parle aussi de la chaire du réfectoire de Saint-Maur-des-Fossés, comme étant remarquable et « revêtue de dix images ou petites statues de saints d’un travail antique, mais grossier[6]. » Les exemples de ces chaires de réfectoires ne sont pas rares ; elles sont toujours disposées à peu près comme celle représentée fig. 2 et 3.

En 1109, un morceau considérable de la vraie croix fut rapporté de Jérusalem à Paris par la voie de terre, en traversant la Grèce, la Hongrie, l’Allemagne et la Champagne. Il fut provisoirement déposé à Fontenet-sous-Louvre, puis transporté en grande pompe à Saint-Cloud pour y être gardé jusqu’au premier d’août, jour désigné pour sa réception solennelle dans la cathédrale de Paris. Il y eut une grande affluence de peuple dans la plaine de Saint-Denis pendant la translation de cette précieuse relique de Fontenet à Saint-Cloud, pour la voir passer. Depuis lors, tous les ans, le second mercredi du mois de juin, le morceau de la vraie croix était rapporté dans la plaine située entre la Chapelle, Aubervilliers et Saint-Denis, afin d’être exposé à la vénération des fidèles, trop nombreux pour pouvoir être reçus dans la cathédrale.

« Au sortir de Notre-Dame, dit l’abbé Lebeuf[7], on passoit au cimetière de Champeaux, dit depuis des Innocens. Après une pause faite en ce lieu, et employée à quelques prières pour les morts, l’évêque commençoit la récitation du Pseautier qui étoit continuée jusqu’au lieu indiqué (ci-dessus) usque ad indictum. Là, après une antienne de la croix, l’évêque ou une autre personne en son nom, étant au haut d’une tribune dressée exprès, faisoit un sermon au peuple : après quoi le même prélat, aidé de l’archidiacre, donnoit la bénédiction à toute la multitude avec la croix apportée de Paris, se tournant d’abord à l’orient d’où cette relique est venue, puis au midi vers Paris, ensuite au couchant, et enfin au septentrion du côté de Saint-Denis… »

Cet exemple de prédication en plein air n’est pas le seul. Saint Bernard prêcha, monté sur une estrade, du haut de la colline de Vézelay, devant l’armée des croisés rassemblés dans la vallée d’Asquin, en présence de Louis le Jeune. La chaire du prédicateur n’était alors qu’une petite plate-forme sans garde-corps ; car, au milieu d’un vaste espace, en plein air, le prédicateur devait être vu en pied ; sa posture dans une boîte semblable à nos chaires eût été ridicule[8].

Les prédications en plein air étaient fréquentes au moyen âge et jusqu’au moment de la réformation. Les prédicateurs se retirèrent sous les voûtes des églises quand ils purent craindre de trouver parmi la foule assemblée des contradicteurs. Ceux qui se seraient permis de provoquer un scandale au milieu d’un champ ou sur une place publique, n’osaient et ne pouvaient le faire dans l’enceinte d’une église.

Nous trouvons encore des chaires élevées dans les cloîtres et cimetières pendant les XIVe et XVe siècles, et même sur la voie publique tenant à l’église. Le cloître de la cathédrale de Saint-Dié en contient une en pierre, placée vers le commencement du XVIe siècle, et que nous donnons figure 4. Ce petit monument est recouvert par un auvent également en pierre, destiné à garantir le prédicateur contre les ardeurs du soleil et surtout à rabattre la voix sur l’assistance : car, pour les chaires élevées en plein air ou dans les églises, on sentit bientôt la nécessité de suspendre au-dessus du prédicateur un plafond pour empêcher la voix de se perdre dans l’espace ; cet appendice de la chaire prit le nom d’abat-voix.

À l’un des angles de l’église Saint-Lô, sur la rue, on trouve encore une de ces chaires extérieures en pierre, dont la porte communique avec un escalier intérieur, et qui est recouverte d’un riche abat-voix terminé en pyramide[9]. Cette chaire date de la fin du XVe siècle. Mais c’est particulièrement pendant le XVIe siècle et au moment de la réformation que l’on établit des chaires dans la plupart des églises françaises. La prédication était, à cette époque, un des moyens de combattre l’hérésie avec ses propres armes ; on plaça les chaires dans les nefs (ce qui ne s’était pas fait jusqu’alors), afin que le prédicateur se trouvât au milieu de l’assistance. Les cathédrales de Strasbourg et de Besançon ont conservé des chaires en pierre de cette époque ; celle de Strasbourg particulièrement est d’une excessive richesse et du travail le plus précieux. Son abat-voix est couronné par une pyramide chargée de détails et découpures infinies ; ce monument est d’ailleurs, comme composition et ornementation, d’un assez mauvais goût, se rapprochant du style adopté en Allemagne à la fin de l’ère ogivale. Bientôt on cessa de faire des chaires en marbre ou en pierre ; on se contenta de les établir en bois, en les adossant et les accrochant même parfois aux piliers.

Nous ne saurions donner à nos lecteurs des chaires dont la construction remonterait aux XIIIe et XIVe siècles, par la raison qu’il n’y en avait point alors dans les églises se rapprochant de la forme adoptée depuis le XVIe siècle. Ce meuble est cependant aujourd’hui indispensable, et si les architectes des XIIe et XIIIe siècles eussent dû exécuter des chaires, ils leur auraient certainement donné des formes parfaitement en harmonie avec leur destination et les matériaux employés, marbre, pierre, métal ou bois. En l’absence de tout document, nous croyons devoir nous abstenir, laissant à chacun le soin de satisfaire à ce nouveau programme.

  1. Rational ou Manuel des divins offices, par Guill. Durand, évêque de Mende, chap. Ier, parag. XXXIII. XIIIe siècle. Trad. Barthélemy.
  2. L’escalier est du XVIe siècle. Cette chaire est placée dans le chœur et non dans la nef.
  3. Hist. de la ville et du diocèse de Paris, par l’abbé Lebeuf, t. I, p. 160.
  4. Le Miroir historial. Manusc. de la Bib. imp., no 6731. XVe siècle. Prédic. de saint Paul.
  5. Hist. de Paris, Sauval, t. I, p. 341.
  6. Hist. de la ville et du diocèse de Paris, par l’abbé Lebeuf, t. V, p.154. Ce réfectoire datait du XIVe siècle.
  7. Hist. de la ville et du diocèse de Paris, t. III, p. 253.
  8. En Italie, certaines prédications en plein air se font encore sur des estrades ; les gestes et la pose de l’orateur produisent alors un grand effet, pour peu qu’il soit doué de quelque talent.
  9. Ce monument est reproduit dans le grand ouvrage de MM. Taylor et Nodier, France pittoresque.