Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Claveau

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citerneau était rempli de gravier et de charbon. On tirait l’eau de la citerne par un orifice percé dans la voûte, garni d’une margelle et d’une manivelle munie de seaux. Les citernes possèdent toujours un canal de trop plein et quelquefois un canal de vidange. Nous avons remarqué que, dans les citernes du moyen âge, le canal de trop plein est placé de façon à ce que le niveau de l’eau ne dépasse pas la naissance des voûtes.

CLAVEAU, s. m. Nom que l’on donne aux pierres taillées en forme de coin qui composent un arc ou une plate-bande appareillée et qui se trouvent comprises entre le sommier et la clef. Les constructeurs du moyen âge n’ayant employé la plate-bande appareillée qu’exceptionnellement, nous nous occuperons d’abord des claveaux d’arcs. En règle générale, la coupe d’un claveau est toujours normale à la courbe de l’arc ; en d’autres termes, la coupe du claveau doit être faite suivant la direction du rayon de l’arc (voy. Construction). Les claveaux, dans l’architecture du moyen âge, étant toujours intradossés et extradossés, sauf de très-rares exceptions, il en résulte que les claveaux d’un même arc sont tous de même forme et de même dimension, ainsi que le démontre la fig. 1. A sont les sommiers, B la clef et C les claveaux.

Pendant les premiers siècles du moyen âge, en France, on rencontre souvent des claveaux de pierre alternés dans les arcs avec des briques. C’était là un reste des traditions de la construction romaine des bas-temps. Les fenêtres de la Basse-œuvre de Beauvais, dont la construction remonte probablement au VIIIe siècle, ont leurs arcs ainsi composés de claveaux de pierre séparés par une ou deux briques (2).
On obtenait ainsi une décoration à peu de frais. Un rang de briques extradossait l’arc. Les claveaux des arcs reçoivent souvent des moulures à dater du XIIe siècle ; jusqu’à cette époque, ils sont généralement taillés à vives arêtes, ou parfois en demi-cylindres (voy. Arc). Les membres de l’architecture romane à son déclin sont très-chargés d’ornements ; non-seulement les chapiteaux, les frises en sont couverts, mais encore les colonnes et les archivoltes qu’elles supportent. Les ornements les plus ordinairement sculptés sur les archivoltes, pendant le XIIe siècle, sont des billettes, des dents de scie, des damiers, des besans, des zigzags, des méandres, des entrelacs, etc. Ces ornements sont toujours compris dans la hauteur de chaque claveau, afin de pouvoir les sculpter avant la pose, et de les raccorder bout à bout, en formant ainsi une décoration continue. Cette règle est suivie d’une manière si absolue, que, lorsque dans un même archivolte les claveaux sont inégaux d’épaisseur, l’ornement se conforme à la dimension de chaque pierre, quitte à déranger ainsi la symétrie de la décoration.

La fig. 3 explique ce que nous disons ici.

Quelquefois, vers la fin du XIIe siècle, les claveaux des arcs moulurés sont, de deux en deux, chargés d’un ornement. Cette disposition est fréquente dans les monuments de l’Auvergne.


Ainsi, les arcs ogives du porche sud de la cathédrale du Puy-en-Velay (4), qui datent du milieu du XIIe siècle, se composent de claveaux alternativement moulurés et sculptés. La porte sud de l’église d’Ennezat, près de Riom, d’une époque plus récente (commencement du XIIIe siècle), présente, dans son archivolte, une disposition analogue (5). Dans cette province, le midi de la France, et en Bourgogne même, lorsque la nature des matériaux le permet, les claveaux des arcs sont taillés dans des pierres de deux couleurs. La construction, rendue apparente, contribuait ainsi à la décoration, sans avoir recours à la sculpture ou à la peinture appliquée.

Pendant le cours du XIIe siècle, dans le Beauvoisis et en Normandie particulièrement, les claveaux des archivoltes sont refouillés, évidés, de façon à présenter des entrelacs de zigzags, de bâtons rompus et même d’ornements sculptés. C’est dans l’architecture anglo-normande de cette époque que l’on trouve les combinaisons les plus compliquées, les évidements les plus précieux. Les deux portes latérales de la façade occidentale de la cathédrale de Rouen, dont les pieds-droits et les archivoltes datent de 1160 environ, nous fournissent un des exemples les plus riches de ces claveaux appareillés, évidés, découpés et sculptés avec une finesse et une précision rares.

Voici (6) deux rangs de ces claveaux ; les uns, ceux figurés en A, présentent un rang de feuillages entrelacés complètement à jour, derrière lequel les sculpteurs ont eu la patience de ciseler des palmettes qui garnissent le fond de la gorge, ainsi que l’indique la section B. En C est tracé le fond de la gorge ; en D les palmettes, et en E les feuillages ajourés compris exactement dans l’épannelage du claveau. L’autre rang de claveaux, figuré en F, présente des dessins découpés à vif sur l’épannelage ; cette sorte de broderie, creusée profondément, donne la section G. Plus tard, les rinceaux de feuillages, et plus fréquemment des figures, décorent les claveaux d’archivoltes, mais en observant toujours la règle primitive, savoir : que chaque ornement ou figure doit être comprise dans un claveau. Il y a très-peu d’exceptions à cette règle. Cependant, au portail occidental de l’église abbatiale de Saint-Denis, on voit les figures des vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse sculptées dans deux ou trois claveaux, et, par conséquent, taillés sur le tas après la pose.

Les claveaux de plates-bandes sont rares pendant les périodes romane et gothique ; cependant force fut, dans quelques contrées où la pierre à bâtir n’était extraite qu’en petites dimensions, de faire des linteaux de porte composés de claveaux. Dans le Beauvoisis on rencontre assez fréquemment des linteaux de porte appareillés appartenant au XIIe siècle ; mais les claveaux de plate-bande ne présentent jamais, à cette époque, des coupes tendant à un centre, comme dans l’architecture romaine ; ils sont maintenus dans leur plan au moyen de coupes enchevêtrées, qui rendent tout glissement impossible. On voit un de ces linteaux de porte le long du flanc nord de l’église Saint-Étienne de Beauvais (7).

La difficulté résultant de la taille et de la pose de plates-bandes ainsi appareillées fit qu’au XIIIe siècle, alors que l’on extrayait des carrières des pierres d’un fort volume, on abandonna ces moyens de construction compliqués, à moins d’une nécessité absolue, comme, par exemple, pour les manteaux de cheminée ; et, dans ce cas particulier, les claveaux des manteaux sont appareillés à crossettes, ou suivant des coupes tendant à un centre (voy. Appareil, Cheminée).

Lorsqu’au XIIIe et au XIVe siècle on adopta les voûtes en arcs d’ogive, divisés en un certain nombre de moulures, boudins, filets, cavets, gorges, il arrivait quelquefois que, les sommiers étant posés tout taillés, suivant l’usage, les claveaux ne venaient pas raccorder exactement leurs membres de moulures avec ceux des sommiers, il restait des balèvres.


Le boudin A des claveaux (8), par exemple, ne retombait pas exactement sur le profil du boudin B du sommier ; les appareilleurs, s’apercevant de ce défaut de taille, posaient un claveau de transition C, sur les moulures duquel on réservait un petit ornement, une feuille, qui dissimulait les balèvres. Il existe un certain nombre de claveaux de contre-clefs et de sommiers possédant cet appendice dans les arcs ogives des voûtes de l’église de Saint-Nazaire de Carcassonne (commencement du XIVe siècle). Ceci est encore une preuve certaine de la taille de tous les membres de moulures avant leur pose. Parfois aussi les claveaux possèdent des membres de moulures que les appareilleurs n’avaient pas eu la précaution de réserver dans les sommiers. Alors une tête, une fleur forme comme un petit cul-de-lampe servant de naissance à ce membre supplémentaire. Ces détails sont intéressants à observer, car ils démontrent comment les constructeurs savaient dissimuler les erreurs ou irrégularités qui ne pouvaient manquer de se présenter dans les détails compliqués de l’architecture gothique, comme ils trouvaient toujours des ressources lorsqu’il s’agissait de s’affranchir des difficultés qui se présentaient dans l’ensemble aussi bien que, dans les plus minces détails de leurs constructions.