Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Chambre

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CHAMBRE, s. f. Pièce retirée dans un palais, un hôtel ou une maison, destinée à recevoir un lit. Par suite de cette destination, on donna le nom de chambre aux salles dans lesquelles le roi tenait ou pouvait tenir un lit de justice ; aux salles dans lesquelles, chez les grands, était placé le dais sous lequel s’asseyait le seigneur lorsqu’il exerçait ses droits de justicier ; on appelait ces chambres : chambre du dais, chambre de parement.

La grand’chambre du Palais à Paris avait été bâtie par Enguerrand de Marigny, sous Philippe le Bel[1] ; elle fut richement décorée en 1506[2].

Jean sans Peur, duc de Bourgogne, fit faire, dans l’hôtel d’Artois, après le meurtre du duc d’Orléans, une chambre « toute de pierres de taille, pour sa sûreté, la plus forte qu’il put, et terminée de mâchicoulis, où toutes les nuits il couchait[3]. » Dans les donjons, il y avait la chambre du châtelain, qui se trouvait toujours près du sommet et bien munie ; quelquefois même on ne pouvait y arriver que par des couloirs détournés, ou au moyen d’échelles ou de ponts volants que l’on relevait la nuit.

Les chambres des riches hôtels étaient somptueusement décorées.

Les solives des plafonds en étaient sculptées, peintes et dorées ; les fenêtres garnies de vitraux et de volets quelquefois doubles, ajourés de fines découpures et pleins ; les parements tendus de tapisseries, les lambris en bois travaillés avec art et se reliant à des bancs fixes (banquiers) garnis de dossiers en étoffe et de coussins ; le pavé de carreaux de terre cuite émaillée avec tapis ; une grande cheminée, souvent avec bas-reliefs sculptés, armoiries peintes, occupait l’un des côtés : elle était accompagnée de ses accessoires, de tablettes latérales pour poser un flambeau, quelquefois d’une petite fenêtre s’ouvrant près de l’un des jambages ou sous le manteau même de la cheminée, pour voir le dehors en se chauffant ; de ses écrans et escabeaux. Les portes perdues derrière la tapisserie étaient étroites et basses. Le lit, placé perpendiculairement à la face opposée à la cheminée, était large, garni de courtines et d’un dais à gouttières ; il se trouvait ordinairement plus rapproché d’un mur que de l’autre, de façon à laisser un petit espace libre qu’on appelait la ruelle. Quelquefois, dans l’ébrasement profond de l’une des fenêtres, on plaçait une volière et des fleurs, car les oiseaux devenaient les compagnons ordinaires des femmes nobles, dont les distractions, hormis les grandes fêtes publiques, étaient rares. Une chaire (chaise à dossier) se trouvait au fond de la ruelle ; un dressoir, une petite table, des escabeaux et carreaux pour s’asseoir, complétaient l’ameublement (voy. le Dictionnaire du Mobilier).

« Adonc est li sires levé
Et est entrez dedenz sa chambre
Qui tote estoit ovrée à l’ambre.
N’a el monde beste n’oisel
Qui n’i soit ovré à cisel,
Et la procession Renart
Qui tant par sot engin et art,
Que rien a fere n’i lessa
Cil qui si bel la conpassa.
Qu’en li séust onques nomer[4]
..... »

Nous donnons (1) un plan d’une de ces chambres privées, que l’on avait le soin, autant que faire se pouvait, de placer à l’angle des bâtiments et de mettre, par ce moyen, en communication avec une tourelle qui servait de boudoir ou de cabinet de retraite. La disposition que nous indiquons ici se retrouve fréquemment, à quelques détails près, dans les châteaux des XIIIe, XIVe et XVe siècles. En A est le lit, en B la ruelle avec sa chaire C et ses carreaux D ; en E le dressoir, en F des bancs fixes, bahuts destinés à contenir la garderobe ; en G la cheminée avec sa petite fenêtre H et sa tablette I ; en K les portes, en L la tourelle, en M la petite table avec son banc à dossier N, en 0 des escabeaux mobiles, en X une armoire destinée au linge et aux objets de toilette. Les femmes recevaient souvent le matin ou le soir couchées, et alors ce n’était que les intimes et les membres de la famille qui étaient admis dans la ruelle. Le jour, on recevait les visites sur le banc à plusieurs places posé près de la cheminée ; les hommes se tenaient sur les escabeaux ou carreaux ; les gens que l’on faisait attendre ou les inférieurs s’asseyaient près de l’entrée sur les bancs bahuts. Les femmes de haut rang tendaient leurs chambres en noir pendant les quinze premiers jours de grand deuil et restaient couchées, les contrevents fermés. Pendant leurs couches, les chambres étaient richement décorées, mais également fermées et éclairées aux flambeaux[5]. Les époux, même dans les classes élevées, n’avaient habituellement qu’une chambre ; chez les bourgeois, les enfants couchaient, pendant leurs premiers ans, dans des berceaux que l’on plaçait tout à côté du lit dans la ruelle. Aussi ne trouve-t-on qu’un petit nombre de chambres dans des maisons, même vastes, souvent une seule ; les familiers couchaient dans les galetas. Quand on recevait un parent ou un étranger auquel on voulait faire honneur, les maîtres, dans la bourgeoisie comme chez les paysans, abandonnaient leur chambre et allaient coucher dans la salle, c’est-à-dire dans la grande pièce qui servait à la fois de salon, de lieu de réunion et de salle à manger ; ou bien, ce qui arrivait souvent, on dressait un lit dans la chambre des maîtres, et maîtres et étrangers couchaient dans la même chambre (voy. Hôtel, Maison).

  1. Sauval, t. III, p. 8.
  2. Dubreul, liv. I.
  3. Sauval, t. II, p. 64.
  4. Roman du Renart, vers 22 162 et suiv.
  5. Les Honneurs de la Cour. Aliénor de Poictiers, XVe siècle.