Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Clou

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CLOU, s. m. Tige de fer pointue garnie d’une tête, destinée à fixer des ferrures sur le bois ou à maintenir ensemble certaines pièces de charpente ou de menuiserie. L’antiquité grecque et romaine employa souvent les clous comme motif de décoration des barrières de bois, et principalement des portes. Il n’est pas un architecte qui ne connaisse les clous de la porte en bronze du Panthéon à Rome, ceux des portes en bronze de Saint-Jean de Latran. Ces clous sont munis de têtes richement ciselées qui en font des objets d’art d’une grande valeur. Cette habitude fut suivie pendant le moyen âge, et il nous reste un grand nombre de ventaux de portes de cette époque dont les ferrures ou les plaques de bronze sont retenues au bois par des clous dont les têtes sont d’un travail remarquable. Lors même que ces petites pièces de forge sont simples comme forme, elles conservent toujours la trace d’une fabrication soignée. Nous avons entre les mains quelques clous provenant des ventaux vermoulus de la grande porte de l’église abbatiale de Vézelay qui, au point de vue de la fabrication, sont d’un grand intérêt, et sont évidemment une tradition antique. Ils se composent (1)[1] d’une tête en forme de capsule hémisphérique, munie dans sa concavité d’une longue pointe. Cette tête, très-mince, et sa tige sont en fer ; une seconde capsule A en cuivre jaune, de l’épaisseur d’une carte à jouer, enveloppe exactement la tête de fer de manière à présenter, à l’extérieur, l’apparence d’une demi-sphère en bronze. Ces clous, que nous croyons appartenir au XIe siècle, sont bien forgés, et la capsule de bronze parfaitement ajustée sur la tête du clou. Un point de soudure retient celle-ci sur le fer. Nous pensons que l’on enfonçait d’abord le clou dans le bois et que l’on appliquait ensuite la capsule de bronze, car on ne remarque sur celle-ci aucune de ces traces que les coups de marteau y eussent laissées. Quelquefois ces revêtements de cuivre sur les têtes de clous en fer sont fondus et ciselés, représentant habituellement des mufles d’animaux. La belle porte revêtue de lames de bronze qui existe encore du côté méridional de la cathédrale d’Augsbourg (porte dont la plupart des panneaux appartiennent à une époque fort ancienne, VIIe ou VIIIe siècle), et qui fut remontée au XIIe, présente une série de clous appartenant à cette dernière époque, dont les têtes figurent des masques humains en bronze (2). Ces traditions antiques se perdirent vers la fin du XIIe siècle, et depuis lors les clous simples ou ornés ne furent plus que des pièces de forge en fer. Il existe encore sur les ventaux de portes du XIIe siècle un grand nombre de clous dont la tête est forgée en pointe de diamant, et dont la tige, divisée en deux pointes, est rivée sur les traverses, ainsi que l’indique la fig. 3.


C’était un moyen sûr et puissant de serrer les planches des huis contre les membrures qui les portaient, car alors on ne connaissait point les écrous taraudés, les vis et les boulons. Quelquefois les têtes de clous sont forgées en forme de graines ou de pistils de fleurs, ainsi que l’indiquent les fig. 4 et 4 bis[2],


refendues et à facettes (5)[3],
coniques (6 et 6 bis)[4].
Bientôt on reconnut que quand les clous étaient enfoncés directement dans le bois, pour relier des huis, et qu’ils ne portaient pas sur des bandes de fer, telles que pentures, équerres, etc., la tête enfoncée à coups de marteau éraillait le bois ou ne le joignait pas exactement ; on posa entre cette tête et le bois une rondelle de fer battu légèrement modelée, le creux posé du côté du bois afin de faire ressort et de joindre ainsi exactement les têtes de clous aux planches, comme on place aujourd’hui des rondelles sous les écrous des boulons. Seulement les serruriers du moyen âge donnaient à ces rondelles des formes variées ; plus barbares apparemment que ceux de notre temps, ils ne pensaient pas qu’une nécessité de métier dût exclure l’art comme une superfluité inutile. À dater du XIIIe siècle, les exemples de clous munis de rondelles sont si fréquents et si variés, que nous ne pouvons que choisir quelques-uns des plus remarquables. Ces rondelles sont composées d’une petite plaque de fer battu très-mince, percée au milieu d’un trou juste assez grand pour laisser passer la tige du clou, dont le collet vient forcer la rondelle à s’appliquer sur le bois. Celle-ci ayant presque toujours sa concavité du côté du bois, il en résulte qu’en frappant sur la tête du clou pour l’enfoncer, on fait pénétrer les extrémités de la rondelle dans les fibres du bois, de manière à ne pas présenter sur la surface des planches des aspérités ou saillies de nature à écorcher les mains ou à arrêter la poussière.
La fig. 7 donne plusieurs exemples de ces clous à rondelles : le clou A provient de la porte méridionale de l’église de Schelestadt, XIIe siècle ; le clou B, en notre possession, provient d’une porte de Carcassonne, XIIIe siècle ; le clou C, d’une porte de Rouen ; le clou D, d’une porte de l’église de Flavigny (Côte-d’Or). On alla plus loin ; on mit bientôt deux rondelles l’une sur l’autre, dont les formes, en se contrariant, présentaient des dessins plus variés et d’un modelé plus apparent. C’est surtout à dater du XVe siècle que cette méthode fut employée. Nous possédons deux clous de cette époque munis de doubles rondelles qui sont de véritables chefs-d’œuvre ; ils proviennent de démolitions[5]. L’un d’eux présente deux rondelles superposées dont la forme est inscrite chacune dans un carré (8).
Ces rondelles sont découpées et modelées au moyen d’un procédé bien simple. Des coups de poinçon sous les feuilles leur ont donné le galbe reproduit dans notre dessin. La tête du clou est finement forgée et retouchée au burin.
L’autre clou (9), d’une époque plus récente, possède deux rondelles inscrites chacune dans un triangle. Ici le forgeron a mis plus d’art dans le modelé des feuilles, et, de plus, il les a retouchées au burin. La tête du clou est refendue à chaud et burinée.

Les clous qui maintiennent les serrures, les entrées ou les marteaux de porte, ont souvent leurs têtes forgées en forme de figurines très-délicatement travaillées. Nous donnons (10) un de ces clous, qui date du XIIIe ou du XIVe siècle, et qui provient d’une église de Basse-Bretagne[6] Quelquefois les têtes de ces clous de serrures sont en forme d’écussons armoyés, ou représentent des muffles d’animaux (voy. Serrurerie).

La renaissance conserva ces habitudes d’art industriel dans les moindres détails de la construction ; elles ne se perdirent que vers le milieu du XVIIe siècle. Cependant on trouve encore, en province surtout, la trace de ces traditions du moyen âge dans la serrurerie du dernier siècle.

  1. Cette figure est de la grandeur de l’original.
  2. De la porte de la chapelle de Saint-Venceslas, à Prague (XIIIe siècle) ; de la cathédrale de Laon (XIIIe siècle).
  3. De la porte de Saint-Eusèbe d’Auxerre (XIIIe siècle).
  4. Des portes de la façade de Notre-Dame de Paris (commencement du XIIIe siècle), de la cathédrale de Laon (XIIIe siècle).
  5. Ces clous nous ont été donnés par M. Roiché, serrurier-forgeron à Vézelay ; la gravure les montre grandeur d’exécution.5
  6. Nous devons ce dessin à l’obligeance de M. Gaucherel.