À valider

Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Conduite

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Comble <
Index alphabétique - C
> Congé
Index par tome

CONDUITE, s. f. Tuyau de métal, de terre cuite ou de pierre, servant à conduire les eaux soit sur un plan horizontal, soit verticalement du sommet d’un édifice à sa base.

Les Romains disposaient souvent des conduites verticales dans leurs grands monuments pour se débarrasser des eaux pluviales à travers les constructions. Les amphithéâtres et les théâtres particulièrement, qui présentaient une surface considérable de gradins exposés directement à la pluie, possédaient de distance en distance des égouts verticaux simplement perforés à travers la maçonnerie qui amenaient les eaux sur le sol. Dans les édifices d’une construction plus simple, les temples, les basiliques et les habitations particulières, les eaux pluviales tombaient des toits sur le sol librement, soit à l’extrémité de la couverture, soit en passant à travers de petites gargouilles percées dans des chéneaux de pierre ou de terre cuite. Ce moyen si naturel fut employé par les architectes romans, qui ne construisirent guère que des édifices d’une grande simplicité de plan et couverts par des combles à deux égouts. Cependant il était certaines circonstances où l’on sentait le besoin de recueillir les eaux de pluie et par conséquent de les diriger. Dans les cloîtres des abbayes, dans les cours des châteaux, bâtis souvent sur des lieux élevés, les sources manquaient, et on ne pouvait se procurer des approvisionnements d’eau qu’à la condition de creuser des citernes dans lesquelles on conduisait les eaux des combles, en évitant de les faire passer sur le sol, afin de les avoir aussi pures que possible. Alors, établissant des chéneaux de pierre ou de bois à la chute des combles, les constructeurs élevaient, de distance en distance, des piles creuses munies à leur sommet d’une cuvette qui recevait les eaux amenées par les pentes de ces chéneaux. Ces piles étaient presque toujours isolées, ne participaient pas à la construction, et on évitait ainsi les infiltrations lentes mais très-funestes de l’humidité dans les bâtisses. Nous avons encore vu, le long du mur du collatéral sud de la nef de l’église abbatiale de Vézelay, des conduites isolées destinées à diriger les eaux pluviales tombant sur les combles dans la citerne creusée au centre du cloître. Ces conduites n’appartenaient pas à la construction primitive, mais à l’époque où le cloître fut construit, c’est-à-dire à la fin du XIIe siècle. Elles étaient bâties en assises de pierre carrées, percées au centre d’un trou cylindrique, avec entailles circulaires dans les lits pour recevoir le ciment.

Voici quelle était (1) la forme extérieure de ces conduites : en A on voit une des pierres avec l’entaille circulaire de son lit. Nous avons souvent vu, dans des châteaux des XIIe et XIIIe siècles, des conduites carrées en pierre ménagées dans l’épaisseur des constructions (conduites qu’il ne faut pas confondre avec les porte-voix), et qui étaient destinées à envoyer dans des citernes les eaux pluviales tombant sur les combles. Lorsqu’au XIIIe siècle la construction des églises dut présenter des combinaisons compliquées, des surfaces très-considérables de combles recevant les eaux pluviales, les architectes songèrent tout d’abord à se débarrasser des eaux par plus court chemin, c’est-à-dire en les faisant couler des chéneaux sur les chaperons des arcs-boutants jusqu’à des gargouilles très-saillantes qui les rejetaient sur le sol en dehors du périmètre de l’édifice. Divisant ces eaux en une infinité de jets, ils diminuaient considérablement ainsi leur effet destructif. Ce moyen, qui est toujours le meilleur lorsque les matériaux employés dans les parties inférieures des bâtisses sont solides et ne craignent pas la gelée, qui permet de s’assurer continuellement de l’état des conduites puisqu’ils sont à l’air libre, est désastreux lorsque la pierre employée dans les soubassements est gélive ou poreuse ; car alors cette quantité de cascades, mouillant les parements inférieurs, ne tardent pas à les salpêtrer et même à les détruire. Ces inconvénients furent reconnus évidemment par les architectes du XIIIe siècle, puisque, dans plusieurs grands édifices de cette époque, nous voyons les conduites fermées verticales remplacer les gargouilles. En Normandie et en Picardie, où le climat est humide et les matériaux sensible à la gelée, les conduites d’eau furent adoptées dès 1230 environ dans certaines églises. À Bayeux, nous voyons les arcs-boutants de la nef amener les eaux des combles supérieurs dans des conduites en plomb incrustées dans les contre-forts. Ces conduites sont apparentes ou masquées de deux en deux assises ; elles se trouvent ainsi protégées contre les chocs extérieurs, et visibles cependant s’il survient une rupture.
Voici (2) en A le plan de cette disposition, en B l’élévation des parties des contre-forts munies de conduites, et en C le détail des incrustements cylindriques contenant les tuyaux de plomb légèrement aplatis du côté des ouvertures pour laisser passer les petits linteaux D. Les contre-forts des arcs-boutants du chœur de la même église contiennent des tuyaux de descente moins bien disposés que ceux donnés ci-dessus, en ce qu’ils sont incrustés au milieu de ces contre-forts et ne sont vus que par deux petites meurtrières.


En plan (3), ces tuyaux sont placés en A, les meurtrières en B et les débouchés ou dauphins dans une gargouille placée en C. Du chéneau supérieur du grand comble, les eaux sont amenées dans la rigole des arcs-boutants, de même par des conduites passant à travers un contre-fort terminé à sa partie inférieure par une tête formant dauphin (voy. ce mot). Nous trouvons, au-dessus des arcs-boutants de la nef de la cathédrale de Sées (1230 environ), une disposition analogue, mais préférable à celle adoptée à Bayeux, en ce que les contre-forts contenant les conduites de chute des eaux du grand chéneau ne sont que des coffres, des appendices crevés à leur base verticalement, sans coudes ni ressauts, de manière à éviter tout engorgement.


Voici (4) en A la section horizontale de ces conduites, en B leur élévation perspective, en C la coupe sur l’axe de la conduite. Habituellement, comme nous l’avons indiqué en D, les conduites verticales de plomb enfermées dans des coffres de pierre ont leur sommet élargi en cuvette et dont les bords sont pincés sous l’assise du chéneau, l’orifice de celui-ci formant larmier sous le lit inférieur. Dans le cas présent, l’eau ne coulant vers l’orifice que d’un côté, ce larmier n’existe que sous la chute, ainsi que nous l’avons tracé en E. Dans les grands édifices élevés au commencement du XIIIe siècle les eaux des chéneaux supérieurs se déversaient par des gargouilles à gueule bée sur les chaperons non creusés des arcs-boutants, comme à la cathédrale de Reims encore aujourd’hui.

Les eaux dégradaient rapidement ces chaperons ; on leur donna la section d’un canal ; mais le vent poussait le jet des gargouilles en dehors de ces canaux, c’est pourquoi on adopta les chutes verticales enfermées dans des coffres de pierre au-dessus des têtes des arcs-boutants. Toutefois, quand même les eaux des combles supérieurs des grands édifices étaient menées par des conduites, celles-ci n’arrivaient qu’au niveau des chéneaux des chapelles ou bas-côtés, et de là elles étaient rejetées sur le sol par des gargouilles, suivant la méthode la plus ordinaire. Les contre-forts supérieurs du chœur de la cathédrale d’Amiens recevant les arcs-boutants (1260 environ) laissent voir, dans l’un de leurs angles rentrants, de longues entailles cylindriques destinées à recevoir des tuyaux de descente en plomb qui n’ont jamais été posés (5) ;
la même disposition est adoptée pour l’écoulement des eaux pluviales dans la cathédrale de Nevers. En A est tracée la section horizontale de ces entailles. Les eaux descendent des chéneaux supérieurs par les caniveaux B servant de chaperons à la claire-voie des arcs-boutants. Dans l’épaisseur du contre-fort, au niveau C, est une cuvette qui devait recevoir ces eaux pour les rejeter dans la conduite verticale posée dans l’entaille. Ce n’est qu’en Angleterre que nous trouvons, dès le XIVe siècle, des conduites en plomb aboutissant à la base des édifices. Au lieu d’être cylindriques, ces conduites donnent, en section horizontale, un carré, et cela était fort bien raisonné. Un cylindre ne peut se dilater ; il en résulte que, dans les fortes gelées, si les conduites s’engorgent, l’eau glacée, prenant un volume plus fort que l’eau à l’état liquide, ces conduites sont sujettes à crever. Un tuyau dont la section est carrée peut se dilater, et les ruptures sont moins à craindre. Ces tuyaux de plomb, posés le plus souvent dans des angles rentrants, sont faits par parties entrant les unes dans les autres, comme nos tuyaux de fonte de fer, avec collets et colliers de fer ou de bronze qui les maintiennent à leur place ; ils sont surmontés de cuvettes également en plomb, et de dauphins à leur partie inférieure (6).

Au XVIe siècle, on posa souvent des conduits en plomb cylindriques dans les grands édifices français, et ces tuyaux sont presque toujours décorés de reliefs ou de dorures. On en voit d’assez beaux sur les côtés du portail méridional de la cathédrale de Beauvais. On en rencontrait en grand nombre dans les châteaux de la renaissance ; mais ces objets ont été enlevés à la fin du dernier siècle pour être fondus.

L’écoulement des eaux pluviales était, pour les architectes du moyen âge, un sujet de préoccupations constantes. Il est facile de reconnaître qu’ils ont souvent hésité entre le système qui porte à conduire les eaux et les rejeter à ciel ouvert et celui qui consiste à les diriger dans des tuyaux fermés ; l’un et l’autre, de ces deux systèmes ont leurs inconvénients et leurs avantages : le premier mouille les parements et les soubassements en particulier ; mais si la pierre employée est compacte, si elle n’est pas sensible à la gelée, cette humidité extérieure est bientôt enlevée par l’air et le soleil. Il a l’avantage de permettre un entretien facile, puisque tous les canaux sont visibles et à l’air libre ; il évite les engorgements, les dégradations cachées qui n’apparaissent que lorsque le mal est produit. Le second évite ces lavages des parements extérieurs ; il conduit les eaux sur des points fixes ; il ne produit pas autour d’un édifice ce déluge qui en rend les abords insupportables ; mais il demande une surveillance constante, surtout pendant les alternatives de gelée et de dégel ; il produit des engorgements dans les temps de neige, est sujet à des ruptures auxquelles il est difficile souvent de remédier et dont on ne s’aperçoit que lorsque les dégradations qu’elles causent ont fait des ravages profonds dans les constructions. Il ne faudrait donc pas prescrire d’une manière absolue l’un ou l’autre de ces deux systèmes. C’est à l’architecte à les employer comme il convient, suivant le lieu et en raison des matériaux employés. Toutefois nous devons dire que, dans de très-vastes édifices publics où la surveillance ne peut être exercée comme dans une construction particulière et un lieu habité journellement, les conduites en métal et surtout en fonte de fer, qui se brisent si facilement sous l’effort de l’eau glacée, ont de très-grands dangers, que leur engorgement ou le faible suintement qui se produit à chaque joint finissent par altérer les parements et y entretenir une humidité permanente. Les tuyaux de plomb sont les meilleurs, en ce qu’ils conservent une certaine flexibilité et peuvent se dilater, surtout les tuyaux à section carrée. Un soin extrême dans l’établissement de ces tuyaux et dans les scellements de leurs colliers, un isolement complet et des gargouilles de trop plein, en cas d’engorgement, peuvent toutefois remédier à ces inconvénients (voy. cuvette, Dauphin).