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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Loge

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LOGE, s. f. Pièce ou portion de galerie, dépendant d’un édifice public ou privé, élevée au-dessus du sol extérieur et s’ouvrant largement sur le dehors, sans vitrines ou fermetures à demeure. La loge ressemble d’une part au portique, de l’autre à la bretèche ; cependant il faut la distinguer de ces deux membres d’architecture. La loge diffère du portique en ce qu’elle est élevée au-dessus de la voie publique, possède une entrée particulière et que sa longueur est bornée, tandis que le portique est une galerie couverte dont la longueur est indéterminée. La loge tenant à des maisons diffère de la bretèche en ce point important qu’elle est ouverte aux intempéries, en dehors des appartements, tandis que la bretèche est fermée par des vitres ou volets et ajoute aux pièces une annexe saillante sur la voie publique. L’architecture française du moyen âge n’admettait guère la loge que dans les provinces méridionales, où elle pouvait avoir une certaine utilité. Dans nos climats, on préférait toujours une pièce fermée à ces salles ouvertes à tous vents, si fréquentes dans les villes italiennes des XIIIe et XIVe siècles. Les municipalités italiennes élevaient volontiers ces édifices propres aux réunions de citoyens, couverts par des voûtes ou des lambris pour éviter les rayons du soleil. C’était dans ces loges que les marchands venaient s’entretenir de leurs affaires, comme aujourd’hui dans les bourses et cercles. On concevra facilement qu’en France les parloirs, qui correspondent aux grandes loges d’Italie, devaient être clos neuf mois sur douze ; dès lors, ils n’étaient que des salles plus ou moins vastes. De même aussi, dans nos maisons, il était rare de trouver sous les combles ces loges que l’usage a fait ouvrir au sommet des habitations italiennes, et qui sont disposées pour respirer l’air frais du soir. Cependant la loge n’était pas absolument bannie de nos habitations du nord. Il existait encore, il y a peu d’années, sur la place de la cathédrale de Laon, une petite maison du XIIIe siècle, dépendant autrefois du chapitre, qui possédait une loge à la base de son comble, disposée en appentis et interrompue aux angles par des échauguettes.

La figure 1 donne l’élévation perspective de la façade de cette maison. À la base du pignon, élevé en retraite, était pratiquée une loge en charpente qui se retournait sur les deux murs goutterots et passait alors sous le comble. C’était comme un chemin de ronde avec ses échauguettes.
La figure 2 présente en A le plan de la façade de la maison, à l’étage sous la loge, et en B le plan de cette loge. Les loges voisines du comble prenaient le nom de soliers, comme les combles eux-mêmes ; elles servaient à la défense, elles permettaient de voir tout ce qui se passait au dehors, elles donnaient aux habitants un séchoir excellent. Observons que ces loges sont basses, bien abritées et fermées aux extrémités. Dans le voisinage des places de marchés, on établissait aussi parfois des loges peu élevées au-dessus du sol de la voie publique sous quelques maisons, pour permettre aux marchands de traiter de leurs affaires à l’abri du soleil et de la pluie. Il existe encore à Vire (Calvados) une petite loge de ce genre, disposée sous une maison du XIVe siècle.
Rien n’est plus simple que cette construction (3), qui se compose de deux piles et de deux colonnes en pierre, reposant sur un bahut ; d’une aire dallée et de quelques marches posées à chacune des extrémités donnant sur la voie publique. La façade de la maison, en pan de bois hourdé de briques, repose sur les deux piles d’angles et les deux colonnes, si bien que cette loge n’est autre chose qu’un bout de portique surélevé avec bahut sous ses colonnes.

Sur les façades des hôtels de ville, des palais, des maisons de riches particuliers, il y avait quelquefois, mais fort rarement en France, des loges disposées à la façon des bretèches, c’est-à-dire portées en encorbellement sur des consoles. Ces loges, par leur petite dimension, n’étaient, à proprement parler, que des balcons couverts. Elles étaient moins rares dans les provinces de l’est et du sud-est que dans l’Île-de-France, les provinces de l’ouest et du centre. Quelques maisons de Dijon en possédaient autrefois ; on en trouvait à Metz, à Verdun et vers les bords du Rhin, comme en témoignent de nombreuses gravures des XVIe et XVIIe siècles. Ces loges en encorbellement, ou plutôt ces bretèches ouvertes, étaient posées au-dessus des portails des maisons, au premier étage, et formaient ainsi une sorte d’auvent sur l’entrée.

Nous donnons (4) l’une d’elles que nous trouvons indiquée assez finement dans un manuscrit français du XVe siècle de la bibliothèque de Munich. Elle est faite entièrement de pierre, recouverte de plomb et posée au-dessus d’une porte.

Les guerres d’Italie de la fin du XVe siècle inspirèrent aux seigneurs français le goût des loges ; mais les architectes du commencement de la Renaissance, qui conservaient les traditions sensées de l’art de notre pays, se décidèrent difficilement à leur donner l’aspect d’une construction ouverte sur trois côtés ; ils les traitaient plutôt comme des portiques bas d’une longueur réduite, s’ouvrant seulement par la face.

Au sommet de l’escalier de la Chambre des Comptes, à Paris, il y avait ainsi un vestibule non vitré qui pouvait bien passer pour une loge (voyez Escalier, figure 3). Ce vestibule se composait de deux travées ouvertes sur la cour de la Sainte-Chapelle ; ses arcades, dépourvues de vitrages comme celles de l’escalier, étaient flanquées de contre-forts décorés de statues[1]. La loge, premier vestibule de la chambre, était fort riche, ainsi qu’on en peut juger par notre figure 5, qui en donne une perspective extérieure.
Au-dessous, à rez-de-chaussée, était la porte des logements du premier huissier et du receveur des épices. Le grand palier couvert que nous donnons ici comme une loge tenait lieu de petite salle des pas-perdus. Nous possédons à Paris un monument très-remarquable par le style de son architecture et qui était traité à la manière des loges italiennes, c’est le monument dont on a fait la fontaine des Innocents. Cette loge se composait de trois arcades, deux de face et une en retour. Dans le soubassement, au-dessous de l’arcade en retour, sur la rue, en dehors, était une fontaine. Des balustrades se trouvaient entre les pieds-droits[2]. La loge et fontaine des Innocents était élevée au coin de la rue Saint-Denis et de la rue aux Fers. Pierre Lescot en fut l’architecte et Jean Goujon le sculpteur. En 1785, on la déposa pièce à pièce et on en fit le monument que nous avons vu restaurer depuis peu, monument auquel il est bien difficile aujourd’hui de donner une signification, car on ne comprend pas trop pourquoi on a eu l’idée de placer une fontaine jaillissante à six ou huit mètres de hauteur au-dessus du sol, et pourquoi, la mettant si haut, on a jugé nécessaire de la faire couler à l’abri de la pluie, sous un dôme. On admet une fontaine couverte si elle est à la portée des passants, mais un jet d’eau couronnant une pyramide de cuvettes n’a vraiment pas besoin de parapluie. Après tout, les charmantes sculptures du monument nous restent, et il y aurait mauvaise grâce à se plaindre des transformations étranges qu’on a fait subir à l’architecture de Pierre Lescot.

  1. Voyez l’œuvre d’Israël Silvestre, Mérian, et, dans la Topographie de la France, Bibl. imp., de grands dessins de la façade de la Chambre des Comptes.
  2. Voyez l’œuvre d’Israël Sylvestre, Marot, Mérian, Félibien.