Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/Précis historique/V/VI

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Julien Remy Pesche
(Tome 1p. CDXIV-CDXX).

§ VI. Gouvernement Impérial, 2.e période, dite des Cent-Jours.

1815. — Onze mois s’étaient à peine écoulés, qu’une foule d’événemens et d’actes que nous n’essaierons pas d’analyser, avaient troublé cette union, cette harmonie si heureusement établies entre tous les citoyens, et qu’il aurait été si sage et si facile de maintenir. Mais, le gouvernement royal devait faire des fautes, dit Louis XVIII, dans sa proclamation datée de Cambrai, le 28 du mois de juin 1815 : il en avait fait en effet, en refusant les institutions promises par la charte constitutionnelle, en inquiétant toutes les existences révolutionnaires, sur un passé qu’on avait promis de ne jamais rappeler, en tendant sensiblement vers le retour d’un ordre de choses qu’on avait promis tacitement d’oublier.

Que cette cause soit ou non celle du retour de Napoléon en France, toujours est-il que, malgré les nouvelles adresses des autorités, des fonctionnaires, les protestations d’un dévouement sans bornes, les sermens de mourir pour le soutien du gouvernement royal, Napoléon revenant de l’île d’Elbe était déjà à Autun, à soixante-dix lieues de Paris, le 15 mars, jour où le préfet de la Sarthe appelait aux armes les amis de la dynastie royale, pour la formation d’un corps de volontaires, chargé d’aller fermer l’entrée de Paris à l’usurpateur ; et que rien n’était prêt encore pour le départ de ce corps, lorsque le duc de Bourbon, chargé de se mettre à la tête de l’armée royaliste des départemens de l’Ouest, arriva au Mans, au moment même où le roi s’éloignait de Paris, et se trouvait forcé de céder le trône à son compétiteur. On sait que M.gr le duc de Bourbon, qui s’était rendu à Angers, pour y hâter la levée des corps royalistes, fut forcé de renoncer à cette entreprise et de s’embarquer à Nantes pour sortir de France, Napoléon étant entré sans obstacles à Paris, le 20 mars au soir.

Cependant la Vendée ne tarda pas à lever l’étendard de la révolte, contre le gouvernement impérial ; mais « étouffée dans son principal foyer, dit M. Alphonse de Beauchamp, l’insurrection royaliste put encore moins s’étendre en Normandie et en Bretagne, où la plupart des officiers généraux se servirent de l’autorité qui leur était confiée, pour faire reconnaître le gouvernement impérial. Sur la rive droite de la Loire, en y comprenant la Bretagne, l’Anjou, le Maine, le Blésois et le Vendômois, le parti royaliste pouvait trouver trente mille hommes en état de porter les armes. M. le chevalier d’Andigné y commandait au nom du roi, et cherchait à se concerter avec les généraux vendéens. Tandis qu’il rassemblait dans le Craonais un corps de royalistes, il chargeait le comte d’Ambrugeac, d’arracher la province du Maine aux ennemis du Roi. »

En effet, le comte Alexandre Valon d’Ambrugeac[1] avait reçu du roi et du duc de Bourbon, l’ordre d’occuper le Maine et les pays adjacens, et, dans l’intention où il était de faciliter le passage des vendéens, de la rive gauche de la Loire sur la rive droite, afin d’opérer la jonction des différentes armées royalistes de cette contrée, dont il considérait celle du Maine comme l’avant-garde, il s’empara le 9 juin de la ville du Lude. Sans moyens de défense, et pris à l’improviste, les habitans, en très-petit nombre, ne purent opposer qu’une courte, quoique vive et courageuse résistance, contre un ennemi vingt fois plus fort en nombre, et furent obligés de céder, après trois quarts d’heure de combat. La mairie, plusieurs maisons particulières furent livrées au pillage[2] ; plusieurs citoyens emmenés en otage, furent mis en liberté au bout de quelques jours. Nous renvoyons aux articles locaux du dictionnaire, le récit des autres actions, peu importantes, qui signalèrent cette campagne d’un mois.

Tandis que le général Mocquery, qui commandait dans la Sarthe, cherchait à y organiser une force publique qu’il pût opposer aux insurgés royalistes, en réunissant au chef-lieu de ce département, tous les anciens militaires en état de porter les armes, pour en former un bataillon sédentaire ; le préfet impérial M. P. Lagarde, ancien directeur de la police en Toscane, qui avait remplacé le préfet nommé par le roi, M. Jules Pasquier, prenait un arrêté qu’il considérait comme étant propre à maintenir la tranquillité publique, et dans lequel il prescrivait l’arrestation de tout chef ou fils de famille ex-noble, de tout chef ou capitaine de chouans, qui n’auraient pas prêté le serment de fidélité à l’empereur, ou ne le prêteraient pas sous un bref délai.

D’un autre côté, l’acte fédératif des cinq départemens de la Bretagne, en faveur du gouvernement impérial, que plusieurs autres provinces imitèrent, ne le fut dans la Sarthe, que lorsque le gouvernement se fut emparé de ce moyen d’excitation contre les Bourbons, pour le généraliser et le diriger à son gré. Mais ces sortes de mesures, pour réussir, demandent à être libres et spontanées : prescrites par l’autorité, elles excitent une sorte de défiance et restent sans succès. C’est ce qui arriva dans la Sarthe, lorsque le préfet P. Lagarde, qu’on savait avoir blâmé cette mesure avant que le gouvernement lui prescrivit de l’appliquer à son département, essaya de créer un enthousiasme que le peu de confiance qu’inspirait son titre d’ancien directeur de police, et l’opinion qu’il avait manifestée d’abord, ne pouvaient faire naître.

Au surplus, ce n’était point dans l’Ouest et dans la Vendée, que le sort de la France devait être décidé ; et l’insurrection de cette contrée, ne pouvait être utile à la cause royale, que comme diversion, en occupant des troupes qui auraient grossi les armées impériales au nord, où devaient se passer de plus grands événemens. Aussi, malgré ses quatre corps d’armée, commandés par MM. d’Autichamp, de Sapinaud, Suzannet et Auguste de la Rochejaquelein, ayant pour chef d’état-major le lieutenant-général Canuel, l’armée royale de la Vendée fut-elle battue et obligée de faire sa soumission, le 28 juin, soumission préparée d’ailleurs par l’adresse du ministre de la police Fouché, qui avait décidé MM. de Malartic, de Flavigny et de la Brandière, à se rendre de Paris près de l’armée royaliste de la rive droite de la Loire, pour disposer les chefs à cette pacification.

Le corps royaliste de la Sarthe, malgré les prétendus succès qu’il exaltait dans ses proclamations, se vit bientôt contraint de suivre l’exemple des autres corps et d’accéder au traité de pacification, par une convention particulière, signée le premier juillet, au château de Coulans, chez M. le préfet Jules Pasquier.

Cette convention pouvant donner une juste idée de la situation respective des forces royales et impériales dans la Sarthe, au moment où elle fut signée, nous croyons devoir la mettre sous les yeux des lecteurs, afin qu’ils puissent la comparer avec le récit des mêmes événemens, rapportés dans l’Histoire de la campagne de 1815 et de la Restauration, par M. Alphonse de Beauchamp.

« Nous soussignés, voulant concourir, en ce qui nous concerne, à assurer la tranquillité du département de la Sarthe, et à y arrêter l’effusion du sang, sommes convenus, sous notre parole d’honneur, de ce qui suit, comme condition d’une convention militaire : « Art. 1.er Toute hostilité et toute agression seront, dès ce moment, suspendues de part et d’autre, dans le département de la Sarthe, entre les différens corps de troupes, sous quelque nom que ce soit, qui s’y trouvent. — 2. Si, de l’un ou de l’autre côté, on croyait devoir recommencer les hostilités, on s’en préviendrait au moins quarante-huit heures d’avance, par une notification écrite et adressée à chacun des commandans en chef des troupes respectives. — 3. Les troupes sous les ordres de M. le général d’Ambrugeac, sur le territoire de la Sarthe, se tiendront réunies ou dispersées, au gré de leur chef, dans les communes de Brûlon, Viré, Avessé, Poillé, Chantenay, Tassé et Noyen : elles ne pourront, ni comme corps, ni comme détachement, se rendre ailleurs, ni s’approcher à plus près d’une lieue de distance de Loué et de Vallon. — 4. M. le général Mocquery, commandant le département de la Sarthe, s’engage, de son côté, à ne faire traverser les communes spécifiées dans l’article précédent, par aucune des troupes sous ses ordres, et à n’en envoyer aucune sur le territoire desdites communes. — 5. M. le général Mocquery donnera connaissance des présens articles à M. le général Achard, commandant le département de la Mayenne, en évitant aussi à ne point faire pénétrer les troupes qu’il commande, dans les communes indiquées par l’article 3. — 6. M. le général d"Ambrugeac prendra des mesures semblables, pour empêcher toute entrée et toute hostilité dans la Sarthe, de la part des chefs et troupes en intelligence avec lui, dans les départemens voisins. — 7. La présente convention qui sera provisoirement exécutée dès cet instant, sera, sans aucun délai, communiquée par M. le général Mocquery, à M. le général baron Hamelinaye, commandant la 22.e division militaire, et soumise à son approbation. — Fait double et arrêté, au château de Coulans, le 1.er juillet 1815, et ont signé : Le maréchal de camp, comte d’Ambrugeac ; de Sourdon, commissaire-général ; le maréchal de camp, Mocquery ; le préfet de la Sarthe, P. Lagarde. »

« Dans la province du Maine, dit M. de Beaucbamp, les royalistes paralysés par la pacification de Fouché, n’avaient pu se réunir en masse ; mais il avait suffi d’une poignée de braves, commandés par le comte d’Ambrugeac, pour y faire prévaloir la cause royale. Ce chef intrépide, après avoir empêché le gouvernement usurpateur d’y lever des hommes et de l’argent, avait résisté à toutes les embûches, paré à toutes les défections, échappé aux colonnes des soldats de Bonaparte, supérieures en forces, combattu, triomphé sur plusieurs points, et étonné l’ennemi par des marches rapides et inopinées ; enfin, il avait signé une suspension d’armes le premier juillet, avec le général Mocquery, sous la condition que ce général et le préfet, M. Lagarde, obéiraient aux premiers ordres du roi émanés de Paris. Ainsi, cinq cents royalistes tenaient en échec quatre mille hommes, partagés en plusieurs colonnes, et rétablissaient les communication avec le département de la Mayenne. Dès-lors le parti royaliste, secondé par M. Jules Pasquier, préfet du roi, prévalut, malgré l’obstination des fédérés et des militaires. La ville du Mans proclama Louis XVIII, au moment même où M. d’Ambrugeac s’avançait avec les troupes royales pour en chasser la garnison. Toute la population alla au-devant de lui, et à la vue de ses braves soldats qui arrivaient sous la bannière des lis, l’enthousiasme el la joie éclatèrent dans cette bonne ville du Mans, pavoisée de drapeaux fleurdelisés. Tout y fut tenu en ordre. »

Nous ne nous attacherons pas à relever ce qu’il y a d’inexact dans ce récit ; il suffit de lire l’article 3 de la convention militaire ci-dessus, pour en juger[3].

  1. Voir son article à la Biographie.
  2. La date et les détails que nous donnons ici, sont en contradiction avec ceux qui se trouvent à l’article du comte Alexandre d’Ambrugeac, dans la Biographie des hommes vivans. Ce que nous pouvons affirmer, c’est que nous écrivons d’après des documens particuliers, que nous devons croire exacts.
  3. Nous aurions bien d’autres assertions fausses et hasardées à réfuter, dans tout ce qui a été imprimé dans les brochures et journaux de l’époque : les partis ne veulent pas encore entendre toute la vérité. Nous la réservons pour l’histoire générale que nous avons promise. (V. page cclxiv.)