Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/Précis historique/I

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CHAPITRE PREMIER.

Depuis les tems fabuleux, jusqu’à l’an 58 avant Jésus-Christ.


Celtes, Gaulois, Aulerces, Cénomans.

L’origine des peuples Celtes ou Gaulois, nous est absolument, inconnue ; et la distinction qu’on essaie d’établir entre ces deux noms est arbitraire, puisque, prenant alternativement la partie pour le tout, ou le tout pour la partie, on donne une origine plus ancienne aux premiers, dont on dit les Gaulois descendus ; ou, faisant le contraire quelquefois, on ne considère la Celtique que comme une partie des Gaules, ce qui nous semble plus exact.

Le territoire des Gaules comprenait à peu près la France actuelle, la Suisse, une portion de l’Allemagne, une autre de la Hollande et les Pays-Bas. Lorsque César pénétra dans cette contrée, il la trouva partagée en trois nations principales : les Celtes, les Belges et les Aquitains. Les peuples de la Celtique, les Gaulois proprement dits, avaient pour limites la Marne, la Garonne et l’Océan. Les Romains appelèrent cette contrée Gallia Comata, de l’usage de porter de longs cheveux. Ces peuples se servaient de la langue celtique, qui paraît exister encore intacte dans l’idiome bas-breton ; ils avaient des mœurs différentes des autres nations, et paraissaient être aborigènes ou naturels du pays.

La Celtique, ou Gallia Comata, comprenait à cette époque une centaine de peuplades ou nations, parmi lesquelles on en comptait quatre portant le nom générique Aulerci, les Cenomani, les Diablintes, les Eburovices et les Brannovices. Le territoire des Cénomans, des Diablintes, et celui de la petite nation des Arviens, composèrent la province du Maine, qui se divisait en haut et bas. Le Haut-Maine paraît représenter à lui seul le territoire des Cénomans.

Si l’origine des Celtes et des Gaulois nous est inconnue, il en est de même de l’étymologie de leurs noms. Laissons les rêveurs et les érudits, les faire descendre, les uns de Gomer et de Japhet ; les autres d’Hercule l’ancien, suivi de quelques Doriens ; d’autres de Francus, fils d’Hector, et de quelques autres fugitifs du siège de Troye ; d’un Cydnus des tems fabuleux, d’où viendrait le nom de Cydnomans ou Cénomans ; enfin d’un roi Manus, Lemanus, fils de Saturne, d’où viendrait aussi le nom de la ville du Mans ; et rapportons-nous en à l’opinion plus sage des anciens Druides, qui disaient qu’une partie de leurs ancêtres était indigène, et l’autre venue des contrées situées au-delà du Rhin.

Les Celtes portèrent leurs armes et la gloire de leur nom, en Italie, en Grèce, en Pannonie, en Thrace et en Asie, et y formèrent des établissemens.

Les Gaules, divisées, comme nous l’avons dit, en un grand nombre de petites peuplades, formaient autant de républiques ayant à leur tête un chef guerrier nommé Richs ou roi, dont le pouvoir était loin d’être absolu. Ces peuplades formaient entr’elles des confédérations, plus ou moins étendues, suivant les localités. Il est probable qu’à l’époque dont nous traitons, les Aulerces Cénomans, les Diablintes, les Arviens et les Andes, en composaient une de ce genre, sous le commandement d’un seul chef, et rangée dans la grande confédération des Armoricains, peuples qui, comme l’indique l’étymologie celtique de leur nom, occupaient tous le littoral de l’océan, à l’ouest. Nous verrons qu’en effet, ces quatre peuplades réunies, ont constamment partagé la bonne ou la mauvaise fortune des Armoricains, sous les Romains et sous les Francs.

Environ 600 ans avant J.-C., sous le règne de Tarquin l’Ancien, Ambigat, roi des Bituriges (le Berry), avait le suprême commandement des peuples de la Celtique. Voulant occuper au loin l’activité de ces peuples, dont la population croissante, et la turbulence naturelle, excitaient l’esprit de sédition, il leur proposa la conquête du midi et de l’orient comme un appât à leur ambition. Méprisant le travail et la culture, des expéditions lointaines offraient un moyen d’écoulement à leurs nombreux essaims, et dans la guerre et le pillage, des ressources pour leur existence, qui allaient leur manquer dans leur propre pays. La proposition d’Ambigat ne pouvait donc qu’être agréable à des peuples entreprenans, inquiets et valeureux ; elle devait être acceptée par eux avec enthousiasme, et elle le fut en effet. A sa voix, trois cent mille guerriers se réunissent sous les ordres de ses neveux, Sigovèse et Bellovèse, qui partagent en deux armées égales leurs nombreux guerriers, et tirent au sort les contrées sur lesquelles ils doivent se précipiter. Sigovèse, tournant à l’orient, traverse le Rhin et la foret d’Hercynie, porte la terreur dans toute la Germanie, et fonde de puissantes colonies en Bavière, en Bohême et en Pannonie. Bellovèse se dirige vers le midi, suivi de sept nations principales, dont celle des Aulerces, qui comprenait les Cénomans, les Eburovices, et les autres petites peuplades que nous avons dit leur être réunies. Après avoir donné des secours aux Marseillais, il franchit les Alpes le premier par le détroit des Tauriniens, entre en Italie, remporte une victoire sur les Etrusques près les bords du Tésin, soumet le nord de l’Italie et toute la contrée située entre les Alpes, le Rubicon, la mer et les Appennins, pays qui reçut le nom de Cisalpine, et dans lequel il fonda les villes de Côme, Vérone, Brescia, Padoue, Bergame, Vicence et Milan.

Les tribus Gauloises se partagèrent ces contrées, y devinrent nombreuses et puissantes, sous les noms différens de Cénomaniens, d’Insubriens, de Boyens, de Lingons et de Sénonois. Un petit village près de Manloue 1 Andes, devenu célèbre par la naissance de Virgile, atteste, comme nous l’avons dit, que la peuplade des Andegaves était alliée dans cette expédition avec celle des Génomans. Suivant Tile-Live, une seconde expédition des mêmes peuples eut lieu quelque tems après la première, sous la conduite d’Elitovius, leur duc, Elitovio duce. C’est à elle que l’on attribue la fondation de plusieurs des villes que l’on vient de nommer, Brescia, Bergame, Vérone, et celles de Crémone et de Mantoue.

L’établissement des Gaulois en Italie, ne fut pour eux qu’une occasion de guerres continuelles avec les habitans des Alpes et des Appennins, et avec les Romains. On ne peut dire quelle part prirent les Cénomans dans tous ces combats et dans le fameux sac de Piome, par Brennus ; ce que l’on sait, toujours d’après Tite-Live, c’est qu’ils s’engagèrent peu dans ces querelles sanglantes ; et que, devenus les alliés des Romains, ils furent les seuls des Gaulois d’Italie qui leur restèrent fidèles, lorsque Annibal eut remporté sur eux la mémorable victoire de Trébie.

La fidélité des Cénomans ne fut pas toujours récompensée ; et ce fut sans doute pour se venger de l’ingratitude du Peuple-Roi, qu’ils attaquèrent Plaisance, sous la conduite d’Amikar. Dix ans après qu’ils eurent fait leur paix avec Rome, le prêteur Marcus Furius les fit désarmer sans sujet ; mais leurs armes leur furent rendues par les ordres du sénat.

D’alliés des Romains, les Cénomans, dans les derniers tems de la république, devinrent partie intégrante de cette nation, et l’on peut douter que leur sort ait été fort heureux, même sous Auguste, si on en juge par les plaintes si touchantes de Virgile, dans sa première églogue,

Allant redemander au maître de la terre,
Le champ de ses aïeux que lui ravit la guerre.

Delille.

Quoiqu’il en soit, plusieurs écrivains, tels que Pline l’Ancien, Strabon, Ptolémée, attestent que le nom des Cénomans s’est conservé longtems en Italie. Ainsi on peut croire qu’ils ne partagèrent point le sort des Boïens, à qui Cornélius Scipion fit repasser les Alpes, l’an 191 avant J.-C ; ni celui des Insubriens qui, ayant résisté les derniers à la puissance de Rome, ne furent vaincus et soumis que douze ans après, par le consul Valerius Flaccus.