Dis-moi par quel touchant et singulier caprice (Haag)

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XIII

Dis-moi par quel touchant et singulier caprice,
Ma bien-aimée, après l’ineffable délice
De cette course errante à travers tout Paris
Où nous heurtions distraits les passants ahuris,
Vers le soir, nous trouvant au parvis d’une église
Dont le soleil dorait la pierre austère et grise,
Avec moi tu voulus entrer dans le saint lieu,
Et tu quittas mon bras pour aller prier Dieu.

La nuit venait ; la nef était profonde et sombre,
Et les cierges brûlaient paisiblement dans l’ombre,
Et l’odeur doucement troublante des encens
Mêlait l’amour mystique à l’extase des sens.
Et moi qui te voyais si belle agenouillée,
Sentant de pleurs émus ma paupière mouillée,
Je fis vœu de t’aimer plus saintement encor,
Et de garder, ainsi qu’un précieux trésor,
Ce pur et chaste feu que Dieu mit dans mon âme :
Je fis vœu de t’aimer comme on aime la femme
A qui devant l’autel on s’unit pour toujours ;
Et, fuyant à jamais ces faciles amours
Dont le seul souvenir m’était une souillure,
D’être à toi seule, à toi, tant que ce souffle dure !
O Dieu, qui m’entendis alors et qui me vis,
Tu connus la ferveur de ce vœu que je fis,
Tu connus, toi qui seul en nos âmes sais lire,
La foi, l’ardente foi, l’extase, le délire
De ce passant obscur pour qui se révélait
Ta loi d’amour, avec son sublime secret
Qui permet de souffrir pour les péchés des autres ;
Oui, je compris alors tes martyrs, tes apôtres,
Ceux qui sont morts, collant leur bouche au crucifix,
En murmurant le nom de Jésus, de ton Fils,

Dont là tout près de moi, sous sa forme mortelle,
Le corps sanglant, au fond d’une obscure chapelle,
Me semblait s’entourer d’une étrange clarté ;
Je jurai sur ce corps du Dieu persécuté
D’être, selon sa loi, généreux, charitable,
Indulgent aux méchants, aux humbles secourable,
Et de me rendre enfin digne de ce bonheur,
Dont je sentais s’emplir et déborder mon cœur,
Par des dons ignorés, par d’obscurs sacrifices
Dont je pourrais goûter en secret les délices,
Sachant que c’est pour toi que je me prive ainsi,
Pour toi, mon adorée, et pour que tout souci
Soit loin de ta pensée, et pour que toute trace,
Toute ombre de péché de ton front pur s’efface.
Et j’étais là perdu dans l’ombre d’un pilier,
Et je sentais, saisi d’un trouble singulier,
Dans le silence ému de ces voûtes de pierre
Nos âmes devant Dieu s’unir dans ta prière.