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Discours de réception (éd. Fleuron 1950)

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DISCOURS DE RÉCEPTION

à l’Académie Royale belge
de langue et de littérature françaises

Colette ayant été élue par l’Académie Royale belge
de langue et de littérature françaises, à la place
vacante par la mort de Madame la Comtesse
Anna de Noailles, y est venue prendre séance le
samedi quatre avril mil neuf cent trente-six. Le
discours qu’elle a prononcé a paru aux éditions
Grasset, en 1936. Tiré à 1.871 exemplaires dont :
9 exemplaires sur vieux japon, 11 exemplaires sur
japon impérial, 21 exemplaires sur hollande Panne-
koek, 60 exemplaires sur vélin Lafuma, 1.770
exemplaires sur alfa hélio Navarre. L’achevé d’im-
primer est du 30 avril. Il semble pourtant que le
bulletin de l’Académie Royale belge de langue et
de littérature françaises, donnant le discours de
Colette, imprimé à Liège, ait précédé de quel-
ques jours l’édition Grasset. Nous laissons aux
bibliophiles le soin de décider si cette publication
belge, non mise dans le commerce, doit être considérée
comme une originale ou une pré-originale.
N’a pas été réédité.

DISCOURS DE RÉCEPTION
à l’académie royale belge

Messieurs,


Lourde d’un éloge que vient de verser sur moi la bouche la plus autorisée, la plus indulgente aussi, je me lève pour répondre, après avoir été plus d’une fois tentée, oubliant protocole et courtoisie, d’interrompre Valère Gille, de la voix et du geste, pour dire : « Ceci est trop, et trop beau ! » Car la lucidité ne m’a pas été refusée, et je demeure mon juge le plus sévère. L’honneur que me fait l’Académie royale est si grand, je le trouve en le mesurant si disproportionné à mes mérites, que depuis plusieurs mois j’ai tremblé à l’idée de paraître devant vous. Tremblé d’émotion, certes, de gratitude aussi, comme fit assurément, devant la première académie, le premier récipiendaire, qui par un témoignage spontané établit un long usage, celui de commencer un discours académique par un remerciement. Si l’usage n’existait pas, je l’inventerais aujourd’hui.

Je n’apporte pas ici, Messieurs, de modestie feinte. Peut-être même n’apporté-je pas de modestie du tout. L’humilité a sa source dans la conscience d’une indignité, parfois aussi dans la conscience éblouie d’une sainteté. Où aurais-je puisé, dans ma carrière, autre chose que de l’étonnement ? Je suis devenue écrivain sans m’en apercevoir, et sans que personne s’en doutât. Sortie d’une ombre anonyme, auteur de plusieurs livres dont quelques-uns étaient signés de mon nom, je m’étonnais encore que l’on m’appelât écrivain, qu’un éditeur et un public me traitassent en écrivain, et j’attribuais ces coïncidences renouvelées à un hasard complaisant, hasard qui de palier en palier, de rencontre en prodige, m’a amenée jusqu’ici. N’allez pas me plaindre de ce que la soixantaine me trouve encore étonnée. S’étonner est un des plus sûrs moyens de ne pas vieillir trop vite.

En écoutant Valère Gille me souhaiter la bienvenue, je pensais qu’il fut donné au poète, au sourcier et à l’élu de Dieu, — qui tous trois peuvent être une seule et même personne — d’appeler au jour la source invisible, et de hisser la fleur hors d’une aveugle graine. Vous avez été témoins que ce poète-ci m’a changée en poète, et m’a fleurie de la tête aux pieds. Puissiez-vous me voir telle qu’il m’a peinte ! Il ne m’a pas enivrée au point de m’ôter la seule vertu dont je me targue : le scrupule. Plus circonspecte chaque jour devant mon travail, et plus incertaine que je le doive continuer, je ne me rassure que par ma crainte même. L’écrivain qui perd le doute de soi, qui sur l’âge se fie à une soudaine euphorie, à l’abondance, que celui-là s’arrête : le temps est venu pour lui de poser la plume.

Une fortune amère voit ma gratitude et mon hommage respectueux s’élever vers des buts absents : ce pays est privé douloureusement de sa jeune Reine, et Jules Destrée, fondateur de cette Assemblée, n’est pas à la place où son visage profondément sculpté, son regard empreint d’une bonté active et désabusée m’eussent accueillie. Destrée a rejoint Verhaeren, Max Elskamp, Charles Van Lerberghe, il goûte le repos qu’il espéra, et qu’il connut peu pendant sa vie. Le réconfort que m’eût apporté sa présence, il me faut le chercher et le trouver ailleurs. La bienveillance, le large accueil comptèrent toujours parmi les vertus nationales de la Belgique, et je connais dans cette salle des hommes qui m’honorent d’une amitié déjà ancienne, aussi bien Albert Mockel n’a cessé, depuis quelques semaines, de me convaincre que vous étiez rassurants : souffrez donc que je me rassure, ou que je m’y essaie.

Vous avez confié à un poète le soin de m’accueillir. Il n’a parlé qu’en prose, encore que dans sa prose le bondissement, la vivacité de l’image et son faste décèlent que Valère Gille est guidé par un rythme impérieux. Fidèle au nombre, sa prose garde une palpitation, un chant, comparables aux mélodies tenaces que nous accordons involontairement, tout bas, aux battements de notre cœur. Musicien des mots, inséparable d’une noblesse classique, c’est par pure modestie qu’il a voulu délester sa muse de la grande lyre encombrante, et qu’il l’a pourvue d’une… Cithare[1]. Rarement la cithare, grêle et qui bourdonne comme l’abeille irritée, aura rendu d’aussi amples sons ! Quelle glose, et quelle prose auront un vol assez puissant pour continuer ici le poème que Valère Gille dédia à celle qui

Haletante d’amour, de parfums, de beauté,
Enfant au cœur trop lourd des roses de l’été,

revit à Amphion dans un jardin que nous voulons tous fleurir ?

L’honneur de m’asseoir parmi vous, d’occuper un fauteuil hanté où sans effort je distingue celle qui trop tôt me le céda, celle que vous y vîtes assise, mince, la tête dressée, ses pieds ravissants croisés l’un sur l’autre, — c’est une grâce qui me vient de loin, une récompense qui chemina vers moi par des voies bifurquées. Une chance insigne dut s’émouvoir en ma faveur, afin que je puisse dire en entrant, à votre Assemblée, non pas « J’arrive », mais bien « Je reviens ». Cette chance qui me fait doublement vôtre, Valère Gille l’a rendue claire, en parlant de ma famille belge, en me légitimant si j’ose ainsi dire, à l’aide du plus honorable « pedigree ».

Ce qu’il n’a pas pu connaître, c’est la tendre nostalgie qu’avait gardée, d’une adolescence qui s’écoula à Gand et à Bruxelles, celle que j’appelle comme l’appelaient ses frères, ma très chère Sido. Ni la Puisaye où elle se maria deux fois, ni Paris pour lequel elle n’avait jamais assez de temps, assez d’yeux et d’oreilles, rien ne supplanta, dans le cœur de ma mère, les belles villes belges, la chaleur de leur vie policée et douce, gourmande, et amoureuse des choses de l’esprit. De la bouche de Sido dans mon oreille enfantine tombaient des paroles dont le son ne s’est pas évanoui. À six ans, lorsque les enfants de mon village soupiraient : « Paris ! », moi j’espérais « Bruxelles » et j’étais fière de ne pas dire « Bruqcelles » à la française.

Le plus beau est qu’en touchant par tous les sens à la capitale belge, mes exigences enfantines n’eurent pas de déception. Au numéro 25 de la rue Botanique s’ouvrirent pour moi une maison et des cœurs que Sido m’avait fidèlement dépeints. L’architecture même de la demeure belge, comme je l’ai trouvée séduisante ! Comme j’ai aimé sa cuisine-de-cave, cuivres clairs et faïences bleues, et le flottant arome du café permanent, et la voix du perroquet qui parlait l’espagnol presque aussi bien que ma tante, cette Cuvelier de Trye, évoquée par Valère Gille, lettrée, musicienne et polyglotte qui enseigna à ses fils, mes cousins germains, le grec et le latin,… le salon et ses rideaux de dentelle joints derrière les jardinières offertes à l’admiration du passant,… la salle à manger étouffée entre le salon et la serre,… la serre tournée au midi, où les oiseaux en cage chantaient, où jouaient les enfants, où dormait le chat sous une plante verte… Je venais de la campagne libre, et d’un beau jardin, mais rien ne rivalisa avec la vieille serre belge, avec la lourde et constante température qu’entretenait le coke belge flambant, avec la gastronomie belge — qui ne se nourrissait pas d’illusions ! Délicats poissons de la mer du Nord, waterzoïe, longues écrevisses de la Meuse, grosses comme de petits homards et qui coûtiez sept centimes la pièce, j’offrais à votre succulence un palais déjà gourmet, et un estomac qui fut toujours exempt de soucis… Autour de ce solide pivot qu’était un bon repas, imaginez, comme je fais moi-même, la cérébrale griserie d’un café fin, la musique sous des doigts de bons musiciens, l’esprit français marié à l’humour belge, et une parfaite entente familiale…

Comment voulez-vous qu’avec de pareils souvenirs, de pareils commencements, j’aie pu croire jamais qu’il existât une frontière entre votre pays et le mien ? Mes connaissances en géographie, qui sont piètres, n’ont point redressé une erreur qui n’est au vrai qu’une manière de voir. Cette frontière, on peut m’assurer en vain qu’elle existe. L’esprit et l’amour ont si tôt fait de la survoler ! Y eut-il une frontière quand la Belgique, par deux fois frappée, perdit son Roi, puis sa jeune Reine, tous deux bien-aimés, y eut-il une frontière pour empêcher la profonde tristesse française de rejoindre le chagrin infini des cœurs belges ?

Une longue route, celle de ma vie, une longue expérience, celle de mon cœur, partent donc d’ici, m’y ramènent et, en quelque sorte, m’y fixent. Mon instinctif penchant qui se plaît à la courbe, à la sphère et au cercle, s’en contente superstitieusement. Tendre vers l’achevé, c’est revenir vers son point de départ. Les vrais aventureux n’y reviennent pas ; mais je n’ai rien de la vraie aventureuse. La pionnière, la hardie, la chimère sans bride, ce n’est pas moi, c’est celle qui manque à notre Assemblée, et que je ne remplace pas.

Notre amitié ne fit pas grand bruit. Elle se forma assez tard, presque indépendante de l’admiration que je vouais à la comtesse de Noailles. Vous vous étonnerez peut-être de ne m’entendre, dans mon discours, ni la citer autant que l’envie m’en viendrait, ni ménager à son œuvre ces moments de critique courtoise qui renforcent une louange éclairée. Ma part, je ne veux pas qu’elle soit de discuter un poète, d’assigner une dimension, une qualité, à des poèmes dont le moindre a capté pour toujours une parcelle merveilleuse du sensible univers, comme le bloc d’ambre préserve une aile éternelle de mouche, ou la délicate arborescence qui suggère la forêt inconnue. Découvrir, louer Madame de Noailles ? Je verrais autant d’impertinence à ceci qu’à cela. Ma part, que je choisis, est la meilleure, celle du peintre, celle d’un certain peintre. Anna de Noailles eut, comme les princes autrefois, ses peintres officiels, de qui la plume et le pinceau se vouèrent aux caractères évidents de sa personne et de son génie. En outre elle eut, et non moins nécessaires aux destins fulgurants, les caricaturistes, qui s’emparèrent de ce qu’elle-même donnait en pâture : la véhémence de son geste, sa voix de bronze et d’argent qu’elle forçait parfois, son nez fier et pincé, la profonde orbite qui ombrageait les plus beaux yeux du monde. Charges et portraits sont bons pour le musée. Mais en marge des effigies officielles, une souveraine rencontre toujours un peintre obscur mais épris, ébloui mais fidèle, qui traça pour lui-même un croquis ressemblant, inachevé, respectueux à la fois du modèle et de la vérité. Ce peintre oublieux du décorum, assez heureux pour avoir surpris en négligé son modèle, pour avoir pu noter la chevelure épandue, le ruban dénoué, la sandale tombée, ce bénéficiaire d’un moment d’abandon ou de frivolité, je voudrais que ce fût moi. Je voudrais, comme il arrive, que l’esquisse fît autorité, que l’on vînt sur elle consulter le reflet authentique d’une chevelure morte, le pli du sourire, la ligne creuse et amère qu’effaçaient sur commande les portraitistes d’apparat. M’y prenant au rebours de ceux qui la célébrèrent, je ne dirai pas : « Ce grand poète avait les yeux tour à tour éclatants et voilés, des traits fermement modelés qu’un front inoubliable couronnait… » mais je dirai : « Dotée d’un front plein de présages, d’un nez à la fine et dure attache orientale, de deux yeux profonds et vastes, Madame de Noailles était donc un grand poète. » Car nous n’échappons pas à notre enveloppe, et nous ne la trahissons qu’au prix de mille peines. Les portraits d’enfant de la princesse Anna de Brancovan attestent qu’elle naquit belle, qu’elle eut toujours des yeux resplendissants, si grands qu’ils débordaient un peu sur la tempe, des lacs d’yeux sans bornes, où buvaient tous les spectacles de l’univers.

La première fois que je l’aperçus, c’était à une fête chez le comte Robert de Montesquiou, au Pavillon des Muses. Elle était mariée depuis peu, et portait la parure qu’on retrouve sur son portrait par Antonio de La Gandara, une robe très pâle, couleur d’argent bleu, la taille sous les seins. Une petite bandelette de ruban maintenait les cheveux rabattus sur le front, — je dis rabattus et non coupés, car Madame de Noailles attachait une grande importance à ce détail. Ayant toujours repoussé l’injure des ciseaux, elle pliait ses cheveux sur son front, au-dessus des sourcils, d’une manière qui imitait la frange taillée. Le bleu indéfinissable de sa robe et de la bandelette du front jouait en étincelles sur le blanc teinté de ses yeux…

À cette époque où sa beauté était celle d’une adolescente, le monde déjà accourait à elle : elle accueillait l’hommage avec la majesté et la gravité des enfants, et ne semblait ni profondément heureuse, ni enivrée, car rien d’humain ne guérit la mélancolie des élus. Son aurore couvait déjà le sombre vers que je lui donne comme devise :

Solitaire, nomade et toujours étonnée…

Quelquefois elle se couronnait d’un petit diadème de joaillerie légère, qui lui était ensemble seyant et superflu. Je ne sais s’il faut appeler mérite, ou simplement travers, le mouvement qui me poussa toujours à douer d’une importance psychologique la différence, infime et capitale, que du jour au lendemain je déchiffre sur une personne, dans l’arrangement de sa coquetterie, le détail de son vêtement et jusque dans le matériel de ses parures… Celles de Madame de Noailles occupaient mon attention presque autant qu’elle-même. Un peu plus âgée qu’elle, je me sentais pourtant trop jeune pour lui plaire, et je contemplais, à travers la grille harmonieuse de ses vers, la jeune femme de qui les origines, les dons et la beauté faisaient un être sans second, apte à visiter familièrement et à nous rendre intelligible tout ce qui était hors de notre portée, y compris un certain héroïsme et des formes exceptionnelles de l’amour. Je gravais dans mon souvenir son apparence corporelle singulièrement variable, tantôt meurtrie et tantôt amendée, tantôt évidée mortellement, tantôt reposée et contemplant toutes choses avec l’affabilité d’une jeune fille qui sort d’un long sommeil. Sans qu’elle quittât sa volubilité précise, je voyais Madame de Noailles projeter son regard par-dessus l’interlocuteur, vers un champ d’ébats invisibles. La même évasion, le même bond insolent vers la solitude, je l’ai vu maintes fois, — les deux noms valent d’être ici rapprochés — je l’ai vu accomplir par Philippe Berthelot, qui lorsqu’il se sentait retenu d’une manière importune, se libérait ainsi sans effort, et gagnait des sites immatériels. La différence est qu’à triompher du fâcheux et à le fuir immobile, Philippe Berthelot révélait son absence par une merveilleuse dureté, empreinte dans la prunelle bleue et glaciale, dans la crispation de son menton de fauve. Tandis que Madame de Noailles, soustraite en esprit à un entretien qu’elle trouvait fastidieux, semblait soudain languir d’aise, déléguer tous ses sens au loin, n’entendre que le vent d’été et la voix des fontaines.

La douceur persane de son grand regard dans ces moments-là, quelques photographes heureusement l’ont saisie. Mais aucune image ne pouvait nous transmettre le retour de Madame de Noailles à la réalité, à l’insipide et offensant interlocuteur. Elle avait une foudroyante manière de rappeler à elle son regard extasié, de le planter dans un autre regard, de darder un humour terrible, un étonnement qui écrasait, une interrogation qui se pouvait traduire par les mots : « Pourquoi n’êtes-vous pas mort ? » Quels javelots ! J’ai vu quelques-uns des causeurs incommodes traversés d’une pointe si aiguë, qu’ils mouraient en effet, — pour quelques instants — sous le regard qui les supprimait du monde.

Des années passèrent, et ne me rapprochèrent guère d’un poète qui, environné d’abord d’un culte de chapelle, entendait grandir la voix confuse qu’elle aimait, le murmure de la gloire. Je ne faisais rien, d’ailleurs, pour joindre souvent Madame de Noailles, que je me bornais à entrevoir, à saluer brièvement et à écouter d’un peu loin. Libre en paroles, et tutoyeuse, je ne fus jamais prompte à me lier. C’est Madame de Noailles qui bouscula le hasard et ma propre hésitation. Il y fallut aussi l’égide d’une amie commune, qui est celle de tous les arts et de presque tous les artistes, la princesse Edmond de Polignac. Il y fallut la présence, la profonde et chaleureuse douceur de la princesse de Chimay, adorable figure de la tendresse, qui s’obstinait à vouloir n’être qu’une sœur effacée de Madame de Noailles, mais que les lumières de son visage et de sa pensée dénonçaient…

Ainsi naquit l’amitié réciproque. Au lieu de l’attention fugitive qu’elle me donnait auparavant, au lieu d’une curiosité dérobée, qu’elle me manifestait parfois par un regard jailli, dirai-je, de son profil, — l’œil débordant sur la tempe laissait largement jouer la prunelle, comme dans les figures d’Égypte — je comparus devant une affection qui avait ses moments de sévérité et d’inquisition. J’imagine que le poète aima, chez autrui, toutes les formes de la réserve. La mienne, qui n’était pas feinte, lui plut. Éloquente, grandiloquente, volubile, Madame de Noailles ne livrait pourtant que peu d’elle-même, en agitant autour d’elle des paroles nombreuses, comme autant de voiles qu’exigeait sa pudeur. N’aimant pas les questions, elle excellait à y répondre abondamment, avec une vivacité parfaitement évasive.

J’aime trop mon sujet, Messieurs, et la vérité, pour déformer, diluer complaisamment ce que fut notre lien. Il ne s’affadit pas de rapports quotidiens et confidentiels, ne descendit pas à cette familiarité de ton qui rabaisse un sentiment pur. Je ne crois pas avoir, avec Madame de Noailles, pris la parole la première, demandé, la première, son numéro téléphonique. J’attendais qu’elle m’appelât. Ce sont là des égards que la prose méticuleuse doit à la poésie sans frein, c’étaient aussi des précautions qui ménageaient le silence et le sommeil que Madame de Noailles goûtait à des heures arbitraires ; je respectais ainsi la capricieuse fragilité, que beaucoup croyaient affectée, les écarts d’une santé sur laquelle elle garda longtemps un secret courageux et pudique. Car elle se taisait sur ses souffrances sauf qu’elle s’écriait, chroniquement : « Je suis mourante ! » avec un éclat qui déconcertait toute crédulité. Ni le commun des mortels, ni ses amis ne crurent qu’elle mourait, tant que Madame de Noailles, d’une clameur forte ou d’un ton de menace enjouée, l’annonça elle-même. Quel poète, digne de ce nom, ne meurt pas vingt fois par jour, de tout ce qui le blesse moins que de tout ce qui l’enchante ?

J’attendais donc que de son lit d’insomnieuse, où elle gisait vers midi, d’où elle se relevait le soir, elle m’appelât au téléphone. Quelle est la part d’elle-même que je réconfortais ? Je ne saurais le dire au juste. Mais à la voir s’éclairer, à l’entendre, quand je survenais, rire, et me poser dix questions, à la sentir s’emparer de mon gros bras, fourrager par jeu et mêler à deux mains mes cheveux, j’évoquais l’enfant princier dont la languissante anorexie refuse les mets délicats et qui convoite la tranche de gros pain, tartiné de fromage blanc et d’oignon cru, mordue à belles dents par le fils du jardinier.

On a supposé, on a démontré qu’un sentiment vif et païen de la Nature nous avait rassemblées. Mon Dieu, je le veux bien. Mais je me permets d’assurer que ni Madame de Noailles ni moi nous ne nous fussions contentées de similitudes. La coïncidence d’aimer pareillement tout ce qui sous le ciel respire, prospère, se renouvelle et ne change pas, décline et meurt hors de la volonté humaine : le divertissement de comparer, puisés aux mêmes sources, le lyrisme que Madame de Noailles éperonnait et menait vers les abîmes, et ma prudente exaltation bridée par la prose, — eussions-nous trouvé là de quoi nourrir un grave penchant ? Je ne l’ai jamais cru. Mais entre nous que de divergences salutaires, à commencer par son goût pour la chose publique, sa fièvre de l’agora, une violence politique qu’elle tenait pour originelle,… et qui d’ailleurs n’admettait aucun féminisme ! Sa vocation d’élire, de convaincre et de dominer, sa puissance oratoire, il m’arriva de les traiter, légèrement, de « congestion électorale »… Je me souviens que les ailes de son nez fier blanchirent de courroux, et que sa réplique résuma, pour les juger rudement et les condamner de haut, toutes mes modesties passives.

De tels sursauts versaient un tonique à notre amitié. Le plus cinglant reproche qui me vint de la bouche de Madame de Noailles vaut que je le cite, car il me fut jeté au nom de l’amour. Dès que nous avions parlé, tête à tête, de l’amour, j’avais bien vu qu’il fallait m’attendre à faire figure de pauvresse, ou, ce qui est pis, de petite thésauriseuse. La munificente que j’avais devant moi avait, dès l’adolescence, dépassé les bornes qui assignent à l’amour des dimensions humaines. Pour la plus grande pureté de la flamme amoureuse, la prodigue, l’embrasée savait et enseignait que donner, recevoir, prendre et renoncer sont une seule et même consomption. Dans la forme décrétale qui était la sienne, Madame de Noailles dit leur fait à mes errements d’amoureuse ordinaire, qui me fiais au créé et au tangible. Un flot de paroles me condamna, m’ôta le battement pathétique et le discernement du cœur dans un dernier et accablant reproche : « Vous, aimer ? Vous n’aimez même pas la gloire ! » Mot, réflexe qui nous introduisent, mieux encore qu’un poème, dans l’élément respirable de Madame de Noailles, dans son oxygène brûlant et pur qu’agitaient des ailes démesurées. Celle qui, sans ménagement, faisait ainsi le procès de la modestie ne se laissa jamais abuser par l’adulation : elle avait l’oreille juste, et musicienne.

Ce qu’elle préféra en moi, n’est-ce pas ce qu’en moi vous avez élu, Messieurs ? La coutume et l’inclination veulent que parmi les membres de cette Académie un peintre, un poète, un prosateur soit toujours requis par le culte de la Nature. Mais il n’y eut pas, pour Madame de Noailles et moi, de bucolique à deux voix. Je fus prompte à voir combien mon expérience et ma mémoire des choses agrestes pâlissaient devant son improvisation. Ce que j’avais appris de la Nature, la fragile enfant du jardin bien ordonné d’Amphion l’inventait puissamment. Je parle ici de l’époque où la santé de Madame de Noailles commençait à lui mesurer les heures de bien-être et d’activité physique. J’approche du long moment de sa vie pendant lequel, couchée, elle construisit et contempla tous les paysages de la terre sur le store baissé d’une unique fenêtre. Le voyage n’est nécessaire qu’aux imaginations courtes. Pour que Madame de Noailles témoignât quelque curiosité envers des aspects qu’elle ne créait point, il fallut une maladie longue, un travail de dépérissement auquel elle disputa farouchement son corps et son esprit. Elle eut, menacée grièvement, des rémissions miraculeuses. Elle arrivait à l’improviste pour voir mon petit jardin d’Auteuil, favorisé en mai et en juin d’une glycine torrentueuse, d’une tonnelle de roses, de rhododendrons à grands candélabres de fleurs, et d’un buisson d’essences odoriférantes. La première fois qu’elle y vint, je lui mis dans la main une poignée de verdure froissée, dont le parfum de citronnelle adoucie et de géranium la ravit, l’étonna. Elle demanda le nom de l’herbe merveilleuse, de la plante unique et rare, venue pour moi seule d’un Orient de jardins, de terrasses et de cascades…

— Mais, lui dis-je, c’est tout simplement la mélisse des abeilles.

— De la mélisse, s’écria Madame de Noailles, de la mélisse ! Enfin, je connais donc cette mélisse dont j’ai tant parlé !

On a cité, d’elle, des mots pénétrants, des mots justiciers, des mots impitoyables. Mais on a peu parlé d’un humour lucide, qui s’exerçait parfois à ses propres dépens comme le mot spontané que je viens de citer. La sagesse et la confiance m’inspirèrent de m’en rapporter, pour me former d’elle des vues partielles et des opinions successives, à sa propre critique, à son jugement personnel. Lorsqu’elle proclamait : « Je suis un grand poète ! » je ne craignais pas qu’elle se trompât, car je discernais dans son accent le feu et l’humilité des vocations, l’obéissance au dieu… Elle disait aussi : « Je suis un grand comique, et malheureusement personne ne le sait ! » Ce mot-là venait après des soirées où l’intimité nocturne, l’ivresse qui lui venait avec la nuit et la parole, son plaisir d’être le centre d’un cercle restreint nous avaient transportés de gaîté. Plus connues sont deux paroles qu’elle laissa, comme deux pleurs étincelants, sur sa mémoire : « Je suis féroce, mais sans l’ombre de méchanceté » et enfin : « J’aurai été inutile, mais irremplaçable… »

Irremplaçable, impérissable, — telle je la vois parmi nous, jouant avec le brin de laurier que vous lui avez donné. Elle vous aimait, elle aimait la ferveur sans apparat qui l’accueillit ici. C’est pourquoi j’ai voulu partager avec vous, avec vous seulement, ce qui me demeure d’elle… Il est l’heure, avant que je finisse ce discours, d’ouvrir ma mémoire la plus attendrie, de vous faire entrer sur mes pas, à petit bruit, dans la chambre où Madame de Noailles vécut longtemps, avant d’y mourir. Étroit univers d’où son âme à travers les parois s’élançait, chambre réduite presque à un lit, lit qui cessait d’être une couche pour mériter le beau nom d’atelier, — je vous montre les draps fins dont la batiste et la soyeuse courte-pointe recevaient en éclaboussures les gouttes exsudées par le labeur, taches d’encre un jour, de pastel le lendemain, selon que Madame de Noailles écrivait ou qu’elle peignait, car elle laisse des portraits menés d’un trait libre, et des pages nombreuses de fleurs, des anémones poudrées de pollen violet, des lilas d’hiver d’un blanc chlorotique, des tulipes et des mimosas… Au bas du bouquet, l’A et l’N, signature du peintre, sont fémininement noués en ruban. À cause de ma chatte, Madame de Noailles peignit et me donna le portrait d’une touffe d’avoine verte, le pot d’herbe pour les chats…

Cette chambre, champ de travail, lieu secret de la lutte contre le mal, oratoire où se recueillir dans la demi-ténèbre diurne, je n’y fus admise que sur le tard de la vie de Madame de Noailles. En permettre l’accès, se laisser voir telle que le jour, même tamisé, la trouvait, ce fut, lorsqu’elle déclina, chaque fois une sorte d’abdication affectueuse, un aveu de progressive faiblesse, un renoncement à sa féerie nocturne. Le soir, elle avait sa blancheur, sa transparence de précieuse cire, ses narines serrées et pâles, l’arcade profonde et sereine de ses sourcils, — le soir, elle avait tout ce que nous n’avions pas. Le monde, et ceux qui l’ont gouverné l’écoutaient éblouis. Une allégresse guerrière l’entraînait. Elle parlait, et la nuit, qui avait raison de notre fatigue, passait sur elle comme une rosée. Nous savions que minuit sonnait, qu’il était une heure, deux, trois heures du matin. Nous sentions nos visages de femmes se creuser sous un fard échauffé ; la barbe perçait au menton des hommes et les noircissait… Mais Madame de Noailles parlait, et gardait sa pâleur florale. La nuit finissant, il lui venait comme aux tubéreuses une nuance vaguement rose, en haut des joues. Un éventail brisé éprouvait la vigueur de ses petites mains parfaites dont le souvenir m’émeut encore…

Quand je revenais d’un été de campagne, hâlée, ayant travaillé au jardin, bêché, écaillé ma peau au soleil, à la mer et même au fourneau, je m’amusais à prendre dans ma main une des mains d’Anna de Noailles. Ses doigts et sa paume brillaient au creux de ma main comme la chair blanche d’une noix dans son écale sèche… C’est au gré de cette petite main lumineuse, levée au-dessus des draps dans un geste d’appel, que je m’approchai parfois, les deux ou trois dernières années de sa vie, du lit où gisait Madame de Noailles. Il était onze heures, ou midi, dehors. Dans la chambre, il était l’heure noire de dormir, de souffrir. Sauf l’appel de la petite main, je n’y voyais goutte, d’abord. Aussi blancs que le drap, son visage et son corps subtils pesaient peu, ne creusaient guère l’oreiller, et ses yeux ne pouvaient livrer leur rare couleur d’eau montagnarde dormant dans une coupe de granit. Mais un ruisseau de cheveux sombres, empiétant sur le front renversé, coulait au long d’une seule joue, et tarissait, effilé, sur une seule épaule. Doux cheveux fins, que Madame de Noailles ne sacrifia jamais à la mode ! Couchée, elle leur donnait une liberté relative, ramenés toujours sur une seule épaule, et elle les caressait tout en parlant…

J’approchais, retenue par la crainte d’écraser une page manuscrite, un croquis au pastel, ou le stylographe préféré, un stylographe noir qu’elle appelait « le gros ». Mais si je voulais m’asseoir loin du lit, la petite main impérieuse, incroyablement vive, happait au passage un pan de mon manteau, mon gant, la laisse de ma chienne, et m’attirait. Un corps léger soulevait les couvertures, reculait pour me faire place, et la célèbre voix, assourdie, assoupie, m’enjoignait de m’asseoir en amazone sur le bord du lit qu’offensaient ma jupe rêche, parfois humide, mon imperméable qui sentait la pluie. C’étaient justement ce tissu hérissé, cette humidité, ces témoignages d’hiver extérieur, de printemps boueux, de précoce été, qu’interrogeaient les deux mains si délicates. Au « d’où venez-vous, ma chère ? » je répondais : « De la Cascade… de Bagatelle… d’une allée près des Lacs… » Le blanc visage, qui me devenait distinct, se soulevait, s’animait d’amitié inquisitrice :

— Si tôt ? Si loin ? se récriait Madame de Noailles. Et vraiment, il pleut ? Et pourquoi vous promenez-vous ? Est-ce un vœu ? Un châtiment affreux ? Une manie ? Quoi ? Vous avez vu des oiseaux ? Quels oiseaux ? Vous êtes un poète, ma chère, vous croyez les avoir vus ! Quels oiseaux voulez-vous qu’il y ait dans un misérable Bois de Boulogne ?

Elle s’éveillait, accélérait son rythme, j’avais à peine le temps de répliquer, de poser une question, une seule, à laquelle répondait le mot qu’elle nuançait de cent manières : « Moi ? Mais, ma chère, je suis mourante ! » Dans ce temps-là elle le jetait encore avec une sorte de défi, avec l’accent éclatant de la santé, ou comme l’énoncé d’une formalité simple. Au cours de notre entretien, je la voyais plusieurs fois pâlir, tandis que ses prunelles remontaient sous ses paupières. Mais je restais, comme tous, incrédule, car c’était encore l’époque où vers le crépuscule elle émergeait de la houle des draps, se confiait aux soins, aux sollicitudes qui ne l’ont jamais quittée ; où le crépuscule du soir pouvait encore la changer, pour une nuit, en une sorte d’oiseau de paradis multicolore et blessé, plein de son propre chant et insensible à sa blessure…

Une seule fois, pendant nos entrevues de midi sans soleil, elle me dit : « Aidez-moi », car elle se sentait souffrante et voulait s’asseoir sur son lit. Une seule fois j’ai saisi à pleins bras son corps léger, — car nul autant qu’elle ne repoussait les contacts affectueux et les petits baisers de bienvenue — un seul moment elle a appuyé sa tempe contre mon épaule, et j’en ai ressenti l’émotion brusque qui nous envahit quand nous étreignons un enfant, un enfant convalescent qui s’abandonne à notre force. Ce matin-là, rien qu’en appuyant sa tempe contre moi, rien qu’en tenant closes, l’espace d’un moment, ses paupières et ses lèvres, celle qui n’était, devant tous, que jeux éblouissants du verbe et lueurs guerrières, m’a fait l’aveu de son épuisement, m’a annoncé qu’elle était près de finir. Du bref évanouissement, elle ressuscita avec un brusque et riant courage, qu’elle éparpilla en questions qui ne voulaient pas de réponses, ces questions-réprimandes qui trahissaient moins de curiosité que de blâme, moins de blâme que de despotique souci de ma vie :

— Et pourquoi, ma chère, avez-vous écrit dans un de vos livres que la dignité est un défaut d’homme ? Croyez-vous vraiment, ma chère Colette, que ce chapeau de vieux chasseur, rabattu sur votre nez, soit nécessaire à la joie de vos promenades ? Qu’avez-vous mangé ce matin ? Dites-moi, craignez-vous de mourir ? Quand vous pensez à la mort, comment y pensez-vous ?… Êtes-vous amoureuse en ce moment ?

Je me souviens que j’eus lieu de lui répondre, en toute vérité : « Non, je ne suis pas amoureuse en ce moment », et qu’elle garda le silence avant de dire : « Alors, comment se fait-il que vous ayez l’air heureux ? »

Ces questions vivaces, qui se sont tues, je ne les ai supportées, je ne les supporterai d’aucune autre bouche. Ces entretiens, que je fais exprès de ne point relater dans leur détail, dans leur riche liberté, que je ne confierai à aucun journal et à aucun livre, sont perdus pour tous, sauf pour moi. Est-ce d’avoir refusé de la contempler morte que j’imagine notre séparation, non comme une abrupte décision, mais comme un éloignement variable ? Hier elle était absente, et muette, aujourd’hui elle est parmi nous, demain je la verrai gisante sur ce lit qu’elle couvrait d’un chaud désordre, aussi bien je n’ai qu’à consulter, s’il manquait aux yeux de ma mémoire un détail, ces images qu’a fixées et que m’a données une main tendre et filiale : à gauche du lit, au-dessus d’une table de chevet, il y a trois prises électriques, deux pour la lumière, une pour la sonnerie ; un flacon d’eau de toilette en verre tors, de la fabrication la plus ordinaire ; un étui à lunettes en travers d’un gros tome de Victor Hugo, — et une lampe à pied nickelé, commode, laide, enlaidie encore par des carrés d’étoffe opaques qui ne sont pas même ourlés, un, deux, trois lambeaux d’étoffe qui, superposés, tamisaient la lumière de la lampe…

À droite du lit, il y a, sur une table identique, la bouteille d’eau minérale, le gobelet de verre ; un appareil téléphonique qui date, et la bouilloire électrique posée sur un Montaigne ; une pendule-chevalet carrée… Ô force d’une âme douée d’ardeur, et visionnaire ! Un pareil décor a nourri les rêves et le labeur d’Anna de Noailles pendant vingt années. Une cellule lui eût suffi : elle s’y fût même passée de la présence de Dieu.

Entre les deux tables, la douce main filiale n’a pas photographié le lit vide. Elle n’a pas non plus — de quoi je lui rends grâces — recueilli l’image couchée d’Anna de Noailles, reposant sous le sceau de ses mains unies. J’ai refusé le spectacle de sa beauté définitive et muette. Mon hommage, je ne l’apporte pas à une morte, mais à la vivante, à la fragile, que j’ai perdue sans la voir mourir. Encore l’ai-je perdue ? Depuis qu’elle s’est retirée de nous, je l’ai retrouvée cent fois. Sa voix inoubliable, de bronze et d’argent, qui distribuait aux présents et aux absents un équitable tribut de fleurs, de flèches, de couronnes, de sentences sans appel, je l’entends à mon gré. Elle me demande comme autrefois : « Vous n’aimez donc pas la gloire ? » Mais si, j’aime la gloire. J’aime la gloire d’Anna de Noailles. Puissé-je l’avoir aujourd’hui, dans le pays qu’elle aimait, devant ses pairs et ses amis, devant ma conscience d’écrivain et mon amitié, toutes deux également ombrageuses, — puissé-je aujourd’hui l’avoir bien servie !


  1. La Cithare, un volume de vers par Valère Gille.