Discours sur la louange de la vertu et sur les diverses erreurs des hommes

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Texte établi par Léon SéchéRevue de la Renaissance2 (p. 130-135).

DISCOURS SUR LA LOUANGE DE LA VERTU ET SUR LES DIVERSES ERREURS DES HOMMES

A SALM. MACRIN

Bien que ma Muse petite
Ce doux utile n’imite,
Qui si doctement escrit,
Ayant premier en la France
Contre la sage ignorance
Fait renaistre Democrit.
Pourtant, Macrin, ne te tasche
Si la bride un peu je lasche
Au soin qui l’esprit me rompt :
Et si pour t’aider à rire,
Jay entrepris de t’escrire,
Pour me desrider le front.
La félicité non fause,
Leschelle qui nous surhause
Par degrez jusques aux cieux,
N’est-ce pas la vertu seule,
Qui nous tire de la gueule
De l’Orque avaricieux.
L’homme vertueux est riche ;
Si sa terre tumbe en friche
Il en porte peu d’ennuy :
Car la plus grande richesse
Dont les Dieux luy font largesse,
Est toujours avecques luy.

Il est noble, il est illustre :
Et si n’emprunte son lustre
D’une vitre, ou d’un tombeau,
Ou d’une image enfumée
Dont la face consumée
Rechigne dans un tableau.
S’il n’est duc ou s’il n’est prince
D’une et d’une autre province,
Si est il Roy de son cœur :
Et de son cœur estre maistre,
C’est plus grand chose que d’estre
De tout le monde vainqueur.
Si les mains de la nature
Toute sa lineature
N’ont mignardé proprement.
Si en est l’esprit aymable :
Et qui est plus estimable,
Le corps, ou l’accoustrement ?
La richesse naturelle.
C’est la santé corporelle :
Mais si le ciel est donneur,
D’une âme saine et lavée.
De tout humeur dépravée.
C’est le comble du bon-heur.
Que me sert la docte escole
De Platon, ou que j’accoUe
Tout cela, que maintenoit
Le grand Peripatetique,
Ou tout ce qu’en son portique
Zenon jadis soustenoit :
Si l’ignorant et pauvre homme
Tout ce que vertu on nomme,
Garde précieusement,
Pendant que monsieur le sage.
Qui n’a vertu qu’au visage
En parle ocieusement ?
Que me sert-il que j’embrasse
Pétrarque, Virgile, Horace,
Ovide, et tant de secrets,
Tant de Dieux, tant de miracles,
Tant de monstres et d’oracles,

Que nous ont forgé les Grecs :
Si, pendant que ces beaux songes
M’appastent de leurs mensonges,
Lan qui retourne souvent.
Sur ses ailes empennées
De mes meilleures années,
M’emporte avecqucs le ent r
Que mesert la rethorique
Du nombre Pytagorique :
Un rond, une ligne, un poinct :
Le pinccter d une corde.
Ou scavoir quel ton accorde
Et quel ton n’accorde point ?
Que me sert voir tout le monde
En papier ou je me fonde
A larpenter pas à pas,
Si en mon cœur je n’eus onques
Mesure, ou nombres quelconques.
Accord, reigle nv compas ?
Que me sert larchitecture,
La perspective et peinture,
Ou au mouvement des cieux
Contempler les choses hautes,
Si pour cognoistre mes fautes,
Je ne me voy que des yeux r
Que me sert une longue barbe,
Un clystere, une reubarbe,
Pour me faire vertueux ’ :
Ou une langue scavante,
Ou une loy mise en vente
Au barreau tumultueux ’ :
Que me sert-il que je vole
De lun jusqu’à l’autre pôle.
Si je porte bien souvent
La peur et la mort en pouppe,
Avecques l’horrible trouppe
Des ondes grosses du vent ?
Que me sert que je m’ottroye
Pour quelque petite proye
Au sort douteux des combats.
Si la fortune cruelle.

Et la mort continuelle
Me talonnent pas à pas ?
Que me sert-il que je suive
Les princes, et que je vive
Aveugle, muet et sourd,
Si après tant de services
Je n’y gaignéque les vices
Et les bons jours de ta court ?
C’est une divine ruse
De bien forger une excuse,
Et en subtil artisan.
Soit qu’on parle, ou qu’on chemine,
Contrefaire bien la mine
D*un vieil singe courtisan.
C’est une louable envie
A ceux qui toute leur vie
Veulent demeurer oyseux
D’un nouveau ne faire conte,
Et pour garder qu’il ne monte,
Tirer l’eschelle après eux.
C’est belle chose, que d’estre
Des hommes appelle maistre.
Et du vulgaire eslongné.
Ne parlant qu’en voix d’oracle
Espouvanter d’un miracle
Et d’un sourcy renfrongné.
C’est chose fort singulière
Qu’une reigle irreguliere
Dessous un front de Caton :
Ou dire, qu’on est fragile,
AfFeublant de l’Evangile
La charité de Platon.
C’est une heureuse poursuite
Estre dix ans à la suite
D’un bénéfice empestré :
Et puis, pour toute ressourse,
Vuider et procez et bourse,
Par un arrest non chastré.
C’est une belle science.
Pour faire une expérience
Avant qu’estre vieil routier,

Par la mort guarir les hommes,
Et puis, dire que nous sommes
Des plus sçavans du métier.
Cest un vertvieux office,
Avoir pour son exercice
Force oyseaux, et force abbois.
Et en meutes bien courantes
Clabauder toutes ses rentes
 Par les champs et par les bois.
C’est une chose divine
Qu’une femme ou sotte, <^u fine :
C’est encor un heureux poinct
De lavoir pauvre et féconde.
Puis, monstrer à tout le monde
Les cornes que l’on ne voit point.
C’est un heureux advantage.
Qu’un .lambic en partage
Un fourneau Mercurien :
Et de toute sa substance
Tirant une quinte essence,
Multiplier tout en rien.
C’est une chose fort grave
Estre magnifique et brave :
Et sans y espargner Dieu,
S’obliger en beau langage :
Et puis mettre tout en gage.
Pour enrichir saint Matthieu.
C’est chose noble que d’estre
En lice, en carrière adextre,
Soit de nuict, ou soit de jour :
Bon au bal, bon à l’escrime :
Puis d’un lut, et dune ryme
Triompher dessus l’amour.
Ce sont beaux mots, que bravade,
Soldat, cargue, camizade.
Avec un brave sang-dieu :
Trois beaux dez, une querelle,
Et puis une maquerelle.
C’est pour faire un demi-dieu.
Ce sont choses fort aiguës,
Par sentences ambiguës

Philosopher hautement :
Et voyant que la fortune
Ne nous veut estre opportune,
Nous feindre un contentement.
Quel estât doy-je donc suivre,
Pour vertueusement vivre ?
Je ne parle désormais
Du courtisan ou agreste :
Car c’est la fable d’Oreste,
Qui ne s’achève jamais.
Le tonneau Diogenique,
Le gros soury Zenonique
Et l’ennemi de ses yeux,
Cela ne me déifie :
La gaye philosophie
D’Aristippe me plaist mieux.
Celuy en vain se travaille.
Soit en terre ou soit qu’il aille
Où court lavare marchand.
Qui fasché de sa présence,
Pour trouver la suffisance .
Hors de soy la va cerchant.
Macrin, pendant qu’à Ivrëe
Dessus ta lyre enyvrëe
Du nectar Aonien,
Tu refredonnes la gloire,
Qui consacre à la mémoire
Ton Mecenas, et le mien :
Ma Muse qui se pourmeine
Par Anjou et par le Maine,
A fait ce discours plaisant :
Riant les erreurs du monde,
Ou en raison je me fonde,
Le sage contrefaisant.