Discussion:Dictionnaire historique de Feller/Nlle éd., 1818

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ARISTOTE[modifier]

surnommé le Prince des Philosophes, naquit à Stagyre, ville de Macédoine, l’an 384 avant J.-C. Son père Nicomachus était médecin, et descendait, dit-on, d’Esculape. Aristote l’ayant perdu fort jeune, dissipa son bien, se livra à la dibauche, prit le parti des armes et les quitta ensuite pour la philosophie. L’oracle de Delphes lui ordonna, à Athènes ; il s’y rendit, entra dans l’école de Platon, et en fut, 1’âme et la gloire. On dit qu’il fut obligé, pour vivre,

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d’exercer la pharmacie. Continuellement livré au travail, il mangeait peu, et dormait encore moins. Diogène Laërce rapporte que, pour ne pas succomber à l’accablement. du sommeil, il étendait hors du lit une main, dans laquelle il tenait une boule d’airain, afin que le bruit qu’elle ferait en tombant dans un bassin le réveillât : mauvaise pratique, car l’homme qui ne dort pas, n’a pas l’esprit assez calme pour agir et écrire avec sagesse ; mais on ne risquera rien de croire que c’est un conte, semblable à d’autres anecdotes de ce genre, qu’on s’est plu à répandre sur le compte des hommes célèbres, comme si le ridicule et l’absurdité pouvaient être pour quelque chose dans les titres à la gloire. Du reste, il faut avouer que celle des philosophes s’est nourrie quelquefois de ces ignobles ressources. Après la mort de Platon, Aristote se retira à Atarne, petite ville de la Mysie, auprès de son ami Hermias, usurpateur de ce pays. Ce prince ayant été mis à mort par ordre du roi de Perse, Aristote épousa sa soeur qui était restée sans biens. Quand Alexandre-le-Grand eut atteint environ 14 ans, Philippe son père, appela Aristote pour le lui confier. La lettre qu’il lui écrivit à l’occasion de sa naissance, fait honneur au prince et au philosophe : « Je vous apprends, lui disait-il, » que j’ai un fils. Je remercie les » dieux, non pas tant de me l’avoir » donné, que de me l’avoir donné » du temps d’Aristote ; J’espère que » vous en ferez un successeur digne » de moi, et un roi digne de la Ma- » cédoine. » Les espérances de Philippe ne furent pas trompées. Le maître apprit à son disciple les sciences qu’il possédait, et cette sorte de philosophie qu’il ne communiquait

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à personne, comme dit Plutarque ; ce qui ne donne pas de cette philosophie une bien bonne idée, car le vrai sage ne songe qu’à répandre ses lumières : on est allé jusqu’à croire. que cette philosophie était celle de Machiavel. L’usage qu’en a fait Alexandre confirme cette idée. Philippe lui érigea des statues, et fit rebâtir Sa Ville natale ruinée par les guerres. Lorsque son élève se disposa à ses conquêtes, Aristote, qui préférait le repos au tumulte des armes, retourna à Athènes. Il y fut reçu. avec les honneurs dus au précepteur d’Alexandre, et au premier philosophe de son temps. Les Athéniens, auxquels Philippe avait accordé beaucoup de grâces à sa considération, lui donnèrent le Lycée pour y ouvrir son école. Il donnait ordinairement ses leçons en se promenant, ce qui fit appeler sa secte, la secte des Péripatéticiens. Le succès de la philosophie d’Aristote ne fut pas ignoré d’Alexandre. Ce prince lui écrivit de s’appliquer à l’histoire des animaux, lui envoya 800 talens pour la dépense que cette étude exigeait, et lui donna un grand nombre de chasseurs et de pêcheurs, pour faire des recherches. Aristote, au comble de sa gloire, ne fut pas au-dessus des passions et des folies qui en sont l’effet naturel. Son amour pour la courtisane Pythaïs devint une espèce de fureur, qui le porta à l’ériger en divinité, et à lui rendre après sa mort le même culte que les Athéniens rendaient à Cérès. Eurymédon, prêtre de cette déesse, l’accusa de ne pas y croire : Aristote se retira à Chalcis, dans l’île d’Eubée (aujourd’hui Négrepont), pour empêcher qu’on ne commît une injustice contre la philosophie ; mais il aurait eu plus de bonne philosophie à ne pas diviniser

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la créature féminine qui lui tenait si fort à coeur. C’est sans fondement que quelques critiques modernes ont nié cette anecdote, comme si la vérité de l’histoire devait être sacrifiée à la gloire des hommes célèbres. Aristote mourut à 63 ans, l’an 322 avant J.-C., deux années après la mort d’Alexandre.. Les Stagyrites lui dressèrent des autels, et lui consacrèrent un jour de fête. Il ne paraît cependant pas trop qu’il dût exciter tant d’admiration par ses vertus, ni par sa doctrine religieuse et morale. Sans parler des crimes dont Diogène Laërte et Athénée le disent coupable avec Hermias, de sa conduite insensée et impie envers Pythaïs ; on connaît les efforts qu’il fit pour décrier tous ceux qui avaient acquis quelque réputation, les médisances et les injures avec lesquelles il les opprima, les faussetés manifestes qu’il leur imputa, la manière dont il abandonna Hermias dans ses disgrâces, ses jalousies contre Speusippe, ses animosités contre Xénocrate, les troubles qu’il fomenta dans la cour de Philippe et d’Alexandre-le-Grand ; enfin sa perfidie envers ce même Alexandre, son bienfaiteur découvre assez quel était le fond de son coeur. Xiphilin nous apprend que l’empereur Caracalla fit brûler tous les livres de ce chef des Péripatéticiens, en haine du conseil détestable qu’il avait donné à Antipater, d’empoisonner Alexandre. Il prétendait que Dieu était sujet aux lois de la nature, sans prévoyance, sourd et aveugle pour tout ce qui regarde les hommes ; croyait le monde éternel, et, selon l’opinion commune de ses commentateurs, l’âme mortelle. Il tourna en ridicule ceux qui voulurent ramener les hommes à la croyante d’un seul Dieu, disant que cette

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manière de penser était, il est vrai, d’un sage et d’un homme de bien, mais qu’elle manquait de prudence, puisqu’en agissant ainsi, ils nuisaient à leurs propres intérêts, et s’exposaient au ressentiment des polythéistes : belle morale, et digne d’un chef des philosophes. (Voyez PLATON, STILPON. ) Si nous en croyons Diogène Laërte, sa mort fut semblable à sa vie ; il s’empoisonna, pour se soustraire à la colère de Médon. Mais saint Grégoire de Nazianze, saint Justin et d’autres écrivains, disent qu’il se précipita dans l’Euripe. Il laissa, de Pythaïs, une fille, qui fut mariée à un petit-fils de Demaratus, roi de Lacédémone. Il avait eu d’une autre concubine un fils, nommé Nicomachus, comme sou aïeul, c’est à lui qu’il adressa ses livres de Morale. Le sort d’Aristote, après sa mort, n’a pas été moins singulier que durant sa vie. Il a été longtemps le seul oracle des écoles ; et on l’a trop dédaigné ensuite. Le nombre de ses commentateurs, anciens et modernes, prouve le succès de ses ouvrages. Quant aux variations que sa mémoire a éprou-, vées, elles lui sont communes avec tous les fondateurs des sectes philosophiques, et tiennent autant aux caprices de la postérité qu’à la nature des systèmes enseignés. Diogène Laërte rapporte quelques-unes de ses sentences qui n’ont rien de bien extraordinaire, et dont quelques unes sont outrées ou fausses, d’autres trop recherchées. « Les sciences ont des racines amères, mais les fruits » en sont doux... L’amitié est comme » l’âme de deux corps : Il y a la même » différence entre un savant et un igno- » rant, qu’entre un homme vivant et » un cadavre.... Il n’y a rien qui vieil- » lisse sitôt qu’un bienfait.... L’espé- » rance est le songe d’un homme

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» éveillé . . . Soyons amis de Socrate » et de Platon, et encore plus de la » vérité.... Les lettres servent d’or- » nement dans la prospérité, et de » consolation dans l’adversité. » Aristote confia, en mourant, ses écrits à Théophraste, son disciple et, son successeur dans le Lycée ; mais ils ne sont pas parvenus en entier et sans altération jusqu’à nous. (Voy. APELLICON.) Les plus estimés sont sa Dialectique, sa Morale ; son Histoire des animaux ; sa Poétique et sa Rhétorique. Le précepteur d’Alexandre montra, dans ce dernier ouvrage, que la philosophie est le guide de tous les arts. Il creusa avec sagacité les sources du bel art de persuader, il fit voir que la dialectique en est le fondement, et qu’être éloquent, c’est savoir prouver. Tout ce qu’il dit sur les trois genres, le délibératif, le démonstratif et le judiciaire ; sur les passions et les moeurs ; sur l’élocution, sans laquelle tout languit ; sur l’usage et le choix des métaphores, mérite d’être étudié. Aristote fit cet ouvrage suivant les principes de Platon, sans s’attacher servilement à la manière de son maitre. Celui-ci avait suivi la méthode des orateurs : son disciple crut devoir préférer celle des géomètres. Sa Poétique est un traité digne du précédent ; l’un et l’autre furent composés pour Alexandre. Quant à la philosophie, il mêle à des vues justes et profondes, des erreurs grossières et des obscurités qui ont donné bien de l’exercice a ses commentateurs. Un de ses principes favoris est que, l’âme, acquiert ses idées par les sens ; principe combattu par de célèbres métaphysiciens, et qui, dans le Sentiment même, d’Aristote, doit s’entendre occasionellentent, comme s’exprimaient les Arabes, c’est-à-dire, que les sens

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sont l’occasion des idées, que l’âme se forme elle-même des choses matérielles. « Mais, il y a, dit un philo- » sophe, hien des idées dont les sens » ne sauraient même être l’occasion. » Il n’y a rien que, nous concevions » plus distinctement que notre pen- » sée même ; ni, de proposition qui »puisse nous être plus claire que » celle-ci : Je pense, donc je suis. » Qu’on nous dise, si l’on peut, par » quel sens sont entrées dans notre » esprit les idées de l’être et de la » pensée. » Sa Rhétorique, a été traduite en français par Cassandre, et sa Poétique par Dacier et Le Batteux. (V. ces articles.) La meilleure édition des ouvrages d’Aristote est celle de Paris, au Louvre, 1619, donnée, par Duval, en 2 vol. in-fol., grecs et latins. On peut consulter un ouvrage de Jean de Launoi : De varia Aristotelis fortunâ, celui de Patricius, Peripateticae discussiones, et un traité du P. Rapin, Comparaison de Platon et d’Aristote.



ELIEN (Claudius Ælianus), Feller[modifier]

Élien le sophiste[modifier]

rhéteur et philosophe, vit le jour à Preneste, aujourd'hui Palestrine. Quoique né en Italie, et n'en étant presque jamais sorti, il fit de si grands progrès dans la langue grecque, qu'il ne cédait pas aux écrivains athéniens pour la pureté du langage. Il enseigna d'abord la rhétorique à Rome ; mais dégoûté bientôt de cette profession, il se mit à composer plusieurs ouvrages. Ceux que nous avons de lui sont : 1° 14 livres intitulés, Historiæ variae, qui ne sont pas venues entières jus-

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qu'à notre siècle. La meilleure édition est celle qu'Abraham Gronovius publia à Leyde en 1731, 2 vol. in-4, avec de savans Commentaires. La variété de ces histoires est effectivement fort grande. On y apprend des choses tout-à-fait incroyables, quelquefois plaisantes par l'excès d'absurdité. Comme lorsqu'on voit les cochons devenir les fondateurs de l'agriculture; car ce sont eux, suivant Elien, qui nous ont appris le labourage. « Moïse, dit un auteur qui a

» sagement raisonné là-dessus, nous
» en découvre une plus noble ori-
» ine, lorsqu'il nous dit (Gen. III,
» p. 23) que Dieu lui-même en im-
» posa la loi. Il faut convenir, ajoute
» t-il, que les philosophes de tous les
» temps nous ont appris effective
» ment d'étranges choses : mais ce
» qui est particulièrement remarqua
» ble, c'est la prédilection qu'ils ont
» toujours eue pour les cochons. Tan-
» dis qu'Elien nous les donne pour
» les fondateurs de l'agriculture, Pyr-
» rhon en fait le modèle des sages
» (voyez son article). Que dire de la
» plus nombreuse et de la plus fa-
» meuse secte philosophique, dont
» les membres s'efforçaient avec tant
» d'ardeur et de succès d'être Epi-
» curi de grege porcus. »

2° Une Histoire des animaux, en 17 liv., Londres, 1714, 2 vol. in-4. L'auteur mêle à quelques observations curieuses et vraies, plusieurs autres triviales ou fausses. Il est aussi menteur que Pline; mais Pline avait une imagination qui embellissait les fables, et les lui fait pardonner. Ces deux ouvrages sont certainement d'Elien. On y voit le même génie dans l'un et dans l'autre, et la même variété de lecture. Elien, selon l'usage des philosophes, débitait de très-belles maximes; il peignait la cour des princes comme le séjour

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de la corruption et l'écueil de la sagesse; mais peut-être eut-il, comme tant d'autres, changé d'opinion, si on l'y avait invité et accueilli. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il n'était pas indifférent sur ce qui s'y passait. Il publia un livre contre Héliogabale, dans lequel il se déchaînait vivement contre la conduite insensée de ce prince, sans le nommer. Elien florissait vers l'an 222 de J.-C. Il était, selon Suidas, grand-prêtre d'une divinité dont nous ignorons le nom. Il mourut âgé de 60 ans, sans avoir été marié. On a publié à Paris, en 1772, in-8, une bonne Traduction française de ses Histoires diverses, avec des notes utiles, par M. Dacier.

Élien le tacticien[modifier]

On lui a attribué un Traité sur la Tactique des Grecs, publié à Amsterdam, 1750, in-8; mais cet ouvrage, qui est effectivement ancien, paraît appartenir à un autre Elien.

SANNAZAR (Jacques), Actius Sincerus Sannazarus[modifier]

poëte latin et italien, né à Naples. en 1458, tirait son origine de Saint-Nazaire, dans le territoire de Lamosso, entre le Pô et le Tésin. Les grâces de son esprit et de son caractère plurent à Frédéric, roi de Naples, qui lui donna plusieurs marques de son estime. Ce prince, désespérant de remonter sur le trône, passa en France, où Sannazar l'accompagna et demeura avec lui jusqu'à sa mort, arrivée en 1504. De retour en Italie, il partagea son temps entre la volupté et la poésie. Son caractère le portait tellement à la galanterie, que, même dans sa vieillesse, il se produisait sous les habits et avec les airs et le ton d'un jeune courtisan. Il conçut tant de chagrin de ce que Philibert de Nassau, prince d'Orange, général de l'armée de l'empereur, avait ruiné sa maison de campagne, qu’il en contracta une maladie dont il mourut en 1530, à 72 ans. Il fut

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enterré dans la chapelle d'une de ses campagnes; il avait fait placer son tombeau derrière l'autel, quoique orné des statues d'Apollon et de Minerve. Pour remédier à cette profanation, on a mis au-dessus de la statue d'Apollon le nom de David, et au-dessus de celle de Minerve, celui de Judith. On a de lui des Poésies latines et italiennes. Les latines ont été imprimées par les Aldes à Venise en 1535, in-8. On trouve dans ce recueil.: 1° trois livres d'Elégies; 2° une Lamentation sur la mort de J.-C.; 3° des Eglogues, Amsterdam, 1728, in-8 ; 4° un Poëme : De Partu Virginis, traduit par Colletet, 1634, in-12, sous ce titre : Couches sacrées de la sainte Vierge, etc. C'est sur ce dernier ouvrage qu'est fondée sa réputation d'excellent poëte latin ; mais on le blâme d'avoir profané la sainteté de son sujet, par le mélange monstrueux des extravagances du paganisme, avec les mystères augustes de notre religion. Tout y est rempli de Driades et de Néréides. Il met entre les mains de la sainte Vierge, non les Psaumes, mais les vers des Sibylles. Ce n'est pas David ni Isaïe c'est le Protée de la fable qui prédit le mystère de l'Incarnation. Le nom de JÉSUS-CHRIST ne s'y trouve pas une seule fois, et la vierge Marie y est appelée l'Espoir des Dieux. Voilà le défaut capital de ce Poëme, qui est admirable d'ailleurs par l'élégance et la pureté du style, par l'harmonie des vers, par une multitude d'images brillantes et de belles pensées : et c'est sous ces rapports, qu'il lui mérita les éloges des savans, et même des brefs honorables de la part de Léon X et de Clément VII.. Parmi ses pièces italiennes, laplus célèbre est son Arcadie, traduite eu fran-

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çais par Pecquet, 1737, in-12. Les vers et la prose de cet ouvrage charment par la délicatesse et par la naïveté des images et des expressions. Il. fut imprimé à Naples, in-4, en 1502, et réimprimé avec ses autres Poésies italiennes à Padoue en 1723, et à Naples in-4, 1720, in-12. Le Duchat dit que Sannazar était Éthiopien de naissance; mais c'est une idée romanesque, comme la plupart de celles de cet écrivain, suffisamment réfutée par la couleur de Sannazar qu'on n'a jamais dit être celle d'un nègre.

SUIDAS,[modifier]

écrivain grec sous l'empire d'Alexis Comnène, est auteur d'un Lexicon grec, historique et géographique. Outre l’interprétation des mots, on y trouve encore les Vies de plusieurs savans et d'un grand nombre de princes. Ce sontdes extraits qu'il a pris dans les écrivains qui l'avaient précédé. Sa compilation est faite sans choix et sans jugement. Quelques-uns, pour le justifier, ont dit que depuis lui on a ajouté beaucoup de choses à son ouvrage, et que les fautes ne sont que dans les additions. Cet ouvrage, malgré ses défauts, ne laisse pas d'être important, parce qu'il renferme beaucoup de choses prises des anciens. La première édition, en grec seulement, est de Milan, 1499, in-fol. , et la meilleure est celle de Kuster, Cambridge, 1705, en 3 vol. in-fol., en grec et en latin, avec des notes pleines d'érudition.