Discussion:Gaëtana
Critique, Revue de presse[modifier]
- L'Argus et le Vert-vert réunis [1]
Gaëtana, par M. Edmond About. - Lucrèce Borgia,
opéra. - Gil-Blas, opéra comique, de Semet. -
Jamais, de mémoire d'abonné, le Grand-Théâtre n'avait vu de soirées plus orageuses que celles des représentations de Gaëtana, de M. Edmond About.
À la première soirée, on a pu encore entendre les trois derniers actes ; c'était encore trop au gré des siffleurs, car à la seconde on n'a pas pu entendre un seul mot.
Toutes les péripéties de ces soirées ont été racontées, un peu, il est vrai, d'après leurs sympathies personnelles, par les journaux de la localité ; je n'ai donc pas à y revenir, et à mêler la mince personnalité de l'Argus à des débats auxquels, quelle que soit leur origine, on a donné, à mon avis, une importance exagérée. N'est-on pas allé, en effet, au delà du but ? - Qu'a-t-on voulu ? Fusiller sur place, j'ignore pourquoi, M. Edmond About. — Le résultat est-il atteint ? J'en doute fort : Tout le bruit fait autour d'un écrivain lui est profitable. Gaëtana, comme drame, serait probablement morte de sa belle mort ; le drame a été tué, c'est vrai, mais en revanche le livre obtient un succès énorme de curiosité. À Lyon, dit-on, il s'est vendu dix mille exemplaires de Gaëtana ; or, je ne crois pas me tromper en estimant à 1 franc par volume la part qui revient à M. Edmond About sur cette vente. C'est donc 10,000 fr. qu'il a gagnés. — Savez-vous combien il eût fallu de représentations de Gaëtana à Lyon pour produire cette somme ? — Deux cents environ — Un chiffre qu'aucune œuvre dramatique n'a atteint dans notre ville. Comptez, en outre, que le premier livre de M. Edmond About sera enlevé comme Gaëtana. Si je le connaissais, je lui donnerais le conseil de faire une œuvre remarquable, et de forcer ainsi ses détracteurs d'aujourd'hui à l'applaudir. Voilà une vengeance digne d'un écrivain de talent.
Je ne me permettrai, à propos de ces représentations, qu'une seule observation : Des gros sous ont été jetés sur la scène à l'adresse des artistes. Un journal de notre ville a relevé avec raison cette grossièreté purement gratuite à l'adresse des comédiens, fort innocents de tout le tapage qui se faisait autour d'eux, et qui avaient déjà une assez triste besogne à accomplir, condamnés qu'ils étaient à jouer devant un public qui sifflait, criait, vociférait et leur tournait le dos, sans se préoccuper, en aucune façon, de ce qui se passait sur la scène.
Parlons, si vous le voulez bien, de sujets plus agréables.
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- La Causerie : journal des cafés et des spectacle 1862 [2]
- Le Monde dramatique : revue théâtrale,... [3]
Gaëlana, drame en cinq actes, en prose, de M. Edmond About, première représentation le 3 janvier 1862.
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Vous n'aimez point M. About ; soit. Cette renommée turbulente, conquise avec trop de facilité, cette personnalité superbe vous offusquen t; vous lui en voulez d'avoir touché à tout, et de n'avoir rien approfondi ; d'avoir gaspillé comme à plaisir un talent qui semblait réservé à de plus glorieuses destinées ; vous lui reprochez sa raillerie mordante, sa verve ironique, et sa course étourdie à travers des journaux d'opinions si diverses ; vous regrettez qu'il égare en mille fantaisies ses qualités éminemment françaises, au lieu de les condenser en quelque œuvre virile, semblable à ces arbres qui poussent de tous côtés le luxe capricieux de leur feuillage, et ne produisent qu'un fruit chétif.
J'admets tous vos griefs sans les discuter; mais, je le répète, ce n'était pas une raison pour déchaîner contre lui toutes les fureurs d'une cabale irritée.
Fallait-il d'ailleurs, pour frapper votre ennemi, marcher sur le corps de comédiens défendant la pièce qu'ils sont chargés d'interpréter avec la vaillance de soldats sauvegardant l'honneur du drapeau ? Le talent éprouvé de MM. Tisseront, Ribis, Thiron ne méritait-il point plus d'égards ? La grâce passionnée de Mlle Thuillier n'avait-elle pas droit à un moins rude accueil ?
Je sais bien que l'irritation du parterre ne s'adressait point aux artistes, et que lettres et cartes ont protesté, le lendemain, du respect qu'a pour leur mérite la jeunesse des Ecoles ; mais, leur dignité n'a t-elle pas souffert d'interruptions renouvelées sans trêve, et n'a t-on pas dû, à la seconde représentation, emporter sans connaissance Mlle Thuillier, dont tant d'émotions avaient brisé l'organisation nerveuse et impressionnable ?
En de telles circonstances, le devoir de la critique est difficile, et elle ne se sent guère le triste courage de frapper à son tour un écrivain si rudement terrassé. M. About a beaucoup d'esprit sans doute ; son style étincelle parfois en saillies ingénieuses ; mais, je ne crois pas qu'il puisse jamais prendre au sérieux les péripéties d'un long drame ; on devine toujours sous le dramaturge le paradoxal conteur.
La logique, le sentiment, la vraisemblance manquent d'ailleurs à cette Gaëtana engloutie dans un naufrage, si retentissant. Le baron del Grido, cet Othello moderne, doublé d'Arnolphe et de Barbe-Bleue, est justement odieux, et rien n'atténue l'horreur qu'il inspire, si bien que la pièce, qui prétend plaider en faveur du mariage, met tous les spectateurs du parti de l'amant.
Gaëtana est une vierge d'une ingénuité équivoque, et concilie d'une façon trop subtile son amour avec ses devoirs d'épouse; Birbone est un Sallahadil égaré au dix-neuvième siècle; le comte Péricoli rappelle ces-chevaliers du moyen-âge, brûlant aux pieds de leur dame un encens platonique. Mais, à quoi bon chercher querelle à une œuvre disparue de l'affiche, à qui son martyr de quatre soirs doit faire beaucoup pardonner ? Rendons plutôt justice aux courageux acteurs qui oui lutté sans espoir contre la tempète déchaînée, et sont demeurés impassibles à leur poste.
M. Tisserant eût fait accepter par sa dignité et sa haute convenance le personnage repoussant du baron del Grido. M. Thiron enlevait de verve, et à la pointe de son esprit si fin, le rôle étrange du lazzarone. M. Ribes empruntait aux périls de la situation un organe sonore et une diction nerveuse qui le mettaient plus en relief. Mlle Thuillier jouait Gaëtana avec son âme et avec ses larmes. Frêle et délicate, elle a des élans de passion d'une prodigieuse énergie, et trouve de ces cris déchirants qu'eût enviés Dorval. Elle a rendu avec une effrayante vérité l'horreur dont elle est saisie quand elle voit dresser sous sa fenêtre l’échafaud où va mourir celui qu'elle aime. Hélas ! que de travail perdu, que d'efforts inutiles, que de talent dépensé sans profil dans cette mémorable défaite où tout périt, sauf l'honneur des comédiens.
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