Discussion:La Seconde
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- 1928 : Les Annales politiques et littéraires, 1 décembre 1928 — Pierre Billotey Colette nous parle de son nouveau roman
Colette nous parle de son nouveau Roman
Me voici en train de jouer avec cinq bêtes.
Il y a Patti, la chienne brune qui aboie, plaintive, dès qu'on ne la caresse plus, et Souci, le bull, si folâtre, qui veut dévorer mes gants. Une étonnante chatte grise, Américaine du Sud, fait ses griffes sur mon dos, tandis que ses deux chatons, tout gris comme elle, couleur de cendre, enfantelets encore incertains sur leurs pattes, cabriolent sur le bout de mes souliers.
Près de la fenêtre, j'aperçois, derrière un rempart de volumes, la table où Colette compose ces livres dont la publication est toujours un événement, où elle écrit ces pages qui ont la mystérieuse fraîcheur des eaux profondes, souterraines, et où nous contemplons, comme dans des miroirs enchantés, la vision forte et neuve d'une grande âme poétique.
Colette entre. Qui ne la connaît, qui ne connaît ce visage si fin, si dessiné, sous la chevelure ébouriffée, aérienne, ces yeux au regard tellement aigu ? De sa voix brusque et chaleureuse, Colette prononce :
— Vous désirez que je vous entretienne de La Seconde, le roman que je vais donner aux Annales ?
— Mais oui...
— Vous m'embarrassez. Ce que je pense, je l'ai exprimé tout au long de trois cents pages. Mais quant à vous faire un discours à ce sujet, ou bien sur « mes tendances », ou encore sur l'état d'esprit d'un auteur parvenu à la maturité, ah ! non ! voyez-vous, il ne faut pas me demander cela.
Colette rit, et, bien vite, détourne la conversation sur ses chats, ses chiens, sur la Côte d'Azur. Mon Dieu, comme il est difficile d'amener Colette à parler d'elle-même et de son oeuvre !
Je m'entête, je questionne. Colette, soudain, me regarde en plein dans les yeux et me déclare :
— La Seconde ? Figurez-vous que je reste stupéfaite d'avoir écrit un roman semblable, — c'est-à-dire un vrai roman, un roman romanesque. C'est une exception dans ma carrière.
— Pourtant, dis-je, Chéri et La Fin de Chéri sont de véritables romans.
— Pas du même degré que La Seconde.
Que se passe-t-il ? Colette se fâche. Pas contre moi, mais contre Souci, le bull. Je suppose bien que Patti aussi est coupable. Serrés l'un contre l'autre sur l'angle du divan, les deux chiens écoutent avec contrition la diatribe que leur adresse Colette, furieuse :
— Vous léchez les petits chats ! Vous savez bien que c'est défendu : je l'ai répété cent fois. Comment faut-il que je vous le dise, sales bêtes !
De nouveau, Colette se tourne vers moi.
— Le sens de mon livre ? poursuit-elle. Écoutez. Voici : c'est la solidarité qui peut exister entre deux femmes ennemies, entre deux femmes qui aiment le même homme. Imaginez un moment dramatique, l'heure où elles se dressent l'une contre l'autre. Elles se comprennent, se sentent sur le même plan, elles ont conscience de cette solidarité. Ne le croyez-vous pas ? Moi, comme femme, j'en suis certaine.
Un instant, Colette s'arrête, émue elle-même par tout le pathétique d'un tel sujet. Et elle continue :
— Il y a autre chose. Ces deux femmes qui aiment le même homme, et qui s'affrontent, invectivent l'une contre l'autre, supposez qu'au bout de leur longue explication elles le voient paraître, lui, point méchant, et qui veut, comme sa dignité l'exige, intervenir, empêcher le drame. L'une et l'autre, elles auront la même pensée, le même mouvement, elles auront envie de lui crier : « Toi, va-t'en ! » Ici, l'homme est de trop : l'homme est l'étranger, tandis que les deux femmes, je vous le répète, je vous l'affirme, se savent solidaires. Ce sont des êtres de la même espèce. Oui, il peut se créer entre deux femmes qui vivent côte à côte, dans le même milieu, cette situation : l'une a trahi l'autre, lui a pris son mari. Eh bien ! celle qui trahit pensera surtout à celle qu'elle trompe. Son véritable souci sentimental sera de songer toujours à celle-là dont elle a usurpé la place.
— Voilà un admirable thème de roman, dis-je.
— Il n'y en a pas de plus austère, prononce Colette, très grave.
Et elle achève :
— Au reste, j'ai situé l'action de La Seconde à Paris, et un peu à la campagne. Pas d'accessoires, de changements à vue. Pourquoi ? Parce que c'était plus difficile, ainsi, et que je n'ai pas voulu reculer devant une seule difficulté. Cela, pour moi-même, plus encore que pour le public.
Puis, Colette parle d'autre chose, décrit son rêve :
— Ah ! vivre à Saint-Tropez, cultiver les fleurs et « la légume » !...
Et enfin, comme elle est la bonté même, elle me donne la recette du poisson tel qu'on le cuisine, là-bas, en le caressant d'herbes aromatiques qui grillent avec lui.
PIERRE BILLOTEY.
COLETTE.
(Photo Manuel frères.)
- André Billy — La Femme de France, 5 mai 1929 [1]
La Seconde, par Colette (Ferenczi).
Les poètes mis à part, il est deux sortes d'écrivains : les prosateurs et ceux qui écrivent en prose... Attendez, je m'explique ! Il est, dis-je, deux sortes d'écrivains : ceux qui, pareils à M. Jourdain, font de la prose, en quelque, sorte, sans le savoir, et ceux qui en font consciemment. Ce sont ces derniers, que j'appelle des prosateurs ; ce sont les autres que j'appelle des écrivains en prose. Les uns se servent de la prose, les autres la servent. Les uns cultivent la prose pour elle-même, les autres se contentent de l'utiliser pour raconter des histoires ou pour exprimer des idées. Les uns sont des artistes, les autres sont des gens qui écrivent.
Je m'empresse de dire qu'il n'entre nullement dans ma pensée de mettre les artistes, de mettre les prosateurs au-dessus des « gens qui écrivent ». Voici, par exemple, deux listes sommaires, abrégées, dans chacune desquelles figurent de très grands noms. Liste de prosateurs : Guez de Balzac, Bossuet, Massillon, Montesquieu, Buffon, Rousseau, Chateaubriand, Courier, Flaubert, Renan, France, Barrès. Liste de grands écrivains en prose : Pascal, Saint-Simon, Le Sage, Diderot, Laclos, Stendhal, Balzac, Zola... Classification un peu arbitraire sans doute, et je sais très bien que Pascal et Saint-Simon ont été de grands artistes, mais c'étaient des artistes inconscients de leur art ou, du moins, qu'on peut considérer comme tels, ce qui n'est point le cas de Bossuet, de Chateaubriand, de France, de Barrès. Ceux-là savaient parfaitement ce qu'ils faisaient, la volonté, la recherche de l'accent ou de la perfection a joué un rôle capital dans l'élaboration de leur style.
Il y a d'ailleurs lieu de ne pas oublier ceci, c'est que notre littérature l'emporte sur les autres sous deux rapports : sa signification générale et la valeur artistique de son écriture. Le style est une qualité essentiellement française. Au sens où nous entendons ce mot en France, il n'y a pas de style anglais, pas de style allemand, pas de style russe... Je crois bien qu'il y a un style espagnol, mais l'espagnol n'a pas, évidemment, la plasticité, les articulations du français, si flexibles et à la fois si logiques.
À noter encore qu'à un certain point de perfection, l'art de la prose et sa simple utilisation se confondent, mais on n'en a guère qu'un ou deux exemples : Sévigné, Voltaire. Quelle est la part de la volonté, quelle est celle du naturel chez l'auteur du Dictionnaire philosophique ? On n'a jamais pu en décider. De même qu'il y a un miracle grec, il y a un miracle français, et c'est la prose de Voltaire.
L'époque présente offre la même opposition entre les « prosateurs », ou artistes de la prose, et les autres écrivains en prose. Prosateurs : Valéry, Henri de Régnier, Gide, Maurras, Mauriac, Tharaud, Béraud, Carco, etc. (je cite au hasard). Écrivains en prose : Marcel Proust, Bonrget, Romain Rolland, Morand, Mac Orlan. On hésite, il est vrai, sur certains noms : Duhamel est-il un prosateur, au sens fort que j'entends donner à ce mot, ou un écrivain en prose ? Et Montherlant ? Je laisse à mes lectrices le plaisir de continuer sans moi ce petit jeu. En tout cas, il est un écrivain d'aujourd'hui qui, à n'en pas douter, doit être rangé parmi les artistes de la prose, parmi ceux dont on peut dire, non pas qu'ils ont créé la prose française puisqu'ils sont arrivés trop tard pour cela, mais qu'ils l'ont continuée en la marquant de leur empreinte, ce qui équivaut presque à une création ; il est un écrivain d'aujourd'hui qui, toutes proportions gardées, a eu sur la prose française une influence excitante et rafraîchissante pareille à celle d'un Rousseau, d'un Chateaubriand, d'un Flaubert, et cet écrivain, c'est Colette.
On excusera ce préambule un peu long, mais il- m'était agréable de situer Colette, je ne dirai pas à sa place, car il n'est pas de mon goût d'attribuer des numéros d'ordre, mais dans sa ligne historique, dans la haute tradition dont elle participe et dont elle est, comme on dit, un des moments. J'ai cette idée que nous avons en elle une sorte de petit Rousseau femme. À sa manière, elle nous a fait découvrir certains aspects de la nature qu'avant elle nous ne savions pas voir. Elle nous a révélé le monde des sons, des odeurs, des contacts, les mille impressions dont est tissée, de minute en minute, notre vie nerveuse.
D'une façon plus décisive que les Goncourt, avec moins de minutieuse précision que Proust mais avec plus de relief, de concision, et avant lui, elle nous a introduits dans l'univers secret de ce qu'on me permettra d'appeler, par une logomachie dont je me rends compte, notre subconscient physique. Personne n'a rendu mieux qu'elle, et personne avant elle n'avait guère songé à rendre, les vagues sensations de toutes sortes dont sont assiégées sans cesse les régions obscures de notre être : domaine inférieur par lequel nous rejoignons l'animalité mais par lequel aussi nous plongeons dans l'immense et mystérieux cosmos. Loin de moi l'intention de diminuer l'intellectualisme classique au profit du « sensationisme » féminin dont l'art de Colette constitue la formule la plus achevée. Non, mon admiration pour Colette ne me fait pas oublier Descartes et Spinoza. Je le dis en riant, mais il faut bien le dire, puisque la cause de l'intelligence, et, par voie de conséquence, celle de la civilisation, sont mêlées de nos jours à toutes les disputes littéraires et qu'on ne peut plus parler d'art sans être mis en demeure d'opter pour ou contre l'ordre universel. Cela est comique, mais c'est ainsi. Je précise donc que Colette est à mes yeux un grand artiste mais que Malebranche raisonnait mieux qu'elle. Là ! Et maintenant, parlons un peu de La Seconde, car c'est cela que vous attendez, n'est-ce pas ?
Les romans de Colette ont toujours peu de personnages. Ce sont des drames intimes, ordinairement assez courts, d'une acuité intense, dont les répercussions extérieures ne s'étendent jamais très loin. La Seconde est à trois personnages : le mari, la femme, la maîtresse. Un quatrième personnage, secondaire, est le fils du mari, issu d'une liaison antérieure ; ce gamin est épris de la maîtresse de son père. L'homme s'appelle Farou ; il est un auteur dramatique célèbre, un mélange, si j'ai bien compris, de Bataille et de Bernstein. L'épouse : Fanny ; la maîtresse : Jane ; le fils : Jean. À vrai dire, je ne distingue nettement ni l'utilité ni la signification de Jean. Il se peut après-tout que sa présence se justifie seulement par un souci de perspective artistique et par la nécessité de meubler le second plan.
Tous quatre habitent ensemble et je sens bien que sans cette cohabitation les données du problème psychologique qui se pose au dernier chapitre ne seraient pas les mêmes, mais je me vois contraint de dire que cette cohabitation constante de Jane, secrétaire bénévole de Farou, avec l'auteur dramatique et sa femme présente quelque chose d'arbitraire et d'un peu forcé. Colette nous l'explique avec beaucoup d'habileté, mais cette habileté même souligne le caractère insolite du fait. Peu importe ! C'est un de ces postulats de situation qui sont fréquents au théâtre. Précisément, nous sommes ici dans le monde du théâtre, nous sommes dans un milieu où les règles sociales ordinaires sont continuellement transgressées par la fantaisie et le caprice.
Les éléments extérieurs, sensibles, mis en oeuvre dans La Seconde, sont d'abord des paysages d'été dans le Jura, puis l'atmosphère où se déroulent les répétitions de la nouvelle pièce de Farou. Donc, deux milieux très opposés et formant contraste : la campagne la plus sauvage et le Paris le plus agité, le plus trépidant, le plus fiévreux.
Farou a du génie mais sa personnalité se révèle assez médiocre et même assez sommaire. Jane s'en rend compte, qui a des hommes une expérience plus longue que Fanny. Celle-ci admire son grand homme en bloc, elle l'adore, elle lui passe tout. Elle l'aime tellement qu'elle n'est pas jalouse et le voit sans frémir aller d'une maîtresse à l'autre. Quand elle découvre que Jane a, comme les autres, cédé à Farou et qu'ils sont amants, tout ce qu'elle éprouve ne dépasse guère l'agacement, le malaise. Et elle se tait. À quoi bon récriminer ? Elle se sent si bien en sécurité auprès de son grand Farou ! Pourtant... La pièce de Farou obtient un grand succès, les recettes sont splendides. Alors, la mort dans l'âme, Fanny prend une grave résolution : elle provoquera une explication avec Jane et la priera de s'en aller. Et c'est ce qu'elle fait, et la longue scène entre les deux femmes, interrompue par la survenue de Farou, est un chef-d'oeuvre. Colette excelle dans ces reconstitutions d'atmosphère autour d'un débat tragique qui met aux prises deux destinées. Mais voici où, comme dans les pièces bien faites, la situation va « tourner » : les deux femmes tombent d'accord qu' « on est bien seule avec Farou ». Fanny découvre que la présence de Jane lui est devenue indispensable. Elle a besoin de cette amitié, de cette solidarité, de cette complicité féminine qui fait contrepoids à son amour pour l'égoïste Farou. Vous avez déjà deviné la fin. Jane ne partira pas, Jane restera. Farou gardera ses deux femmes, non pas parce qu'elles ne peuvent vivre sans lui, — Jane le quitterait sans trop souffrir, elle en a vu d'autres — mais parce qu'elles ne peuvent vivre l'une sans l'autre.
On n'avait jamais posé dans un jour aussi mélancolique et aussi vrai la nouvelle morale des sexes. On n'avait jamais rendu aussi palpable le malentendu fondamental de l'homme toujours pareil à lui-même dans son égoïsme vital de créateur, et de la femme moderne, affranchie moralement de l'homme, livrée à elle-même et s'apercevant avec horreur du vide où elle est tombée.
André Billy.
Orthographe, vocabulaire…
[modifier]- La façade de la maison et sa terrasse, ensoleillées le matin, reprenaient à deux heures leur vrai visage croisillé de poutrelles,…
- — Yes. Et pour Le Raisin volé, ça immine. Touche du bois !
- Farou tira avec effort sa main de sa poche, pour réfuter, et changeant explicativement de ton : …
- Qu’est-ce que c’est que toutes ces fichaises, allons, allons…
- Dans le train, Jane voulut aménager “ le coin de Fanny ”, déroula la couverture de kasha léger, …
- …, et sa retraite condoléante ranima un peu la gaieté.
- morbidezza : ou morbidesse
- collés à la fixine…
- et pris ton Eno’s fruit salts