Discussion Livre:Giroust - Illyrine - t3.pdf

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LETTRE CXX.

Lise à Julie.

Bonne, toute excellente amie, ta derniè- re lettre me saigne le cœur ; oui, mon ange, tu as à jamais perdu le vrai bonheur ! loin de tes foyers, brouillée avec toute ta famille ; un amant sur lequel tu peux si peu compter !.. Qui cessera de t’aimer lorsque tu n’auras plus de sacrifices à faire pour lui prouver ton amour, et je ne vois plus maintenant qu’il te reste encore quelque chose à lui immoler ! que ton Almaïde est intéressante !.. Comme elle aimait de bien

bonne fois ce Q ! que les hommes sont

monstrueux, rien ne leur coûte pour satis- faire leur passion…. Mon Dieu/ que par comparaison cela me fait estimer mon époux ; il n’a pas, en toute sa vie, à se re- procher d’avoir perdu une femme: aussi les demoiselles qui se marient, et les parens» ne sont pas assez soigneux sur la moralité de celui à qui ils donnent leurs filles, (ce-


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r 78 ).

pendant, ce ne seront pas les liens que l’an accusera de non scrupule là-dessus ; mais tu aimais, et tu l’as voulu ; ils sont vengés) si le déshonneur était attaché à la conduite d’un homme avant l’himen, comme à celle d’une femme, ces messieurs ne se permet- traient pas de gaieté de c«eur, de perdre impunément une amante sensible ! si pa- reille chose m’arrivait, je voudrais mettre ce trait infâme dans toutes les feuilles pu- bliques, et. couvrir d’opprobre un homme aussi perfide.

Mais, tu vas aller à Paris ; si ton amant avait fait encore une nouvelle conquête ! que deviendrais-tu ? ou irais-tu ? moi n"y étant plus, au moment où tu as tant besoin d’un Mentor ; et sans être beaucoup ton aînée, j’ai do plus- que toi une expérience consommée : l’habitude d’avoir toujours vécu libre dans le grand monde ; toi, tu n’as que de l’inexpérience ; tu ne doutes de rien ! beaucoup de fierté dans le caractère, une mauvaise tête, un cœur qui la suit au ga* lop, seule dans un pays où les écueils sont tant multipliés ; ta jeunesse, ta sensibilité î


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je tremble, Lili ; et telle mal que tu sois thez ton mari, tu seras toujours mieux que seule à Paris i n’oublies pas, Lili, que tu es mère de Clarisse : encore pour com- ble d’infortune, de Séchelles est dans les

V

Pyrénées ! je commence à croire, Lili, que l’on ne peut éviter son sort.

Ecris-moi souvent ; dis - moi tout ce qui t’arrive, et compte toujours, telles choses que ce fussent, sur mon attachement pour toi. Parles-moi encore d’Almaïde, elle m’intéresse…. Ne me parles plus de ton idole ; le portrait que tu en fais prouve que tu es trop éprise de ce séducteur.

Adieu, chère Lili : nous sommes encore loin de retourner à Paris.

^, r 1 … : Ta L I S K.


LETTRE CXXI.


Julie à Lise. ’

J E suis ici depuis trois semaines. Oh’ ^ pour le coup ! je suis lancée dans un océan d’avantures, Lise ; je ne sais par où com- mencer.

.Immédiatement après ma dernière lettre à toi, je repris la route de Paris avec un ami de mon mari qui m’y conduisit dans sa voiture ; et je crois que cette fois,, ce dernier n’était pas fâché de mon départ. Je n’avais pas prévenu mon amant de mon arrivée .seülement que je viendrais inces- samment. Comme il était une heure du matin, je me fis donner un lit dans l’hôtel où nous étions descendus.

Le lendemain, je fus chez lui, il était sorti : son domestique eut l’air embarrassé à mon aspect ; je passe dans une garde- robe J j’y trouvé des hardes de femme.

Crispée


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( )

Crispée de douleur, je m’en fus tout de suite ; je dis au domestique que lorsque M. rentrerait, il pouvait lui dire que j’é- tais hôtel de T…. rue Cet hôtel et cette

rue se trouvaient justement très - près de Séchelles. Que de réflexions cela me fit faire ! J’avais donné rendez-vous à Alma’de chez le perfide ; lui, il arriva chez moi à six heures du soir, frédounant une ariette ; je l’accueillis froidement ; il se disculpa. — Lili, je t’aime toujours : ne te fâches pas ; c’est une petite religieuse qui, sortie de son couvent, ne savait oii aller, je lui ai donné l’hospitalité, et comme c’était plutôt fait, elle partage mon lit. Mais, chère Lili, je vais souper avec toi, et y passer la nuit, demain nous aviserons en- semble à percher la vestale ; ce raisonne- ment me parut excellent, je l’emhrasse, nous soupâmes et restâmes ensemble.

Le lendemain matin, l’ami qui m’avait amenée vint me donner le bon jour: je n’a- vais qu’une chambre ; lorsque j’entendis frapper, je jettai sur le lit toute la défroque de mon amant. Mon compagnon de voyàge Tome III. Il




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venait pour écrire une adresse chez moi : il posa son chapeau sur la table de nuit ; je crus que c’était celui de mon ami, je le posai sur le lit ; le M. qui écrivait me voyait cacher son chapeau, et ne savait à quoi attribuer cette fantaisie. Enfin, après avoir fait une conversation plus longue que je ne voulais, et peut être luhmênie aussi, il me demanda son chapeau ; alors, je passe mon bras sous le rideau, et lui donnai ce- lui de mon ami. Sur l’escalier, ils’apperçut de la méprise et revint pour me demander celui qui lui appartenait : juge de toute ma confusion.

Je fus dîner chez mon amant ; j’y trouve Almaïde qui avait cru que je l’y avais de- vancée ; et trouvant une petite femme d’une mise et d’une tournure assez com- mune, elle lui demanda si sa maîtresse était sortie, si elle serait long-tems à ren- trer : la petite offensée lui répondit : — Je n’appartiens, madame, à personne. — Vous

n’êtes donc pas à madame Q « ? — Je ne

connais pas cette dame ; mais je sais qu’elle est arrivée hier ici, et que M. Q est


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allé chez elle. Il est bon de te faire le por- trait de la petite personne.

C’était un laidron de vingt ans, coin- plettenient magique, au nez en l’air, aux brillantes couleurs, à l’œil électrique, aux dents parfaites, à la chevelure énorme et tant soit peu crépue, d’un noir d’ébène..,, ayant, en un mot, tout ce qui peut enle- ver à la vraie beauté ses plus intéressantes conquêtes.

Nous arrivâmes, mon amant et moi : on se mit à table. Almaïde n’est pas endurante ; d’ailleurs, aussi indignée qu’elle avait lieu de l’être de la conduite de Q-…..‘e et de mon indulgence, elle molesta un peu la petite à qui le perfide donnait si humaine- ment l’hospitalité ; mais celle-ci était douce et timide, je la pris sous ma protection: on s’arrangea pour la placer chez une mar- chande de modes ; et Âlmaïde et moi fîmes payer au protecteur les trois premiers mois chez la marchande de modes ; encore une fois, tu sais qu’il n’est pas généreux j mais il le fit ; nous l’exigeâmes.




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En voici encore une d’expulsée ; j e ren- trai dans mes droits : je m’y croyais bien affermie ; lorsqu’un jour vint dîner une grande et jolie femme blonde qui vous le menait tambour battant. Cette femme avait de l’esprit, mais excédent e dans ses prétentions ; c’était un véritable moulin à paroles ; elle voulut qu’il la menât au spec- tacle, sans doute pour nous apostropher, Almaïde et moi : elle voyait bien que nous avions aussi des droits danslâ maison : elle dit qu’elle voulait souper chez V…. P.-R… Cette femme l’avait ensorcelle ; il fit tout, ce qu’elle voulut. Je crois, en vérité, mon amie ^ qu’il faut mener les hommes avec audace pour en faire quelque chose ; c’est un moyen pour en être aimée. Pour nous narguer, elle nommait le spectacle où elle voulait aller. Nous y fûmes aussi. Almaïde était fort élégante ; moi, j’étais en joli pierrot de Pékin noir, un chapeau noir, une ceinture de crêpe blanc, un panache blanc, l’air un peu mélancolique.

Tu sais qu’ici on me trouve la tournure anglaise ; un myloid entre dans notre loge.


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se place derrière nous > me dit bon jour en anglais : tu sais encore que je l’entends un peu, et que j’en sais quelques mois. Voici le mylord à mon char ; ma rivale n’était pas éloignée de nous, avec le perfide, il eut l’air inquiet de l’homme qui était près •de moi : celui-ci était ce que l’on peut nommer un bel Anglais ; tu sais encore que leur beauié est d’un genre différent de la nôtre. Almaide lui fit des agaceries ; mais il s’était prononcé pour moi. Mon vê- tement lugubre, ma tristesse, tout l’avait captivé. Il nous offre à souper, je ne voulus vt pas accepter ; il insiste au moins pour des glaces ; c’est mon faible ; puis, des glaces s’acceptent sans conséquence : nous fûmes chez Velonÿ ; mon amant et ma rivale ne tardèrent pas à y arriver : un ami de niy- lord paraît, il l’appelle, il.se place près de nous ; il en conte à Almaide, il lui plaît ; elle mord à l’hainecon : chacun trouve à s’indemniser, dit-elle tout haut pour être entendue de la table où était le couple de nouveaux amans. — Tiens, Lili, prends cette glace, d’un ton plus liant, tu ne per- dras pas au chaude ! Et le lord se prêtait




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à tout, comme s’il eût été de la confidence. Le M. et la dame blonde sortent, nous les suivons ; il la reconduisit chez elle ; il fai- sait beau, nous nous promenâmes jusqu’à onze heures et demie ; puis, nous fûmes chez Q ; il n’était pas rentré ; sûre-

ment, dit son domestique, monsieur ne reviendra que demain. — Lili, me dit Al- maïde, est-ce que vous auriez la lâcheté de’ coucher seule ici ? Venez, me tirant forte- ment par la main, et la porte de même. Je fus chez elle. Nous devions, le lende- main, retrouver nos Anglais aux Tuileries vers deux heures.

Almaïde, toujours élégante ; moi, je ne pouvais changer de costume, puisque ma malle m’avait été volée ; ajoutez à cela que je n’avais pas le sou, et Almaïde était trqjj petite pour qu’elle puisse me prêter des hardes.

Nous arrivâmes à deux heures à l’allée des soupirs ; nos écuyers nous avaient pré- cédés ; la partie était faite d’aller dîner à St-Cloud ; en revenant Te soir, nous ren-


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contrâmes sur le chemin du bois de Bou- logne la dame blonde avecQ qui fen-

daient l’air. Passant par le P.-R., ces my- lords nous obligèrent d’accepter beaucoup de jolis riens. Enfin, mes yeux sont frappés d’une amazone couleur d’amarante d’un drap anglais charmant ; je ne pus m’empê- cher de le considérer: mylord N…. me lais- sant passer en avant, avec Almaïde, prend couditionellement cet habit, puis ajouta : pour aujourd’hui, mesdames, je vous don- nerai à souper chez moi. Son ami mylord P… logeait, au meme hôtel ; mon amie ac- cepte, et m entraîne ; nous soupâmes chez ces messieurs ruë S.„ il était déjà une heure du matin ; où va-t-on si tard ? j’essaye l’a- mazone, il va à ravir. Sitôt qu’ Almaïde l’eut examiné, taudis que je l’ôtais, elle est dis- parue avec mylord F…, Je restai étourdie de me trouver seule à cette heure avec un homme que je connais.sais à peine, que je comprenait de même. Cet homme était char- mant.Sûrement s’il y avait eu de l’amour de hlé, il m’aurait plu ; mais j’avais encore le cœur plein du perfide, et mes torts eussent justifiés les siens.


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Les Anglais n’ont pas le mode de séduc- tion bien délicieux ; de ce coté, j’étais un enfant gâté de l’amour : je ne me trouvai pas très-contente. Il ordonna à son x-aîet de chambre de me donner des pantoufles et de me coëlFer i il sortit et revint les mains pleines de préseus ; un chapeau de castt)T bien assorti à mon amazone, des bas de soie charmans, des souliers, etc. Quelle est la femme qui n’est point sen- sible à un procédé généreux et délicat ? Me voilà iléjà engagée par la reconnais- sance avec mylord ; il a plus fait pour moi depuis deux jours que mon ci - devant amant depuis près de trois ans. Je restai tranquille ; Almaïde vint : elle avait aussi beaucoup à se louer de la générosité de son nouvel amant. Nous sommes bien, dit-elle, restons-y : à quelque chose le

malh«#ur est bon. Je vais chez Q savoir

ce qui se passe ^ comptes sur moi, reste tranquille.

Alma’de revint à deux heures. Déjà, me dit-elle, il est las de sa blonde maîtresse, et il regrette les qualités du ca ur de Lili ;

il




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il voulait absolu nie jit venir avec moi te chercher chez le lor<l ; je l’ai conjuré de n’en rien faire, et j’ai promis que ce soir tu irais chez lui. Cependant, Lili, tu a ? ici ta fortune en main ; cet homme t’aime, il est généreux ; il aura toujours pour toi des procédés, c’est jun Anglais, c’est tout dire. Tu peux passer avec lui dans son ile, et oublier un pays qui ne produit que des ingrats. On servit le dîner ; après je tâchai de laire comprendre à mylord que j’étais obligée de me rendre chez yn parent, et que si je ne revenais pas couçhcr, je vien- drais le lendemain de onze lieures à midi.

A six heures du soir, dans mon nouvel ajustement, qui est charmant, je me ren- dis chez Q….,*’ : tu sais comme il est sen- sible à la parure. — Bonne Lili, je te re- vois ; combien tu m’as donné d’inquiét ude ! est-ce que tu ne m’aimerais plus, Lili ? Je lui fis de nouvelles protestations, et lui dis que j’avais éprouvé que l’on pouvait faire une infidélité sans être infidelle. — Mais 1 U couches ici ce soir ? — Oh ! la dame blon/Ie 1 II in’entraîxie, nous sommes au lit. Tome J IL 1 2


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A huit heures du matin, le valet de chambre de inylord vint me dire qu’il m’atlendait à déjeûner à onze heures ; je promis de m’y rendre : j’y fus effective- ment. Sous une lasse de chocolat en porce- laine des plus riches, étaient dix louis en or : cette tasse portait mon chiffre et celui de inylord ; voici un trait anglais, lui dis-je en l’embrassant ; et dans ce moment, j’ou-

hliai totalement Q Nous fûmes au

spectacle, et j’ai resté la nuit avec mylord : j’en fus plus contente. Quinze jours se pas- sèrent en plaisirs continuels, et toujours de nouvelles galanteries de la part de nos amans.

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Moi, il est dans ma destinée que je ne dois jamais qu’effleurer le bonheur ! que du faîte de la fortune je tombe dans le ruis- seau, et puis je grimpe encore au dernier échelon pour retomber de nouveau.

Nos deux amis étaient joueurs, il furent avec nous chez d’E… au P.. R…:on leur es- croque tout leur argent ; on n’est pas de belle humeur, lorsque l’o’n a tout perdu ;


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ils avaient du crédit, ils revinrent souper chez M,.. ; ils se saoulèrent, c’est leur péché originel ; ilsse querellèrent, nous parvînmes aies séparer. Le lendemain après déjeûné, ils prirent leurs pistolets, et ils sortirent ; nous ne les vîmes pas de la journée. Le soir nous retournâmes à la maison de jeu de la veille, ils n’y vinrent pas ; Almaïde joue, elle gagne cinq louis : cette amorce la sé- duit ; elle rejoue encore et perd outre ce qu’elle avait à elle, dix louis à son mari qu’elle avait touchés pour lui ; désespérées, nous retournâmes à l’hôtel : on nous dit que oiylord N… s’était battu an bois de Boulogne, qu’il avait été tué, et queniylord F,., venait de repartir pour le Havre. Quel coup funeste ! … .

Il était tard, nous reprîmes nos bagages »

et fûmes chez Q :ilnevoulut pas nous

ouvrir ; mais, Almaïde fit tant de train, qu’enfin il se détermina à parler. Il avait deux femmes chez lui, dont une jolie, mais- bête à manger du foin ; l’autre vieille et laide, sans éducation, elle parraissait être la pourvoyeuse ; nous dime»que nous vou»


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lions coucher chez lui, et que nous reste- rions. Une grande demi - lieure se passe ; lorsqu’il vil que c’tlail chez nous un parti bien pris, il se retira avec les dames qui étaient chez lui ; il fut sans doute chez elles. Nous nous couchâmes toutes deux dhns son lit, et après quelques heures fie sommeil, non paisible, nous nous levâmes, et emportâmes nos bagages, que nous fû- mes déposer chez une dame que nous

avions connue chez le lord. Almaïde vou-

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lut retourner chez elle j mais elle n’avait pas le sou. La dame chez qui nous étions, nous proposa un voyage d^ns les Pays-Bas avec elle ; Almaïde remercia : moi, qui suis l’enTant des circonstances, je dis ; autant là qu’ailleurs. Urne restait vinj^-cinq louis, lu saisque je suis économe ; j’en prêtai dix à Almaïde, et avec le’ reste, je pouvais bien entreprendre üri voyage agréable à frais Gomiiiuns avec cette jdame ; elle allait avec son amant, gros’néj^ociant, qui tirait des toiles de Courtniy, jMenain, et des den- telles de Lille et Val^mcieilnes. ’ ■’ ’ ’

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Almaïde est partie |j^)our la F, M…. Je ne


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pus in’eùipécher d’aller revoir mon ancien amant : je lui conte ma désastreuse avan- ture ; il était occupé à faire une malle, devant partir à l’instant j>our une nouvelle mission dans les Pays-Bas,

Adieu, Lili, me dit-il : je t’écrirai. Trois jours après, je balançais encore si je de- vais entreprendre te vo ;)age ; mais une lettre adressée à Lili me détermina.

Cette lettre j datée de Peronne, était conçue en ces termes ;

‘‘ Lili, je t’aime toujours : je ne vois plus ton infidélité qu’avec l’etfil de la phi- losopliie ; puis, comme ten réciprocité à toutes celles que je t’ai laites.’ Je me rei- trouverais eucorci avec bien du plaisir dans tes bras. Lili, tu avais le projet de voyageP ; eh bien ! I voici unè circonstance qui peut encore nous faire retrouver ensemble. -Je serai à Lille, après demaiil midi à l’hôtel de Bourbon ; sur la place : mes collègues ne te connaissent pas ; tu. auras pour moi le charme d’une nouvelle conquête ; et




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j’anrai pour toi ceux d’un nouvel amant. Près de Lille est le Colisée, ou la nouvelle Avanture ; c’est un lieu divin ; qu’il serait charmant de nous y rencontrer ! Tu sens, Lili, tout le piquant d’une aussi jolie anec- dote !….

Adieu, Lili ; je t’attends après demain, jeudi de midi à deux heures. Adieu, maî- tresse toujours favorite de mon cœur : si je ne suis pas ton fidèle amant, je suis ton constant] et éternel ami. Je te baise par- tout.

Ton ami N. Q

Cette lettré ’acheva de me tourner la cervelle :je’suis décidée, jetourmente pour le départ > tout lut bientôt prêt ^ on n’at- tendait qu’a près moi : on est allé chercher des chevaux de poste ; je pars à l’instant : je courre le monde et les avantures. Petit chevalier errant, je te donnerai souvent de mes nouvelles ; mais ijMgnore quand ’ j’en pourrai recevoir des tiennes. Je ne me possède pas de joie de voir des pays étran- gers, des armées, etc. etc. etc.


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Cependant j’éprouve aussi une soudaine inquiétude…. Mais le joli rendez-vous du Colisée me fait bientôt tout oublier. Puis, peut-être aussi aurai-je occasion de passer par la Lorraine. Lise, comprends-tu le plai- sir que j’aurais à l’embrasser ?Puis aussi, si j’allais me trouver dans les Pyrénées, et retrouver Séclielles…. Mais je ralFolle. Adieu : voici les chevaux. Adieu, adieu.

Ta Lili.


LETTRE CXXII.

Julie à Lise.

C’ EST en face d’une armée rangée en ba- laille que je vais m’entretenir avec toi, ma chère amie, c’est maintenant la favorite du général Biron qui t’écris : oui, mon amie, de la robe, je suis passée à l’épée ; mais tu veux toujours que je mette de l’or- dre dans mes récits.

Dans ma dernière de Paris, je te quitte pour monter dans un pliaéton léger comme le vent, et trois chevaux de poste le con- duisaient avec la rapidité de l’œil. Arrivée à Pont-Ste-Maixence, le sol est tres sablo- neux. Le phaéton rencontre un petit ro- cher masqué par le sable ; la vitesse avec laquelle nous allions rendit le choc si con- sidérable, que nous fûmes renversés sans dessus dessous ; nous ne fûmes cependant pas blessés dangereusement. Madame S…. eut une légère contusion à la jambe, moi,


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à l’épaule ; car Je sortis totalement de la voiture ( qui était découverte, le tems étant superbe ) et fus tomber dix pas plus loin, près d’un étang. Peu s’en est fallu que je ne fusse noyée. Mais je suis encore si loin d’avoir rempli les vues du destin, que je puis alFronter tous les dangers sans craindre la mort. Puis, c’est le terme des maux

’Le terrts de faire rajuster la voiture qui était la plus froissée des trois, demanda un jour et derai ; de manière que nous ir’arrivâmes à Lille que le samedi soir : on nous dit, à la demande que nous fîmes à l’hotel de Bourbon des représentans du peuple, qu’ils venaient de repartir pour le camp de Menin. Notre compagnon de voyage, qui n’était pas totalement pour ses plaisirs, voulut au moins faire quelques affaires qui l’indemnisassent de la route ; car il était, vis-à-vis de nous, très-honora- ble ; d’ailleurs, notre pbaéton qui n’avait été que mal racommodé, avait aussi besoin d’une réparation urgente ; ainsi, tout con- sidéré, il fallut encore rester deux jours à.

Tome III. . 1 3




Lille. Je fus voir le co-Elisée ; c’est vérita- blement un lieu enchanteur ; nous dînâmes un jour à la nouvelle Avanture,

. Enfin, le mardi soir nous arrivâmes à Menin. Mon amie connaissait tous les ba- taillons de Paris qui étaient cantonnés là ; nous demandâmes encore les représentans du peuple ; ils étaient encore repartis dix matin. Mon amie voyant que cette nou- velle m’affectait, me dit : n’avez- vous pas assez fait pour l’amour ? Au surplus ( en. montrant ce beau corps d’armée ), ici, Lili, il n’y a qu’à choisir ; mais faites au moins quelque chose pour l’amitié. Comme j’avais déjà fait infidélité à mon amant, il fut plus facile de m’engager à rester dans un lieu où, à la vérité, il n’y avait que l’embarras du choix, et c’est beaucoup plus difficile qu’on ne l’imagine. Levant les yeux sur tous ces beaux enfans de Mars, il furent éblouis, et mon creur muet. Le comman- dant du second bataillon de Paris, ami de mes compagnons de voyage, voulut être le premier à nous traiter ; il nous donna à souper, c’est-à-dire, à manger ; car à la


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porte d’un camp aussi nombreux, dans une ville aussi petite, on mangeait pour vivre, mais l’on ne vivait pas pour manger. Le commandant du second bataillon, M. B…., jeune brun, bien élancé, la voix un peu forte, l’œil vif, se déclara mon premier aftentif.

Nous avions eu beaucoup de peine à nous loger \ et il était déjà neuf heures du soir, que nous n’avions encore qu’un très -petit mauvais lit pour nous trois- M. B-… fait toutes les démarches possibles pour en trouver un second ; enfin, à onze heures il arrive tout essoufilé, en nous disant : je

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n’ai plus qu’un moyen, c’est de loger, madame, comme ma femme, chez un tel : ce sont de bons enfans, et ils me protègent. Mon amie prend la balle au bond…. Oui, oui, dit- elle, ma sœur, acceptez, vous se- rez à merveille recommandé par M. Vous êtes un charmant garçon, dit-elle en l’em- brassant : oh ! il y a bien long-tems que je le connais ! elle s’entendait sûrement avec lui ; ‘car j’ai su depuis qu’elle avait plus’ d’une fois tiré parti de-moi dans ce voyage.




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Mais je te dois le portrait de madame S… cette amie, ou pour mieux dire, cette com- pagne de voyage. Trente - six à quarante ans, un corps superbe, la tête petite, point jolie ni laide non plus, des yeux bleus, un sourcil noir, point d’éducation, point in- finiment d’esprit, mauvais ton, des ex- pressions vulgaires, mais bonne, bonne par excellence ; le cu/ur le plus obligeant et aussi le plus combustible.

Voilà donc qu’elle m’a emballée avec M. le commandant ; la maison en question était voisine de celle où devait rester mes compagnons, on fit des difficultés pour m’y. recevoir : lu ne te fais pas d’idée de la sot- tise de ces animaux de Flamands ; il n’y’ a rien de si détestable, selon moi. — Madame est-elle bien volrO femme légitime ?…. Il l’assure. Je crus qu’il faudrait exhiber notre contrat de mariage. Le maître de la maison, en assurant qu’il fallait que je fusse absolument la ieimue du comman- dant pour qu’il me loge, nous conduit par une entrée assez tortueuse à une petite cbaoibreite jolie, donnant sur un jardin




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au bout du monde. — Madame vous serez fort tranquille ici, et nous laissa son petit bout de chandelle ; car en cette ville, oii avaient déjà circulé cinq à six fois des Français ou Autrichiens, ils avaient été tellement pillés, vexés, qu’iis manquaient ; de tout.

Me voici seule dans nn pays dont je n’entends pas le mauvais jarojon, et dont les mœurs me semblent bien dilFcrens des miens, avec un homme que je ne connais pas davantage, qui est supposé mon mari ; et ce n’est qu’àr cette spéciale coudiliou que je trouve à reposer ma tête….

Imprudente !…. mille fois imprudente Lili ! Un peu absorbée de tout ceci, j’étais silencieusement sur ma chaise : mon soi- disant époux s’approche respectueusement de moi. — Ne vous affligez pas, madame, vous êtes avec un honnête homme, bon

enfant, amf de la joie et des plaisirs

— Est-ce que vous n’allez pas me quitter, lui dis- je en tremblant ?…. — Mais oi’i vou- lez-vous que j’aille ? Il est près de minuit ;




’( 102 ) .

! 

je ne puis retourner à ma tente, le camp est fermé ; je ne puis pas non plus allen à la ville ( nous étions dans un faubourg ), je n’ai pas le mot d’ordre : je vais passer la nuit chez vous sur ma ‘chaise ; il s’ap- proche de moi, me baise la main ; je le regarde…. — Serai- je assez heureux pour vous plaire, ma belle ? Par bonté, vous avez l’air si douce !… par commisération, ayez pitié d’un malheureux !… Il avait l’œil expressif, il lui donnait de l’éloquence. — Demain, peut-être ne serais-je plus ! peut- être expirerais-je sous les lauriers de la gloire ; il y a trois mois que je n’ai éprouvé les bienfaits de Vénus !… le ciel m’aurait-il protégé assez… . Chat mante Lili !… Un. homme qui a passé trois mois sous la tente n’a rien de séduisant ;. ces moustaches,, peut-être, vous effraient ?… — Non : je les aime assez ; mais je ne connais pas votre moralité, et ayant acquis tous les droits sur moi, vous pouvez, dès demain, en abuser ! — Non, 6 non, belle Lili ! il est à mes ge- noux, tendre, pressant…. Le petit bout de cliandelle était à son terme, nous sommes daus l’obscurité la plus profonde…. Bonne,


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toute bonne Llli !…. Mon amie, que te di- rai-je ? mes sens me trahissent…. Mon pé- tit Mars avait le mode et les préludes les plus exquis en amour ; nous fûmes com- pletteuient heureux !…. »

Le lendemain, lorsque le jour vint éclai- rer notre nouvelle alliance, et que j’ap- perçus près de moi mon héros à mousta- ches, moi qui sortais des bras d’un lord petit maître, je réfléchis sur ce contraste. Il se réveille. — Est-ce, ma belle, que je perdrais d’être vu par vous au jour ? — Non, et cela était vrai… Mais c’est votre ame que je desire connaître : nous avons pris le roman par la queue… — C’est au plus brave militaire, c’est à celui qui vous fera respecter de toute l’armée, si vous lui êtes fidelle ! — Déjà de la fidélité ?…. On frappe à la porte: ; c’était madame S,… qui venait déjeuner ;avec, disait-elle, les nouveaux mariésb M. B… se lève pour la faire entrer.

■ I

— C’est une horreur, ma belle ! Com- ment ? Me voici déjà donnée sans avoir eu mon sufîiage libre ? Cet homme a requis




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des (îroils sur moi, et j’ignore qui il est… — Soyez tranquille ; à cela près que c’est une mauvaise tète, jaloux à toute outrance, un ferailleur, cependant bonne épée-, il est redouté ici comme tel ; du reste, il a un excellent cœur ; il est loj al, noble et généreux ; il ne vous laissera jamais dans l’embarras…. Il revint, nous déjeunâmes : il avait pris véritablement du goût pour moi i moi aussi, j’avais pour lui ce que l’on peut nommer l’attrait des sens ; mais il ne se soutient que par les qualités que l’on reconnaît dans l’être qui les a captivés.

Quelques jours s’écoulèrent sans que j’eusse à me plaindre de ma nouvelle con- quête ; mais, je le répète encore, mon cœur ne s’était pas donné, il avait été, pris d’as- saut. Un jeune lieutenant colonel extrê- mement doux, le ton et la tournure sen- timentale ; il est en un n’Ot, trait pour

trait, Q : à cette difFérence qu’il est

blond, et qu’il n’a pas l’n il à la Mont-Mo- rency: celui-ci avait le ton de la meilleure société, et M. B…. n’a que celui théâtral ! Lubin est le nom que madau:e S. .. donnait




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à l’intéressant et sensible lieutenant-colo* Tiel ; il m’offrit scs vœux timides. Combien il m’intéressait ! M. B… ne tarda pas à en manifester sa jalousie ; il s’était procuré mon portrait.

Un jour que nous dînâmes chez le géné. ral B…., Lubin à ma gauche, M. B…. à ma droite, il s’éleva une querelle entre eux relativement à moi ; je donne raison à Lu- tin, parce que véritablement il Tavait. M. B… s’en fâche, et porte l’impertinence jusqu’à mettre des moustaches à mon por- trait : Lubin prit ma cause à cœur ; enfin, nous nous quittâmes tous fort mal. Le chevalier de V…., capitaine des guides du général B…., nous avait engagés à sou- per, madame S…, son ami et moi, nous y fûmes. On fit du punch bien avant dans la nuit. Madame S…. s’entendait sans doute encore avec celui-ci. L’heure de retourner chez soi étant de beaucoup passée pour une ville à la barbe de l’ennemi, les portes sont fermées de bonne heure ; il fut décidé que l’on coucherait chez de V…. : ou lui ou elle, av’aient falsifié raa’boisson ; car Tome III. 14




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même à labié, une envie de dormir si pré- pondérante me prit d’une telle force, que je me jettai sur le lit du chevalier, et le lendemain, je me trouvai dedans, et lui à mes côtés ; ce n’était pas le moment de faire la bégueule, il obtint tout…., et nous nous quittâmes, non pas amans, mais amis. Pour amant, j’aurais préféré M. B…. On me dit que madame S..,, avait couché dans l’appartement, et qu’elle venait de partir.

Je retournai chez moi ; je demandai s’il était venu quelqu’un pour moi: — Votre ma- ri, madame, est venu deux ou trois fois : je rentrai et me couchai. Mon coëfFeur arrivé, il me cüëffe, et je me remets au lit. Arrive une visite ; je me lève tout de bon ; c’était un de mes pays : sans conséquence, il posa son chapeau sur le lit. Enfin, arrive M. B…, la figure allongée, pâle et décolté ; il entre et s’assied chez moi en maître, vis-à-vis une personne de mon pays, je craignais une scène : le nouvel arrivé avait l’air monté. Le premier, en homme prudent se retire. Il ne fut pas plutôt sorti, que M. B… ne




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pouvant plus posséder sa rage, m’agonit de sottises, tire son épée sur moi et veut me tuer. — Je ne vous appartiens pas, monsieur, et de quel droit Il n’entend pas raison. — Vous étiez à moi, madame, depuis votre arrivée ici : vous y portez mon nom, et cette nuit, vous avez couché où vous avez soupé ; car )’ai monté la garde toute la nuit à votre porte sur la rue, et mon domestique à l’autre sur le derrière…. Il casse et brise tout ; il ne se connaît plus. Je sauté par une croisée dans le jardin pour éviter sa fureur ; les hôtes viennent mettre les holas…. Madame S… arrive ; je fus à elle. — Je vous ai bien des obligations : voyez ce furieux : elle me répond froide- ment, c’est qu’il vous aime : je vous l’avais bien dit qu’il était jaloux…. — Donnez-moi mes hardes que je sorte de cette maison ; je ne veux plus rester dans ce pays.

Tu penses bien que je n’ai jamais voulu revoir cet homme, quoiqu’il ait voulu se- raccommoder avec moi ; je lui jette au nez les bagues qu’il m’avait données ; mais lui, il ne voulut pas me rendre mon portrait ;


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( io8 )

Nous dînâmes chez le général Biron ( cî- devant duc de Lauzun, que j’avais connu, à H. F…, étant demoiselle ; il était alors l’amant de la comtesse de Dilon qui y de- meurait ) ; dès la veille, il avait cherché à reconnaître mes traits, et s’était intéressé à ma petite personne. Cette fois, il me plaça près de lui. Je trouvai l’occasion de lui rappeller les bals charmans que l’on donnait à H. F…. — Vous me remettez sur ^ la voie ; mais vous êtes G… ; par quel hasard êtes-vous ici ? — Les détails seraient trop longs à vous faire, général ; je suis mariée depuis quatre ans à un magistrat, et je lui montre le portrait de mon mari qui ne me quitte pas. — Mon joli petit cœur ! venez, ou si vous aimez mieux, restez aec moi ce soir, vous me conterez tout cela ; vous m’intéressez véritablement ; vous avez eu ici une avanture désagréable avec un certain officier. Ma belle, vous êtes ici en mauvaise compagnie…. On sort de table : on va promener au camp ; Biron me don- nait la main lorsqu’il y avait quelques mon- ticules ; tout en causant, nous passâmes de- vant la tente de M. B… : je triomphai.


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Je dis le soir à mes compagnons que je restais chez le général ; il est beau, bien fait, spirituel, aimable comme un grand seigneur. Jelui conte toutes mes avantures: il veut que je reste avec lui, et encore une fois je suis heureuse. Son capitaine des guides, M. V…, en homme usager, n’a jamais fait mention de l’anecdote passée entre nous ; je sais seulement qu’il a fait un beau cadeau à madame S….

Adieu, ma belle ; je suis fixée près de B… et outre qu’il a tout ce qu’il faut pour cap- tiver le cœur d’une femme délicate, c’est que l’expérience maintenant me rendra sage. Adieu, je te baise bien tendrement, et suis toujours,

Ta Lui.




lettre cxxiii.


Julie à Lise.

^Ul, Lise, je voulais être sage, c’était bien mon projet ; et c’est bien encore moix intention ; niais il fallait aussi que le des- tin s’y prêtât. La bonne conduite sans bonheur n’est rien, comme le bonheur sans bonne conduite est peu de chose.

Il y a eu une affaire à Warvick ( petit village moitié France et moitié Autriche) ; Sa mêlée fut vive, mon général y était ; il revint par le camp. En partant, il m’avait fait mettre dans une petite chambre bien, close et loin de tout bruit : il fait dire à neuf heures que je ne l’attende pas, qu’il coucherait au camp. Madame S… était avec ihoi ; elle voulait encore me débaucher pour aller souper chez un de ses amis ; je lui résiste ; elle insiste et dit qu’elle vien- drait me chercher, et qu’après avoir resté seule une soirée, je ne serais pas si récal-


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( Ïïl )

cilrante, et elle disparut. Je prévins aus^ tôt le maître et les domestiques de la mai- son de dire à ceux qui me demanderaient que j’étais allé au camp joindre le générai. Effectivement je sors et rentre sans être apperçue. Pourrais-tu croire que cette dé- faite que la sagesse me dictait va me de- venir funeste, tant il est vrai qu’on no peut déjouer le destin, et que nous n’en sommes que les instrumens.

A dix heures à ma montre je me couchai bien tranquillement, et jouissant du plai- sir de dire le lendemain à mon ami que j’avais refusé un souper en ville pour res- ter seule à m’occuper de lui. Je dors toute ia nuit du plus profond sommeil ; je me lève le matin ; impatiente de ce que le perruquier ne vient pas, je me donne un coup de peigne ; je passe un pierrot do linon garni en rubans tricolors, une cein- ture de même, un petit chapeau sur le côté ; je sors, ma petite badine à la main. Les maîtres de la maison me regardent d’un air étonné et inquiet. — Comment,

madame î vous êtes encoreici, me disent-ils

» *»

»


I




( Il3 )

en mauvais français ? Il n’y a plus un Fran- çais dans la ville ; le camp est parti cette nuit, et tous les Autrichiens sont ici : je jie sais pas comment vous allez faire ; mais nous ne pouvons plus vous garder… Mais mon Dieu, madame, le général vous a en- voyé sa voiture pour que vous le rejoigniez à Lille, et Javotte a dit que vous étiez partie… Je te laisse à penser ce que je de- vins à une telle avant ure. Après un mo- ment de réflexion ; Jo vais, me dis- je, trou- ver les chefs des Autrichiens ; il doit y avoir aussi parmi eux des gens bien nés et humains. Je pars, mon petit paquet dans un mouchoir, et je m’achemine vers la ville. Avant d’y arriver, il faut passer nn pont ; vingt fois sur ce pont les officiers Français m’avaient vanté leurs exploits de bravoure : il en faudrait, dis- je ; beau- coup pour me délivrer d’ici.

. Je lève la tête, je vois venir à moi deux bulans et trois chasseurs tyroliens qui res- semblaient à cinq démons sortis de l’en- fer ; ils dégoûtaient de sueur et de sang. Ils arrivèrent à moi prononçant de mots

que


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Cti3)

que je ne pouvais comprendre ; mais que leur air menaçant m’annonçait n’étre pas de bon augure ; enfin, à pèu de distance d’eux j’apperçois aussi un homme qui avait l’air du Dieu Mars en personne :1e brillant de son armure, et son panache, m’annon- çaient assesz qu’il était un des premiers chefs de l’armée ; ces inhumains soldats tombent sur moi, je fais un cri, et un signe d’implo- rer la protection du majestueux guerrier qui dirigeait ses pas vers moi. La fureur s’empare de tout mon être ; et au moment où mon ame s’échappera de mun corps, je n’éprouverai pas une sensation plus désor- ganisante qu’à l’instant où ces furieux sa- tyres me renversèrent dans le fossé, m’ar- rachant le paquet que j’avais à la main, et mes boucles d’oreilles ; je restai dans l’an- néantissemeut le plus complet.

Lorsque je revins, à ce qui m’a paru, de l’extrémité des extrémités, je me trouvai dans un beau lit, entourée d’une quaran- taine d’officiers d’uniformes différens : me frottant les j’^eux, je crus avoir passé dans un nouveau monde ; il ne me restait plus Tome III, * $




-qu’à savoir si j’étais dans les liniLes, ou l’élisée ! et ceux qui m’entouraient n’avaient l’air ni de diables, et moins eiicore d’om- bres ! Ayez la bonté, messieurs, de me dire comment je me trouve ici ? moi qui me suis crus morte ! par quel miracle ?… Alors le commandant, (ce fils de Mars, le beau Bénack) s’approcha de moi, me prit la main qu’il pressa respectueusement, me dit, en mauvais français ; — Belle frailcaise t c’est moi qui ai été assez heureux de vous arracher des pâtes de mes soldat s, dont vous eussiez, sans doute, été la victime, si je ne les avais pas suivis de près ; vous implorâtes mon secours, et j’arrivai à tems. (Deux de mes camarades me suivaient à peu de dis- tance, je les envoyai en avant au F. B… dont vous veniez, pour arrêter le carnage et la fureur du. soldat féroce). Je vous fis un brancard de mes bras, et vous déposai sur le lit où vous êtes : j’ai crains bien long-

I •

tems de ne pouvoir vous rappeller à*la vie, ([ue vos grands yeux ne se r’ouvrent jamais à la lumière ; quel dommage ! car ils sont rharmans, je l’aurais parié (regardant un de scs camarades) ; mais celui-ci ; — Qui êtes-


( IIO )

vous, mondamena femme ou la maîtresse d’un oflîcier français ? — Ni l’un ni l’autre. — Mais qui êtes-vous ? — Je suis la femme d’un ancien secrétaire-privé de Louis XV ; je voyage par esprit de curiosité ; j’ai voulu voir un camp ; j’étais traitée avec distinction par le général Biron: par un quiproquo, je fus oubliée dans la déroute générale ; en deiix mots, voici mon histoire. Je suis votre prisonnière de guerre ; mais j’espère, et j’ai tout droit de compter que vous aurez pour moi tous les égards que l’on doit à une personne distinguée, et de mon rang !.. — Oui, oui, madame, dit le superbe Bénack: vous êtes notre prisonnière de guerre ; mais nous vous regardons comme notre souveraine.

Dans un corps d’officiers aussi nombreux, tous ne sont pas également honnêtes, en Allemagne comme en France : un petit laidron haussa la voix : — Mais vous étiez

r

la maîtresse d’un officier Français, vous êtes par conséquent pour noiis le droit de conquête ? — J’ai eu l’honneur de vous dire que je voyageais par esprit de curiosité


I




( ■’« )

qu’il n’y a que huit jours que je suis â Menin, où il y avait quarante mille hom- mes de campés, et par conséquent, le nombre était trop considérable pour, en si peu de tems, faire un choix. — Eh bien ! la belle, nous ne sommes pas quarante mille, nous ne sommes que quarante, il faut faire un choix, pour qu’il vous pro- tège contre les hostilités des autres : nous chômons de femmes, et une Française est un morceau friand…. Me tournant vers Bénack : — Je suis bien heureuse, mon- sieur, que mon cœur se. trouve d’accord avec la reconnaissance ! Je lui donnai ma main, qu’il baisa. — Parbleu, dit un autre écervellé, s’il y a une bonne aubaine, c’est pour ce Bénack. — Madame, dit celui- ci, quoique j’aie été assez heureux pour être celui qui vous ai amenée parmi nous vivante, votre suffrage est totalement li- bre : je ne veux rien devoir à votre délica- tesse, mais tout à votre cœur ! — Je le ré- pète, monsieur, mon cœur est plus que d’accord avec ma reconnoissance j alors il baisa mon œil ; et comme je m’en défen- dais : — A-’ayez pas peur, belle prisou-




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fiière, je nte l’avalerai pas ; il est plus grand que’ ma bouche. Comment trouves-tu celaî S’il me faisait un compliment, il ne se di- sait pas de sottises ; effectivement, il avait la bouche charmante, les lèvres à l’au- trichienne i tu sais que c’est ma ^blie.

Il fait retirer tout le monde ; il me fait apporter un consommé.— Il vous faut pren- dre du repos, belle enfant ! Dormez pai- siblement ; et si vous avez besoin de quel- que chose, voici une sonnette : tout ici est à vos ordres, puisque c’est moi qui y com- mande ;• et il se retire.

Restée seule, combien je me félicitais d’une aussi jolie aventure ? Que mon nou- vel amant était beau ; Séchelles / si tu es le plus beau des Français, Bénack est le plus superbe des Autrichiens : Séchelles est un adonis, mais Bénack est un Her- cule ! Déjà il tarde pour mon impatience…

Depuis Q je n’ai point aimé ; le lord

est une affaire de dépit, M. B… de cir- constances . le chevalier de V… pire en- core ; le général ; c’est’ un pot*pouri de sen-


]S£tSOMmt


Cii8)

’timent ; mais mon bel Autrichien, c’est l’amour !… Oui, oui, c’est l’amour….

Je sonne : un domestique vient. — Ma- dame, on servira dans voire appartement quand vous voudrez. Bénack entre : je rougis et lui aussi. O ! mon amie ! il sait rougir !…. J’avais sommeillé un peu ; me& cheveux étaient en désordre sur mes épau- les, mon fichu écarté ; il y porte sa belle bouche ; je Ta retire, il la repose sur la mienne ; enfin, il obtient un baiser. — O que l’on me l’avait bien dit qu’une Fran- çaise était tendre ! que je suis heureux !’

Le dîné est servi. Placée à côté de lui, j’en fais les honneurs ; tout le monde était gai, ils étaient tous conquérans. C’étaient eux qui avaient fait mettre le f «u au fau- bourg de Courtray, dont très-loyalement ils donnaient l’odieux aux Français vis à- TÎs de ces malheureux habitans ; c’était dans celte mêlée que la nuit dernière, tandis que je dormais paisiblement, que le feu du canon, la grêle des bombes, le feu des fauxbourgs embrasés, les cris des


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( ”9 )

infortunés habitans avaient répandu dans toute l’armée française une terreur si com- plette, que l’on leva le camp sans bruit, et qu’incognito chacun prit la fuite ; que moi je restai comme un droit de conquête au vainqueur ; mais que ma captivité fut aimable ! je la regrete bien sincèrement.

Après le dîner, nous fûmes nous pro- mener, examiner tous les dégâts de la nuit dernière. Mon amie ! que le théâtre de la guerre est hideux ! Je revins le cœur serré. Je rentre avec le commandant, qui était déjà celui de mon cœur ; nous sou- pâmes tête-à-tête: il fit poser un lit decamp dans l’anti-chambre pour lui, et me dit ; — Madame, vous êtes chez vous : votre asyle sera respecté par ’le vainqueur que vous avez vaincu !…. Il se retire avec un soupir, et me lance un regard timide. Que le respect d’un amant tendre a de pouvoir sur une ame délicate ! Comment,/ Bcnach,- dis-je ? vous vous retirez ! Mes yeux ren- contrent les siens ; ils étaient humides de reconnaissance ; il est aussitôt à mes ge- noux ( car un officier allemand sait tout


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C 120 )

aussi bien se u)ettre aux genoux d’une amante qu un Français ). Que vous êtes bonne ! que de générosité, mon amie sen- sible !… Je le fais asseoir, et lui prenant les mains, ie lui fais le précis’de mes avan- tures : plusieurs fois il soupira doulou- reusemeut pendant ce récit : des larmes même coulèrent de ses beaux yeux bleus… Chère Lili ! petite jolie ! ( dans la bouche d’uh Allemand, c’est tout-à-fait joli ; puis, tu sais que je raffole de ceux qui jargonnent le français ; c’est encore pourquoi les An- glais ont tant d’empire sur mon arae j car je suis toute bisare). Il dénatte ses beaux cheveux blonds ; tu ne peux te faire d’idée de cette beauté, ma. main en était plus que pleine, et ils lui tombaient à la ceinture. (Un homme trop timide finit cependant par embarrasser une femme). Je me mets au lit : approchez, lui dis-je, que je touche ces beaux cheveux. 0 ! pour le coup, il ose…. Mais quoiqu’il eut de vingt-huit à vingt -neuf ans, figures - toi un homme presque tout neuf, nulle méthode, nulle volupté, nul lafinement i enfin, il n était




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Me voici désolée qu’un homme qui me plaisait autant soit aussi peu conforme à mes goûts.,.. ; ma gaieté s’en altéra un peu ; il s’en apperçut. — Je ne sais pas aimer à la française, petite joulie ; mais vous me l’apprendrez. Son air d’ingénuité me fit éclater de rire. — Je vous formerai, lui dis-je. — O ! je profiterai bien de vos le- çons : vous, vous êtes délicieuse: j’ai eu en ma vie deux femmes, elles étaient Alle- mandes ; quelle dilFérence ! ô petite joulie ! si je devenais en homme ce que vous êtes eu femme !… Enfin, au bout de trois jours, il avait si bien profité, que nous étions de niveau ; et je puis dire, en toute vérité, que jamais je n’ai été, ni si tendrement, ni si - délicatement aimée que par mon charmant élève ; et pour te donner une preuve, non seulement de sa générosité, mais aussi de sa délicatesse, il est bon que tu saches que j’avais été pillée totalement dans ce fossé par les soldats, excepté mon médaillon, qui était caché dans mon sein, et qu’ils n’eurent pas le tems de m’arra- cher ; il ne me restait plus rien, ni montre, ni bagues, ni hardes quelconques ; le len- Tome T II. i6


( IIO )

demain du jour, il fit venir chez nous deux olllciers de ses amis avec lesquels il s’en- tendait pour me faire gagner au breland cent louis, pensant bien que donner à une femme délicate, c’était l’oflenser ; lui prê- ter, c’est l’obliger à la reconnaissance. Peut-on être un amant plus délicat ? Et comme il savait que je me mettais en. homme facilement, il me fit faire, du plus beau drap, un uniforme de chasseur tyro- lien bleu de ciel, et des revers queue de serein ; des jolies petites bottes à l’écuyère, un chapeau de femme, c’est-à-dire, rond, et le panache bleu et jaune comme. le sien.

Si je suis privée de quelque chose main- tenant, c’est de tes nouvelles ; mais crois- moi toujours ta plus tendre amie,

Julie.


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LETTRE CXXIV.

De la même à la même.

Tu vas peut-être croire, comme moi, ma bonne amie, que cette fois-ci mon bonheur est solide, point du tout ; quand un amant ne varie pas, il faut alors que le destin joue de ses tours, contre lesquels toute la prudence humaine est en défaut.

Eh bien, dans ce petit village de "War- vick, maudit pour moi, il y eut de nou- veau une affaire où mes nouveaux amis furent un peu rossés. Juges encore de mon étonnante position !… Je suis à la barbe des armées ; et, bien entendu, je n’ose faire des vœux pour mon cher Bénack aux dé- pens de ma patrie, de mes anciens amis, de mes parens ; car même j’avais un frère et un cousin-germain à l’armée de B…. ; ( mais ils ne m’ont point connue, n’ayant pas compromis mon véritable nom dans toute cette mêlée ). J’étais à la proximité




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d’entendre ronfler le canon ; et chaqae^ bombe qui tombait sur l’une ou l’autre armée, immolait des individus précieux à mon cœur. Cette situation, je crois, est bien toute neuve, d’être également aimée dans les deux armées rangées en bataille !… Le canon ne cessa qu’à deux heures du matin ; les Autrichiens perdirent tous leurs avant- postes et leur commandant. Le quartier- général, dont je faisais partie, fut recon- duit avec moi à Courtray, par les ordres du nouveau commandant, qui était un ami de Bénack ; il me déposa comme un otage,, dans les mains du général Bender, et m’y recommanda comme une amie ; il me dit qu’il viendrait savoir si on me traitait bien ; je demeure désespérée.

Combien mon sort était empiré ! Le gé- néral Bender était l’homme des bois, ou bien le singe ; car il en avait toute la fi- gure, joignant à la laideur de sa personne une saleté horrible, bourru, grossier, vio- lent, méchant par nature ; voilà le nouveau maître de mon sort : je ne pouvais l’envisa- ger sans effroi : il dit : qu’on donne une


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i *25 )

chambre à cette femme, et elle viendra dîner et souper avec nous ; adjudant, veil- lez à cela. L’adjudant me conduisit dans une petite chambrette, et me laissa. — Vous pouvez sortir quand vous voudrez, et vous viendrez dîner avec le général lors- qu’on l’aura servi ; c’était en fermant la porte qu’il me dit ce peu de mots.

Je profite de ma liberté pour me prome- ner, et aussi dissiper mon chagrin ; j’entre chez un marchand où je vis accrochée une robe noire ; je l’achète, autant pour avoir occasion de causer, et de me faire un par- tisan, en cas d’évènement un refuge ; j’a- vais de l’argent, je ne marchandai pas ; je la fis ajuster à ma taille ; j’indique le goût à l’ouvrière et je la paye bien. Je rentre chez moi ; je mets ma robe noire, un ru- ban noir dans mes cheveux, et je vins dîner à la table du général ; il daigna porter sur moi son regard farouche : un joli petit officier eut soin de me servir ; mais il ne sait pas un mot de français : il me sourit ; ses yeux sont éloquens ; mais nous ne pou- vons nous entendre autrement. Nous îd-




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Ions promener ensemble après le dîner: dans la soirée, plusieurs régimens arrivent^ notamment celui de Porelly. Le comte de Porelly, qui en était le colonel, était à la tête ; c’était véritablement l’amour en car- quois et en armure.

Porelly n’était pas assez grand pour être bel homme, mais joli à croquer ; c’était Adonis : de grands yeux noirs, une petite bouche (non cependant à l’Autrichienne ) d’où sortait un son de voix extrêmement tendre ; j’étais dans le groupe des officiers à voir défiler les troupes qui arrivaient. Po- relly n’eût pas plutôt jetté les yeux sur moi, qu’il vit bien que je n’étais pas une Fla- mande ; m’adressant quelques mots en An- glais, je lui dis que j’étais Française ; puis, un officier lui dit en Allemand beaucoup de choses que je n’entendais pas ; mais an sourire aimable de Porelly, je jugeai bien, que ce n’étaient pas des choses désavan- tageuses pour moi.

Porelly parlait très bon français ; il était Italien d’origine, mais avait été élevé à


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C 127 )

Louis-le-Grand. Il avait donc une éduca- tion et un cœur francisés, une tête ita- lienne, par conséquent jaloux, violent, vindicatif ; niais un cœur excellent, loyal, brave ; voilà celui qui sollicita la survi- vance du tendre Bénaclc : pouvais - je lui échapper ? ( encore de 28 à 2^ ans ) Nous soupâmes le soir chez le général. Mon petit Porelly avait ses tendres soins à la fran- çaise que je n’avais pas encore rencontré depuis mon Bénack’ ; je ne l’avais pas en- core oublié et m’en occupais souvent. — Vous êtes mélancolique, ma belle ? est-ce votre patrie que vous regrettez ? Ne pour- rait-on vous la faire oublier ? — Vous pen- sez bien, monsieur, qu’une femme de mon genre ne se trouve pas ici sans avoir plus d’un’ objet à regretter… — Oh, oui, madame ! et je brûle de savoir par quel évè- nement extraordinaire vous êtes au pou- voir de ce magot ( montrant le général ) ? — Que dites- vous, monsieur, à son pou- voir } — Mais les lois de la guerre sont telles…. Qui pourrait vous soustraire ici de ses hostilités, si vous ne faites pas un amant qui soit votre égide ? Mais, belle


( )

dame, pour causer iiilimément, cette place n’est pas commode : demain, venez avec moi à Bruxelles ; j’ai une permission de vingt- quatre heures, vous m’apprendrez tous vos malheurs j car sûrement une femme sensible comme vous doit en avoir eu beaucoup ! On sort de table, Porelly ob- tint du général la permission de me mener à Bruxelles, à condition qu’il me ramène- rait le même jour, ou la nuit suivante ; car les nuits sont plus agréables pour voyager en cette saison. Dès quatre heures du ma- tin Porrelly est à ma porte ; je mets mon jielit uniforme Autrichien, et me voici dans la voiture du colonel, fendant l’air de vitesse… ’

Pendnat toute la route, je lui appris qui j’étais, et à qui j’appartenais: il avait connu mon mari chez la duchesse Mazarin ; il le reconnut à son portrait ;il avait aussi connu

Q « à Versailles, dont aussi j’avais le

portrait ; et mon histoire, toute romanesque qu’elle est, lui parut très-véridique ; mais lorsque je lui dis que quand il m’avait vue en noir ; c’était le deuil de Bénack que je

portais.


Di’“‘ — ’ -



portais ; il sourit malicieusement. — C’est ce grand commandant des chasseurs tyro- liens qui avait plus de six pieds J — Oui, oui, mou ami. — Mais, moi, vous ne nie trouverez qu’un petit ortolant par compa- raison ; Lili, je vous aime ; si je vous ins- pire le même sentiment, jcsuis à deux cens lieues de ma femme, j’ai deux cent mille livres de rentes, laissez-là tous vos perfides, et leurs perfidies, et venez passer l’iiivcr dans ma maison à Bruxelles ; vous y serez souveraine, et je vous assurerai un sort in- dépendant pour votre vie. Que je suis fâ- ché de m’être engagé de vous ramener à Courtray ! Je vous laisserais tout de suite ici ; mais mon honneur serait compromis ; vous n’êtes qu’en dépôt chez Bender. Un domestique vint nous dire que les chevaux^ étaient mis, nous partons.

Je n’étais qu’en dépôt chez Bender, cela me tourna la tête ;, mais mon ami ne m’en apprit pas davantage ; il parut seulement étonné que Bender avait respecté ce dépôt.

. i

Le reste de la route fut -agréable ; co-

TomelII. 17


( i3o )

penflant je ne voulus point accorder la dernière faveur ; un Ilalien francisé doit être lr{>p roué pour que l’on puisse comp- ter sur ses promesses, lorsque lui-iuêuie n’a plus rien à obtenir ; je remis au lende- main ; après avoir fait avec lui des arran- gemens solides, j’irai alors habiter sa maison de Bruxelles. Nous arrivâmes à Couriray à quatre heures du matin. Tout ce jour, les Français occupèrent tellement par leurs continuelles excursions, que l’on eut assez de besogne de demeurer sur la défensive, et de recevoir et pourvoir au logement des nouveaux régimens qui arri- vaient en renfort ; et la conférence avec Bender pour obtenir mon départ fut mise au lendemain ; et moi je devais être prête tout de suite de onze heures à midi pour partir, d’après la permission obtenue du général.

Jusqu’à ce moment tout fut bien, le général promit mon départ ; mais cela lui fit encore ouvrir les yeux. — Je ne laisse- rai pas partir cette prisonnière sans avoir les droits de lïi guerre, je serais un sot.



Digi’i.


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Le soir, Porelly se retira de b onne heure: — Ma belle, demain,de dix heures à midi je serai chez vous i il part : on sort de table. Je vais pour rentrer chez moi, le général me suit : — Arrêtez, madame ; j’ai eu tant fî’ollîciers supérieurs à loger, que j’ai été obligé de donner votre chambre, vous oc_ cuperez la mienne : une femme Française est délicate, et moi, vieux guerrier, je coucherai sur un lit de camp ; je suis accou- tumé à loger sous la tente ; mes cheveux ont blanchi sjous le harnois…. Il me tire à lui. Effectivement ma chambre était occu- pée par un officier nouvellement arrivé ; qu’avais - je à répondre ? Il était le niaître dans cette maison ; Porelly était loin, le meilleur parti était d’avoir Pair de croire à sou honnêteté tout en s’en défiant. J’entre dans sa chambre, je me fenue à la clef ; cette porte n’avait pas de verroux, je ne me couchai pas ; les Nuits d’Yong étaient sur la cheminée, je me mis à lire.

Vers les deux heures du matin, on mit une clef dans ma serrure ; elle résiste, la mienne étant dedans ; mais les portes et




1


( )

les serrures d’auberge, sur-tout en Flan- dres, ne sont rien moins que solides, et celui qui la heurtait avait un poignet irré- sistible. Il pénètre jusqu’à moi. — Vous ne

dormez pas, la belle j j’ai besoin de quel-

que chose <Ians mon secrétaire: il l’ouvre, et eut l’air d’y prendre quelque chose. Il était en chemise. — La belle, ir e dit-il, je ne suis pas un petit maître Français, ni même le colouel Porelly, je ne sais pas faire ma cour…. ; mais je suis homme et maître en ces lieux : tant que tu ne fus à personne, j’ai respecté le ilépôt que Bénaclc m’avait envoyé ; mais puisque tu t’es don- née, je peux de iiiêrne violer les lois de l’honneur…. Je veux te posséder ; après, passe dans les mains de Porelly, cela m’est de toute insouciance. Il s’approche et joint le geste à la parole. Jamais un aussi hideux grouin ne s’était approché de moi ; j’en fus efirayée. — Laissez-moi, de grâce, généml : respectez en moi…. P..ieu ne l’arrête. De l’espèce des singes…., c’est un nouvel at- trait pour lui. — Retirez-vous, ou bien je vous…. Il veut user de violence. La rage s’empare de moi, je m’arrache de ses bras



i’.Ooglc


( )

et lui donne un coup de genoux ; je l’atteins

à l’endroit le plus sensible Il tombe sans

connaissance dans une bergère ! quel sur- croît d’embarras ! Je prends de l*eau et d’une essence que Porelly m’avoit donné la veille ; il revient en blaspliêaiant contre rnoi, et jure qu’il se vengera.

On arrache la sonnette ; il ne daigne pas se remettre de son désordre, et dans l’état le plus indécent, fut ouvrir: c’est un ad- judant général qui venait lui dire que les Français se portaient en force à Ypres ( ville qui contenait les trésors de l’ar- mée ), et qu’il fallait tout de suite y faire transférer des troupes, — Que l’on fasse tirer le canon d’allarine, dit-il.

i

Porelly arrive furieux ; le général était toujours en chemise, moi échevelée, pleu- rant dans une bergèrç (tu sais que Porelly est Italien ) ; il ne se possède pas de jalou- sie ; il apostrophe le général, puis moi : il veut m’immoler à sa fureur. Je lui observe que je ne suis pas coupable, et que, quoi- que victime, il est arrivé encore à lems




( ’3 ’( )

pour qiie le sacrifice ne soit pas consoimné ; il reporte sa rage sur le général ; il ne se connaît plus…. Arrive l’oftlcier qui était couché dans ma chambre, où Porelly avait été frapper pour nie prévenir du danger qui les menaçait de nouveau, et prendre des arrangemens pour nous rejoindre. Un homme lui répond, il insiste, on lui ou- vre : il demande la perfide, et dit qu^elle lui appartient. L’officier, à moitié endormi, crut qu’il était fou, le persifïle celui - ci ignorait absolument qu’il y avait eu une

femme avant lui dans cette chambre

Voyez, monsieur, dessous le lit ; mais je ne me doute pas être ici en bonne fortune, ni votre rival : au surplus, voyez chez le général, je crois qu’il y a une femme chex lui, et peut-être est-ce la perfide que vous reclamez. — Je n’entends pas raillerie, monsieur ; mettez- vous en défense, tirant son épée : celui -ci obéit ; mais il est muet et l’autre a perdu la raison, il le blesse. Enfin, il ouvre les yeux, et abjure son dé- lire, se reconnaît coupable : il passe en- suite chez le général ; mais au désordre de celui-ci, et à mon aspect, un accès de fré--


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( ’35 )

nôsle le reprend…., et l’officier injurié lo suivit de près diez le géncrul, pour faire ses plaintes (tu sais combien la discipline est sévère en Allemagne envers un officier inférieur qui en insulte un supérieur le général se trouvait doublement olTensé et par lui et par moi. Il le fait partir sans délai à la tête de son régiment vers Ypres ; il n*«. pas le tems de me faire ses adieux ; d’ailleurs, cet amant qui arrivait chez moi avec les tendres soins de l’amour, les changea bientôt en dépit : il me ’ lance en sortant un regard d’indignatiou. Hélas ! si je suis cause de sa disgrâce, que c’est bien innocemment ! Le général m’a- postrophe à son tour, sort, et dit à l’hô- tesse de me chasser de chez elle ; que je serais capable de faire battre une armée.

Etimoins d’une heure, toutes les troupes furent balayées de la ville, il ne resta pas un régiment. L’hôtesse, méchante, et le ton poissard, monte chez moi, m’ordonne de sortir de chez elle : à peine me donne- t-elle le tems de pren- ;Ire mes effets ; elle me conduisit jusque dans la rue en m’in-




; 


( )

« 

jurrant ‘et en faisant amasser totile la ca- naille.

A ce récit, la plume me lombe des mains ; je n’ai pas la force de le poursui- vre. Que n’es-tu près de moi, tendre amie, tu serais le baume consolateur de ton in- fortunée amie,

Lili.


LETTRE


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I


( > 23 )


LETTRE CXXV.

■ .

De la même à la même. .

• ! ’

T U es sans douté dans l’impatience, ma’ bonne amie, (l’apprendre ce que je devins après cette catastrophe : je vais satisfaire ton amitié. ’ ’ ’

’ * J

■ Courtray est nnc très-petite ville popn- lassière : en moins d’unb heure, il y avait nombre de versions diffêrentés’sur rhon af- faire ; juges de ’l’effet què cela devâit pro- duire sur des Ostrogots aussi brutes que les Flamands. Je ne savais où. metéfügier, ’ même avec de l’argent : personne n’osait donner asyle à une femme qui ajoutait à l’odieux d’être Française, celui d’une ré- putation aussi taréè ; j’errai donc sur la place, me ser’bant dè toute ma philoso- phie ; j’attendais du destin ce’<lu’il me ré- servait : j’avais ma robe noire, mes che- veux épars, l’air abattue ; enfin, je por- tais une phisyôiiomiè qu’il né fallait que se Tome J II. 1 8


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C ‘39 )

lée, il s’approche de moi. — Vous avez madame, un. air de candeur, d’honnêteté, qui contraste tant avec tous les propos mé- chans que l’on tient sur vous, que je ne puis y ajouter foi. Je suis un galant homme, je. veux vous servir : ne craignez rien, pre- nez confiance dans un honnête père de fa- mille ; voici ma maison ; je vous quitte et vais refitrer par ma porte-cochère ; j’ouvris rai la petite porte que vous voyez là ; c’est celle de mon jardin. Adieu. Je vous attends ; maiâ tâchez que l’on ne vous y voye pas entrer : il s’échappa ensuite. Je demeurai ravie d’aise. Il est donc encore des âmes honnêtes, me dis-je à moi-même ! il en est donc par-tout, puisque j’en rencontre ici..}

r …

Je me promenais de long en large lorsqu© ’ j’entendis une clef tourner dans la serrure de cette petite porte indiquée, et le frois- sement des vçrroux ; j’examine si je’ suis seule, et aussi-tôt je me précipite dans ce jardin. Il était vaste et bien entretenu ; mais. plutôt pour l’utile que pour l’agréa- ble. Le maître de la maison me joint, et prenant respectueusement ma main, il me


% .




( i4o )

conduisit dans un petit vide - bouteille, simple, mais agréable ; me fait asseoir sur une chaise de bois, et me quitte sans me dire une) ’Seule parole. Je restai plongée dans les idées qu’un si mystérieux début devait naturellement faire naître. Je vis s’approcher de moi celui qui venait de me déposer, avec une.ferame d’environ trente- six ans, un enfant à la mamelle, et un au-< tre aussi tout petit à sa main. — Voici ma femme, madame ; elle est bonne, sensible ; vo^ malheurs la touchent ; elle sera bien aise de vous être utile. ’

L.

Je remerciai ces obligeantes créatures ; il était, déjà quatre heures du soir, et je n’avais encore rien pris de la journée : on m’apporte à goûter de la salade, du jam- bon, de la bierre et des fruits : on mit un lit de camp dans le petit cabinet, et - j’y couchai pour ne pas être vue par les domes- tiques de la maison. Les maîtres viennent souper avec moi, et l’apportèrent > eux- mêmes ; ils me firent conter mçsavantures ; et en furent plusieurs fois émus jusqu’aux larmes. • ■ -


( ï4i )

A minuit, ils me quittèrent et me priè- rent d’être tranquille: : je me couchai eu paix et attendis que le jour amenât de nou- veaux incidens. Mon sommeil fut un peu agité, et dès sept heures du matin, je vis paraître mon hôte avec un air morne. Eu- core quelques nouveaux malheurs, lui dis- je, menacent la tête de votre protégée ? 1 — Oui. Nous sommes bien embarrassés ; nous voudrions vous servir ; mais, nous ne pouvons le faire sans nous perdre : on vient de proclamer une loi de ne receler aucun Français ; et sûrement on va faire des per- quisitions pour découvrir ceux qui seront restés ici ; et notamment on parle de la prisonnière disparue depuis hier ; c’est vous, aimable dame : je suis désolé. Mais hier, dans le rapport que vous nous avez fait de vos avant ur es,, que j’écoutais avec tant d’attention que jq n’osais vous inter- rompre, vous avez parlé du commandant Bénack comme étant mort : eh bien ! il vit, Hier matin, j’ai vu une personne qui m’a dit qu’il était rétabli de toutes ses bles- sures, etide nouveau au poste de Menin î il se plaiut>même beaucoup de vous > qu’il




( i42 )

accase de perfidie. Oh ! qne dites- vous, mon ami ? Conduisez-moi à Bénack…. — Mais comment allons-nous sortir de la ville ? Il faut que l’on ignore que vous êtes restée chez moi. — Mon ami, allez me chercher les haillons d’une vieille bonne femme. Sans conséquence, sous ce misérable cos- tume, je puis me rendre hors du faubourg- ; et vous, vous m’attendrez à peu de distance avec mes habits : nous irons trouver Bé- nack ; je n’ai point de torts avec lui ; seu- lement cette fois, comme tant d’autres, les apparences sont contre moi.

Une cornette à la Flamande, un vieux jupon, une capotte, je sortis les portes redoutables de la ville. Par le moyen de ma lorgnette, j’apperçus sous l’arbre con- venu mon hôte complaisant qui m’atten- dait avec mon paquet. Je me déguenillai, et passant ma robe noire, je’ tâchai de rendre mon désordre intéressant.

Je me présente à la porte de Bénack, un domestique me fait entendre qu’il n’y était pas ; je force la consigne et j’entre. Il était -


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C(»43.0)

lui ^tcT ; |ia

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table ^sestamis discrels.se. retirenti.iious’’ restons seuls • ;« il jiqus- fait-&erwir à dîner à, sâ»n,^ coui^gîion et ; àjhioiu*je.lui.^^ tons |nes évèn^jj^ens notr^ sépara

tigrr ; nt,r£jwu(|.,,,des^larim Aujderniçr) procédé ^e ^ejifjqr.^

dés et mejHeqrs aj^is que jaip5is^ ;et41^^ij. ;tî nie réintégrer,^ Çourtray-J^Jpu^ mop^âtne^f dans sa ivpitnre,,et .nous lLyiiea> descendre’ à la même hôtellejfie.oùlf avMàdogé’ûirec Bender. Il me)fit fairë des>6xciiscs ;jauten-r tiques par rilôtes^e- et i’dfficierj d’avant - 1 gardée quiriv’avaientiiusultée.. Il,it»e pro-’ mena dans sa voiture par toute la ;. ville, 1 aussi triomphante que j’avais été humiliée la veille ; il fit avoir quelques prérogatives à l’excellent hôte qui avait pris soin de moi la dernière nuit.


l


( ^44 )

Nous étions à examiner le beau fruit de son jardin, lorsque le jardinier vint faire un grand salut à son maître, et le ’prier d’être parrain d’un gros garçon dont sa femme venait d’accoucher ; le maître de la maison s’en défendant, dit que tout ce qu’il pourrait faire serait de donner son fils, âgé de cinq ans. Bénàck lui dit : bon homme, si vous voulez,] e tiendrai votre fils’ avec madame J — Vous me faites béaücoup d’honneur et de plaisir. Bientôt tout fut ptêt : il m’apporta le plus beau bouquet du jardin ; Béitack fut acheter des dragées en fit un cornet dans lequel il mit cinq louis, qu’il donna à la gissante ; je fis toute la parure qu’on pouvait faire en pareil cas.’

Le baptême fut pompeux ; tbüte la musî-’ que militaire y vint : nous nommâmes le nouveau-né Jules Léopold. Quand le par- rain eût comblé toute la itiaison’ de sa gé~ nérosité, nous reprîmes notre route vers Ménain. ’

Nous fûmes encore quelques jours heu- reux, pendant lesquels mon noble Autri- chien me combla de bienfaits, et me conta •

’comme


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( i45 )

comme le bruit de sa mort s’était accré- dité ; il avait été, à la vérité, jugé comme tel par la faiblesse où la quantité de sang qu’il avait répandu l’avait jetté ; il avait été conduit dans un hôpital ; c’était pour cela que le nouveau commandant n’ayant pas voulu me conserver sur sa responsabi- lité, m’avait mise dans les pattes du gé- néral Bender, comme le chef des chefs ; il m’y avait déposé comme un bien apparte- nant à Bénack ; ses plaies n’ayant point été jugées mortelles, bientôt sa grande jeunesse, son excellente constitution, l’a- vaient mis en état de revenir à son poste ; mais ayant appris que j’étais avec Porelly, il n’avait pas voulu déranger mes nouveaux plaisirs ; d’ailleurs, un amant valétudinaire était peu propre à donner ou recevoir les soins d’une amante ; il ne savait pas non plus si Lili l’aimerait assez pour cela.,

Au bout de huit jours que nous étions encore à Menin, il se sentit assez de force pour donner de nouveau des marques de son courage et de sa bravoure dans une af- faire qu’il y eut encore à Warvick ; il eu Tome III. I ^ .


( i4G )

revint sain et sauf ; mais que l’amante d’un liomnie exposé à tant de dangers est mal-^ heureuse ! Nous commencions à jouir en- core une fois du bonheur, Bénack était rentré en possession de ses aimables facul- tés pour le plaisir…. lorsqu’Orchies fut vi- goureusement assiégé par les Français. Après m’avoir embrassée, il me dit : si ja- mais, Lili, nous poussons nos conquêtes jusqu’à S…., toutes tes propriétés et celles des tiens seront épargnées…. Il part ; je lui pose moi-même son armure, et sous mon uniforme semblable au .sien, je veux le suivre ; il réprime mon auùacieuse folie ; mais comme je n’ent fendais aucune raison,

I

il ordonna à deux sentinelles de m’empê- cher de sortir de la tente du quartier-gé- néral : il m’embrassa et me recommanda à ses deux vedettes comme sa femme : il dis- parut au son de la musique guerrière à la- quelle succéda bientôt le bruit terrible du cari on.

L’action s’engage avec un égal acharne- ment ; chaque bombe que lançaient les Français portait la mort et’ le désespoir


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C » 4 ? )

dans le camp Aiitricliien. Bientôt les avant- postes sont forcés,* enfin, les bombes attei- gnent jusqu’au quartier général, une des sentinelles çstà mes pieds tuée d’un boulet ; je ne vis, je n’entendis plus rien. Si un se- cond boulet m’eût ôté la vio, j’eusse payé ma dette à la nature sans, m’en douter.

Enfin, au bout de trois heures, je donnai des signes d’existence ; et après encore une heures de soins, je pus satisfaire la curio- sité d’un intéressant jeune homme à qui je devais la vie, et j’appris de lui comment j’étais réchappée des portes de la mort.

Nous entrâmes, dit-il, triomphans dans le camp Autrichien ; tout,tout ce qui nous tombait sous la main qui résistait fut tué, nous fi nes ■prisonniers tous les blessés ; j’apperçus le grand Bénack qui voulait en- core rentrer dans le quartier général ; je le poursuis, je tire sur lui ; mais il me dé- coche un coup de carabine qui tua mon cheval sous moi ; le tems de me relever de celle chiite, Bénack est loin. Je m’évanouis. — Qu’avez-vous, belleprisonnière ; neciai-


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( > (8 )

gnez rien, nous sommes bons, nous aurons soin de vous. — Bénack, mon cher Béiiack, répétai- je, en reprenant mes esprits ; vous ne lui avez pas fait de mal, pas vrai, mon- sieur ? continuez. — Ne pouvant le poursui- vre, j’entre au quartier général, avec le /

peloton dihommes qui était à mes côtés ; ils coupèrent en pièces une sentinelle qui restait, je vous vis couchée à terre sans mouvement, je vous pris dans mes bras, et j’éprouvai que vous n’étiez pas de moi> sèxe,’ que vous dirai-je, madame ! j’éprou- vai… quelque chose de plus qu’un senti- ment vulgaire ; je crus reconnaître vos traits, et je les cherche encore…. Baisant respec- tueusement ma main, l’aimable héros se tut. — Je vous écoute, madame ? — Je suis si faible, monsieur, vous et moi avons be- * soin de réparer nos forces ; attendons,poiir un récit qui doit être long, un moment plus commode ; et comme c’était un officier supérieurv, il était assez bien logé ; il me conduisit dans sa chambre, où, autant qu’il était possible, on avait ce qui était de première nécessité. Lorsqu’il se fut dé- crassé, je crus le reconnaître ; il était blond.


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C i49 )

des yeux bleus, un son de voix qui allait directement à l’ame ; mon cœur vous re- connut, lui dis-je, mais je ne puis bien ajuster votre nom sur votre figure ; mais éooutez-moi > et sûrement vous allez être au fait.

Je n«’ai pas besoin de vous dire que je suis Française, mon organe vous l’apprend assez ; et je lui contai tout ce que je viens de t’écrire. — Charmante Lili, je suis le Lubin fortuné pour lequel vous m’avez avoué avoir des sentimens distingués : vous ne me reconnoissez pas, parce que j’ai été long-tems malade d’une blessure dont vous voyez encore l’énorme cicatrice à ma joue, et d’un coup de feu que j’ai eu dans la poitrine : j’ai beaucoup maigri, j’ai per- du toutes mes couleurs, et je dois être mé- connaissable ; voici la première fois que je me trouve, depuis la retraite de Menin, dans une affaire. Je bénis le ciel, adorable

Lili Nous couchâmes le soir à Orchies.

Lubin savait que je l’aimais, je lui devais la vie, pouvais-je lui refuser le bonheur !.,, doublement engagée par la reconnaissance.


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Lé lemlemain, nous fûmes à Lille : il me descendit à l’hôtel de B..,, sur la place : après m’y avoir fait loger et recommander, il partit pour le camp de Fa mare ; le soir,

‘ je soupai à table d’hôte ; c’est l’usage eu ’ ce pays ; les tables y sont bien composées, tant en mets qu’en convives : il y avait v beaucoup d’Anglais, de Hollandais : tu connais ma fureur d’avoir toujours de loin ou de près, un Anglais à mon char ; il s’en trouvait un fort aimable près de moi, et comme il savait parfaitement le Français, qu’il arrivait récemment de Paris, cela fit nouer la conversation ; moi qui ne peux juger de l’u.il, de l’esprit qui règne sur les figures des convives d’une table, en raison de ma vue basse, je n’avais pu re- marquer une petite maîtresse qui ne sa- vait faire que des mines, et qui enrageait de ma conversation avec le lord. J’avais tout bonnement et très imprudemment dit que je venais d’être reprise par les Fran- çais des mains des Autrichiens ; je m’étais » ’

même amusée avec le lord à répéter quel- ques mots que j’avais retenu des ’Autri- chiens…. Mais de quoi n’est pas capable


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C )

une femme jalouse ? Le lord voulut me re- conduire chez moi, je m’y opposai for- mellemenl,et l’obligeai de me quitter dans le milieu de l’escalier. Sa maîtresse ne per- dit point de tems, croyant qu’il était monté chez moi ( elle était Française, par conséquent connaissait la forme de nos lois ; il y avait à- celte époque des comités de surveillance par - tout ) ; elle fut droit à tm de ce genre qui existait à Lille, et me dénonça comme une espionne des Autri- chiens-

Quelle sera le résultat de cette dénon- ciation ; c’est ce que tu sauras par la pro- chaine : laisse un peu de repos à ta plus tendre amie,

Lili.


I




( >52 )


LETTRE CXXVI.

De la même à la même.

J E dormais très-profondément, et en avait

/

grand besoin, lorsqu’à deux heures du ma- lin on assiégea fortement ma porte • enfin, je me réveillai en sursaut ; je crus que c’était le lord ; je n’ouvre pas répondis-je. Alors redoublant de frapper : — Citoyenne, c’est de la part de la loi. — Que me veut la loi ? je dors du sommeil de l’innocence ! — Ci- toyenne, encore une fois, ouvrez de la part delaloi,ou nous enfonçons la porte. J’ouvre enfin. On fouille par-tout, on ne me trouve que des billets doux ; j’avais perdu mon passe- port ; et toujours à la suite des chefs des armées, je n’en avais pas eu besoin. On me trouve un uniforme Autrichien. O î pour le coup, je suis perdue sans resource ! je suis un de leurs espions,’ on n’en peut douter ; avec cet uniforme je me fais recon- naître aux avant-postes,etc. etc.

Enfin, je fus conduite, comme un cri- minel,


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( i53 )

niinei, à la lour St.-Pierre, et c’est de celle prison où je l’écris inainienant. Comme je dépense beaucoup d’argent, et que natu- rellement je suis libérale, je ne manque de de rien des besoins indispensables à la vie animale ; mais je n’ai ni société, ni liberté: j’aiteiids pour la recouvrer l’arrivée de Bi- ron à qui j’ai écris.

Tu peux m’adresser les lettres à Paris où je Pie rendrai sitôt ma sortie de prison.

J’irai d’abord chez Q, ne fût-ce que

pour y trouver les lettres et celles de mon frère, à qui, de ma prison, j’ai fait le môme détail qu’à toi ; j’en ai gardé mémo line copie, ainsi que de tous mes princi- paux évènemens ; car je ne désespère pas qu’un jour j’aurai de quoi faire un roman. Sans cette occupation, que j’ai su me faire, je serais morte d’ennui de passer tont-à- coup de l’agitation d’une armée, de la foule et du tumulte de ce grand nombre à l’étroit concentré d’une tour. Prisonnière an rr’ilieu des Autrichiens, j’étais libre ; et libre en France, je suis captive ! Quel sujet de réflexions !…. ’

Tome JH. 20




( >54 )

Adieu, nia chère et tendre amie : je t’embrasse autant comme je t’aime ; et je me trouve encore des plus heureuses de pouvoir m’entretenir avec toi et de jouir , de l’espoir d’avoir de les nouvelles à mon retour. Adieu.

Ta Lili.


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(i55)


lettre cxxvii.

De la même à la même.


Uev X jotirs aprôs ma dernière je sortis de la tour Si .-Pierre par un ordre de B… ; mais il ne put venir lui-même : il m’aime toujours, et m’engage de l’aller joindre au camp de Faniard.

r »,

Je ne voulus pas, sortie de ma prison, retourner à l’hotel de B…., je fus à celui d’Angleterre, toujours mangeant à table d’hôte. Après huit jours d’isolement, j’étais enchantée de me retrouver dans la société. On n’apprécie le plaisir que par les privau- tés. Je causai beaucoup à souper avec un voisin fort aimable ; mais jargonnant le français, car il était Italien. A Lille, on ne paye jamais qu’en sortant des hôtels ; ainsi, après les repas on apporte une liste où chacun signe son nom. Je mis le mien véritable, je ne sais. comment ni pourquoi. ; mais toujours guidée sans doute pas la main




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invisible du destin qui m’avait encore créée pour cette nouvelle avanture, mon jeune voisin lut mon nom ; — Comment ? madame

Q " !… Seriez-vous la parente de M’*®- J.

H… Q, qui est à Amsterdam ? — Oui,

lui dis je, c’est une jolie blonde. O ! mada- me, ne croyez pas que je veuille vous tromper ; je connais si bien M”*- votre belle sœur, que voici une de ses lettres ; lisez.. - Efléctivement, ma sœur lui écrivait une lettre fort honnête j le remerciait de ses soins, reconnaissait lui avoir beaucoup d’obligations, et le chargeait de commis- sions pour toute sa famille à Paris, où il comptait se rendre,et notamnient des choses obligeantes pour moi, s’il prenait sa route par S…. Tout ceci n’était point équivoque, et ne pouvait être fait à la main ; c’était bien l’écriture et la signature de ma sœur : elle lui ajoutait ; mon cher Raphaël ! quel dommage que vous ayez la tête aussi mau- vaise que le cœur est bon !….

Tu sens bien, mon amie, qu’à là suite de celte lecture, la confiance entre Ra- phaël et moi fut bientôt établie ; observe


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( )

encore la sympathie de tête et de cœur, a cette dilFérence que moi je suis née en France et Raphaël en Italie, et qu’il a’de plus, au superlatif, le péché originel de sa

nation. . ‘ r -■

i

Nous logions dans le même corridor, nous causâmes long-tems ensemble avant de nous séparer ; Raphaël emporta 1 idée de Lili, et laissa la sienne chez elle. Si la nuit, il rêva de moi, je m’occupai aussi de lui ; mais son origine m’effrayait ; le souvenir de Porelly était encore tout récent à mou cœur ; je desirais de ne point me lier avec le sémillant Raphaël ; j’étais dans cette disposition d’esprit lorsque l’on frap- pa à ma porte ; j’ouvre, c’était un déjeuné excellent et élégant que l’on lu apportait. De quel part, garçon ? Madame, on m’a défendu de le dire ; mais M. Raphaël de- mande la permission de déj eûiier avec vous î que vous serriez les tasses, tout cela est à vous : je ne viendrai pas si vous n’avez plus rien à m’ordonner. — Allez dire à l’aimable fou qu’il vienne tout de suite tandis que c’est chaud ; ilarrive.Vousêiestrop galant,




( ^58 )

Raphaël ! ce déjeûné est charmant ; c’est du véritable Japon. Je suis trop heureux, charmante Lili, d’avoir encore eu dans ma malle ce débris de toutes les choses char- mantes qu’avait mon oncle ( de Costa, banquier à Amsterdam ), d’où je viens de recueillir la succession immense ; je suis, madame, extrêmement riche, fils unique de Raphaël de Costa, banquier de Gênes ; je m’estimerais trop heureux de partages jna fortune a,vec une personne aussi ai- mable que ’vous : j’ai aimé votre belle- sœur ; mais, madame, je vous adore ( il est aussi-tôt à mes genoux) ; et c’est vous maintenant qui allez être l’arbitre de mon. sort. — Relevez vous, jeune homme ; à, votre âge on est le coryphée de toutes les belles, et vous m’ayez l’air d’avoir les pas- sions trop vives, pour que j’ose m’y fier.,. Rendez-vous mon ami ; méritez ce titre, et peut-être,.,.

J. - ■ . : .r . ;,

. Nous ti’étions pas à peine séparés, que déjà riieure du dîner était arrivée. Nous descendons ensemble. Nous fûmes le soir au spectacle, et pendant encore huit jours,


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( y

nons ne "nous quittâmes presque pas, soit au spectacle, soit au Co- Elysée, soit à la nouvelle Avanture ; enfin /iV me jirocura tous les plaisirs qu’il était possible d’avoir en CSS lieux ; je le tenais ’toujours dans” les bornes du respect. ’ *

’J’attendais des lettres du général Biron ; et aussi du beaùXubin ; aucune nouvelle.’ Mon petit RapEael ( je le nôirlme ainsi,’ car il a l’air d’un enfant ; il a â peine vingt- cinq ans, extrêmement ffuét, étourdi, vif comme lê’salpêtré”) inè proposa dè voyâ-’ gèr ^ ’soit én’Hollande, e’n Italie, én An-

t

gleterre ; jè n’ai qu’à choisir ; jé me déter- mine pour l’Angleterre :’ iu’ sais i’ien’vie que’ j’avais de connaître cette île. Où nous embarquer ? il faut tirer ’au sort. Nous écri- VîmêsVur des morceaûx dê papier tous lés ’noms des’ ports de’ mer ; il les roula et il les mit dans soit chajpéau \ je tire et tombé à Dunkerq ue •’une épingle se trouve dans ie rouleau de papîe’r, j’é me pique jusqu’âii sang ; c’est, dit-tm, un j^lrésage du mal !* heur ; mais rougissant de celte faiblesse,’ je ne voulus point m^y arrêter.




( )

Le lendemain, Raphaël avait affaire 4 Douai, il me proposa d’aller avec lui ; mais comme il revenait le même soir, et que j’avais déjà vu cette ville, je ne voulus pas y aller. Alors, comme il était lié avec deux négocians qui logeaient à l’hôtel, il me recommanda à eux. Porelly m’avait fait cadeau d’une montre charmante garnie en émail et en pierres fines ; la chaîne sur- tout était un bijou ; l’anneau était forcé, elle ne pouvait se détacher de la montre ; elle avait aussi un cadran à chiffres ro- mains : un des deux négocians, que je croyais l’ami de Raphaël, me demanda ma montre pour faire raccommoder l’an- neau, et aussi parce qu’ayant vendu beau- coup à moi et à mon ami, il voulait me faire la galanterie d’un cadran moderne. Je me défendis long-tems de celte offre galante ; mais il insiste et ajoute, comme je la lui arrachais des mains ; — Est-ce que vous vous défiez de moi ? Voici mon porte- feuille, dit il en le posant sur la cheminée. Je crus l’avoir offensé. — Pardon, mon- sieur : puisque c’est ainsi, je ne résiste plus, voici ma montre. — Ce soir, madame,

avant


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( )

avant de vons coucher, je vous la rapporte- rai ; il part. Je fus sans inquiétude ; je le vis reparaître dans la soirée ; mais il avait l’air très-affairé, il montait les chevaux du ca- pitaine R…. ( le sieur d’Alzincourt, che- valier d’industrie, avait fait connaissance avec le capitaine R.,., sous prétexte de don- ner des leçons d’équitation à ses chevaux ; et ayant fait amuser le maître par des fdles avec lesquelles il s’entendait, dans une loge au spectacle, où il avait conduit le » capitaine, il était venu mont er ses chevaux : le valet d’écurie, accoutumé à les lui voir manier, n’y fait point d’attention j. L’occa- sion était belle ; muni de ma montre, d’une bague de prix à Raphaël, qu’il avait pour raccommoder ; l’oçcasion, dis- je, était belle d’émigrer avec les chevaux, la montre, la bague, des boucles d’oreilles de prix à la maîtresse de l’hotel, et trois mois qu’il lui devait ; ce fut en vain que l’on fit courir après lui. J’étais désolée ; car il est toujours dur d’être dupe de la sorte. Raphaël fit tout ‘ce qu’il put pour me consoler. — Cela, ma belle, sera bientôt réparé ; altcndcz que nous so^’ons arrivé à Londres.

Tome III, 2 r




1


( ’^2 )

Le leiulemaiii, nous en prîmes la route : nous arrivâmes pour dîner à Dunkerque ; toutes les auberges étaient pleines ; nous descendîmes au Chapeau Rouge, point Je place ; Raphaël j>rit de l’humeur : — Ma- dame, je suis avec ma femme, mes gens (il avait un domestique), je vous payerez ce que vous voudrez ; mais je veux êt re logé. — Eh bien ! Thérèse, mettez des draps à votrelil ; faites bien approprier la chambre, et monsieur et madame son épouse s’en con- tenteront jusqu’à demain, que je les loge- rai mieux ; vous, vous coucherez avec moi et votre père. — Vous avez donc bien du monde, madame, lui dis- je ? — O ! mon Dieu, oui, signora ( elle avait vu qu’il était Italien ) ; nous avons quarante personnes qui mangent tous les jours à table d’hôte. On l’appelle et elle nous quitte.

Je prenais connaissance de mon nouvel asyle ; Raphaël, transporté d’un évènemen t qui lui donnait le titre de mon époux, il s’en applaudissait. Puisqu’il y a quarante personnes à dîner, je veux faire de la toi- lette ; elFectivement, je fis un négligé fort


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( i63 )

élégant ; Raphaël me donna la main pour entrer dans la salle à manger ; et comme on avait été dire aux convives abonnés qu’il venait d’arriver une femme, ils me gar- dèrent la place d’honneur. J’avais imaginé que ces quarante personnes étaient des voyageurs comme nous : point du tout ; jo ne fus pas plutôt assise, (jue promenant mes yeux pour voir les convives, celui vis-à-Vis de moi me dit : — Signora, vous mangerez de ce potage. Fixant mes yeux sur lui, je m’apper^us que c’était mon plus proche voisin de S…. ; car les quarante personnes n’étaient rien moins que tout le bataillon de S…. Ciel ! quelle fatalité ! que devenir J l’assiette me tombe des mains, m’abîmes de taches, et mon soi-disant mari : comme il m’avait appris quelques mots d’Italien, Je les mettais à toutes sauces : tandis que les autres personnes me parlaient, je regardais mon ami, et avais l’air de ne pas com- prendre le Français ; mais que ce rôle est difficile à jouer ! Il est impossible de le sou- tenir long-tems. Nous sortons de table, où. j’avais manqué vingt fois de suffoquer ; je passai dans un jardin tout près pour raf-





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fraîchir un peu mes sens. M. F…. qui m’a- vait servi le potage m’y suit. — Vous êtes madame Q, vous ne pouvez le nier ?


Nous fûmes au spectacle : rien ne se passa de remarquable dans les deux pre- miers actes : au troisicine, Rajdiael, dont toute l’attention avait été fixée sur le théâtre, la porta vis à-vis notre loge ; sa fi- gure s’allonge, il devient morne ; j’en suis affectée, et moi-même je braque ma lor- gnette en face, je crois reconnaître Tunî- forme d’Auxerrois ; je dis à Raphaël que je me trouvais indisposée, que je voulais sortir ; ce que nous fîmes en effet. Nous montâmes dans une voiture : en deux tours de roues, nous fûmes chez nous. Nous ii’y sommes pas un quart-d’heure, qu’un ca- poral vint demander l’Italien de la part du lieutenant-colonel de…. Je réponds et dis que c’était moi à qui il avait affaire ; que ’je me rendrais chez lui ; l’Ilalien furieux me repousse de la porte, et dit au caporal, je vous suis. Il me jette sur une chaise » ferme la porte à double tours, et s’enfuit avec le caporal. Que pouvais-je faire ! La.



( i65 )

fenêtre était grillée ; j’étais trop îwtniliéo pour crier que l’on m’ouvrît ; et d’ailleurs, à quoi cela eût-il avancé ?

Mes réflexions furent cruelles ! Cet en- voyé ne pouvant être que de Lubin, j’étais un peu rassurée : je savais combien il était sensé et raisonnable ; mais Raphaël ! je ne connaissais déjà que trop qu’il avait la plus mauvaise tête du monde. Deux mortelles heures s’écoulent, il rentre tout échauffé, tout dégoûtant de sueur et même de sang. Je suis saisie. — Je triomphe, dit-il, j’ai combattu sous la protection de Vénus. Je suis victorieux ; j’ai tué l’insolent lieute- nant-colonel. — Ciel ! qu’avez-vous fait 5 hles larmes me suffoquent, je perds con- naissance : tous les moyens qu’il employé pour me faire revenir sont inutiles ; on me porte sur une natte dans le jardin.

Le lieutenant-colonel étant aimé, ce fut une grande ruftieur. Déjà toute la ville répétait sous cent formes différentes mon aventure. ; et à l’iiùtel, tout le monde était occupé à me faire revenir ; lorsqu’ils furent




(iG6),’ •

distraits par une berline qui arriva d’un© vitesse étonnante ; c’étaient des Anglais qui étaient dedans ils demandent ce que c est que toute cette bagare : on s’empresse de la leuf conter chacun à sa manière. Les Anglais aiment le tragique : combien une femme jeune, étendue sans vie, jiarut in- téressante au très - sensible lord Stock ; il écarte la foule de moi, essaye à me rap- peller à la vie : j’ouvre faiblement la pau- pière, et je me trouve dans les bras d’un

nouvel inconnu ; petit à petit, je reprends mes esprits les curieux se dissipent ; nous restâmes seuls, le lord, Raphaël et moi j il fallut au lord des détails de cet incident ; il entendait très-bien le Français, et le parlait beaucoup mieux que Raphaël.

Le lord était de la plus riche taille, de la meilleure grâce, de grands yeux noirs, lies cheveux en quantité èt blonds cendrés, le plus joli son de Voix ; il avait de vingt- huit à vingt-neuf ans ; aiitsi ç’eût été bien, en vain que j’èusse voulu défendre mon ca*ur de l’attrait du sien ; bientôt ils s’en- tendent et sont d’accord avant que notre


( 1^7 )

raison eût examiné s’ils le pouvaient sans préjudicier à des engagemens antérieurs.

Je ne tenais encore à Raphaël que par le«  procédés,1a reconnaisance. Le lord se ser- vit adroitement de tout son esprit pour lui persuader que je serais infailliblement compromise si je restais dans une ville og. déjà je ne l’avais été que trop ; qu’il fal- lait que je retournasse à Lille, ou que je m’embarquasse tout de suite pour l’Angle- terre, et que lui, l’honneur et la bravoure exigeaient qu’il demeurât encore quelques jours à Dunkerque, pqur prouver qu’il ne craignait pas son adversaire….

Le lord d(j^na à ce discours toute l’é- loquence du sentiment qui le lui dictait ; Raphaël, inexpérient autant que crâne, et séduit, consent que le lendemain sa femme ira attendre à Lille sa guérison ( sa blessure n’était que légère ), et que cette désagréable affaire soit terminée. L’em- pressé lord s’offrit à me conduire à Lille, ou il allait le lendemain, dans sa voiture : il avait deux Anglais de ses amis, et le marquis de V..«. Je me défendis modeste-


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c I68 )

ment, — Vous ne pouvez, madame, sans vous expqser à quelqu’insnltes, partir seule dans la voilure de monsieur, encore moins par celle publique ; je suis bien malMeu- reux de ne point mériter votre confiance ! En prononçant ces paroles, il avait l’air pénétré. Raphaël séduit accepte, me prie d’accepter l’ofire obligeante du lord, et de grand cœur je* donnai mon consente- ment. Il fut déterminé que le lendemain, après un déjeûné dinatoire, je partirais avec le lord, qui doit me déposer à l’hô- îel de ‘M..,. en attendant l’arrivée, de mon mari ; èt si la muit fut de fait, à Raphaël, par anticipation elle fut pour le lord ; il m’avait toujours traitée comrne la femme de Raphaël, ; et.celuijci en me con- duisant à sa voiture, et me recommandant à ses soins, amusa beaucoup la galerie..

À

. 1

Me voilà donc encore échappée à cette mésavanliire ; quelle en sera la suite ? c’est ce que t’apprendras ta plus tendre amie,

" Lui.

. . i: ’ • »

LETTRÉ


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4


le


( *69 )


LETTRE CXXVIII.

De la même à la même.

No ü s étions déjà dehors des portes de la ville : avec un saint respect j’admirais la majesté de la mer, lorsque le lord rompant le silence, me dit ; — Êtes-vous bien la lé- gitime madame Raphaël ? si non y partons. Mon voyage en France n’est pas pressé : nous sommes à la vue des côtes d’Ângle- terre . venez, reine de mon cœur… Puis il laisse échapper un soupir. Miss Charlote » Il devint rêveur,… Le moment de souvenir qu’il rendait à Miss Charlote, je le re- portai à Séchelles ; je pensais que bientôt il devait être de retour à Paris, et j’étais sans scrupule sur la légèreté de ma con- duite ; car si je m’abandonnais aux circons- tances en Flandres, dans le Brabant, lui les faisait naître dans les Pyrénées ; et plus d’une belle Savoyarde avait ressenti le pouvoir irrésistible de ses beaux yeux.

Tome J JL 22




( ‘70 )

Nous dînâmes à ; nous pûmes enfirt

causer un peu ; car dans la voiture, le vieux marquis Français obligeait, moi sur-tout, d’être sur la plus grande circonspection. Nous remontâmes tard en voiture, n’ayant plus que peu de chemin jusqu’à Lille. Lors- que nous approchâmes du super be__^ Mont- de-Cassel, déjà le soleil faisait place à la lune ; le firmament azuré répandait un nouveau charme sur toute la nature, et ajoutait à la beauté du lien et de la saison. Marchons à pied, dit le lord, pour jouir îdus agréablement de ce superbe spectacle. Après nous être un peu promenés, il s’é- carte de moi, parle à un de ses gens ; il me* rejoint. La voiture marche lentement : son domestique lui dit que l’essieux était cassé ; et qu’on ne pouvait pas aller plus loin que le village voisin pour le faire raccommoder. Je ne connais point un essieux ; ainsi, il était facile de me faire croire ce que l’on, voulait.

» *

Raphcggl craignant, sans doute, de ne point savoir assez tôt que le lord lui ra- vissait sa femme ; m’avait fait suivre par


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( 17 * )

un de ses gens qui, mêlé avec ceux du lord, ’ et ayant changé d’habit, avec la précaution d’étre toujours éloigné de luoi, pour que’ je ne le reconnusse pas ; et c’était encore fournir au lord des armes contre lui ; car- celui-ci instruit par ses gens de la mission’ du valet de l’Italien, ordonna à son do-* inestique de lui faire remarquer nion’ap-’ partement comme le sien, et le sien comme’ le mien ; il savait de plus, que l’essieux’ n’étairpas cassé, et que de notre plein gré’ nous couchions à Cassel. .

Le lendemain matin, voyant le lord en chenille sortir de chez lui, et persuadé que> c’était de chez moi, il n’en attendit pas davantage pour aller prévenir son maître’ que ses craintes n’étaient que trop fondées ; et le surlendemain, il arriva à Lille avec ’ une lettre de son maître pleine d’extrava- gance, de fureur…. — Tenez, dis -je an lord, vous êtes mon juge ; suis-jë coupable ? EAPectivement, il n’avait eu de moi que de très-légères faveurs, quoique mon cœur le .préférât à Raphaël ; j’avais respecté l’espèce d’union qui était entre nous ; mais son pro-


r*72 )

^cédé me blessa tellement, et réfiéchissairt à la violence de son caractère, je lui ré- pondis que je n’étais pas complettement coupable vis-à-vis de lui d’une infidélité ; ’ mais que craignant sa mauvaise tête et son caractère indomptable, je rompais totale- ment avec lui. Je lui renvoyai la montre dont il m’avait fait cadeau pour remplacer celle qui m’avait été volée, et le déjeûné • en porceMne ; que bientôt il serait in- demnisé de moi ; que je le priais de m’ou- blier à jamais.

Je me jettai dans les bras du lord, et nous fûmes heureux pendant huit jours. Le lord était joueur ; un soir qu’il avait perdu tout son argent, il voulut que nous fussions nous promener sur l’esplanade (promenade jolie et solitaire ) ; nous avions été suivis par un homme dont le chapeau était enfoncé sur la tête, et enveloppé d’un grand manteau ; il fit avec nous deux tours d’allée à peu de distance. Un grand ofiicier se promenait aussi ; celui-ci se re- tire, il n’était cependant pas heure indue. L’homme au manteau passa près de nous,


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r »73 r

xfi’appliqua un soufflet dont je tombai à. la renverse : en me relevant, je trouvai le lord baigné dans son sang : je poussai des- cris affreux ; la garde arrive avec le grand offlcier qui s’était promené avec nous un instant auparavant ; on ne put jamais re< trouver l’homme au manteau qui, sans, doute, était le meurtrier : j’ai toujqurs soupçonné l’Italien ; «ar on n’avait pas volé la montre de mon ami ; et il mourut deux heures après du coup de stilet qu’il avait reçu droit au coeur.

.Je ne voulais plus rester dans cette ville, ; et je manquais d’argent ; car le lord avait, perdu tout celui que nous. possédions ; mais heureusement le grand officier qui s’était,

I

trouvé avec nous à la promenade, était jus-, tement M. de la B…., amant d’Almaïde il me prêta cinq écus, qui était la somme que j’avais donnée à Âlmaïde la veille ! de, mon d.épart pour ce voyage fatal. Voici, encore une preuve qu’un bienfait n’est ja- mais perdu. Que pouvais-je faire à tille ? Ce lieu ne servait qu’à rendre ma douleur plus vive !*… De la B…. me conduisit sitôt




( n4 )

jour jusqu’à Valenciennesi Nous fûmes promener, et aussi pour prendre un bain, aux eaux de Saint-Amand, qui est tout •près de Valenciennes. De la B… trouva là un jeune Anglais avec lequel il avait été lié à Lille : celui - ci prenait les eaux, et était ravi que nous les prissions aussi ; mais lorsque de la B… lui eut conté une partie de mes malheurs, et que j’allais repartir pour Paris, il l’engagea à me solliciter de rester à prendre ‘les eaux, dont mà santé ne pouvait que se trouver bien ; que dans quinze jours il retournait à Paris, il me ramènerait dans sa voiture, où je serais plus commodément que dans la diligence que je comptais prendre : il avait dit tout cela" en Anglais à de la B..I qui le parlait nn peu ; car le sir Balot ne savait pas deux mots de suite de Français- ; c’était un balot dans toute la force du terme. Cependant, de la B…. me sollicita tant à accepter sa proposition, que je m’y rendis. Celui - ci me quitta le lendemain.

- Me voici donc emballée par le ballot. Je t’assure ’que je n’ai jamais eu tant de


( lyS )

dégoût pour aucun être : cependant il eût pu plaire à beaucoup de femmes. Il avait A peine vingt-cinq ans, petit, tout rond, à rouge trogne, mais gai, bon, complai- sant à l’excès ; je le maltraitais à la jour- née, nonobstant la générosité de ses pro- cédés, où l’ostentation de sa nation dont j’avais tant besoin pour raccommoder mes finances ; je le bourai continuellement ^ mais on ne perd jamais un homme de le maltraiter ; c’est lorsqu’il est comblé de nos faveurs, qu’il noug échappe ; ce qui fait que l’on n’est jamais aimée long-tems de celui que l’on idolâtre ; et que celui qui nous adore est celui qui est comblé de nos dédains.- Le plastron de nos fantaisies a toujours à. craindre qu’un caprice ne lui fasse perdre sa maîtresse. O bizarrerie de la nature ! ô bizarrerie de l’humanité ! que tu es indéfinissable ! ! ! . ;

Tu penses bien que je porte le deuil de mou très-cher lord Stock et que mon amo est encore bien plus lugubre que mes ha- bits. Sir Balot ne savait que faire pour m’a-j muser, il me menait au spectacle à Va--




(176)

lènoiennes tous les jours qu’il avait lieu. Traversant la place un soir pour entrer à la salle de la comédie, un grand et superbe commissaire des guerres frappe ma vue ; cet homme voyant une étrangère qui le fixait, nous’suit, se fait ouvrir notre loge ; il était avec un de ses amis que j’avais vu chez Al- maïde ; la conversation s’engage avec cha- leur ; l’Anglais qui ne put juger que par nos gestes et notre air enjoué, et ne m’ayant jamais vue si gaie, demanda si le commissaire des guerres, celui qui s’ap- prochait le plus de moi, était mon frère ; tout-à-coup M. de C…. lui dit que oui ; il l’engage à venir souper avec nous ; car les jours que nous allions au spectacle, nons couchions à Valenciennes, à la C. R…. Il donna un joli souper à celui qu’il croyait irion frère ; et le lendemain, mon soi-disant frère, qui ne voulut pas être en reste, et qui est très-honorable lorsqu’il s’agit de donner à ’manger, nous rendit un souper charmant, où l’Anglais se saoula à rouler, de manière que nous’ fûmes obligés de cou- cher chez M. de C…. notre hôte ; il ne né- gligea rien pour me faire la cour ; mais si

on


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( 177 )

on a ses instans de faiblesse, on a aussi} ceux de vertu, et peiit-étre encore suis-je en cela l’étre le plus bisarre ; j’ai quelque-, fois résisté à des êtres cbarmans, et cédé à des magots, sans trop savoir pourquoi : se- rait-ce l’heure du berger Serais-je en-., core influencée par le destin ? Mais, moi-- même^ Je n’ai jamais pu me définir ; aussi, un homme qui m’a idolâtrée constamment- pendant trois ans ( c’est un Anglais que j’ai’ aussi aimé, non pas cependant de ce grand élan du cœur ), fit mon épitaphe ;

Ci git celle qui, par elle-mêine, )

, _ -, Expliqua le mot problème.

M. de C…. avait flatté mon orgueil et ma vanité, ni moi, ni mon cœur, ni mes sens n’avaient ressentis ce je ne sais quoi, qui fait la félicité parfaite. Le lendemain,, je revins avec le Ballot à St^- Arnaud ; jo fus- prendre un bain : j’étais en grande gaule de linon, mes cheveux relevés avec un peigne. Sortie de mon bain, j’avais l’usage

  • de me reposer sur un lit de repos pendant

une heure.

On frappe à ma porte ; je crus que c’était

Tome III. 23





( ’/S )

ie Ballot : je dis d’entrer. Je fus fort étonnée de voir un petit homme brun, l’(f il pétil- lant de ’feu’, le front martial, l’air noble.

— Qu’y a til pCiur votre service, monsieur ?

— C’està madame Q « que j’ai l’honneur

de parler ? Je restai stupéfaite à cette ou- verture ; mais les g.ens qui ont dè 1 esprit et de l’usage du monde, savent toujout s ne vous embarrasser jamais long - teiiis. Au bout d’un quavb d’heure, nous étions déjà en conversation très-familière. ’ .i

•. ’• ■ O .… t -

Ce monsieur m’apprit ’ qu’il venait me complimenter sur tiné lettre qui paraissait dans Carra, pout’prouver la nécessité du divorce, et <^ue l’on disait être de moi ; que^" ’des ^iersbmïes qui me connaissaient au’ camp luravarent dît qne j’en étais l’du- teur, etc. etc. Ensuite, nous- parlâmes- de l’armée. Il mé dit que Biron avait été’bieix heureux de m’avoir possédée dans son camp ; cela amena tout naturellement à parler de Dumourier ; j’en lis le plus pom- peux éloge, et qu’à sa seule réputation, je serais femme à me prendre d’une belle passion pour lui, fût-il un magot ; l’esprit


C 179 )

seul avait le droit de me captiver ; car l,e physique n’était pour moi qu’un accessoire, que j’aimais cependant rencontrer. — Du- inourier, madame, pense comme vous ; il a même vu votre portrait dans des mains, à la vérité, qui ne sont point dignes de le posséder C c’était dans celles du com- mandant B…. ): il a aussi beaucoup enten- du vanter les agréinens de votre esprit ; et en toute vérité, il vous aime ; il termina en m’appliquant un baiser sur la parole, — Mais, monsieur, de quel droit venez-vous m’insulter ! Vous avez l’air d’un sous-lieu* • tenant ; vos procédés me l’annoncent ; sor- tez, je vous prie (il était en cheveux plats, une lévite blanche, en pantalon ; rien chez lui n’annonçait un grade supérieur ) ; sor- tez, je vous prie, monsieur, — Madame, je ne sortirai pas que vous ne m’ayez pro- mis de venir dîner au camp chez Dumou- rier, — Monsieur, vous êtes fou ? La belle recommandation que d’être présentée par vous !

Une fille de bain que j’avais sonnée vint, il sortit. Je m’habillai et fus me promener




( )

dans le jardin qui se trouvait dans Pen- Oeinte même des salles des bains. J’apper- çus mon écervelé avec deux ou trois au- tres généraux, comme je passais près de ’lui : je lui fis un petit salut de protection ; il me prit la main qu’il baisa. Je parus of- fénsée de cette liberté, je rougis et m’é- chappai. Je rencontre à quelques pas de là un officier d’un grade supérieur,.dont l’âge et l’air d’honnêteté invitaient à la confiance ; je lui parlai la première, — Monsieur, oserais-je vous demander quel est ce militaire en lévite blanche qui cause avec ces généraux là. — Madame, c’est le conquérant Dumourier. — Que dites-vous. Monsieur ? Il ne lui ressemble pas ? — Vous le connaissez donc, madame ? — Mais Du- mourier doit avoir cinquante ans, et ce- lui-ci a l’air d’un jeune homme. — Mada- me, c’est le général Dumourier lui- même que vous voyez là : il a plus de quarante ans ; mais, à la vérité, il est loin de les paraître, et en chenille, avec son air de vivacité, d’étourderie. — Vous avez raison, il a l’air d’nn sous - lieutenant. Dumourier nous aborde, je rougis.


’( ’)■

■ — Belle dame, vous me calomniez ? — Je ne faisais que médire, monsieur le gé- néralissime ; i’étais bien loin d’imaginer que vous fussiez celui pour lequel, tout à l’heure vous portiez la parole. — Et vous êtes, belle dame, fâchée de ce que vous m’avez dit d’obligeant pour cet être fortu- né, pui.squ’il vous a plu ? — Non, général, je ne me rétracte pas : si j’eusse cru vous parler de vous-même, je ne vous aurais pas dit ce que la force de la vérité m’a arra*- chée tout à l’heure ; mais je ne suis pas fâchée que vous le sachiez. — Vous êtes adorable, me dit-il en me baisant la main. Le tiers vit bien qu’il nous gênait, il se re- tira. Nous nous promenâmes encore une heure en tête-à-tête dans ce petit bois charmant, le résultat de notre conversa- tion fut que j’irais dîner avec l’Anglais au camp, et que quoiqu’il fût de contrebande dans un camp français, je légitimais ma suite.

I

Je fus trouver l’Anglais, auquel je fis comprendre que j’étais la parente du gé- néral Dumourier, et que nous étions invités


( *82 )

à dîner à son quartier-général. L’orgaeil- lèux Anglais flatté, ne savait comniejit me témoigner sa reconnaissance. A deux heu- res, avec mon Ballot, nous montâmes dans la voiture du général ; ainsi, on ne fit point dilHculté de nous laisser pénétrer au camp, puisque nous avions pour égide le général : on dina excellemment bien ; ou but horriblement ; l’Anglais était vérita- blement ùn ballot à rouler.

Le lendemain, Dnniourier et quelques , officiers généraux vinrent dîner aux eaux chez madame H…., maîtresse de ce bel hô- tel. Mon fialot me respectait davantage de- puis quç j’étais soi-disant nièce du généra- lissime. Comme’mon Anglais était tous les soirs saoul, une bouteille de vin de Cham- pagne versée adroitement me délivrait de lui pour la nuit ; ainsi j’étais vierge depuis le très-cher lord défunt.

Dumourier était trop aimable, trop en- treprenant pour ne pas réussir près d’une femme dont la boussole du cœur dépend du génie de celui qui l’attaque. Que j’a»


( >85 )

eu de plaisir de ceindre de myrtlies le front de Duniourier, qui alors, courbait sous le poid des lauriers ! J*ai passé deux charmantes nuits avec ce héros de la France qui me parut alors bien loin de la cruelle perfidie qu’il fit à sa patrie ; il m’engagea beaucoup à rester près de lui : il me dit qu’il avait besoin d’une feniinei d’esprit et de caractère. Mon cœur et mes sens, ma fortune même, eussent pu me retenir près de Dmnourier ; mais son sérail était déjà déjà trop nombreux. Félicitée Fernick était sa sultane favorite ; le mouchoir était trop divisé pour que je me contentasse’ d’une si médiocre parcelle : les honneurs de la primauté sont mon faible ; je ne puis tolérer être subalterne. Je me séparai de * Duniourier avec promesse, si les circons- tances nous font retrouver, de m’y prêter, même de les faire naître. Je lui avouai que

je venais retrouver Q " avec un sensible

plaisir, et qu’aussi nous en étions aux pré- liminaires avec Hérault de Séchelles.

Je repris la route de Paris, où je suis arrivé hier soir ; et ce matin, le portier




( iS4 )

de Séch elles m’a dit qu’il arriverait dans un mois ; je vais aller chez moi faire un voyage. Tu peux maintenant m’écrire en toute sûreté à Paris, puisque m’y voilà enfin rendue saine et sauve. Je n’ai pas reçu de lettres de mon frère, ce qui m’in- quiète beaucoup. Adieu, chère ^et bien excellente amie. Adieul

Lili.


■ • • . * *’ Î

■ »■. . ■ . ■ - . . 1


lettre




I


( i85 )


LETTRE CXXIX.

De la même à la même.

C’est encore mie fois du sein de mon ménage que je vais m’entretenir avec toi, bien bonne amie. Si-tôt mon arrivée à Pa- ris, et que j’eus déposé mon sir Ballot à l’hôtel du P. E.,.., rue N. du L…, je me suis disposée à aller voir celui que tu nom- • mes l’idole permanent de mon cœur, lors- qu’ Aliilaïde vint se jetter dans mes bras ; nous y fûmes ensemble ; mais il était en- core reparti pour une nouvelle mission. Sans façon, nous nous logeâmes chez lui, et dans son lit. Nous apprîmes par la petite R…., marchande de modes ( qui n’a pas a se louer de sa générosité ) que la tête lui tournait pour un minois agaçant, et qu’il avait fait meubler U I) joli appartement, sur- tout riche en glaces, et que lorsque tout fut prêt pour le voluptueux sénateur ; un. aide- de-camp, amant chéri de la belle, la lui avait soxilïïéc au moment même de ■ Tome TU. 24


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jouir des frais de ’son extraordinaire libé- ralité ; nous rîmes beaucoup à ses dépens,

la petite nous demanda le secret. " ■ "

« 

Il y avait quatre jours que j’étais à Paris, et que je couchais avec Almaïde dans le lit:

de Q lorsqu’un matin Almaïde me

dit ; Tu as la charmante. L’effroi me prit : je vais chez R…, médecin ; il m’administre tous les provocatifs à cette détestable mala- die ; aucun simptôme ne paraît. R…, qui en a une peur effroyable, me baise la main pour m’assurer de ma sécurité ; j’en prends effectivement.

- A deux heures du matin, Almaïde et moi dormions autant éloignées qu’il était pos- sible l’une de l’autre, lorsque l’on frappa lon^-tems en maître àla porte, c’était ef- fectivement lui ; il avait bien tout droit de prendre possession de son lit. Je ne voulus qpas que ma maladie fût nommée ^ et prenant un canif, je m’ouvris le doigt. Les draps étant tout ensanglantés, j’ordonne au do- mestique d’en mettre des blancs ; Almaïde se remit au lit avec le voyageur, moi



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restai snr une bergère ; cependant il ma fit mille instances pour reprendre sa place ; je ne voulus jamais. — Lili, se pourrait-il que lu ne m’aimasses plus ? — Respecte mon secret, mon ami. En ce moment, je vous donne une preuve au contraire que je vous aime. Son imagination ayant pris une au- tre direction des motifs qui m’empêchaient de partager sa couche, il saute en bas du lit, me baise les mains y et me porte près d’Almaïde. — Mon ami, tout chez moi est contagiei^x. Cependant R…. m’avait rassu- rée ; mais je ne voulais pas risquer la santé de ce que j’aime. Mes refus ne fai- sant qu’irriter ses désirs, il les porte tous sur moi, et voulait tout risquer. — Nous nous traiterons ensemble, dit-il. J’eus la force de lui résister ; mais qu’il m’en a coûté ! Depuis si long -tems que je n’aVais vu cet amant toujours chéri, je me retrou- vais avec lui, libre d’être heureuse ; mais je craignais de lui faire payer trop cher ce plaisir. Dans ce moment, je prouvais que je l’aimais pour lui plus que pour moi.

Le matin, nous repartons, Âlmaïde et




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moi, pour aller chez elle à la F. M…. Au bout de quatre jours, ma maladie parut sous des symptômes non équivoques et du plus mauvais genre. Le caractère d’origi- nalité qu’heureusement le mari d’Almaïde savait que j’avais, nous servit ; car pendant quinze jours, je restai enfermée dans ma chambre à écrire, soi-disant, mes aven- tures et mes voyages ; je ne voulais pas être distraite par personne ; ainsi pendant tout le tems de mon traitement, Almaïde elle-rnême m’apportait à manger ; mais ni son mari, ni ses enfans, ni ses gens, n’en- traient chez moi ; elle seule me rendait tous les soins qu’exige cette maladie, qui n’est rien par elle -même, mais dont la contagion est si effrayante. Que d’obliga- tions je devais donc avoir à Almaïde, qui se dévouait ainsi pour moi ? Combien je l’aimais ! quelle était bonne ! noire secret ne transpira pas : au bout de quinze jours, j’étais bien guérie, à la pâleur et la mai- greur près : j’avais, en un mot, une rémi- niscence de laideur.

Le duc de G…., notre voisin, aimait AI-


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[le


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tnaïJe ; U la pressait de se rendre chez lui ; à tous les automnes, elle allait y passer cette saison ; et nous n’attendions que le moment où je serais moins elFroyable pour nous y rendre.

Je ne connaissais pas le duc. A son as- pect, je crus voir un sapajou ; car rien n’était aussi hideux ; mais son château, qnoiqu’antique, était superbe ; les jardins sur-tout étaient vastes et de la plus grande beauté ; il avait une société agréable, parce qu’il avait une bonne table, et qne l’on était absolument les maîtres chez lui. Com- me c’était à Almaïde qu’il adressait ses vœux, j’étais la confidente de ses soupirs : ce rôle nie plaisait mieux que celui prin- cipal • ; mes complaisances vis-à-vis de lui étaient sans conséquence, et j’étais de même avec tout le monde, au lieu que quqi:pie jamais Alma’ide n’eùt pour lui de condescendance du genre qu’il le desirait, il en était jaloux ; il croyait, parce qu’il l’aimait, avoir le droit d’être toujours sur ses pas.

Les huit premiers jours de notre séjour




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à G…., confidents de la tendre flamme d u duc, et de la trop juste répugnance d’Al- maide, pour mon compte, je fus neutre vis-à-vis de la société ( c’est-à-dire en fait d’amour ) ; car tout le monde était accou- plé, Si j’étais arrivée laide à G…, bientôt le bon air, un appétit dévorant joint à une - excellente table, la tranquillité de cœur et d’esprit ( j’avais eu Is sang bien clarifié ) me fil engraisser à vue d’œil, et la fraîcheur n>e rendit un retour de beauté. Le suffrage de mon miroir n’était pas le seul ; plusieurs avaient voulu faire en ma faveur une infi- délité à leur belle ; j’étais trop délicate pour accepter un hommage qui eût coûté un soupir à une personne qui composait la société ( la galanterie a aussi ses règles d’honneur comme de légèreté ) ; elle se renouvellait souvent. Deux dames et trois hommes arrivent ; l’un de ces trois est le marquis de L…. grand, bien fait, un pea colossal, le son de voix sentimental, le charme des manières: il porta tous ses soins sur moi. Le duc avait pour lui des atten- tions particulières ; il venait tous les ans à G…, et l’année dernière, il avait porté


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son hommage à Almaïde ; elle fut un peu jalouse de la préférence qu’il me marqua ; elle en témoigna son ressentiment d’une manière indécente. Cependant j’étais libre et bien aise d’accueillir les vœux du mar- quis : nous représentâmes tous deux’ à Al- ma’ide que le duc lui portant uniquement son hommage, ce nouvel arrivé ne pou- vait, chez son hôte, devenir ouvertement son rival. Il y avait un an, il était mains prononcé ; il vallait mieux être tous d’in- telligence J que moi j’étais libre…. Elle se rendit à l’évidence ; mais comme elle n’é- tait pas contente de son côté, elle prit de l’humeur contre moi, cela me fit beaucoup de peine ; car je l’aimais véritablement : cependant tout s’arrangea.

Pendant quelques jours que le marquis me rendit des soins, il manifesta ses pré- tentions d’une manière non équivoque ; comme ceci était une affaire de gaieté plu- tôt que de sentiment, un désœuvrement, une partie de campagne ; en un mot, on n’est pas si rigide pour en venir au dénoue- ment. Un jour qu’Aîinaïde, le marquis et




( * 9 ^ )

moi, étions dans la galerie du duc, il entre, et laisaiit remarquer à Alinaule le portrait de la duchesse deL .. ( qui est émi- grée ),il m’entraîne au bout de la gallerie, qui est vaste, et où se trouve un petit bou- doir et un soplia. La voix du duc et d’Al-‘ iiiaûle, que nous entendîmes, arrêta la^té- mérilé de l’entreprenant…. ; mais il obtint * un rendez-vous pour la nuit suivante. Depuis six semaines, j’étais désœuvrée, et n’étais pas fâchée d’une bonne fortune ; cependant, le croiras-tu ? celle ci ne se passa presque qu’en bons mots ; car si, à l’apperçu, de L…. était un payeur d’arré- rages, au total, il était insolvable : jamais je ne fus si étonnée, ni je n’ai tant ri ; il me croyait beaucoup moins d’expérience ; * il demeura pétrifié, et j* ? ! ! eu plus de plai- sir à le persifler que sûrement je n’en au- rais eu à…. Le lendemain, je mis Alma’ûle dans la confidence ; ce qui nous amusa infiniment. Les hommes mettent à cette bagatelle tant d’importance, qu’il est très- doux à une femme, lorsque l’occasion se rencontre, de pouvoir les jouer sur le mot… l’uis, après, je lui donnai des conseils

d’amie.


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d’amîe. Si jamais vous vons mariez, ayez soin d’épouser un enfant ; que vos procédés l’attachent à vous ; tâchez sur- tout qu’elle ignore la variété qui existe dans votre sexe, ou bien prenez une femme raisonnable, comme moi, supposons. Je suis mainte- nant d’une expérience consommée ; et vous savez que les extrêmes produisent le même effet. Dans sa femme, c’est plutôt une amie qu’il faut chercher qu’une maîtresse : par exemple, moi, si j’avais trouvé en vous ce que votre phisique annonce, j’aurais pu avoir pour vous plus de passion, mais moins de tendresse ; je vous regarde comme sans conséquence, et vous pouvez sous cet habit jouer près de moi le plus beau rôle. Effec- tivement nous fûmes tous trois amis ; Al- maïde fut consolée de sa perte : il me resta fidèle, peut-être pour ne pas faire faire la pareille découverte à une autre ; et le reste de notre séjour à G…. fut fort agréable.

En arrivant chez Alraa«de, j’ai reçu une lettre de ma mère, qui m’apprend que mon frère, mon frère bien - aimé n’est plus !….

Je n’ai pas recueilli son dernier soupir !

. Tome III. 25


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C ï94 X

£ttle perJaiit, bêlas ! je pénis le plus’ cher (Je ttHis Bies-atnisj Mon père a reçu toutejÿ lea, lettres que je lui avais adressées, et par conséquent le précis de mes voyages. Juges par- là combien je suis à jamftis pros*-- ctite de la maison pateriielte^ la letrtte dé* ma mère est foudroyante ; je suis navrée de^ douleur. Adieu. Ce digne- ami’ ai exigée que le médaillon qui cüiitenait tefl portrait et le mien fût enfermé dans’ga-fOnVlwj avetî- lui. Il m’a beaucoup demandée ( mais j,’étaïe’ alors Aulrichiene, comme mes letkiHîs- lo’ lui avaient appris ) ;. il a embrassé ma filW ;. et en expirant, les noms de Lise Clariéso • et Lili furent ses demiersi aceens.^ It est’ mort eu pleine connaissance, puisque c’es^î de la poitrine qu’il était malade ;-sa fiit,. cependant, est prématurée ; car Tous* leur médecins l’avaient jugé devoir aller eacotot à l’automne prochain. i : . .


Adieu, ma chère Lise, mes larmes m» sullb(juent. ■ ’


-Ta Liii, .


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, ( *9^ )


LETTRE CXXX.


Julie à son ami. v : >

Encore une fois, ami bien cher, me

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voici de retour dans mes foyers. Almaïde in’y a suivie. Les premiers jours elle fut du dernier mieux avec mon mari ; puis, ils lurent en guerre ouverte.

Mon ami, j’ai l’aine navrée ; je viens de perdre mon frère : je ne me consolerai ja- mais,… Je vais aller voir ma bonne aïeule, et ce sera de H. F…. que j’acheverai cetl«  lettre.

• \

A H. F ce jeudi soir.

Noue sommes arrivées iei de bonne heuro : nous avons voulu voir une partie «les bosquets c’est de-T^ii. cabanne de mo«isse que je t’écris, et Almaïde (usais tu ne la no.mraes que Claire ) ou Claire à mies côtéis. Ici, nous parlons beaucoup de loi tout y rappelle ton souvenir ; nmis




i’9^)

fous ces jolis bosquets sont dévastés i il pleut,• il fait enfin le plus mauvais tems possible ; et toute la nature me semble aussi triste que mon ame. Les souvenirs délicieux que ces lieux me rappellent sont empoisonnés de l’idée que ce ne sera plus pour moi à l’avenir que des souvenirs…. D’ailleurs, tout ici y rappelle aussi l’idéé

de ce frère chéri.

Mon ami, que je suis désolée : écris- moi ; dis - moi que tu m’aimes encore ; quand tu devrais mentir, dis-le moi…

Que je suis aise de t’avoir résisté, et d’avoir triomphé de mes sens et des tiens ; car je ne fus pas plutôt arrivée chez Claire, que ce que je craignais de te com- muniquer se manifesta sous l’espèce la plus maligne ; mais avec les secours de la Faculté administrés à propos, les soins de Claire et un bon régime, en quinze jours je fus en état de paraître. Nous fûmes pas- ser un mois chez le duc de G…. Le bon air-, les douceurs de la vie champêtre, me rendirent ma fraicheur ; et j’étais alors


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dans un de mes plus beaux momens ; maïs la mort de mon frère me tue ; tous les se-^ cours de l’art ne peuvent rien sur cette plaie profonde.

Adieu y cher ami : toi seul peut encore verser ùn baume salutaire sur ma blessure. Ides larmes m’inondent. Mille baisers. ^

Lui.


<■’198)

P ’i rrr . i


’lettre C X X X I.

’ A Julie.

t* M il’

Ukæ petite lettre de Lili écrite ■ des bos- quets de H. F««’a bien du prix pour moti cœur ‘■je la pose avec tes anciennes ; et en les feuilletant, j’oublie la lacune immense qui les séparent. Avec Lili, je verse des larmes sur la tombe de ce frère chéri… Ma bonne amie, il n’est plus ! nous le regret- terons long-tems, ce frère dont rattache- ment pour loi prouvait l’excellence de son ame ; maTs^’Cïaîfe est avec toi ; c*est à elle à essuyer tes pleurs. Je vous vois sortir de l’habitation de ce sensible vieil- lard, ta digne ayeule : vous avez les bras entrelacés ; vous parlez de moi, et vous vous acheminez lentement par le sentier étroit qui conduit à cette petite grpte qui a l’air d’un portique pour garantir de l’o- rage ; puis, ce gazon verd op. sont deux étroits chemins qui ont l’air de séparer les amis ; mais bientôt ils se rejoignent et


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’’99 ) ■

vont se reposer au bosquet de inyrllle5..r Là sont des siièiges isolés pour des’ boudeurs ; mais où ou peut se rapprocher aussu Lili ^ qu’il nous éaait doux à la snite de la châ-^ leur du jour de nous reposer sous ce rtiyi^ tbe peïiché, surmonté d’un lilas qui est’ à votre droite. O ! lu l’asr bien pronostiqué^ Lili, les grandes villes- sont dontagîeiises-t si elles ne parviennent- jKiis itou j ours â eof- rompre le cœur, au moins, elles le blasent «t évapoiéht pour jamais cet innooent bonheurv Ces plaisirs pnrkde^ 1» vie charnu pêtre, Lili,-je donherals beaucoup pont ? ii’être jftibais’venu habiter ce gouffre im- - ineuse. Y ai-je jamais retrouvé les plaisirs du cabinet de mousse de H. F… ? du pom- mier, du verger Tiens, Lili, je nie sens bien iualheure«-x ; . de sinistres pré- sages m’assiègent ; je ne suis pas le maître de dissiper une mélancolie sourde qui accable mon ame. Lili, j’ai au moins au- tant que toi, besoin de consolation ; au moins vous, tout est d’accord avec vous dans le lieu que vous liabi tez, aussi pro- pre aux amis qu aux amans, de même aussi favorable aux peiijes qu’aux plaisirs ; car


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tout est là d’accord avec la pensée. Tu es donc encore moins malheureuse que moi, Lili I Quand reviendras-tu à Paris ? J’au- rais mieux aimé partager ta maladie, et goûter encore dans tes bras le plaisir ; car ceux que je prends avec toi sont d’un genre particulier pour moi ; de plus ^ tu me dois le détail de tes jolies aventures avec les Autrichiens. i

f

c

Adieu, Lili ; reçois un baiser je ferme de même la bouche à Claire. Je vous aime toutes deux. A jamais ton ami,

N.Q


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lettre


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C 201 )


LETTRE CXXXII.

Julie à Lise.

J E dois t’apprendre, ma bonne amie, que )’ai eu une querelle terrible avec mon •- mari, qui est devenue conséquente ; il a donné ma Nina à une de ses maîtresses :

tu sais combien il a l’art de me faire faire

\

tout ce qu’il veut ; il m’amena à ce que la dame gardât, de mon consentement, ma Nina, pendant que j’étais allée à H. F.,,, chez ma grand’mère. Alina’ide n’avait pas été de cet avis ; je l’avais amenée avec moi cbez moi : elle s’est éprise, au premier as- pect, de mon mari ; c’est l’effet qu’il pro- duit toujours, il fallut qu’elle se le per- mît ; ils furent très-bien ensemble pendant quelques jours : mon mari lui fit des ca- deaux, j’en fus ravie ; je lui avais tant d’obligation, à cette bonne amie ! mais Almaïde est violente, capricieuse à l’excès : bientôt la mésintelligence fut entre elle et lui, et je n’étais occupée qu’à les recon- Tome JIL 26



( 302 )

cilier. Oui, Lise, ce rôle m’était niille foia pliis pénible que d’être la cdufiJeute de ’ leurs amours.

Enfin, nous fûmes ensemble à H. F

Nina étant confiée à madame de P…, Al- inaïde ne cessait de m’àccabler de repro- ches sur le faible que j’avais pour mon in- grat époux. Après avoir passé quelques jours à H. F…, nous revînmes à S…. Je re- demandai ma Nina, on me la rendit après bien des diflicultés ; mais un jour que je déjeûnais chez une voisine, madame de P… vint chez moi ; Nina la caresse, elle me la vole : mon mari prit son parti ; la querelle fut vive ; Almaïde me monta la tête, nous fûmes chez un juge de paix : mon mari est violent ; il se porta aux plus violens excès, sur-tout vis-à-vis d’une femme : Almaïde était une petite lionne déchaînée ; elle se jetta sur lui, il faillit la tuer : elle ne vou- lut pas rester plus long-tems, dit-elle, près d’un tel monstre ; nous prîmes des chevaux de poste, et nous nous sauvâmes à la F. M… Jamais de la vie je ne fus tant embarrassée ; » je souffris les reproches des deux ; et vpu-


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lant les concilier, j’avais les éclaboussures. Qu’il est difficile quelquefois de faire le bien ! /

Arrivée à la F. M…, j’écrivis à mon, mari : il me fit réponse qu’il ne voulait plus me recevoir ; J’appris que la dame et le chien étfiient partis pour la campagne. Mon mari avait fait la conquête d’une veu- ve. Madame B… venait de perdre son mari, et le mien chargé de ses affaires venait aussi de s’emparer de la veuve, qui était installée chez moi ; je n’étais pas faite pour me prê- ter à des complaisances vis-à-vis de cette femme que je ne connaissais pas, et que, d’ailleurs, je savais être un petit esprit po- pulacier, par conséquent méchant.

Mon mari m’envoya une lettre pour M. de N … directeur d’un spectacle, avec qui il avait des affaires ; il me rendit le mes- sager de cette lettre, croyant que j’allais gagner la capitale, il ne se trompa pas. Où voulais tu que j’allasse ? Pouvais- je rester .tout l’hiver chez Almaïde ? J’arrive à Paris, je vais chez Q : il était allé passer huit





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jours à S— Comme j’étais seule, je n’osai m’installer chez lui j mais je n’étais pad non plus beaucoup en argent ; la lettre que j’avais dans ma poche me réveilla ; je fus la porter moi -même à son adresse. Ji trouvai un vieillard aimable qui me reçu bien : il m’engagea à dîner ; j’acceptai Il me demanda ensuite où je demeurais pour avoir l’honneur de me faire sa cour 3e lui dis que je n’avais point de demeure que j’étais venue pour loger chez une per sonne que je n’ai pas trouvée, et qui es allée chez moi tandis que je suis ici. — Mon Dieu, belle dame ! Si j’osais vous pro- poser d’accepter Si j’étais assez heu reux ?…. Cet appartement…. me montrant une jolie chambre à coucher, où par un cabinet de toilette on était de plein pieti au théâtre. — Vous êtes ici la maîtresse : j’ai une table bien servie tous les jours ^ de douze à quinze couverts : mes gens, tout ici, madame, est à vos ordres. Après beaucoup de difficultés pour.accepter cette proposition, dont j’avais tant besoin, je consens enfin de m’installer chez ce vieil- lard vénérable. ■


V


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Q ’* revint, je lui écrivis ; il me donna

un rendez - vous chez lui ; je l’y trouvai triste sans savoir trop pourquoi. Sans m’être totalement retirée de chez le vieillard, je

lui avais fait une semi-confidence. Q

vint chez lui, et tous les jours dans ma loge. A cette époque, chacun avait besoin des députés ; je me gardai bien de dire que le mien était sans nulle influence ; je mé- nageais donc par-là, et mon amant, et la précieuse retraite de mon ami. Je passai trois jours et trois nuits avec mon amant. Le soir, il me dit : je viens, Lili, d’avoir encore une mission pour aller au camp de Dumourier ; je serai de retour dans trois jours. Si tu veux, couches ici, vas dîner et auvspectacle chez N…. Il part.

t

Deux jours après, comme j’étais rêveuse dans ma loge, une dame de mes amies ar- rive. — Ma chère amie, ce pauvre Q •

— Que dites-vous ? — Mais vous ne savez donc pas, • vous ne lisez donc pas les pa- piers publics ? — Achevez, vous en avez trop dit I — Eh bien ! Dumourier plus fin qu’eux, taudis qu’ils faisaient les sénateurs


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dans la salle d’audience, les a envoyés, sous bonne escorte, saluer l’empereur. — Que dites-vous ? Je devins pâle comme la jnort. M. de la N… entre aussi pour savoir si J’étais instruite ; il me console et m’as- sure de nouveau de son amitié ; il me prie de reprendre le lit que j’occupais chez lui. Je lui promets.

La douleur mesulToquant, Je n’avais plus la tête à moi. Tant que l’on possède un objet qui nous est cher, à peine sait-on pour lui classer son sentiment ; mais est-on menacé de le perdre, sa vie est elle en danger, c’est alors que toutes les facultés du sentiment s’eguisent. Je prends une voiture. Je cours chez mon amant, je Jette les hauts cris ; le domestique tâche de cal- mer mon désespoir, et est bien aise do n’avoir pas cette nouvplle à m’apprendre. Je décroche son portrait en grand et je me retire avec. Le domestique me représente que Je sais qu’il est destiné pour sa mère ; je n’entends rien, et je courre encore ser- rant ce cher larcin sur mon cœur. Je re- prends ma voiture et me rends chez M. de^ la N…


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( 207 )

Huit jours s’écoulent sans que le sourire ait pu effleurer mes lèvres : de trop justes pressenti mens m’assuraient que j’avais per- du pour toujours mon amant adoré. La mort de mon frère m’en redevint encore plus sensible. Avec Q, je pouvais par-

ler de ce tendre frère ; voilà pourquoi on aime tant ses anciens amis ; c’est qu’ils connaissent nos liaisons, nos habitudes et nos goûts. Au souvenir de mon frère se ■joint encore celui de mon aniant ; voilà comme tous les malheurs m’accablent à la fois, ou bien la fortune m’inonde de ses faveurs.

M. de la N… vivait avec une femme qui voyageait et dont j’occupais l’appartement ; elle écrivit qu’elle allait revenir ; elle s’a- vise de prendre de la jalousie de moi, c’é- tait bien à tort, grand Dieu ! mais une femme vieille et laide, c’est le fléau du ‘genre humain. A la prethière onvertuie de cette nouvelle, je voulus me retirer : j’au- rais été désespérée de causer le moindre chagrin au loyal ami qui, avec tant de grâce, m’avait donné l’hospitalité ; mais la


s


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mégère n’arrivait que quinze jours après, ’aiusi nous avions encore letemsd’y penser.

Le soir, on me remit une lettre de S… ; elle était de mon mari : elle en contenait une qu’il avait eu la délicatesse de ne pas décacheter, soit parce que nous. étions brouillés ensemble,ou parce qu’il craignait d’apprendre ce qu’il ne savait déjà que trop. Celte lettre incluse était du commis- saire des guerres que j’avais connu à Va- lenciennes. Il me mandait qu’il passait l’hiver à Paris ; que si j’y faisais un voyage, il m’oll’rait un appaitement, etc. etc. etc. Rien ne pouvait venir plus à propos. Le lendemain, je lui envoyai le domestique de M. de la N… et le priai de venir le soir dans ma loge, que j’avais beaucoup de choses à lui apprendre. Il arrive une heure avant le spectacle pour me faire sa cour ; il était superbe : mon œil fut flatté. Puis, toutes les femmes qui se trouvèrent là (car on jouait la boulliote de société, s’entend) le regardèrent avec intérêt. Quellt’i est la femme de qui ^’orgueuil n’e^t pas chatouillé, lorsque

sou




( )

son amant attire les regards des autres femmes ? Nous fûmes dans ma loge pour çali^er plus librement. Le tendre de C… me dit : — Ma belle, maintenant, n’ai-je plus de rivaux à craindre î Votre amant est à jamais perdu • si j’étais assez heureux de le remplacer dans votre cœur ! Je l’en as- surai ;,çt si je le trompai dans ce moment, je me trompai moi-même.

Nous fûmes bientôt d’accord : il me de- manda huit jours pour me trouver un ap- partement ccmvenable : en attendant, il venait me faire la cour tous les jours chez mon hôte. Presser le moment de m’instal- ler chez moi, c’était hâter celui de ’ion bonheur ; car je ne pouvais le rendre heu- reux avant*

» t I

Tout-à-coup mon mari arrive avec sa maîtresse ; il vient faire une visite à mon hôte ; je l’engageai à venir dans ma loge* Madame B…, petite sotte, sans doute pour me narguer, ne cessait de l’embrasser, da lui faire les carresses les plus indécentes. Qu avais-je à faire l On est toujours très-

Tome III. 27


( 210 )

«^mbarrassé vis-à-vis des sols. Je m’occupai beaucoup du spectacle, et J’applaudis à tout rompre à tort et à travers : mon mari m’engagea à aller souper chez lui, je pro- mis, s’il trouvait bon que je menasse un. convive ; mais que je n’étais ni d’iâge, ni de tournure à tenir…. Do Ci… entre dans ma loge ; je lui fis le plus tendre accueil ; il ne savait à quoi attribuer cet excès de bienveillance : chaque baiser que la dame donnait à mon mari, je le rendais à de C…, moi qui, jamais de la vie, n’ai fait ces avances à un homme, et sur-tout’ vis-à-vis de deux tiers.

Pour completter l’étonnement de mon amant, je lui dis que ce M. était* mon mari, et la dame ma rivale ; que nous sou- pions chez eux, et que j’espérais qu’il me donnerait ia main. Il répondit par un salut silencieux. Mon mari et la dame sortirent les premiers ; j’eus beaucoup de pein© à déterminer M. de C.„ à me servir d’arme contre mon époux ; l’idée d’être l’objet d’un dépit jaloux n’est jamais flatteuse ; mais comme il ne m’avait jamais possédée,


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( 2Il )

t&t qu’il le desirait ardemment, comptant encore sur de nouveaux plaisirs par une tête montée, en homme habile, il sut tout mettre au profit du bonheur : il promit tout, si je lui donnais la nuit ; j’acceptai de grand cœur.

A dix heures, nous nous présentâmes chez mon mari : il était dans un fort bel hôtel, très-élégamment logé ( rue de Ri- chelieu ). Je fis annoncer M. et madame de C… Avec grâce et dignité je présente mon. superbe ( je savais que la dépense était faite par ma rivale, puisque mon mari n’avait pas le sou ). J’eus mille fantaisies ; je fis la petite maîtresse à trente-six karats ; il y avait encore deux convives ; l’un était de S…, et par conséquent me connaissait ; l’autre ignorait qu’elle était la dame qui portait le nom qu’elle m’avait usurpé. Ce- pendant ; je dois dire qu’elle l’a bien ache- té ; car mon mari lui a mangé quatorze mille livres en six semaines ; mais j’avais si beau jeu à persifler la petite provinciale, que bientôt j’en fus fatiguée ; et en sor- tant, je dis à celui qui me connaissait t




( 212 )

que je ne vous étonne pas, nous sommes

philosophes : voici madame Q ** factice,

et moi je suis la réelle. Mais> madame cou- che ici avec monsieur ; et moi prenant de C… par le bras, je sortis. Comme la dame me reconduisait, je lui dis : je vous enga- gerais bien à déjeûner demain ; niais ce

;soir, je reste chez monsieur. Adieu l’a- 

mour, me dit mon mari, et Je sors.

L’amour, le dépit, la jalousie m’agî- taient ; car quoique j’étais bien ii demni- sée, je ne sais si c’est par bizarrerie qu’on aime ce que l’on n’a plus, et que ce que l’on a cesse de plaire ; mais ce soir, tous mes désirs étaient pour mon époux ; j’avais parlé avec véhémence, j’étais animée et véritablement jolie ( la petite B… est à peu près de mon âge, fort jolie ; mais c’csl l’es- prit qui fait le charme de la phisionorale ). Agitée de tons ces divers senti mens, je couchai chez de C…. Depuis le départ cle

Q ’*, j’étais d’une sagesse exemplaire ;

je n’ai du T… que dans la tête ; ce jour-là elle était montée au dernier période ; ainsi de C… me trouva telle qu’il le dc’irait.


bigitize. ; Ly Gl


( 2i5 )

DeiK jours après, je pris possession de rapparleinent que de C… me laisail arran- ger passage des P.-P… Quoique un peu haut, je fus lrès-bié:î logée. Mon nouvel amant venait nie voir tous les jours, et je n’avais pas à me plaindre de ses soins, seulement de son excessive tendresse. Ma tête ne se monte pas comme une autre, et celle de mon amant l’était à toute heure. Bientôt cela me déplut ; il m’en témoigna sa sur- prise. Je vois bien, lui dis-je, que phisi- queraent nous ne nous convenons pas ; je n’aime que les p…., et vous n’êtes que tout f… Bientôt il en fut convaincu. Je ne tardai pas à m’appercevoir que pour être long’-lems attachée à un homme, il faut se convenir en tout et pour tout,

J’allais souveitt dîner chez mon ancien hôte. Un jour traversant le P. -R… pour aller dans la rue St.-Thomas-du-Louvre, je fus arrêtée sortant de la grille de la dernière porte, par le convoi de Saint- Fargeau ; je demande à quelqu’nn qui était près de moi où est la montagne ? — La voici, me répond un petit homme, dont




/


(

rœil était l’expression da génie, et la voix celle du sentiment. Saisie par l’at- traction de l’arae, je fixe mes yeux sur celui qui avait arrêté les siens sur moi. — Vous n’êtes pas, madame, me dit-il, de tout ce monde la plus jolie, il s’en faut de beaucoup ; mais vos yeux qui portent votre ame, lancent des traits bien plus redouta- bles… Me serrant la main : — Madame,nous sommes pressés, de grâce ayez la bonté de me dire où je pourrai avoir le bonheur de vous trouver… — Monsieur ?… — Je sais, madame, toutes les objections que vous pouvez, et même devez me faire ; le destin qui m’a fait vous distinguer de cette foule, de ce groupe charmant même (par nous étions entourés de femmes délicieuses), le destin, dis-je, ne m’aurait-il servi qu’à de- mi ? — Monsieur, si le destin s’en mêle, i4 achèvera. son ouvrage, et je m’y prêterai avec plaisir ; car j’éprouve aussi de la pré- dilection ; il me baise respectueusement la main, la bagarre s’élargit, le convoi re- prend sa direction, je vais où j’avais aifaire, et je revins dîner chez mon ancien hôte, où, jusqu’à l’arrivée de sa maîtresse, je con-


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( )

servais toujours salope. Je me sens rêveuse, je regrette de n’avoir pas donnée mon adresse à cet homme dont l’organe m’a séduit. Mais, me dis-je, il est député ; rien n’est si aisé à trouver que cela ? J’irai à la convention, il me verra sûrement plutôt que je ne le verrai moi -même. Ciel ! cet homme est tout arne, et de C… n’est que physique. J’étais occupée de ces pensées quand on servit. Je t’ai dit que la table de N… est toujours nombreuse ;on parla beau- coup de Fabre d’Eglantine, tant en bien ’ qu’en mal. Je ne connaissais pas ce député ; cependant le.bien que l’on en disait flattait agréablement mon oreille ; et le mal y tin- tait douloureusement.

Enfin, on annonce celui qui venait d’être le^sujet de la louange et de la calomnie’: tous ceux qui avaient été les plus déchaînés contre lui, furent les premiers à le biëii accueillir. O perfidie des gens du mondé ! L’homme en place est toujours flatté en face ; personne n’a le courage de lui dire ses vérités ; lorsque l’on lui parle, il a tou- jours bien fait, et il finit par se le per-




( 2ï6 )

simder à force de se l’entendre répéter tant de fois.

Avec grâce il salue la compagnie ; il s’approche du maître de la maison contre lequel j’étais. Fixant ses grands yeux sur moi, que vois-je ! le député du matin, qui a tant solicité mon adresse ; il s’approche :

— Belle dame, le destin n’a pas tardé à vérifier ses intentions, le seconderez- vous ?

— Oui, oui, monsieur, je m’y prêterai avec joie ; la sienne parut sar sa figure : je rougis, donc je l’aime. Il s’approche du maître de la maison, et de nouveau lui demande à l’oreille qui je suis : celui-ci- lui donne les plus exacts renseigneraens. Je fus dans ma log<’ : bientôt Fabre m’y joignit. Le spectacle ne m’occupa nulle- ment ; nous avions trop do simpathie, mon nouvel- adorateur et moi, pour que les préliminaires do nos couve ntiuns fussent bien longe. — J’aurais bt,i .icoup de choses à vous dire, madame ; mais, j’ai un rapport à faire ce soir au comité do la guerre, voulez-vous vous trouver demain au bout de la galerie près le théâtre » chez B…

marchande


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( 2 * 7,)

marchande de meubles ; vous marchande* rez ce qui vous conviendra ; je m’y ren* drai ; ma voiture sera à deux pas^ et nous y monterons. Il me quitte en me serrant la main et faisant un soupir qui attira le mien.

Dans un négligé assez cronstillant, je ne manque pas de me trouver au lieu indi- qué à midi ; il y était déjà ; et faisant des arrangemens pour un joli petit secrétaire à cylindre en acajou ; il me salue, me de- mande mon approbation et mon adresse : il fait transporter chez moi ces jolis mei»- bles, fait approcher sa voiture, et nous y, montons. Nous descendîmes vis-à-vis les Français ^ et montâmes au troisième, dans un appartement joli ; mais qui n’avait l’air d’être occupé que par une bonne fortune.

1 II fit venir un excellent dîner ; le monsieur

I était épicurien. Autant il est difficile de se

I - rendre avec un sot, autant avec un homme I d’esprit pn est de suite de niveau, parce I qu’il sait prévoir et applanir tqutes les I objections. Je ne sortis donc de chec Fabre , • que toute à lui : cependant nullement phi-

I Tome III. 28




•(\5î8 )

BÎque, cl’Eglamine ïie’ pouvait posséder une femme ; mais tous les rafineinens et les avant-coureuts du plaisir ne peuvent pas être plus exquis. Enfin, nous nous quittâmes, fous l’un de l’autre, et nous convînmes des heures qu’il viendrait chez moi ; que tous les jours qu’il ferait beau, j’irais le prendre à la convention de midi à une heure pour nous promener aux tuile- ries ; et le soir, entre les deux pièces, je sortais de ma loge, je prenais une voiture et allais le trouver an comité de la guerre : il payait le cocher pour deux heures, afin qu’il nous menât grand train où’ bon lui semblait ; Nous goûtâmes ce petit genre de .vie environ deux mois. Comme jamais il ne s’était rencontré avec de C…‘, je n’avais •rien communiqué de l’un concernant l’au- tre ; et placée entre ces deux extrêmes, de C… croyait que je partageais mes faveurs ; car il ne m’avait. jamais retrouvée .comme cette première nuit… ; et d’Egl.. ;, par son impuissance, pouvait au’ssî croire qu’une femme aussi voluptueuse dans’ses bras n’é- tait pas fâchée.’ Ainsi, voilà mes amans portés au sentiment de la jalousie par des


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( 219 )

motifs bien opposés ; et cependant, je te l’avoue, tous les deux devaient s’en trou- ver mieux, sur-tout de C…. Je suis tran- quille, heureuse, sur-tout sous les rapports indispensables, ceux pécuniers. D’Eglan- tine est généreux, de C… honorable: ainsi je suis contente de mon sort, s’il peut du- rer. Cependant tu me trouverais un peu maigrie et fatiguée de ce double emploi ; je fais plus de cas, et j’aime davantage de C… ; mais je suis pins amoureuse de d’E- glantine ; ce serait bien à tort qu’ils se croiraient rivaux ; car le sentiment que je porte à l’un, je ne peux le donner à l’autrei Adieu.

Ta Lill


; 


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( 220 )


LETTRE CXXXIII.

Julie à Lise.

V

£ncore une fois, voici mon Lonheur écroulé ; et maintenant je suis sans amans et sans amis. Tu connais mon cœur, je ne pus être heureuse si long-tems, sans faire partager motr bonheur à Âlmaïde ; et c*est elle qui vient de culbuter tout cet édifice. Oui f ma chère Lise, tu es à jamais la seule femme à qui je me fierai désormais. Per- fide Âlmaïde ! je ne me possède pas ! Je lui écrivis de venir chez moi, que j’avais un. logement charmant, et que je pouvais lui procurer les plaisirs ; car d’Eglantine m’a donné une loge aux Italiens et une à l’O- péra ; il me fait tous les jours des cadeaux nouveaux. De C… paye mon loyer et les petits accessoirs de la dépense journalière. Viens, lui dis*je, partager la fortune de Julie, qui est maintenant Olimpe avec de C… et Estelle avec d’Eglantine. Je lui pei- gnis ce dernier avec le délire de mon ima-


cJ,




I \ 321 )

ginatîon. Tu vois encore, ma bonne amie, que je ne suis point infidelle ; que Içs plai- sirs que je goûte avec un amant différen- cient autant que le nom que me donne chacun d’eux.

Almaide arrive, elle voit de C… le premier ; elle le trouve magnifique : puis elle voit d’Egl…, elle le trouve délicieux. L’éloge que je lui en avais fait, peut-être aussi la curiosité ; enfin, que sais-je ! elle voulut en essayer j et pour cela, elle me perdit totalement dans l’esprit des deux. Un soir que de C… soupait chez moi, d’Egl…. vint nous joindre dans notre loge ; elle lui fait des agaceries, feignit de sortir, parce qu’il faisait, disait-elle > chaud. Je suis jalouse naturellem/ent ; mais c’est un défaut que je cache le plus qu’il m’est possible ; je ne voulus point les suivre dans le corridor ; elle ne fut point long tems, elle rentra toute effa- rouchée et prit avec moi déjà un ton qu’elle n’avait jamais ; j’ignore ce qu’elle dit à l’amant de mon cœur ; mais elle le prévint que C… soupait chez moi, et




( 222 )

al onze heures on. sonne à ma porte,’ chose,qui n’arrivait jamais» Corine, dis- je à ma femme de chambre, on n’est pas visible, et je rougis jusqu’au blanc des yeux. C… dit : — Vous êtes coupa- ble, mon choux ? il fut lui- même ou- vrir ; c’est d’Eglantine. — Q“’y a-t-il pour votre service, monsieur l — Je demande madame de M..’.. (c’est le nom que j’ai pris, il était inutile que je gardasse celui de mon mari, celui-ci est un second nom qu’il avait jadis ). — C’est ici, oui monsieur. D’Eglantine pénètre toujours. Voyant mon couvert mis : — Je viens souper avec vous, perfide, m’apostrophant. DeC… le regar- dait avec fierté. D’Eglantine s’assied, hu- milié de la supériorité de son rival, qui avait l’air d’être chez lui. La cruelle Al- maïde avait l’air de triompher ; mais ce- pendant d’Eglantine ne lui avait pas en- core directement adressé ses vœux ; ce qui, aü moins, m’aurait sauvée ; ainsi, son but manquait ; car c’était plutôt pour se pro- curer le cœur de d’Eglantine que pour nie faire de la peine qu’elle l’avait instruit qu’il n’était pas le seul aimé.


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( 325 )

Enfin, d’Eglantine rompit le premier le silence par beaucoup de sarcasmes of- fenans qu’il adressa à de C… La que- relle s’engage, une sueur froide me saisit, je ne vis. plus rien, et lorsque je revins à moi, Corine était seule près de mon lit ; elle m’apprit qu’après un long débat, de C… plus prudent était sorti le premier, avait dit à d’Egl… que c’était au bois de Boulogne que l’on vuidait de telles que- relles ; que d’Egl… avait passé la nuit chez Almaïde ; et lorsque celle-ci entra, on dé- mêlait, malgré la pâleur de ses traits fa- tigués par une nuit agitée, un certain air de triomphe malin.’ Je dissimule, pour savoir ce que lui avait dit’ mon perfide ; car celui-là était bien sûr de toute ma tendresse. J’aurais beaucoup moins souf- fert si c’eût été de C… qui m’eût abandon- née ; mais toute la mâtinée se passa "encore sans qu’on le vît paraître ; et je n’eus point de doute qu’il m’avait aussi laissée.

J . 1 ■ I ’

T

Almà’de attendait son nouvel amant qui devait la venir prendre pour l’installer dans un ’appartement qu’il lui donnait, et


( 224 )

oi» ils devaient dîner ensemble. J’étais bien aise de ne pas me trouver chez moi au mo- ment où d’Eglantine y arriverait pour Al- maïde.

Ma portière monte toute essoufflée. — Madame, il y a en bas un grand monsieur qui demande si vous portez le nom de votre mari ? Que si ce n’est pas lui ; c’est alors à vous à. qui il a affaire. J’envoyai l’intelligente Corine ; elle me rapporta que ce beau monsieur était le chevalier de ’W’.., Par Dieu, dis-je, il est donc toujours là lorsque j’ai des dépits amoureux ? Il l’avait suivie, et déjà il était dans l’anti-chambre. Il court à moi. On a toujours du plaisir à revoir un ami ; et sans amour, il nous était resté un sentiment d’intérét qui a aussi son. charme.. Nous avions été séparés à la déroute du camp.de Menin, et il ne sa- vait pas ce que j’étais devenue. Depuis, il avait passé par S…. ; on lui avait dit que je demeurais passage des P. P…., et il avait été de porte eu porte sur mon signalement .pour me découvrir. Il me demanda le sujet cIp mou accablement ; que l’on- voyait que

j’avais


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j( 2 t25 )

f avais pleuré, je lui contai à peu-près^ la perfidie d’Almaïde. — Rien ne m’é- tonne de la part des femmes, ma bonne amie, mais venez dîner avec moi auK Champs-£iisées, puis, nous reviendrons au spectacle, cela vous distrayra, mais, mon amie, défaites-vous de ce petit monstre féminin. Elle parut. Je lui dis que le destin, m’indemnisait de la perte de mes deux amans., puisque monsieur venait de m’être rendu ; que j’allais dîner avec lui, et que je ne reviendrais que le lendemain ; je lui ‘souhaitai bien du plaisir avec sa nouvelle conquête.

■ >

… Je fis un petit bout de toilette. De W… est maintenant colon^ d’un régiment de ■ cavalerie dont l’uniforme est fort beau ; il est de la plus riche taille, laid de figure ; mais un militaire qui a de la. taille, est toujours bien ; et il avait si bon air en ni’offrant la main pour sortir de chez moi, qu’Almaïde en pâlit. Adieu, lui dis-je, je ne vous en veux pas, exagérant mes senti- inens pour le colonel. Je l’embrasse, nous’ .sortons, et Alraâ’de nous suivit des yeur.

Tome III.




( 326 )

Je reviens le lendemain soir :, Coriné m’apprit qu’Alraaïde ayant attendu’en vain d’E^lanline, et lui ayant écrit lettres sur lettres, sans en avoir de réponse, elle était partie désespérée. Ma maison était-montéo insensiblement sur un ton de dépense ; j’avais fort peu d’argent ; je ne possédais que des assignats. En sortant du spectaclej le colonel avait eu son porte-ffeuille enlevé dans une bagarre oii nous nous sommes trouvés. Lorsque je réfléchissais sur la perle de cœur, de plaisirs et de fortune que je venais de faire, il me prenait des momens de fureur contre Alma’ide : heureusement elle était loin. Elle m’écrivit : je lui fis ré- pondre par, Corine ’que .désormais ellefno s’en donnât plus la peine. Son procédé était de ceux qui ne s’oublient jamais, puisque je n’avais jamais revu d’Eglantine, ni même de C…. qu’elle m’avait fait perdre*

‘ •’ I- •• • L r

Les dépenses journalières, au bout du mois, sont conséquentes ; déjà j’étais obli- gée d’avoir recours à mes efiets. Quoique je brodasse assez. bien au tambour, mon tra- vail n’était pas suffisant. J’aimais Corine ;


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(257 )

je ne pus voir sans douleur l’instant de in’en séparer : elle aussi m’était très-atta- chée. — Consolez-vous, ma bonne maî- tresse ; vous êtes jeune et Trop aimable pour rester long-tems dans l’indigence ; mais attachez-vows à un vieillard, cela vaut < beaucoup mieux. — Ma Corine, il faut le trouver. — Mais, mon Dieu, madame, lorsque nous nous promenons aux tuileries et aux Champs-Elisées, il y en a un qui vous contemple toujours ; mais vous, vous ne pouvez le remarquer ; et peut-être prend-t-il votre inattention pour de la fierté ; mais sûrement quelque jour, il s’enhardira à nous parler*" .

, Tous les jours’, j’envoye chez Séchelles.

Je voudrais ne pas être obligée de faire une nouvelle connaissance avant son retour ; mais on en ignore encore le moment, et mes finances sont dans un délabrement : j’ai déjà des dettes. J’ai écrit plusieurs let- tres à Q, mais je n’ai aucune réponse:

je présume qu’il né les reçoit pas. La féinme qui vit avec M. de la N… est de retour ; ainsi je ne vais plus du tout chez lui ; puis.


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(^.28)

je crains d’y rencontrer d’Eglanline. C’est nne si mauvaise tête ! il est si vindicatif ! Je n’ai jamais entendu parier de de C….

Âdien, ma chère amie ; écris-moi donc quelques lignes ; que l’amitié me console de l’amour. Non, ii n’y a plus au monde que Séchelles qui peut m’en inspirer. Mon- ’ amie, je me sens misantrope ; je hais le genre humain ; je ne voudrais plus vivre que dans un bois : une cabanne près d’une forêt, suffirait à mon ambition. Que je voudrais bien aller partager la prison de Q *«. Lise, ma chère Lise ! que je dé-

teste Paris ! Que je voudrais en être loin ! Je ne puis aller à S…., puisque madame B<«» occupe mon appartement ; d’ailleurs, dans cette ville, je ne vivrais jamais bien avec mon mari. Adieu ; le souvenir de mon frère vient encore ajouter à mon désespoir.’

! TaLiLi. • 


• » ’ I


LETTRE C X X X I.

A Julie. ’

’ M A bonne, je reçois à l’irvstant ta lettre. Dans des tenis plus fortunés, je Taurais reçue ou un peu plutôt, on un peu plus tard ; car ce n’est aujourd’hui ni dimanche ni (jeudi ; elle n’en a pas moins de prix pour mon cœur, ne vivant ici que do rès- souvenirs. Quoi de plus précieux que do voir retracés de ta main ceux qui me sont les plus chers ! combien- de fois ils ont oc> cupé ma pensée ! Le mois de Mai poura-t*il reparaître sans m’offrir avec le printems les bosquets de- H. Fi., on ceux de l’hermitagef Que je me plaisais à les comparer ! Je ne sais auxquels tu donnes la préférence ; pour moi, je trouve que le senl pommier . du verger a été témoin de plus de plaisirs que tous les arbres qui dominent le tapis du clair de lune, ou qui environnent la grote de mousse. Conviens-en, la maison que tu habites n’a rien que l’on puisse comparer






  • àces lieux. Une ottomane, une glace, quel

asyïeîroid et inanimé, lorsque l’on quitte ’txn gazon verd, un ruisseau qui murmure. Mais ton ami est maintenant séparé de la nature entière, et le printeras s’écoulera entièrement avant que ses yeux aient par- couru les canipagries et les hameaux em- bellis j>ar son retour ; ses pieds ne foule- ront point l’herbe, et les fleurs tomberont avant que sa main puisse les cueillir. Non, ma Julie, je n’emporterai jamais d’ici les souvenirs délicieux que t’a procuré ta captivité.

Mais aussi tu es folle, ma bonne, de vouloir que l’on traite un homme comme une femjue. On fait la cour même à une captive, et on oublie- un icaptif, comme une chose inutile aux plaisirs, aux fan- taisies, aux caprices de celui qui l’oppri- me ; mais tu me connais trop bien, mon amie, pour penser que je ne sache pas sup- porter ma situation et en tirer tout le, parti possible. Mes journées ici, comna© par-tout ailleurs, s’écoulent au milieu des travaux et des plaisits ; je me livre à des


( 2^1 )

études que le tourbillon des affaires avait interrompues, et que tu m’as vu regretter quelquefois. Mes plaisirs sont de passer des heures entières de rêveries, et de m®

’ livrer aux affections vives et consolantes de la piété filiale, de l’amitié, de l’amour de la patrie ; ces passions, comme toutes les autres, s’accroissent loin des objets qu’ils nous font idolâtrer. Je n’ai point nommé l’amour, c’est assez te dire qu’il n’est pas entré dans mon cœur depüàs.qii’il s’est-changé en une amitié éternelle pour Julie. Depuis que le nom de Julie a entiè- rement remplacé celui de -Lili, c’est donc au nom de l’amitié que je vàia te gronder ; et pardonnes - moi si je suis plus sérieux qu’en amour. ’ ■ ;’ !■

I,

Tu as eu le plus grand’tort d’emporter mon grand portrait de chez moi: tu savais que je le destinais pour ma mère. Comment as-tu pu,,de sang-froid, lui enlever en ce moment l’image de son bien-aimé ? Ta sen- sibilité nous a cruellement trompé tons les deux. Dans mes dernières lettres, je par- lais à mon excellente mère de ce portrait ;




JC&4


( 232 )

«t j’étais peiné du silence qu’elle gardait à cet égard dans ses réponses. Hâtes - toi donc, ma bonne, si tu m’aimes encore, de réparer tant de maux, dont tu es la cause sans le vouloir, mais par légèreté, par folie ; et d’ailleurs, je ne te quitterai pas entièrement, puisque tu as ma miniature ; ce n’est pas mon grand portrait que j’irai reprendre chez toi, c’est le tien, ma Lili î mais oblige-moi de l’envoyer à ma mère ; elle doit, arriver d’un instant à l’autre, ensuite Barthélémy ira trouver N. Cabale* mon ami, qui est chargé de faire mettre le yernis qui manque au portrait, et qui s’est chargé aussi de l’envoyer à S.

• < ■ : . ■ . ■ 1 . ■

Dans le cas que ma mère tarderait à faire fon second voyage dit à Barthélémy sur le champ, de faire toutes ces disposi- tions : dans le cas ou N. Cabé serait ab- sent, il ira chez J. de Brie prendre l’a- dresse du peintre, il le conduira chez moi pour qu’il achève entièrement le por- trait, et que ma mère n’en soit plus privée à son retour. Je compte sur ton amitié, et sur tou désir de réparer le mal, et de

mettre


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C 23Î ),

mettre fin à la peine que cet enlèvement cause à ma mère et à moi ; j’espère qu’elle ignorera tous ces détails : nous mettrons le tout sur le dos du peintre. Ecris • moi sur le champ, ma bonne Julie, ne mets pas tant de réserve à me parler de ta nou- velle amie : comment ne pourrait-elle pas m’intéresser, puisque vous, vivez, ensem- ble ? Bientôt, peut-être, je m’approcherai de votre habitation ; j’ai besoin de respirer un air pur .et libre. Adieu ma bonne Julie, je te donne le baiser de l’amitié ; adieu pour la vie. Ton ami., .

N.


Tome III, ’ - 30




I r ■ ’


P L E T T il E C X X ’X I I.

^, r I

De Lili àsonAmu., ^

, • P f . . •

E N ï^i N, voici .une lettre de toi, ami,’ ami bien sensible ; que j’ai de plaisir d’a- voir la certitlide’ que tu respires encore ; que tu ne m’as pias oubliée et que bien- tôt tu te rapproches de’moi. Ce bientôt sera toujours bien long pour moh impa- tience ; mais je trouve ta lettre bien froide ! tu n’étais occupé, en m’écrivant, que d0 m’engager à rendre ton portrait à ta mère : eh bien, dans ce moment elle le possède. Barthélémy a fait mettre le vernis, et l’a emballé aujourd’hui, c’est-à-dire, fait par- tir pour S Oui, j’ai, et je conserverai

toujours ta miniature.j^ celL^ P®*

pour ta mère.

Je t’ai souvent écrit, mon ami, mais mes lettres ne te parviennent pas, et c’est

miraculeusement que cet ïe derniere de toi,

est venue jusqu’à moi. Heureusement com- me elle passe au quartier- général de l’ar- mée,, avant que de pénétrer en .^r^ce,


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( 2Î5 )

heureusement, dis-je, que M. de W… colonel d’un régiment de cavalerie, se trouve à l’ouverture des paquets étrangers venant des prisonniers, et qu’ayant re- connu sur l’adresse mon nom (il était au fait de notre liaison) il retira tout de suite la lettre, m’écrivit, et mit la sienne avec la tienne sous enveloppe ; et par ce moyen, elle me parvint ; car au quartier général ils sont si indilFérens sur ces missives, que sur dix, quand une parvient à sa destination, c’est fort heureux, ainsi je ne t’accuserai pas ; ni toi non plus, ne me soupçonnes pas d’indifférence ni de négligence, mais seulement la manque de communication.

Tu me demandes des détails sur ma nou- velle amie ; ma liaison avec elle ne sera ja- mais très-intime, je crains trop la perfidie des femmes, pepuis qu’Almaïde m’a fait le Irait le plus noir, je ne puis avoir de con- fiance en mon sexe. Je ne vois point du tout cette Almaïde. Madame H…, ma nou- velle connaissance, demeure dans la même maison t que moi ; je paye ma pension chez elle, et par ce moyen, j’ai mon chez moi*


I


( 236 )

Tu ne ressens plus les doux sentiment de Taniour, ni moi non plus ; je suis pour moi, mon ange, d’une misantropie ef- froyable. Je m’estimerais bien heureuse, si je pouvais aller le rejoindre, et parta- ger ta captivité j mais ton amitié seule pourra-t-elle suffire à mon cœur ? Je ne suis donc plus ta Lili ? Simplement Julie, qui sait, lorsque tu reviendras, ce que je te serai, et quel titre tu me donneras ? Tiens, mon ami, je suis bien triste, je ne suis point contente de ta lettre ; je ne doute pas que tu ne revoyes la France, mais tu ne m’aimeras plus, et je cesserai même d’t tre ta J ulie.

Quelque chose qui ne me trompe ja- mais, me dit que notre liaison est rom- pue pour toujours. Adieu, je n’ai plus le courage de m’appésantir sur l’avenir : tout mon bonheur est passé ; le présent n’a rien de flatteur pour moi, je ne ressens plus que des regrets.

Une gentille petite femme- de- cham- bre, que je nomme Corine, est ma com-


Dk.



^ ê


( 2^7 )

pagne fi îelle : je brode pour subvenir à notre existence ; je suis dans une honnête médiocrité, et ce talent que j’ai acquis par l’amour, m’est aujourd’hui d’une grande ressource. Je n’use plus retourner à S…. Mon mari vit chez lui avec Ma- dame B… ; elle occupe mon appartement^ ainsi je ne puis y retourner.

’ » * . 1 Adieu, mon ami ; puissai-je toujours te donner ce titre. Reçois de Julie le baiser de l’auiitié. A jamais ta plus dévouée amie:

Julie.



LETTRE CXXXIII.

’ • ».

  • T ’ ^

Juliè’ à Lise.

I ^ ^,

•^’a I enfin reçu une petite épître de Q *® ;

mais je la trouve froide, et j’avais envie de m’en offenser, si elle n’eût point été sui- vie immédiatement d’une si piquante d’un vieillard aimable, dont je joins ici la copie.

. <, ’ i - ’

Hier, je régalai ma Corine des ItaKerrs : ^ un vieillard n’a cessé d’environner ma loge . près de moi ; et en retournant chez nous, nous fûmes suivies d’un nègre qui a de- mandé à ma portière mon nom et l’étage où je demeurais ; elle a rendu tout cela à Corine qui, en me couchant, me dit : ma- dame, la journée de demain ne s’écoulera pas sans que nous sachions plus au long ce que veut le vieillard. A huit heures du matin, on lui remit une grosse lettre sous enveloppe pour moi ; mais elle venait de la poste. En montant les escaliers au galop : — Tenez, madame, tenez ; j’ouvre ; je ne


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< 259 )

rtcoimaîs point l’écriture de l’adresse, c’é- tKif dù colonel ’de V.’… Il avait trouvé une

  • ■ ’létfrè <âe à mon adresse qui.traînait

au’tsecrétariat du quartier général. Comme le colonel savait tout le plaisir que me fe-, rait cette lettre, il. s’empressa de ’ me > la ^ faire passer. Corine remarquait la joie que j’en avais, sans la partager ; ce n’est que de ce prisonnier ; qui nous tirera d’embarras ; • — Madame, venez que je vous coëlFe ; car j’ai dans l’idée que vous aurez la visite du vieillard ce matin. Ma toilette était à moi- tié faite lorsque l’on sonna modestement à ma porte. — Iæ voilà^ madame, dit Corine.

Un nègre que Corine reconnut pour avoir été celui qui noos avait suivi la veille, demanda à me parler ; elle me le présente. — C’est à madame de M…. que j’ai l’honneur de parler ? — Oui, monsieur. Il me remit uue boëte d’écaille fort jolie, et disparut avant que j’aie eu le tems de la décacheter ; car elle était doublement et triplement enveloppée ; je déroule tout. Une lettre, de l’or, dit Corine. O, ma

chère maîtresse ! Nous ne vendrons pas

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( 24 ° )

rotre jolie mantelet brodé ; vous le gar- derez pour vous. — Bon vieillard ; venez que je vous baise les mains ^ c’est bien tems que le ciel nous envoyé ce secours. J’ouvre la lettre que voici. Son originalité semble neuve, et je te l’envoye.

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LETTRE,CXXXIV.

A Madame de M* * * * *.

IN ’avez-voüS pas assez d’autres conquêtes à faire sans prétendre à la mienne ? Je m’en défends depuis long-tems ; mais pour l’acquit de ma conscience, il faut absolu- ment vous instruire.

Une jeune et jolie femme sans aventure serait sans existence ; vous en avez peut- être des plus agréables ; mais celle-ci a le caractère de la singularité ; et à ce titre, elle pourra vous plaire. Je vous vois depuis loTig-tems ; l’impression que vous m’avez faite est née de tout l’ensemble de votre personne. Si je ne vous connais qu’à l’exté- rieur, l’envelo])pe est charmante ; et j’ai une tentation bien grande de la voir à l’envers ; mais la distance est trop sensible entre vous et mol ; je suis trop vieux pour être votre époux, et vous trop jeune pou^ être nia femme.. On vous donne vingt-cinq Tome III. 3 1




( 24 ^ )

ans ; je n’en crois rien ; je m’en connais soixante, et je le sens bien. Je n’ai que 30,000 liv. de rente, et ce n’est pas assez pour vous ; le calcul est simple : deux yeux comme les vôtres valent tout ce que je possède ; il reste toute votre personne à détailler, et je n’ai rien à vous donner en échange. Vous faut-il un amant ? La co- quetterie ou le tempérammenl doivent en déterminer le choix. Je craindrais égale- ment l’un et l’autre. Voulez-vous un mari ? L’amitié seule peut vous y engager : si ce sentiment vous domine, il doit être chez vous dans toute sa force ; et je ne le satis- ferais peut-être pas dans toute son éten- due ; je craindrais le reproche d’avoir ob- tenu le sacrifice du plus grand bien, la li- berté ; je veux, cependant vous être de quelque chose, et vous inspirer un senti- ment quelconque ; c’est à moi à le faire naître, et à vous à vous y prêter ; c’est un problênie en gardant l’incognito. Je ne connais qu’en gros votre fortune ; mais eussiez-vous 20,000 liv. de rente, vous n’avez pas une tournure à l’économie, et je crois votre dépense calquée bien juste


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( 243 )

sur votre revenu ; d’après cela, une jôlief femme a des fantaisies, et rien rie plus joli que de les satisfaire ; je veux y contri- buer. Vous savez que j’ai ^o,ooo liv. de rente ; j’en dépense essentiellement 22 à‘ 24,000 : le reste est consacré à nies plaisirs ; vous en êtes l’objet ; vous seule les réunis- sez tous ; à ce titre, vous recevrez très- exactement, tous les premiers du mois, 500 liv:’,’ qui font 6000 francs par an.

Ne cherchez pas à me connaître : je ne serai pas assez mal adroit pour essuyer un refus, pas même un remerciement. Si mon bien n’était pas substitué, il vous serait à jamais assuré ; c’est un obstacle à mon hommage ; ma vie sera le terme de votre jouissance. Je vous vois tous les jours d’O- pera ; quand *ce n’est pas •assez pour moi, je fais le tour de votre maison ; je vous ren- contre aux Champs Elisées ou aux Tuile- ries, ou montant en voiture, quelquefois ajissi aux Italiens, et je m’en retourne sa- tisfait.


Si vous voulez me rendre le plus con-


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tent possible, faites de tems en tems une révérence en entrant dans votre loge, com- me si vous apperceviez quelqu’un de con- noissance ; i’aurai du moins la certitude que vous vous ocdUpez de moi cinq à six minutes par semaines, cela n’est pas exi- geant.

Jouissez, belle dame, de tout ce que vous méritez y c’est vous faire en deux mots le souBait le plus tendre.



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( 245 )


lettre cxxxv.

Julie à Lise.


£mpressÉE de t’envoyer celtei lettre originale, je n’ai pu continuer ma précé- dente ; mais j’on reprends le fil.

Corine ne se possédait pas de joie : cinq cens livres > madame ? que nous sommes riches ? Il faut vous donner ce joli petit chapeau queue de serein. Je vous disais bien, madame, de ne pas vous désoler avec un joli minois ; et puis, ce n’est pas tout, avec votre amabilité peut -on être long-tems malheureuse ? Vous avez le tems’ à présent, d’attendre ce beau monsieur de Séchelles, dont on parle toujours. Conv ment ! est-il encore plus beau qneM.deC… ? Je n’aimais pas votre d’Eglantine. Je lui fis achever ma toilette. Je sortis ensuite, et fus payer torutes mes dettes. Tu connais’ combien il tn’est doux de n’en point avoir ; je payai les gages à Corine ; je lui fis cadeau


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d’nn joli pierrot et un mantelet j je me donnai le chapeau queue de serein, et il ne me restait plus que trois louis.

Le soir, je fus aux Italiens : je menai Corine avec moi ; je fis une révérence, et elle me dit avoir vu ’^le vieillard sourire d’une manière aimable. Nous rentrâmes : j’espérais toujours qu’il nous suivrait ; ce- pendant, il n’en fut rien : huit jours se passèrent sans que je le visse ; Corine seule l’apperçut quelquefois furtivement passer près,de moi ; ma curiosité était véritable- ment piquée d’wné originalité qu.ssi sou- teriue. Enfin, un§oir, aux Champs- Elisées, seùlëavec Corine, j.’e pris «ne voiture pour retourner che ? mor > lorsqu’un linmmeule* l’âge’ et de la tournure dont ! Corine. m’a-’, vait ( dépeint ! mon amant contemplatif, se présenta pour "me donner la. main pour lUonter dans ma voiture, et me la serra d’une manière npii équivoque. Monsieur,, lui dis- je, le tems menace ’de pluie ; vou- lez-vous profiter’ de ma vuilmre, le plus éloigné conduirà-l’aulre ( déjà les voitures étaient rares à Paris) ? De grand ca-ur.


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( 247 )

madame, dit- il, et il se place. Il me remit cliez moi, soupa avec moi. Il est très-ai- mable, fort gai ; c’est un ancien maréchal de camp, suisse d’origine ; il est noble, généreux, délicat ; je ne fus jamais si heureuse de ma vie ; car mon bonheur est calme ; j’éprouve le repos des passions : en un mot, je me laisse aimer ; je n’ai besoin de faire aucun frais pour plaire, et ou em- ployé tous les moyens imaginables pour m’être agréable. Que je desire conserver cette position ! C’est celle que je trouve préférable. Adieu, Lise ; adieu.

Ta Lili.




LETTRE CXXXVI.

Julie à la même.

Ï-’A préflîction du vieux berg,er de mon père n’est que trop vraie. Tu te rappelles, mon amie, qu’il m’a toujours prédit que je ne pourrais être heureuse trois mois de suite ; eh bien ! Il n’y en avait qu’un que j’étais avec le comte de Zimerniane ; son êge,ses princijies, son caractère, sa for- tune, sa personne semblaient tout réunir pour rendre noire liaison durable, et déjà je ni’en flattais, lorsqu’une nuit il fut ar- rêté et provisoirement conduit à la mairie, où la quantité immense de victimes réu- nies et entassées en ce lieu, ne permet- taient pas de respirer, et il fut suffoqué.

Je ne puis me consoler de cette perte : tous les jours on trouve un amant ; mais un ami comme mon vieillard, comment le remplacer ? Non, je ne veux plus qu’un homme de soixante ans à mon char. Qu’il

était



( 249 )

était complaisant ! Quelle noble généro- sité ! Quoiqu’il ne venait chez moi que de- ’ puis un mois, il a remonté ma maison, qui déjà était en’ déèadénce ; il comblait de bienfaits Corine, qui l’aimait autant que moi. Mais écris- rr oî donc. Que fais-ta ? Que devieciStu 1- Adieu, laide paresseuse.^ Adieu. Le désespoir accable ;


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Tome Uî,





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( 25o )


.LETTRE C X X X I I I.

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’ Lise à Julie.’

PÀkljON, mille fois pardon, ma bonne amie. Hélas ! je le mérite à tous égards. De- puis trois mois, je suis malade d’une fièvre maligne, et enceinte ; ce qui m’a fait faire une fausse couche ; je q^ai pas eu la force de t’écrire, pour le faire faire par une autre main ; cela t’aurait trop allar- mée, j’ai pris le parti du silence.

Combien tes lettres m’ont fait de plaisir ! combien de fois j’ai tremblé pour tes jours ! Chère Lili, vais-je commencer à croire à la fatalité du destin pour toi ? Mais aussi pour n’être pas totalement injuste, il t’a donné une ame assez forte pour supporter avec courage ses coups. La mort prématurée de ion frère m’a cruellement affligée, tant de méchans vivent ! Et un être si bon est moissonné en son printems ! Lili, je mêle des larmes aux tiennes : il a voulu que nous


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( 25i .)

soyons toutes deux dans son tombeau. Mon amie, jamais tu ne pourras réparer cette perte ; car il t’idolâtrais.’

Chère Lili, je suis toujours heureuse : j’espère incessamment t’embrasser ; et alors ce sera moi qui te ramèneras dans les bras de ton époux, de ta charmante Clarisse. Adieu, Lili, je te baise comme je l’aime.

Ta Lise. ‘





LETTRE CXXXIV.


■ i ;, ■ ^ De Séchelles à AdHe. . ‘

J .M ■ r - - •

E ne pourrai, délicieuse Arfèle, aller souper ce soir avec toi, conuue je te l’avais promis mais deir.aiu à midi, mon let et moi seront à ta pm te, tiniis irons en- semble dîner à la porte Maillot.

Crois-tu, Adèle, que je ne me suis point occupé de toi, parce que tu ne m’en as rien dit ? O ! clière Adèle, que ta précieuse délicatesse me touche sensiblement ! Oui,

j’ai savouré le nectar du sentiment

Que Lise avait bien le coup-d’œil juste ! Oui’, tu es la femme que la nature a créée exprès pour moi !…. J’allais, hier, te faire _.inie visite d’un quart-d’heure, et je restai le tour du cadran. Si j’étais plus .sûr de moi aujourd’hui, je m’échapperais bien quel- ques minutes pour voler dans tes bras ; niais ne le voir que quelques iustans, vaut mieux encore que point du tout. Lorsque


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( 255 )

j’entrari’ttrne’_m*tittèndais pas*, et Coririe qui ne m’avait jamais vu, me reconnut ; je lui- fis’’uh signé de silencè ; je jjénètre tout doucement jusqu’à toi : tu étais triste- ment .ocpupee à broder, /f ui t’élances dans mes. iras : tu -me couvres: de baisers : riotus sp/niqes muets ;^naisque ce silpnçe,, divipe amante, é| ail ;, éloquent, !. Je, porte sur le trône du^ bç^nl^eur Lqip^d^jine résister, tu provoques et partages jne^ j^rapspoi^tsLH. X)éjn.ain,.en reyenan.t de,.dinpir» ie^t’ins- tallerai chez toi, et j’inaugurerai ton nou- vel appartement. Adieu, Adèle : un baiser bien^savpui[eux.sur cet,^mir^j>le pqrtique si bien ombragé Tq,ut,à toijjtp.n,aipaut,,

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C’est bien’ lestement, kini’ tendre,’ que l’ti reniets ■ mon ’ bonirenr k démain. Tu ai- mes mieux rie ixiè"pâs vôirV <jue de it’êti^ô que qliélqués minutes avec’ moi ; niais, ég’oïsie^ fü’iie’c’àiciiles que pour toi ^ sais- tu si’ je jienfse’^de’^mérrié ? Si je Ta vais vû uiië seconde seulenient, cela eût embelli Toute la nuit. •- ‘ ’ ’ ■ ‘‘


■ siony jc’n’e t’attendais ’pas ’liièr • et ma sur|insc^a ’égalé’ ma’ jOiê, *0» h’fexjpire pas de plaisir j pnitque j’ai survécu au moment où ta bouche pressait la mienne…. Que je m’estime lieureuse que la nature nous ait si bien fait l’un pour l’autre ! Mais aussi, tu le plains à tort ; moi, jete trouve un héro» en amour« 0«ri ^’’Venus a présidé à ta nais, r sance, et elle l’a créé pour être le Chéru- bin de son autel. O baiser ! baiser à

jamais ineffaçable de mon cœur ! tu mé- rites d’être chanté par le tendre Dorât ;


il en âivait sans doute éprouvé de pa«, reils lorsque, sa muse le célébra avec tant- d’éloquence ; pour moi, je n’en pouyaû plus soutenir la délicieuse extase, et mes sens avaient perdu leur activité, La palpi- tation de mon cœur m’annonçait seule que j’existais encore. Et comme tu dis fort bien. O ! qu’il serait doux, dans un tel mo- ment, de payer le tribut à la nature !

Le souvenir m’accable ; je me livre à lui. Bon soir, adorable et adoré Chérubin de l’île de Cythère. Corine, demain de bonne heure, te portera cette lettre ; fais-moi deux mots de réponse. Adieu : crois qu’u- niquement et pour toujours je suis tpute à toi,

Adèle.

Je serai prête à midi ; qu’il me tarde «l’entendre un cabriolet s’arrêter à m’a porte ; car je crains tant le chapitre des évènemens, que je ne crois qu’à ce que je palpe. Mais, adieu ; bon jour : voicj Corine.,


( 256 )

Je me lèverai tard ; car il m’est bien dotix de demeurer dans tirt lit ’ que tu as partagé la nuit dernière avec’ celle qui est pour la vîé ta fidelle amante, ’ ^

■ V’- I ‘ ‘ÂdÏle.



LETTRE


Di.


( 25 ; )


LETTRE CXXXVI.

Séchelles à Adèle.

J’ÉTAIS encore au lit lorsque l’on m’an- nonça mademoiselle Corine. J’ai lu avec un plaisir bien senti ton petit billet : je serai chez toi à midi sans faute. Tu m’as tant parlé du bonheur que proeurait un gazon verd, l’ombre d’un arbre, cela m’a mis mille projets en tête. Sûrement les en- virons de Paris pourront nous procurer un hermitage et un pommier aussi for- tuné que celui de Laniscourt ; et c’est là qu’Adèle et Chérubin ( ce nom me plaît, je veux toujours le prendre avec toi ) fixe- ront la plénitude du bonheur. ’■

Adèle, que celte naïve peinture que tu fais du moment…. est séduisante ! Pour cette fois, je n’allai pas chercher un flacon d’alkali volatil pour te rappeller à la vie : plus sûr de réussir…. Nous n’étions plus là dans le salon de M. de B…, ni dans mon Tome III. 33




( 358 )

boudoir, lorsque était dans ma

/ chambre à coucher, ni encore entre les deux balîans de la porte de l’assemblée ; niais cette fois, seule pour nous, et tout à nous…. combien tes beaux yeux pei- gnaient leur reconnaissance à ton heureux amant, lorsqu’ils se r’ouvrirent à la lu- mière !…. Tu es bien bonue, Adèle, de me nommer un héros en amour ; avec une femme comme toi, chez qui l’imagination et la volupté font tout, j’ai beau jeu ; f mais non, ma belle, malgré mes grands talens, que tu vantes tant, pour Je plaisir, le nom de Chérubin que tu me donnes n’a jamais appartenu qu’au plus faible en- fant qui ait servi l’autel de Vénus Adieu ^ teudre amante ; je serai chez toi à raidi.

Ton Chérubin.


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( 359 )

LETTRE CXXXVII.

Julie à Lise.

La nature n’est plus en deuil, mon amie, le renouvellement du printems qui lui- a rendu toute sa parure, a aussi rendu à mon cœur le bonheur suprême : non, je ne me plaindrai plus du sort ; s’il m’a ac- cablée de ses coups, c’était pour mieux me ravir de ses faveurs.

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Jeudi, à la brune, j’étais occupée à broder tristement une robe pour vendre ; car dans les inomeiis de nécessité, c’est toujours à ce faible talent que j’ai recours ; j’étais plongée dans un océan de pensées, lorsque’ l’ort sonna modestement à ma porte. Ne vas pas croire que c’est un re- venant ; ce n’est pas non plus un Q, un

général y xiu colonel, un lieutenant, un Raphaël, pas même un Anglais ; mais, o délicieuse surprise 1 c’est le dieu de l’a-" mour ce sont toutes les grâces d’Apollon :




( zdo )

en un mot, c’est Séchelles ! Il venait mo faire une petite visite. Cependant, il soiipa avec moi et y passa la nuit ; je ne t’en ferai pas la peinture, elle serait tou- jours trop au-dessous de la réalité. Tu con- nais ses goûts et les miens ; c’est à ton imagination que je te livré…. Mais ce que tu ne pourras jamais t’imaginer, est la noblesse et la générosité avec lesquelles il en a usé avec moi.

Le surlendemain du jour que nous fûmes heureux ensemble, il vint me prendre dans son vvisky ; nous fûmes dîner à la porte Maillot ; et après nous être promenés au bois de Boulogne, nous revînmes à Paris. Plutôt que de me conduire chez moi, pas- sage des Petits-Pères, il me descendit au boulevard des Italiens, me donna la main pour monter au premier de cette belle maison qui fait le coin de la rue Favart» Kous sonnons, c’est Corine qui vient nous ouvrir. Après avoir passé une anti-cham- bre, salle à manger, une porte à deux battans s’ouvre, et nous entrons dans un magnifique salon y où vis-à-vis une olto-


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( )

mane bleu de roi, était déjà attachée mon portrait, que Corine avait eu les ordres d’apporter. Deux grandes croisées donnant sur le boulevard, garnies de rideaux de tailetas bleu ] un papier arabesque fond rose tendre, rendait cet appartement un véritable temple’ de l’amour : il était en forme de rotonde, les plus belles peintures au plat-fond ; d’un coté, c’était le char de l’amour ; de l’autre, le soleil qui rentrait dans sa couche.

Que tout ceci est beau, m’écriai- je ! mais que venons - nous voir ici ? Où sont les maîtres d’un aussi joli séjour ? La voici, me montrant mon portrait. Se peut - il ? Ai-je assez d’une àme pour éprouver tant de félicité à la fois ? Je gardai le silence. Du ravissement dont mon amant jouissait » il me prit la main, et nous passâmes dans une petite charmante chambre à coucher tendue en jaune : un lit en fer, des rideaux bleus, une glace dans le fond du haut en bas, et une pareille vis-à-vis, sur la che- minée, répétait l’élégance de ce galant baldaquin bleu et garni de frange et glands


/




( 262 )

anrore, mon bonnet de nuit et celai do Séehelles reposaient sur ce lit ToîaptueQX.^ — Vous êtes servie, madame, vint annon- cer Corine. Toujours portée de surprise e» surprise, je regardai mon ami : iï me prit dans ses bras et nie porta à table. On servit im joli soiiper :de-là nous passânies’au lit… Voici la véritable félicité, c’est un amant ^ui s’occupe ainsi dé notre bonheur»

Le lendemain, lorsque nous eûmes dé- jjeûné,et que j’eus fait un bout de toilette, nous descendîmes au rez-de-chaussée iSé- cTtelles dit à une dame qui était maîtresse d’un bureau de loterie. — Madame, voici îa dame dont je vous ai parlé, nous finirons quand vous voudrez, les fonds sont tout prêts. Je m’apperçus bientôt qu’il était question de traiter de ce bureau en ma faveur ; je regardai mon anw, qui me fit un signe de silence. Nous passâmes dans ^appartement de cette dame à l’entresol* Après^quelques compliriiens d’usage, l’ar- rangenient fut que j’entrerais dès le le»i demain en- possession du bureau, moyen- nant six mille livres pour les frais, usten-


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«îles, etc. Ole., et autres objets d’indis- pensable nécessité à reprendre dans ce bureau ; que je garderais son commis qui était au fait de cette besogne. Ou lui compta les six mille livres : on lui rem- boursa les trente mille de cautionnement ; son nom resta écrit à l’administration Jus- qu’à ce que le mien passât à son tour.

Me voici donc buraliste, et Hérault donne à souper trois fois la semaine, cher, moi, m’amène dos amateurs ; ce qui fait que ce mois -ci j’ai fait cent pistoles de recette ; ainsi, par ce moyen, du côté de la fortune me voici à l’abri, et je me re- garde comme la plus heureuse et la plus fortunée des mortelles.

• Adieu, chère amie : maintenant je ne ipe signe plus que ton Adèle. Je te baise- de toute mon ame, et pour la vie,

, Ton ADELE.




C 2^4 )


■III mil iitmm^mÊÊmmÊmmmmÊmÊÊmmmÊÊÊÊÊÊÊÊÊmÊmÊm

I

t LETTRECXXXVIII,

Adèle à Séchelles.

’ J E suis chargée, très-cher Chérubin, de

te faire une invitation à dîner aujourd’hui

j chez M. M…., adiniiiistrateur des loteries.

’ Je ne te l’ai pas fait savoir hier, parce que

j’ai toujours espéré que la journée ne s’é- coulerait pas sans que je te visse ; dis-moi si tu iras ? Si lu viendras me prendre !

Adieu, Mimi -, je n’ose plus te nommer Chérubin ; car tu en reviens toujours qu’il était le plus faible enfant de l’autel de Vénus ; mais aussi j’ajouterai qu’il était le plus chéri ; et c’est à ce titre que je te donnes ce nom. A quoi bon ; tendre ami, me loger si près de toi, pour être deux « grands Jours sans me voir : déjà ma tête fermente ; est-ce que tu ne m’aimerais plus ? Donnes une réponse quelconque à Corine. Dois-je t’attendre pour aller chez M. M.„.

Reçois un baiser de

« 

Ton ADELE.


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1


( 265 )

V

» . . ■ *

LETTRE CXXXIX.

• Séchelles à Adèle.

» ^

J E ne t’ai pas vu depuis deux jours, maî- tresse favorite de mon cœur ; mais je n’en ai pas moins penbé à loi ; et demain soir, je te conduirai en un lieu où tu verras que je me suis occupé d’Adèle. Attends- moi chez toi, j’irai te prendre dans mon ca- briolet à quatre heures et demie, pour te mener dîner chez M. M…. Cet homme a de l’influence à l’administration ; je ne doute pas qu’il ne fasse avancer ton tour en pos- session.

Mets ton joli petit chapeau jaune ; il te sied si bien ! tajuppe bleue, ta redingote blanche ; de cette manière, tu es à croquer.

Adèle, on me tiraille de quatre cotés à la fois : on me tourmente de toutes parts ; je n’en pense pas moins à loi et au ministre d’Est Il m’a promis sa voix pour toi ;

Tome III. 34




( ü66 y

ainsi }oint à M. M…., je ne doute pas que bientôt tu ne gère sous ton propre nom.

Reçois mes adorations ; mais attends- moi, j’irai sans faute te prendre pour dîner * quoique tard.

Ton Chérubin est tout à toi.



( )


LETTRE C X L. : r.

« 

Adèle à Séchelles. . ■ .


■iM ON ami f tu ne t’attendais pas de trou- ver chez M. M,.., cinq de tes maîtresses réunies ; et l’égal partage que tu fis de tes faveurs en société, prouve combien tu es consommé sur le chapitre de la galante- rie. Pas une de nous n’avait à se plaindre ni à se louer ; j’étais la dernière en faveur : tu m’avais amenée, il était juste que tu me reconduisisse ; et cette grande sultane altière n’aura pas même le droit de t’en faire des reproches > mais cette fière beauté, madame A…., n’a rien qui me plaise ; si elle n’a pas des charmes cachés, je ne sais pas où tu peux lui en trouver que tout le inonde puisse voir. Quand à la petite madame L…,, elle est très-jolie. La brune N…. est piquante. La blonde de C… est tendre. Mais tu nous avais donc donné à toutes le mot pour que nous portions tes couleurs ? Car celle qui ne pouvait avoir




C 269 )



. ■ I






( 37 » )

jardin du marquis et le mien. Ce petit pavillon réunit tous les charmés de la so- litude, quoiqu’à deux pas de la capitale - ’ oiî croirait, lorsque l’on est enfermé sous les berceaux, être au bout du monde. Après un verger où sont des arbres à fruits de toute espèce et un joli petit partère, un perron et une porte à deux battans offrent une salle à manger ; à droite, un sallon ; à gauche, une chambre à coucher, une petite cuisine, des lieux à l’anglaise, un cabinet de toilette où couche Corine, un petit boudoir séparé totalement, puisqu’il faut sortir de l’appartement et entrer par une route mystérieuse…. O ! c’est là où Chérubin (c’est le nom que je lui ai donné ) a évertué son goût voluptueux, et même tant soit peu libertin. Ce boudoir forme une grotte ; la cheminée est une coquille^ la tenture est de mousse et de feuillages ; pour ottomane est un lit de jonc, cepen- dant entouré de glaces et de feuillages ; le parquet est un gazon semé de quelques pe- tites fleurs simples : un petit ruisseau, qui passe danscette grotte et s’élargit au milieu, forme un petit bassin où sont de petits




Jt

( 272 )

poissons rouges et des coquillages ; le. jour y est si artistement ménagé, qu’il embel- lirait même la laideur. La cheminée n’a d’autre ornement qu’une glace et des feuil- lages : nos chiffres sont entrelass,és au-dessus de la porte, qui a l’air de celle d’un petit temple. L’Amour, qui est adossé contre la première porte, présente cette inscrip- tion : Fuyez loin d’ici, profanes, si vous li’êtes purs et nuds comme moi. Puis, il tient à la main une guirlande de fleurs ou de feuillages, et sur son bras est écrit : Voilà la parure des prêtresses de mon autel. Il faisait chaud hier ; et après m’avoir montré toutes les beautés des jardins ( car nous ar- rivâmes qu’il faisait encore grand jour ) et nous être promenés dans tous les lieux d’alentour, nous rentrâmes souper : il avait fait apporter par son valet-de-* chambre des glaces et des vins de diverses espèces. Après le souper, le valet-de-chambre et Corine, qui sont très-bien ensemble, fu- rent arranger sur le gazon dans la grote, des glaces et des liqueurs, et allumèrent plusieurs lampes à la quinquet qui don- naient une clarté douce et propice à l’a- „

mour.


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xnour. Chérubin me prie d’ôter mes bas, parce qu’il faisait chaud, et il se désha- billa lui-mcme, passa seulement une grande lévite de bazin doublée de taffetas bleu : il me prend la main, me fait traverser le parterre ; j’apperçois un petit portique du- quel il m’avait toujours soigneusement écartée ; et il avait un grand soin de ne pas me perdre de vue depuis notre arrivée. Enfin, ouvrant la porte de ce portique, il me présente à l’amour, qui m’offre une guirlande de roses fraîches ; puis il me dit : Adèle ; vois son inscription. Je le regarde en souriant ; il me donne un baiser, dé- noue ma ceinture, ma robe, et à l’instant je n’ai plus de vêtement que la guirlande que l’amour m’a donné : mon amant a la même parure : il ouvre la porte sacrée ; nos pieds foulent le gazon. Il me conduit à un lit de jonc dont le ciel était un grand myrthe. Mon amant s’était ménagé toute la soirée pour ce lieu enchanteur…. Je ne puis te peindre tous les plaisirs que nous goûtâmes ; je ne trouverais pas’de pinceau assez habile ; ils sont plus faciles à imaginer qu’à peindre. Mais Séchelles est plus qu’un Tome III- 35


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homme ; si j’ai quelquefois dit que mon mari et Q….." étaient autant au-dessus du. vulgaire qu’étaient les" anges au-dessus de l’humanité, je dirai maintenant qu’Hérault de Séchelles est autant au - dessus de mon

mari ef de Q que la divinité est au-

dessus des anges.

Nous nous restaurâmes par des glaces et des liqueurs ; tu en connais l’effet. … De nouveau nous nous épuisâmes : nous passâmes la nuit dans ce charmant réduit. O, oui, mon amie ! celte nuit seule peut compter pour dix ans de bonheur. Il vou- lait n’y jamais survivre. De sinistres pré- sages, nmn Adèle, me menacent ; je veux me hâter de vivre ; et lorsqu’ils m’arra- cheront la vie, ils croiront tuer un homme de trente-deux ans : eli bien ! j’en aurai quatrevingt ; car je veux vivre en un jour pour dix années. Adèle, ma chère Adèle, encore

Que te dirai-je, mon amie ? au comble même du bonheur, cet homme a des in- quiétudes ; il se hâte véritablement de vi-


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vre ; mais voyant que j’étais affectée, il s’empressa bientôt de dissiper ce nuage ; le plaisir vint encore embellir notre des- tinée…. Près du ruisseau est un oranger qui domine l’ottomane, et qui nous ser- vait d^ dais.

Il est parti ce matin ; il avait un rap- port à faire au comité de Salut-Publia Je * ne sais pas comment il peut lui rester de facultés morales après une telle nuit….

Je suis restée seule ici avec Corine. Sé- ohelles revient dîner avec moi, et nous re- tournons tous coucher à Paris ; qu’il me paraît doux, mon amie, de passer ma vie dans cette délicieuse retraite. Mes affaires m’appellent à la ville, je suis obligée de gérer un emploi conséquent ; car si mon commis faisait des. sottises, se trompait ^ ou moi, je serais toujours re.sponsable en- vers l’administration J et les trente mille francs de cautionnement, dont l’adminis- tration donne cinq pour cent, furent prê- tés à Séchelles par l’abbé d’Espagnac, son ami. C’est à regret que je m’éloigne de ce




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lieu enchanteur : tout ceci a véritablement

l’air d’une féerie.

Adieu, chère amie ; donnes-moi.de tes nouvelles. Viens » viens bien vite dans les bras de tes bons amis.

Ton Adele.


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LETTRE CXLII.

Adèle à Séchelles.

Si -tôt ton départ, ami tendre, je re- tournai religieusement à cette aimable pe- tite grote ; j’y rêvai à toi, à nos plaisirs ; mais dans ce lieu, je ne puis que sentir…. l’expression me ma,nque, je n’ai point do termes., .

A midi. ; I

Je viens de dormir une heure sous le myrthe heureux ; des songes agréables ont flatté mon imagination ; la nature semble avoir réparé. un peu ses pertes ; car toute délicieuse que soit cette extase, si elle durait toujours, on n’en serait pas moins des êtres apatiques…. Q, non, mon ami I l’hermitage n’avait rien qui fût compara- ble au boccage de Chaillot ; et le myrthe et l’oranger furent témoins de millions de plus de plaisirs que le pommier. Non, Sé- chelles ! je n’ai jamais aimé, ou la manière dont je t’aime est toute neuve ; car je n’ai


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)amais rien éprouvé de pareil. Tes goût«  te’nt d’un rafinement exquis…. ; mais beau- coup trop…. Cher ami, tu •m’Snquietes î quelques mots qui te sont échappés…. Tu veux vivre vile ! parce que tu ne peux vi- vre long tems ! Hélas ? que devieudj-as ton Adèle après toi ? N’es -tu pas le nec plus ultrà du plaisir ? Que peut- on aimer après toi ? La^issolutioh de ton,êtfe, ou ton inconstance, doivent à jamais fixer le mal-,

tlV t. i ts-, i

heur d’Adèle, qui fut ton amante/ elle, ne peut plus avoir qu’une existence insi- pide. O f si je conserve long - tenjs mon bonheur, mon étoile sera donc bien chan-


’Adieu. Je t’en"V’ôye de mon jardin une

flemi-douzaine’ d’abricots, ^èt’le nombre

heureux dé prùnés de Reihè-CIaùde ; en-

corequelques fraises. Adieu. A jamais toute

a toi, .

.., • . . •> • Ton Adeie.

’ . S i wi’ ■

. J r ’ ■ ■ ’ - f* c ;. • ‘ ‘


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LETTRE CXLIII.

De Séchelles à Adèle.

Bien chère amie, pardon, mille pardons:, tu m’as attendu en vain depuis deux jours. J’ai été chez toi à la ville, et je t’ai para froid, préoccupé ; pardon, mou ange : si tu savais combien je suis tourmenté, har- celé, tout va de mal en pis. Mon Adèle, ma très aimée amante, pardonnes - moi toutes mes distractions, lorsque tu t’es présentée sur mon passage au sortir du corps législatif…. El le fripon ded’Espagnac n’at-il pas profité de cela pour te faire sa cour à mes dépens ? Bonne Adèle, lorsque tu ne seras pas contente de moi, entre dans la petite grote du pavillon ardoise : va sous le myrthe, ou au ruisseau sous l’oranger ; c’est-là où Adèle ne peut ou- blier Chérubin. Tous les jours, tu viens dîner à la ville ; mais tu retournes coucher le soir au pavillon de l’Amitié, maintenant de l’arnour. Ma bonne Adèle, ne viens plus

». I .1

f. .



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chez moi ; envoyé plus rarement ta femme de chambre ; car, chère amie…. que te di- rai-je ?…. Tout de suite ton esprit prend l’épouvante…. Vincent, dans son journal, a cité que je recevais toujours des femmes en chapeaux jaune et violet ; que sait-on ce qui pourrait arriver ? Je ne voudrais pas te compromettre, adorable Adèle !

Reste tranquille dans ton petit pavillon ; si-tôt que j’aurai un moment à moi, j’irai te voir ; compte sur mon amour constant’, s’il n’est pas fidèle ; mais toujours sur mon éternelle amitié.

, SÉCHELLES.


LETTRE



l


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LETTRE CXLIV.

  • » t

Adèle à Lise,

Vl ENS donc, Lise ; j’ai besoin d’épancher mon cœur y et cependant je n’ose faire une amie ; car sûrement Alinaïde était encore la meilleure- J ai beaucoup de plaisir ; mais je suis si obsédée d’inquiétude ! Séchelles 21 est pas sans de vives allarmes ; souvent, c est plutôt pour se tuer qu’il prend du plaisir à l’excès que pour être heureux ; il me donne tout ce qu’il peut, et me dit : prends toujours, Adèle, bientôt, peut- être, je n’aurai plus nul besoin ; et puis, tout-à> coup il oublie tous ces sinistres présages, il est gai, fou même ; puis, il est d’une jalousie à toute outrance.

Un de ses amis qu’il a amené chez moi à l’hermitage, qui est un fort aimable hom- me aussi, de la taille de Séchelles, le mènie son de voix, les mêmes grâces, s’est avisé de me faire la cour, quoique je ne lui aye Tome III. 3 6




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jamais répondu, Séchelles en est jaloux et prétend qu’il y a sympathie entre nous t puisqu’il a de grands yeux miopes, et qu’il n’y voit pas plus clair que moi. Hé- rault lui a soufflé une maîtresse, et il jure de s’en venger ; mais j’aime trop mon ami pour me prêter à la vengeance de d’Espa- gnac ; celui-ci est adroit, insinuant ; après avoir plusieurs fois mangé avec moi chez Séchelles à la ville, il fit si bien, que ce- lui ci l’introduisit chez moi ; puis l’amena dîner au pavillon : Hérault* dîna bien ^ et d’Espagnac ne cessa de le pousser tant et plus, tandis que lui se ménagea ; si mon amant n’était pas sans jalousie, au moins il était sans défiance. Après lui avoir fait voir toutes les beautés de ces divers ré- daits, ils partirent. H était déjà fort tard ; Séchelles conduisait son ami par ta route la plus mystérieuse qui conduit chez moi. En fermant la dernière porte du jardin, Corine éclairait : on lui fit une niche, la lumière tombe et s’éteint ; Hérault veut la ramasser d’Espagnac profite du mo- ment, retire la clef qui était dans la ser- rure, et la remet à Séchelles : ils vont de


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leur côté, et nôus du nôtre : prenez-garde de vous perdre, leur dis-je ; la nuit est noire. — ’ Eh bien ! dit Séchelles, je reviens si nous ne voyons pas clair.

Au bout d’une heure, personne ne pa- raissant, nous nous couchâmes : cependant }e dis à Corine de ne point mettre les ver- roux ; car quelquefois Séchelles arrivait à cinq heures du matin. J’étais déjà dans mon premier somme, lorsque je me sens pressée fortement et me nommer à voix basse, ma chère Adèle…. Comment ! te voilà revenu ? Je lui rendis ses carrosses avec usure. — Je me suis perdu, et j’ai bien eu de la peine à te retrouver. Quoi- que les préludes du bonheur me parussent abrégés, je crus que cette fois mon amant était pressé ; qu’il était tard et fatigué, qu’il voulait dormir ; je me livrais de bien bonne foi, lorsque certaine résistance à laquelle, avec lui, je n’étais pas accoutu- mée, me força d’en témoigner mon éton- nement : alors le traître partit d’un éclat de rire, sans cependant quitter, la place… Je criai ; je voulus appeller Corine. — Que




( ^84 )

faites- vous, Adèle ? vous allez vous perdre. Je suis jeune ; je ne suis pas sans agrémens : je nie porte bien ; et je veux vous faire convenir que votre Séchelles n’est pas uni- quement le dieu de l’amour : il n’en saura rien ; nous y sommes ; ainsi, nia belle, abandonnez-vous à votre ami, si ce n’est pas votre amant. Pendant ce discours, il ne perdait pas de terreiii ; je crus que je ne pouvais faire rien de mieux que de souf- frir ce que je ne pouvais empêcher.’ Nous convînmes de garder le secret : Séchelles lui avait fait, à peu près, la même perfidie, et il se trouvait vengé.

En ramassant la clef pour la rendre à Séchelles, il y en avait substitué une à peu près pareille ; et lorsqu’il 1-eût mis à sa porte, qu’il se fût assuré qu’il était rentré chez lui, plutôt que d’aller rue Bergère, où il demeure, il vint chez moi ; c’est un homme fort aimable. O, Lise ! tu lui trou- verais bien des charmes ! de la taille de Sé- chelles, des grands yeux voilés et superbes, l’air sentimental, quoiqu’il soit le plus grand roué de la terre ; il plaît sans qu’on y


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y pense, et joint aux charmes extérieurs beaucoup d’esprit ; j’aurais raffolé. de lui si à jamais Séchelles ji’avait fixé mon qœur. Je priai le corrupteur de se retirer de bonne heure et sans bruit. Pour obtenir du sii> lence, je l’achetai d’un baiser ; et je fus autant heureuse avec lui que l’on peut l’étre, lorsque l’on a le cœur occupé d’un autre objet.

Le lendemain, il reporta la clef à Sé- chelles, et lui dit qu’il lui avait donné par mégarde la clef de son jardin pour celle qui venait de tomber, l’ayant tout de suite remise étourdiment dans sa poche. Sé- chelles ne fut pas dupe de ce mauvais conte ; mais croyant qu’il avait eu trop peu de teins pour profiter de sa trahison, Sé- chelles se contenta seulement de nous re- commander de mettre toujours les ver- roux de notre porte d’entrée ; que lorsqu’il arriverait la tiuit sans être attendu, il frapperait, mais qu’il ne voulait plus nous surprendre. Depuis ce jour, il ne fut plus question de rien, et l’aventure est restée ignorée.




( 286 )

Adiea très- chère amie. Ecris-moi que tu

es en route pour Paris. Viens au plus vite

partager mes plaisirs, et mes peines, peut-

être ; car de sinistres présages semblent

« 

m’annoncer qu’ils ne seront pas de longue durée. Âdieu. Aime toujours ton amie,

ADàLE.



LETTRE CXLV.


Adèle à Séchelles.

Je rentrerai ce soir en ville pour long- tems, si tu ne viens pas à la grote. Tous ces charmes fatiguent plutôt qu’ils ne plai- sent, lorsque l’on t’y attend en vain.

Mais qu’ai-je appris ? Se peut-il, mon ami, que pis que le jeune Télémaque, ta te sois laissé entraîner dans l’île de Ca- lipso, et qtie loin de porter ton hommage à Eucharis, tu t’ayes laissé prendre aux artillces de la vieille Calipso ? Que tu as osé porter ton étendard sur de tels rem- parts ? N’as-tu pas craint d’être englouti au premier signal ? O ! brave républicain ! cette lâcheté de ta part n’est pas sans cou- rage ; ta divinité était du vieux style ; et en cela seul, tu as voulu prouver ton goût pour la lumière ; car une femme qui a dix ’ ’ lustres doit répandre plus de clarté que celle qui n’en a que cinq, malgré deux grands yeux qui, comme ceux de l’amour, ne voient goûte.




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Te voilà enfin sorti de ce gouffre ; si ce n’est pas sans coup tiré, c’est du moins sans blessure. Maintenant, tu vas reployer pavillon, et porter tes forces à des beautés plus modernes. Les myrthes de la main d’Adèle ne céiiîdrâient ils pas mieux ta tête ? Le contraiste n’est -il pas aussi frap- pant au physique qu’au moral ? Et n’as-tu pas craint la mine dans un port dont les portes te sont ouvertes avant même que de livrer le premier assaut ? Est-ce bien là la conquête d’un brave ? Mais trêve : je ne veux plus te persifler : j’ajouterai même à ta justification, que c’est une belle statue ; mais le sentiment de l’admiration est trop froid pour alimenter les autres. Adieu. -Viendras-tu ce soir ? Corine a ordre de

• • • • I •

ne pas revenir sans une lettre de toi. Mille Laisers.

■ Ton ÀDELE.



LETTRE


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’ - >« 

LETTRE CXLVl.

Séchelles à Adèle.

^’Iéchantè ! qui t*a si bien instruite ? 3 ’ai cm me cacher à toute la terre’ ; c’est ce d’Espagnac qui m’a entraîné, comme tu dis- fort bien, chez cette Calipso ; mais j’étais déjà trop puni, et ton persiflage est trop amer. Pardon, oh ! million de fois pardon, mon Adèle ; c’est ce soir à tes genoux, sous l’oranger, près le ruisseau, que je le veux mériter et obtenir. Je mènerai deux per- sonnes dîner au pavillon ; fais delatoilette, et pare-toi de ce joli esclavage que je t’ai donné pour bouquet ; car, Adèle, c’est de- main ta fête, et je ne suis heureux, mon amie, que lorsque je puis t’enrichir.

Adieu, la plus tendre des amantes comme la plus é’xcellente des amies. Tout à toi ton Chérubin. Est-ce que je ne le suis plus ? Tu ne me nomme plus ainsi. Adieu : adieu. ’

H.-S…

Tome J II. 37




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LETTRE CXLVII.

Adèle à Séchelles.

J’a I vii l’esclavage : il est beau et riche ; ’mais U n’a pas tout ce qu’il faut pour me plaire, et Corine repart tout de suite pour te le reporter. Apprends, Chérubin, que ce n’est pas Adèle qui accepte un cadeau

si magnifique, lorsqu’il est imparfait

Je t’ai déjà mille fois pardonné de t’être ainsi laissé escamoter par cette beauté su- rannée…. Mais tu permettras que je m’en amuse encore ici avec toi.

. Adieu ; car il faut que Corine revienne de bonne heure pour le dîner. Je te baise Tœil gauche.’

Ton Adele.


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( 2^1 )


LETTRE CXLVIII.

De Séchelles à Adèle.

F

EMME sensible, femme délicate, maî- tresse adorée, celle que des diaraans n’ont pu séduire ; je sens ta pernicieuse délica- tesse ; cet esclavage pour toi, sans mon portrait, est de toute imperfection ; mais, ma chère amie, tu m’obligeras beaucoup de t’en parer aujourd’hui à dîner ; et je ne puis, dans ce moment, me faire peindre ; mais j’ai chez moi un portrait qu’avait ma mère, et qui est fait depuis douze ans ; il me ressemble parfaitement, à l’exception que depuisdouze ans,.mes traits sont bien plus formés ; acceptes-le toujours, tendre Adèle ; et si-tôt que nous serons un peu plus calmes, je me ferai repeindre exprès pour toi ; mais prends toujours celui-là ; en attendant, qu’il te fasse accepter l’escla- vage. Ma chère amie, hélas ! qui sait….

Donnes-nous un bon dîner. Je ne veux




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pas retarder Coriiie plus long-tems : je la diarge d’une poularde, d’un pâté : tu as des légumes et des fruits tout frais ; mon. domestique portera du’vin : tu feras mettre six couverts ; car mes amis ont voulu ame- ner leurs maîtresses. Je t’en conjure, Adèle, pare-toi de l’esclavage : je veux que tu sois la plus belle ; mais dans tous les cas, tu seras toujours la plus aimable.

Adieu. Je te baise sur l’œil *•••* f en atten- dant ce soir.


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LETTRE CXLIX.


Adèle à Séchelles.

Q U E ce (liner d’hier était charmant ! que eus dames étaient jolies ! comme elles étaient parées ! mais, moi, j’avai.* la plus belle pa- rure ; ce charmant portrait, ce jeune Ado- nis sur ma poitrine, me rendait si satis- faite ! Comme il est joli ! La délicatesse de ses traits, que maintenant tu as plus ca- ractérisés, n’en sont que plus beaux ; mais ce petit Chérubin qui est à mon col, sur mon cœur ; c’est mon mignon, jamais il ne me quittera : combien ton esclavage est riche ! quel éclat cela rendait dans la grote, même sans lumière ; mais étais-tu fou de vouloir que nous en agissions comme lors- que, nous ne sommes que nous. C’est tv)n portrait qui reçoit maintenant tous mes baisers : lui, il ne sera jamais infidèle ; il ne se séparera jamais d’Adèle.

Cependant quoique je sois contente du



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portrait que tura’as donné, ienetetienspas ■quitte d’un plus ressemblant à ce que tu es aujourd’hui : je ne peux trop multiplier ton image’ ; je ne peux jamais assez m’eu- tourer de toi ; car plus je t’aime, plus >e ireux t’aimer ; plus je vis avec toi, et plus je te trouve l’unique objet qui peut fixer mon cœur. i l

Adieu. Je compte ce, soir coucher à la ville : ce soir, je veux que tu me donnes des glaces aux Italiens. •,

Je veux faire voir, mon, pas mon escla- vage ; mais ton püartrait, dont je suis tant enorgueillie. Toute à toi, - .

Ton Adeue.



îiîi. ; i*j I: . Gou^le


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grote, revêtus seulement de la parure 

qui nous était donnée par la main de l’A- mour ! Que de plaisirs mille fois répétés ! • Que de délicieuses supercheries employées pour plaire l’un à l’autre !

Mon logement à la ville et à la campagne était assez grand pour Lise et pour moi ; elle fit mettre un lit riche dans mon sallon à la ville, un élégant à la campagne, un. secrétaire, quelques objets de fantaisies ; nous ne nous séparâmes pluss. Mon bu- reau faisait des merveilles, Séchel’es était plus tranquille : nous demeurâmes trois mois dans la sécurité la plus parfaite : alors Hérault exigea que je me divorçât. Lise et moi lui fîmes toutes les représentations que nous pûmes pour le dissuader de cette idée ; mais il ne voulut rien entendre. Le bruit courait que mon mari avait fait de mau- vaises affaires ; qu’il vivait toujours avec cette veuve qu’il avait ruinée ; et comme ce n’est pas un homme fort délicat, Sé- chelles craignait qu’il ne tombât sur ma petite pacotille ; c’est donc pourquoi vou- lant m’enrichir, il me conservait toute à


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lui. Mon état de buraliste, qui était aussi agréable que lucratif, il ne me laissa point de repos que je n’aye fait dissoudre mbs liens. Un amant adoré a bien du pouvoir /

J’écrivis à mon mari pour lui proposer le divorce, il le rejetta ; mais j’insistai, et il fut prononcé ; ma famille, de nouveau, se déchaina contre moi ; mais comme de- puis cinq ans je n’en avais entendu parler, et que je n’avais aucun secours à attendre d’elle, quoiqu’elle fût fort riche, je n’é- coutai pas leurs clameurs ; j’étais dans l’o- pulence, j’étais aimée de l’étre le plus, parfait ; je l’idolâtrais, je joignais aux char- mes de l’amour les douceurs de l’amitié ; que manquait-il à mon bonheur ? Mais hé- las ! il n’était si parfait que pour en rendre la dissolution plus amère ! ^

Les bureaux de loterie sont supprimés: voici déjà mon bien être renversé ; je me plains ; je me désole ; Séchelles se mocque de moi : est-ce que je ne suis point-là, me dit il ? est ce que tu manques de quelque cliose ? El Lise me tranquillise de même


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par des argumeus consolans. J’avais un mo- bilier conséquent, des bijoux, de l’argent comptant, je fus bientôt consolée.

Six semaines de bonheur s’écoulent en- core. D’Espagnac est conduit à l’Abbaye, Lise reste inconsolable : nous, revenons tout-à-fait à la ville. Les allarmes de Sé- chelles renaissaient. Ilsoupait un soir chez moi avec un de ses amis qui lui dit : Hé- rault, êtes- vous bien avec Robespierre ? Il rougit à cette question ; le reste du souper ne fut pas gai ; il se relira de bonne heure, et me dit qu’il viendrait déjeûner le len- demain avec moi : les larmes roulaient dans ses yeux. En nous quittant, il embrassait Lise } puis, il me pressait dans ses bras, me posait, me reprenait encore ; enfin, il ne pouvait se séparer de nous ; je ne pouvais proférer une parole : son ami qui demeu- fait loin, lui dit ; Hérault, je te laisse ; tu couches ici, bon soir. Non, dit-il, je suis obligé do rentrer chez moi ; j’ai un rapport à faire pour demain : il me donna le der- nier baiser de l’amilié ; je le suis et presse sa main sur mes lèvres ; je l’inonde de mes


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larmes ; Lise et moi, nous le conduisîmes jusqu’au bas de l’escalier : je presse encore sa main sur mon ccrur, la portière paraît et fait cesser cette scène de sentiment. A demain, à demain, dîmes-nous tous, et il disparut.

Je remonte, et Corine me inet an lit ; Lise me dit bon soir. — Ne l’affliges pas, ïnon amie ! — O ! ma chèfe, il était trop triste…. Lise et moi nous nous étions dé- shabillées dans le boudoir, petit endroit presque séparé ; nous avions mis nos bi- joux, parce que nous avions été à l’Opéra au ballet de Psiché. J’étais dans mou pre- mier somme, lorsque j’entendis frapper et sonner à la porte d’une manière effroyable. Coriiie fut ^ouvrir plus morte que vive: c’est un comité révolutionnaire tout entier qui m’accuse de tenir chez moi, avec Sé- chelles, des conciliabules, et par consé- quent (jui m’arrête au nom de la loi ; qui - pose les scellés par-tout, qui s’empare de tons mes papiers, qui dresse un procès- verbal. Heureusement que Corine n’avait pas perdu la tête ; lorsqu’elle vit entrer




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ces MM., elle passa dans le boudoir, mit dans sa poche mon précieux esclavage, les bijoux aussi de Lise, qui s’élait cachée dans une garde robe à porte pleine sur laquelle on posa aussi les scellés ; mais cette garde- robe avait une issue séparée par un petit escalier dérobé que Lise connaissait ; ainsi elle échappa à la capture ; mais je n’ai ja- mais pu savoir ce qu’elle, était devenue ; , c’est encore pourquoi je ne serais pas fâ- chée que ces Mémoires lui parviennent. Cette troupe de satellites était tant occu- pée à me faire des hostilités, qu’ils ne la virent pas se fourrer dans cette espèce d’armoire, où ils la mirent sous le sceau de la tyrannie.

I

Après avoir épuisé contre moi le réper- toire des jilus attroces injures, ils m’en- traînèrent avec Corine aux Anglaises. J’é- tais dans un tems où les femmes sont à ménager ; mais ces sans-culottes ne con- iraissaient pas les procédés, ils ne respec- ’ taient rien ; ils zi’aimaient des femmes que leurs bijoux.

J’avais perdu connaissance, et lorsque


Di.


\


( 3û3 )

je la recouvris, je me trouvai entre quatre murs : je me jettai sur un méchant grabat et me mis à pleurer ; mais il me restait Gorille ; combien elle me devint chère î elle pouvait sortir, car elle n’était pas pri- sonnière, seulement elle avait voulu rester près de moi ; et j’étais dans un état si hor- rible, que ces antropophages l’avaient per- mis. Elle fut voir ce que portait mon écrou. On avait trouvé chez moi, disait-on, une liste de conspirateurs de tous les ordres, dont le chef était Hérault de Séclielles,

O ! ciel ! je le crois bien ; cette liste était celle de tous mes amans, par les lettres initiales de leurs noms et leurs qualités. Elle me rapporta aussi qu’Hérault avait été arrêté au même instant que moi, et qu’il était à l’Abbaye ; irais que son parti était très-puissant, et qu’il en sortirait victo- rieux ; qu’elle n’avait pu avoir de nouvelles de Lise.

On croit facilement ce que l’on desire: je ne pus jamais imaginer que l’on pût porter une xnam sacrilège et meurtrière




(3o4)

sur l’être le plus parfait qui fût sorti des mains de la nature. Ma fidelle Corine me xépélait cela à toute heure, et m’enga- geait de vivre pour le revoir ; elle l’aimait autant que moi. Chère Corine, si je pou- vais encore t’embrasser ! Si elle savait sa maîtresse aussi infortunée !

Enfin, quelques jours après ma déten- tion, mettant la tête à une petite lucarne qui donnait sur la rue, j’entendis crier le journal du soir, la mort de Fabre d’Eglan- tine, de d’Espagnac et d’Hérault de Sé- chelles. J’étais seule et montée sur une mauvaise table, je tombai à la renverse, je me fracassai la tête, et je fus trois mois sans recouvrer la raison.

Non, mon amie, on ne meurt point de plaisir, ni de chagrin, lorsque notre der- nière heure n’est point sonnée, puisque j’ai pu survivre aux délicieuses sensations de la grotte de l’amour, et à toutes les angoisses de l’ame, aux douleurs du corps et à six mois de prison…. Mais tout ceci vous est connu,et comme je me détermine

I H


Din-‘


( So5 )

publier ces Mémoires, dans l’espérance de retrouver quelques-unes des personnes qui me furent chères (i), trouvez bon, mon amie, que je n’interrompe plus ma narra- tion par un souvenir qui me déchire l’ame.

Je vous ai laissée à l’époque où. je restai mourante dans ma pristm, où pendant qua- tre mois que j’habitai cet affreux séjour, je ne jouis pas un instant de ma raison. Pas- sant aussi rapidement du dernier échelon de l’opulence, du parfait bonheur à un anéantissement pis que la mort même, est-il étonnant que ma raison ait succom- bée. Arrachée des bras- de l’amant le plus parfait, le plus idolâtré, perdant mon rang et ma fortune ; mon rang, depuis long- tems l’amour m’en avait fait faire le sacri- fice ; je’ n’en avais d’autre que celui qu’il me donnait : ma fortune était encore son

(i) Je renouvelle ici 1 invitation à Ceux qui m’ont connue de mettre une note dans les petites affiches à l’auteur d ’Vllyrine ; je les lirai exactement. O ! si par ce moyen je pouvais retrouver Eugénie, Lise, Corine ; en un mot, quelques-uns de ceu.x qui m’ont aimée, peut- être quelqu’tm de ma famille qui ignore ce que je suis devenue.

Tome ///. 39




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ouvragée ; mais tout a disparu ; les myrthes ont fait place aux cyprès : une ombre fu- gitive seule est attachée à mes pas. Mon. individu n’est plus qu’un cadavre chan- celant. La mort est donc mon seul réfuge ; je l’appelle, elle ne vient pas. Je ne suis pas assez heureuse de porter ma tête sur l’échafaud qui trancha la vie..de l’être sans lequel je ne puis exister.

Vous savez que j’étais aux Anglaises : cette prison renfermait la meilleure so- ’ciété, nombre de femmes charmantes : les plaisirs n’étaient point exclus ; ils savent toujours s’introduire où sont de charman- tes femmes ! L’amour même avait pris do- micile parmi nous, et il y fut très-bien traité : pour lui plaire, tout .l’art de la toilette fut mis en usage. Nous noos ima- ginions tous être si près du terme de no- tre carrière, que nous tâchions d’en em- bellir les derniers instans. Un malheureux avait il reçu l’arrêt de sa mort, c’était à qui s’empresserait de lui en rendre le ter- me agréable.

Cependant, après six mois d’une mort



Digit-J’


( 3o7 )

anticipée, la nature sembla sur moi recou- vrer ses droits ; je m’armai de philosophie ; je résolus de devenir philosophe par né- cessité ; j’avais bien aussi un peu d’origi- nalité ; tout cela amalgamé ensemble, jjou- vait faire un tout supportable. Voyant qu’il n’y’ avait d’autre parti à prendre que de vivre ou mourir ( par vivre ou mourir» vous entendez, mon amie, que c’est vivre heureuse ou mourir tragiquement ), je choisis ce dernier parti. Il ne me restait plus que le choix du genre de mort ; cela n était pas le moins difficile ; car si la phi- losophie nous met au-dessus de la douleur morale, elle ne peut triompher également de celle physique.

Je suis orpheline, me dis-je à moi-même, puisque je n’ai plus aucune relation avec ma famille. Si je suis seule dans la nature, ma vie m’appartient, je n’en dois compte à personne. En la recevant, si j’eusse été consultée, je n’eusse accepté ce bienfait qu’à condition d’être heureuse : si je ne la suis pas, la foi du traité est violée ; j’ai droit de la violer à mon tour. Le suicide à


7 3o8 )

mes yeux n’est point un crime. Si j’admets le matérialisme ou la méteinpsicose, je sers ce principe et rentre dans la masse d’une matière qui sans cesse se reproduit. Si c’est l’immortalité de l’ame, je la place plutôt dans la béatitude.

C’est en philosophant ainsi que je for- mai dans ma petite tête le projet de me défaire de la vie par les moyens les moins douloureux. Je pris le parti du poison ; mais la difficulté était de m’en procurer.

Nous touchfons à la fin de l’automne ; je m’étais procuré un petit poêle écono- mique qui m’avait coûté fort cher. Je n’a- vais point regardé au prix ; j’avais toujours assez d’argent pour le tems que je voulais vivre ; et il m’était arrivé souvent de payer jusqu’à six francs un port de lettre ; la moindre fantaisie était achetée au poids de l’or : ma toilette n’était pas ce qui me coûtait beaucoup ; car au niomeut de la mort de mon malheureux amaut, je m’é- tais fait apporter une robe de Pékin noire à longue queue ; mes cheveux sans pou-


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( 2°9 ) . .

dre, un ruban noir et des bas de même couleur. Ce costume lugubre, image de mon ame, ne m’a pas quitté pendant mon séjour, aux Anglaises. Je ne communiquais avec personne ; aussi me surnommait-on le petit sauvageon.

Cette permanente mélancolie avait atta- ché à mes pas, non pas un Adonis Fran- çais ; non pas un petit maître du jour ; mais un Anglais, dont l’excellence du cœur et les précieuses qualités de l’ame sont au-

dessus de tout éloge. Mylord P est un

de ces êtres ’taciturnas et mélancoliques qui se plaisent à contempler le malheur, non pas par esprit de férocité, mais parce qu’ils trouvent l’occasion de consoler quel- qu’ame sensible en proie au désespoir. En- fin, la possession du cœur de mylord est un trésor.

Mylord m’avait souvent examinée rêver des heures entières seule dans le coin le plus isolé du jardin. Il avait essayé de me parler ; mais un salut silencieux ayant été toute ma réponse, il désespérait de pou-




( 3io )

voir un jour lier une conversation avec . moi, s’il n’en faisait pas naître l’occasion. Sa passion s’ctant accrue par les obstacles, il résolut de me connaître à quelque prix que ce fût. S’appercevaut que je ne descen- dais que le soir au jardin, et que j’avais la vue basse, il dressa un piège dans lequel la queue de ma robe devait infailliblement s’accrocher ; je devais trébucher ; et sa trouvant là à propos pour me retenir, cela l’engagerait indubitablement à me recon- duire chez moi, et de-là un commencement de liaison.

Le projet de mylord réussit parfaitement. Un soir que le tems était assez nébuleux, je cütoyois nouchalamment le cloître des nones (lieu où elles enterraient les morts ), c’était attenant au jardin^ et des vestiges de sépulture étaient encore tout récens ; mes réflexions étaient tristement appésan- lies sur ces lugubres débris, lorsque tout-à- je nie sens arrêtée parla queue de ma robe. Ne pouvant contenir mon effroi, je fais un cri épouvantable, et me précipite dans les bras d’un homme qui eut l’air de venir à


fnoi. Je m’évanouis. Le mortel qui se trou- vait là si à propos pour me secourir était mylord P Il me reporta dans mon ap-

partement, me prodigua des soins inouis, me rassura sur ma frayeur. Je demeurai indisposée pendant quelques jours: mylord ne me quittait presque pas. Jé le voyais sans crainte. Je sentais bien pour lui de l’amitié, des sentimens très - distingués ; mais j’étais si loin de l’amour ; j’étais si sûre de moi de ce côté, que je reçus les visites de mylord sans effroi ; je l’engageai même à les rendre plus fréquentes. Je l’a- voue, j’aurais même été bien aise de trou- ver l’occasion de distraire ma douleur. Ce- pendant je ne trouvais de charmes qu’à alimenter ma sombre mélancolie. Tous les efforts de mylord ne purent ramener ma gaieté ; le souris même n’arrivait pas jus- qu’à mes lèvres : des idées de mort me sui- vaient toujours.

i’

Le suicide est familier aux Anglais ; sou- vent j’en raisonnais avec mylord, qui cher- chait à me persuader de vivre, et que j’é- tais encore fkitepour le bonheur. ^


Cependant nn jour mon parti pris, j’avais fermé bien hermétiquement ma chambre ; j’avais fait grand feu toute la journée dans mon petit poêle, et toutes mes mesures étaient bien prises de rejoindre mon amant dans l’Elisée. Ce jour, je fus presque gaie ; je témoignai à mylord être plus que jamais pénétrée de ses procédés. En le quittant le. soir, je manifestai beaucoup d’insensibi- lité ; il apperçnt même diverses sensations sur ma figure. Enfin, il me soupçonna de sinistres desseins. Il me serra tendrement la main qu’il baisa respectueusement, et eut l’air de s’éloigner. Je ferme ma porte et me mets au lit bien dans l’intention de ne plus me relever. Toutes mes dispositions étaient faites ; je quittais la vie sans au- cun regret.

t

Je n’aimais plus ; je ne me croyais plus susceptible de ce délicieux sentiment sans lequel la vie est pis que le néant.

Déjà l’air de ma chambre se rembrunis- sait : une vapeur épaisse se répandait sur tout mon être, ma tête était pesante, mon

cœur


( 3>3 )

cœur oppressé fortement, mes yeux dis- tinguaient faiblement, mes oreilles n’en- tendaient plus : je croyais entendre frapper à ma porte ; mais il ne me restait plus assez de force pour aller l’ouvrir.

Ma porte fut enfin forcée, et mylord et ^ ma geôlière paraissent et me prodiguent des secours : en dépit de moi, on me rendit, à la vie. C’est alors que je souffris mille’ morts, lorsqu’il fallut faire circuler le sang dans toutes mes veines. Je serais morte sans douleur, et pour revivre, il m’en coûta d’inouies. .

Au bout de quinze jours, ma santé se trouva entièrement rétablie. Mylord m’a- vait accoutumée à trouver du charme à sa compagnie. J’éprouvais près de lui cette amitié calme et pure qui est la raison du cœur ; et quoique ma prison me paraissait moins amère, je résolus de tout essayer pour en sortir. Je pensais > d’ailleurs, que si j’étais libre, je pourrais obtenir aussi la liberté de mon bienfaiteur. J’écrivis au se- crétaire du comité de salut-public, TomeJII. 40


( 3x4 )

Je toiicliais au n.oiuent ofx la fortune al- lait encore nie coiiibU r de ses faveurs ; j’aMepdais avec iinpatience la réponse de i’.\ ielire ; la nuit avait déjà fait place au jour lorsque ma geôlière ouvre la porte de ma. chambre et m’annonce le secrétaire du comité de sûreté générale. Reconnaissant dans la personne du citoyen C…. celui que jadis, chez Séchelles, nous pommions le

A

marquis dejSt.-J je me précipite dans

ses bras. — Ma clière Morency, me dit-il d’une voix presque éteinte, se peut-il….

Laissee-moi, lui dis - je, me livrer un instant à la douceur de retrouver un ami. Depuis six mois que je mène une existence pire que la mort même, celle que vous ve- nez m’annoncer n’a plus pour moi rien d’effrayant ; laissez - moi profiler de mes derniers niomens ; vous seul pouviez suc- céder à Séchelles dans mon cœur, comme son ami, recevez mon dernier soupîf.

St. -J…. était d’une beauté angélique et né sensible : nous restâmes près d’une heure dans les bras l’un de l’autre en gar-




dant le plus profond silence. Enfin, il le rompit le premier. — Ma chère Morency, je veux vous sauver, à quelque prix que ce soit ; mais écoutez- nicM. Comment avez- vous pu laisser exister cette liste, me la montrant ? Vous êtes perdue à jamais. Je n’ai pu croire que véritablement elle fût de votre main, jusqu’à ce que j’eusse eu l’occasion de la confronter avec votre écri- ture. Mais, mon amie, vous ne pouvez la désavouer, et vous êtes perdue…. Cette liste est sans doute les noms de toutes les personnes qui composaient le conciliabule tenu chez vous, dont Hérault de Séchehes était le chef ?

— C’est une horreur ; il n’y a jamais eu de conciliabule chez moi, et c’est en met- tant les scellés sur mes papiers que l’on aura glissé cette liste pour me perdre. Il la tenait toujours pliée à sa main. Donnez, lui dis-je en la lui arrachant des mains, et je la lus.

%

Revenue de la surprise où m’avait jettée^ ce discours, et reconnaissant cette liste


( 3i6 )

pour être celle de mes amans, je pris une plume et ajoutai son nom au bas en lui disant ; voilà celui qui doit la couronner. Je l’embrasse et part d’un éclat de rire. Je le mis ensuite au fait de ce qu’elle con- tenait et nous en rîmes ensemble. Il l’em- porta avec lui, et promit de me faire avoir une audience particulière du comité de sûreté générale. Noos nous embrassâmes et nous nous quittâmes très-satisfaits l’un de l’autre.

Le jeune marquis laissa dans mon cœur une émotion toute nouvelle pour moi. La nuit ; mon sommeil fut agité ; je me re- connus des facultés que je croyois éteintes. Le lendemain, il m’écrivit de me tenir prête à la chute du jour, qu’il viendrait lui-même me prendre dans une voiture, pour me conduire au comité.

Que cette journée me sembla longue ! que de craintes et d’espérances tour-à-tour agitaient mon ame ! Déjà je tenais beau- coup plus à la vie que la veille : déjà, sans m’en appercevoir, j’avais mis du soin dans


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( 517 )

ma parurs, et tiré le meilleur parti pos- sible de mon petit cadavre ambulant.

Je quittai mes habits lugubres et me parai de ceux que j’avais toujours tenu près pour le jour de mon supplice, c’était une robe blanche à la vestale ; la ceinture, le, bonnet et les souliers de même. Dans ce costume, je parus devant mes Juges ; je les trouvai disposés en ma faveur : l’aimable

St. J avait surpassé mes espérances, je

fus renvoyée absoute.

Débarrassée de mes fers, mon premier soin fut de travailler sans relâche à la li- berté de mon compagnon de prison, je l’obtins. Il se conduisit, on ne peut mieux,

avec moi, et lui et St. -J me soutinrent

long - tems dans une honnête opulence. J’eus pour ce dernier une folle passion. Mon cæur eut bientêt repris sa douce ha- bitude d’aimer à outrance : mylord n’en fut ]>as moins bien traité. Enfin, mon amant qui était ruiné par la révolution, trouva l’occasion de faire un mariage for- tuné, mais très-éloigué de la capitale, il




( 320 ) , et ayant eu chez moi des dames de mon pays à déjeuner, nous décidâmes d’al- ler le soir au théâtre de la llépublique.


Ce jour-là, j’étais plus mélancolique que de coutume, et j’accompagnai machina- lement ces dames. Je ne faisais pas beau- coup d’attention à la pièce, et je rêvais dans le coin de la loge. Il e»itra et sortit beaucoup de monde sans que je ni’en ap- perçusse. Enfin, il entre un homme en car- magnole avec la figure la plus distinguée ; la taille et les grâces d’Adonis, quoiqu’il ne fût plus de la première jeunesse. Un air de tendre mélancolie répandu dans toute sa phisionomie, de grands yeux Volup- tueux et presque timides semblaient me dire ; je suis celui que votre cœur cherche ; bientôt vos vœux seront remplis et nos désirs mutuels… Il s’approche de moi, me prend la main respectueusement. Cette main, il faut que je l’avoue, jamais je n’en ai connu de si électrique, et je crois qu’il est impossible qu’il en existe ; cette main, dis-je, n’eût pas plutôt touché la mienne, que je fus électrisée de la tête

aux



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V-,(521 ) - -c,

pieds. Je ne vis plus le spectacle ; les dames""

• qui composoieiit ma compagnie furent bientôt oubliées : je ne voyais plus qne mon aimable incounu ;si je fixais mes yeux * sur les siens, j’y- rencontrais mon amel…,^ le ne méconnaissais plus ; j’étais déjà toute ’

  • à lui, et tout l’attrait d’une première pas- "

çion n’est pas ni plus prompte, ni plus pro- fonde ; elle n^est pas non plus plus déli- cieuse. ■, ;‘v

O h ! quelle erreur de croire que l’on ne peut aimer qu’une fois dans la vie ril faut donc que ce soit des étres’qui aient bien peu de facultés aimantes ! Il faut ajussi que- ‘ ces êtres soient bien inullipliés pour avoir ’ accrédité ce sophisme, f\ue,Von ne peut ai -’, mer qu’une fois dans la vwj- Eh bien, je leur, ’ donne le démenti le plus formel ;et dans le • . moment où j’écris, mon amie, j’attends le septième objet qui m*a inspirée et à qui j’ai fait ressentir une grande passion. Pou- rais-je croire que je l’aime plus faiblement qne le premier ! Pourais je me persuader qu’il a moins de mérite, qu’il soit moins tendre ! quant à moi, je suis-plus passion- Tome II L ’


- i-.


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n^e ; je Joins à l’ardeur du sentiment l’u* sage dp la lendre-^se ; et mon amant pou- ràif-il en être moins heureux ? Câr si je tje suis’plus aussi jolie que la première fois, ’* sans doute je suis plus agréable’, et je m’es- time pins heureuse, en .ce que je sais ap- . précier toute la valeur du bien que je’posr sède, et que je Sais le conserver. Mais il ’ monte mon escalier c’est plutôt m’on cœur qui enteud ses pas que mon oreille ; et je sens trop pour m’exprimer..’… EufinV c’est encore un jeudi. - ’ . •

, Je n’anticiperai pas, J mon amie, sur le cours des évènemens pour vous peindre cette nuit délicieuse. .. ; tous les pinceaux’’ seraient trop faibles : je me reporte à con- ’ s’olider l’assertion- que j’ai faîte hier aux âmes fortes oti faibles, constantes ou pu- sillanimes, qui, assurent ’que l’on-ne peut aimer qu’iine fois. Je crois seulement que quand l’on est bien épris, on ne peut ai- , mer deux objets à la’ lois ; car l’objet aimé est notre univers, tout le reste est néant…

, / . •’i. ■

Lorsque j’aimai, la première fois, c’était


]\r., qui devint mon époux ; je crus

Bien n’aimeV jamais que lui ; et lorsque-inon cœur fut séduit par Q…,/*,,mqn preruiec amant ininginait qu’il n’avait été qu’égaré, par mon époux ; peut-être aussi i’maginais-ia que les procédés de mon époux étaient la seule cause de mon qjîangeinent ; niais pour cette fois, mon ’discernement étant plus* - prononcé, j’étais bien sure. d’être invaria^ ble dans mes senti mens que même riton amant deviend’rait ingrat, parjure, la cons- tance serait l6uj,ours mon lot. Faible hu- liiauité ! Oh, trop faible humanité ! fût-ce fierté, fût-ce habitude, ôn besoin d’aimeri jamais je ne. fus plus de t^ois mois à re- grelter un perfitle ; convinunément au bout de six il était remplacé, et le s#bcesseur avait toujours à mes yeux des qualités bien, au-dessus de celui qu’il remplaçait.,

Le charmant incbnmi cette ’figure si distinguée, si noble, sous le plus élégant - carraaffuoleY coslurae dii jour, car c’élait du teins de la terreur ), ce délicieux sans- culotte, dis-je, me fit éprouver plus quer jamais que Ton iie devait pas répondre do-



. 1 .


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• C.


/ son cœtir ; que l’heure du berger sonnait au inomenl où l’on s’y atieiidait le nioins.^-. que les évènemens Seuls étaient la boussole de notre conduite.’ ‘ ^ •

, . . ’ ■ V, •. ^, - - ■ ; .

L’adorablé inconnu tenait une de mes mains dans les sieques ses yeux expressi fs étaieut fixés surjes iiliens \ npus eussions ^ peut-être gardé long-ieius cet éloquent, si- > lence, si un« des dames de tua compagnie manifestée sa surprise de notre atti- ■ tude. Mon amant ( car. dès ce tcoment, il

’ f %., ^

était prononcé et accueilli )’, iiion amant ^ dis-je ÿ ne mé donna pas le teros de répon- dre à la question que cette dame me fit •’ — Vous connaissez donc, monsieur, -ma chère amiel — J’ai l’honnear de connaître madame depuis plusieurs mois ; et de la loge vis-à-vis où j’étais, j’ai reconnu madame à son turban ; et si j^e ne ^parlai pas tout de suite à madame, c’étak pour voir si elle me reconnaîtrait dans ce déguisement. — Mon amie, motisièur, n’a ce turban que . de ce matin, et il est i ai possible que vous lui connaissiez’. J’avais sù le tems de me remettre, et je lui dis : Moiisieur, je vous


reconnais : il est des figures qh’àucun cos- tume ne peuvent «Icguker ; la vôtre est do ce nombre ; quant à mon turban, il est A rai que madame est téumin quQ j’en" ai fait rempletic ce matin ; mais je l’ai clioisi tout pareil à_ celui que vous m’avez vu-et que, vous avez beaucoup loué. Je suis enchau* tce que cela ait fkcililé notre reconnais- sance. Il me serra la main ; je lui rendis son signe d’intelligence. ; La Covetsalion devint générale, puis particulière. La so- ciété s’occupa du s’pectacle,^et’nous re^ tûmes l’un à l’autre.

I . ■ ’

Quoique^ nous fussions quatre daines ^ nous n’avions qu’un cavalier ; ainsi il fut tout naturel à celui que je, venais de re- connaître qu’il s’offrît -de me donner la main pour me remettre chez moi. ’Jo ne

V *’

demeurais qu’à deux pas du théâtre oô nous étions ; mes payses étaient d’une route opposée, ainsi nous nous quittâmes au bas de l’escalier. Je rentrai triomphante de ra-^

mener à moi seule ma. conquête. . •, •,

!» …. ■*’ ■ 

Il me quitta à minuit. Après une heure


• ( • ’, - ( 526 ) ■ >

de conversation trùs-agréable, il me donna 4e baiser d’adieu d’une rpanière aussi ten- dre que respect ueuse^ Je lè vis s’éloigner avec chagrin. Je n’avàis jamais pu obtenir de, lui desavoir qni il était ; il me dit seu- . lement qu’il se* nommait le chevalier aux armes noires, et qu’il était aussi malheu- reux qu’estimable ; que jé lui avais inspiré un sentiment si prépondérant, qu’il n’âvait pu résister à me le faire connaître ; mais que s’appercevant que j’avais déjà ass< ?^ de mes infortunes, il votilsit avoir la force de me fuir à jamais crainte que le poids

■i’ ’ ’ » .1 • ’

de ses maux, n aggravât les miens : en me tenant ce discours, il me pressait les mains, ses yeux étaient humides, il s’échappa.

Arrêtez j’ lui dis -je : déjà il ;n’est plus , tems de me fuir. Vt)ùs avez rencontré eu .. irioi la "plus infortunée des fnôrtélles, la pins aimante et là plus sensible : je suis’ ■ pénétrée de vos malheurs, même saiM> les cpn naître : je m’oublie moi-mème pour no ,m m’îiccuper que de vous ; les infortunés ont seuls le don de se constder j ne mç privé pas de celte jouissance. ’ ■ ^ ■


I



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(3ay ) . - . • ■ • ■

Il se ptér.ipita à’mes genoux, baisa mes

mains avec transports. Adieu, ange du cielî

je suis forcé de vous quitter, l’heure me ^ * * ’ presse. Demain, -je vous apprendrai les

secrets de votre éternel aiûi ; puisse cette

nuit le chevalier aux armes noires occu-

per un peu votre sotiimeil. Adieu…. adieu.

Depuis le déport du marquis’de St,- J,…, je n’avais pas aimé, seulement, jé me lais- sais aimer. Poitr mon compte, j’étais dans

cette nonchalance- de sentim’ens que j’é- 1 ^ ■ 1 \ prouve toujours dans la lacune d’une pas-,

sion à une antre. Le moment où je sors de

♦ . t J » ’ ^ * ___

cet état delétargie fait sur mon être l’effet d’un petit volcan. ■ . • . •

• -■ . ’ **, •

L’infortuné chevalier aux armes noires avait ému tous les ressorts de ma sensibi-

V

lilé ; je ne fermai pas l’œil de la nuit ; son. ■’ image était toujours présenté a, ma. vue. Pourquoi ne possédai s- je pas tous les trésors. . de la terre ? pourquoi ne pohvais-je pas of-, frirun as3’le sûr et commode, et toute l’ai- ^ san’ce de la vie’à un être aussi digne d’un cœur honnête. On ne sent jamais tant le .


I ■


’V




l^oin delà fortune ([uè lorsque l’on aime. J/’arnbilion des, ric^hesses trauve toujours accès dans un cceur épr is : o’n voudrait, pos- séder tous les trésors pour les offrir à l’ob- jet de sa flâiné ; et je n’eus pas plutôt fait l’exainen de l’iiisuff sancç dé mes finances, que je faillis n ;e laisser aller.au désespoir ; car loin de pouvoiréî’ e utile à l’ojet aim,é, j’étais réduite aux expédiens tous les jours pour moi-même. Vous le savczj mon auiie, quelle cruelle position pour.le cœur d’une -amante ! et combien n’ét.ait-il pas déses- pérant de ressentir, la’ plus excessive teii- dressé]>our le’plus aimable comme le plus ’".Infortuné de tous les hotmr.es. ; v.


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■ ’ Cette nuit longue et cruelle eut, cepen- dant son terme ; lé jour vint me ramener l’espoir dé revoir moji trop cher infortuné. iMais c’est en vain que je restai tout le jour chez moi ;v l’attendre, et què le^soir je fus au même théâtre dans’ l’ espoir de l’y ren- contrer t toutes les^ recherches q’tie je pu» . (faire pteudant huit, jours furent inutiles.

Je h’avais d’autre p.trli à prendre qye de ‘ travailler’ à l’oublier ;^ mais je nele’pus.,

( V . ’ r * * -4. ^

» • . - . . L’U


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( 329 )

V Un soir, à dix lieures-, on sonne modes* tement à ma porte comme j’allais mettre mes rêveries au lit. C’est lui. Que de choses

I

tendres il me dit ! que de transports amou- reux il me fit paraître ! comme je lui pei- gnis mes all.armes, mes craintes de ne plus le.- revoir ! Comme il y, répondit tendre- ment ! que nous étions déjà heureux !

Combien deux -cœurs savent s’entendre sans.se parler ! Il me quitta à onze’ heures a.vec promesse de revenir le lendemain. >•

} ’ ■

Mais il ne fit que traverser la rue ; puis, il revint. — Madame, me dit-il, ma- bien sensible amie, j’e.ne me croyais pas si-tôt obligé de vous peindre mon horrible po- .sition. Je voulais épargner à votre cœur… Mais fermez bien votre porte, et tâchez que nous ne soyons pas entendus. Prenant une de mes mains dans les siennes, >i\ s’assit près de mon fauteuil. — Vous voyez, ma chère Olimpe ( car déjà il m’avait donné çè nom ), ma bonne Olimpe, vous voyez l’infortuné comte Auguste de R…., noble, par conséquent proscrit, vexé, poursuivi, tourmenté…. En sortant de chez vous, j’ai Tome III. 42



^33o)


C )

I ^ ^

propos qui étaient parvenus jusqu’à leurs oreilles.’- ’ ’ \ ’

Ainsi ces Mémoires, eh tombant dans leurs mains > leur apprendront que jamais je n ai été femme p…., ■’mais. galante. Et dans ce pays, en est-il d’autres I Celles qui ne le sont pas par spéculation, le sont par attrait aux plaisirs, ouponr’sé venger d’un époux perfide,.oti pour combler les voeux d’un amant’adbré. ’ • ^ *

Je rte fus donc que l’enfant des circons- tances ; j’ai su me faire distinguer dans tous’ les lieux : je n’ai jamais perdu ma dignité ; j’ai cédé au tendre amour, à l’im- puision des sens. Mon cœnr fut toùjours pur pour celui qui ‘le possédait, et celui ■ qui le captivait en était toujours digne. Si j ai été obligée d’être autre chose qu’une tendre amante, ces évènemens n’ont tou- ché ni mon coeur, ni mon ame, et à peine mes sens, et je’ne m’en estimerai ’pas’ moins. Si ma manière de voir est erronée, qu importe. ; je n’e veux pas détruire cette chimère,- ’ < ’ - #• -




( 334 ).

. Peudant tout uti éip, jVtteudais loua les soirs mon délicieux. proscrit au P.-ll… et il lui arrivait sauvent de clianger deux à trois fois de cqstunie.dans’ un^ soirée ; c’était son Itabit qu’il retournait ; c’était son chapeau, qu’il cliangeait.de forme ; et lorsqtt’il voyait quç nous n’étions pas re- marqués» il passait près- de ropi sanSiinei parler ; mais’d’ un. coup de. sifflet, qui était ; i^olre^ ralliement il me, faisait entendra, que. je pouvais partir alors ilf ne me suin vait encore qu’à une certaine distance ; et lorsque, ji’é^ais arrivée cheZ’. meiy il frappait ^ et me. mettant à la porte de la< loge^du portier,.il se glissait sans être vu. Rentrés dans notre appartement V o’était- tpujoùrs un nouveau ’ triomphe de. rem- porté .-nous. ne nous séparionsjarnajà qu’a- vec. la crunie de iie plus, nous revoir ; àin^ toutes les nuits étaient pour nous des plaisirs sur. lesquels’nous ns devions pas compter ; et cette situation, toute cruelle qu’elle était, n’ était pas sans, charmes. >-

. •* .«•. ■ a . :

Fendant six mois-, que, nous gardâmes, cette existence i-tét,que mon amant avait-.


DiçTîizîîd by


( 535 )

-lotijottrs la tête soas le ’glaive de là tyran- nie, tioiis étions fonjodrs agités parde’noU-

» f . % r» * ‘

"velles allarmes ; la tnonotOTtie ne pouvait pas s’introduire dans notre union.’’ Tous les jours je’ lui découvrais, de’ nouveaux» charmes, et tous les jours je devenais plus tendre, pour lui ; enfin je portai la faî- { blesse au ’point que tout- le tèins que je l’ai gardé, jamais je n’ai voulu souffrir qu’il s’habillât, ni qu’il se ’déshabillât lui- rnêine ; et dans toutes ses pertes, du moins il n’avait pas à regretter celle de son valet de chambre ; car jamais il n’en avait eu un qui fât plus aux petits* soins.’

Jamais jen’al connu un être qui. possédât auiairt dé.talens^: il les avait tous. Il pin- çait do la harpe, jouait du violon, touchait’ du piano, pinçait.de’la’’guittare, écrivait comme un ange : c’était vraiment l’essence des grâces et du plaisir. Malgré s’es infor-’ tuues, il n’avait pas encore perdu sa gaieté^’ Sensible au-delà de toute expression ; et même dans le comble de mon infortune, j’étais la plus heureuse des mortelles ; . et j’aurais encore eu peme à changer mon .


^ ( 536 )








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reconquis mon co&iirpour mon- mari devait envoyer une voiture au-deyant de moi à deux lieues, ej c’était chez elle que dpvait se.faire la réconciliation ; elle voulait que je partisse tout de suite ayec elle >. ?t j’fus&es bien fait ; ç’était le.seul moyen de m’arra- cher de ce pays, qui est un irtéaia^

tible., * ’ .*■ ■’ ■ "

" Lé lendemain de ma promesse 4 respectable amie, je fus lui faire vne yU site avec l’être adoré, qui déjà avait pbtnr nu de moi deux ^urs. Madame du f ^ trop de disceirnêment pour ne pas jugW que celui qui avait pbienu «jçüaç^jpurs ppn- vait ençprp pbteitir deù ?t ans.^^ . ^

Puisque vues ne .pouvez abspidmPïtt . partir demain avec moi, madame, an pour m’assurer que ce sera dans dçuic jnnr^ ^ permettez que. mon domestique aille vpue arrêter uue place à la diligence de Y*, je vous attendrai .à souper avec votre mari. Quelle heureuse nonvelle je vais pprte.r .ce brave ho nme ! car il vous aime t4injou*’s> Ma chêM madftme. embrassaz çaoi :


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j’aî Votrè’patûlè. Êt vous’, monsieur, s’a- ’ ‘

dressant à mon’ ami, je vous én conjure, ’

t’Cndez-nous là ; monsieur rendez lin© ■ ( ’ «épouse à son mari, une mère à son enfant: elle m’erabrassâ de nouveau ; nos larmes sé ‘ confondirent. Je ne pouvais proférer nne Seule parole ; mes sang^lots me suffoquaient i ’ • . je regardais mon ami languissamment’: 3 .T était dans un état de stupeur ses yeuï étaient hutnides."’ — «Oh 1 ma trop. chère ’ Olimpe, qu’il en coûte quelquefois d’étre vertueux ! Oui, vous partirez : oui, ma- - dame, envoyez retenir la place de madame ; et moi- raênie jo raccompagnerai jeudi prb- i chain à la Voiture ; j’én jure par toute Paf- ’ fection que j’ai pour elle.’ Puisse son époox savoir apprécier îê trésor qu’il possède ! H était tems que cette scène de sentiment’

cessât ; car oii annonça l’ami de la maison," et nous nous retirâmes. ’ • ^

Nous’ rentrâmes chez-nous en silence. ’ ’ lorsque nous fûmes au lit, mon ami le * rompit. L’honneur, mâ chère Olimpe ; votre devoir^ vôtre titre, de mère, sont des nioiifs trop sacrés pour qu’au préjudice de.

’ … ■ .

  • , • • • * ^




( 340 ) •

ma sûreté, de. ma vie mêfne, je vous engage à ne pas retourner à votre époux, à votre intéressante Clarisse ;’elle redemande sa mère, et je n’âutai-.pas le reproche de la lui avoir enlevée : partez, Olimpe ; il faut ’rompre des liens que l’amour, la sympa* tliie,- l’amitié, là reconnaissance avaient consolidés : peut-être un jour Serons-nous

;jous réunis…’. En disant ces mois, H s’éva- 
  • ’ V- *■ .

nbuit, et j’eus tout qp les peines possibles à le rappeller à la vie’. Une .fièvre ardente ts’empara de lui ; et les deux derniers jours que nous devions être eu semble, avaient l’air d’être le’terme’de sa vie. Cependant, je lui dois la justice de dire que le jonr de mon départV il rappella toutes ses forces pour me faire un long^’adieu et me con- duire lui-même à ma voiture ; mais nous arrivâmes trop tard ; il nous fat impossible de la rejoindrè ; et le jeudi^, jour si propice à mes amans, se refusa pour mon époux. .

Nouvel embarras : mon appartemenllétait loué, ’et il n’y en avait pas deyacant pour l’instant.’ Je fus’obligée d’aller me percher au fond du faub. St.-G… dat^ un petit hôtel


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(340 \,

borgne > oît mon infortuné ami était* en* ‘ «  cote favorisé. Là, je fus encore seule con- nue et inscrite. Quelques jours se passèrent pendant lesquels mon ami devait penser il se. choisir un domicile,, ‘et moi je devais repartir pouf mon ^ voyage ; maïs le sort en avait décidé autrement, /r • .

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Il y eut encore une secousse révolution-, naire ; les .visites domiciliaires furent^re^ commencées .tout à-coup : nous’ commen- cions a nous .endormir i lorsque les satel- lit es de la terreur se.présentèrent à notre porte ’au nom de la’ loi. Jugez de noti^ effroi. Plusjmorts que-vifs, je fis cacher mon ami entre les mat elat8..J|ouvre’^, on. entre, et on examine. L’hôtesse était tremblante ; je la rassure eh lui faisant signe que j’étâis seule. Comme il faisait chaud, ma position, doublement critique, me fit évanouir : -mon hôtesse habile, profita du moment pour éloigner ceux- qui me causaient tant d’ef- froi.* Si-tôt que je les vis disparaître, mes ’ forces bientôt revinrent. Je remerciai mon aimable hôtesse, et la priai.de me laisser seule, t ■’*

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. - ■ ’ -Ç3420- ’ • .

’ Jè donnai aussi -tôt tôus’mes soins â mon idole,< qtr© je ; trouvai presque mort ’ ; j’eus beaucoup de peine è’ie faire revfertîr.

•N Enfin, il ouvrit la bouche et articula fai- blement’: — Ma chère OHmpe, c’ést poni^ vos jours’ que j’ai crains ; la vie lïi’est trojJ à charge pour que je m’occuppe bèaucoup de la conserver. Mais vous", mon amie, vousencourriei le mênie suppliceqoe mni ; ■je portais votre t^è’ittiïocènte sür l’écha- faud…. —Tout est passé, monariii, ou- blions nos malheurs, pour -nons réjouir , d’élre encore l’un à i’âtttrè. Mon" ’ami, ajoutai-je, je ne partirai pas. Ciel’ ! que se-

. ricT-vous devenu hier ; si-l’ava^ été partie. Ils se fâcheront, ils diront tout cé qu’ils voudront, -je me vous quitte pas dans iiii tnoinent» aussi périlleux. Uu itiofs de pins ou de moins Vis-à-vis des ctres qui scpas* ’sent bien de nioi depuis’ cinq ans, on ne peut en faire uwe grande’’conséquence ; et vous f il y va de vos jours.:Oh ! non, mon idigne amant ; je. suis aussi généreuse que loi. J’écrivis àmadameduF ;..que je n’avais pu me rendre comme je le lui avais promis, et que mênie.je ne le pourais encore avant


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’ ( 343 ) ’

un mois ; qu’il fallait attendre que tout fût ^alme. Elle me* répondit qu’elle avait envoyé sa yoiture au-devant d ? moi au )our et à l’heur^ dite,, et qu’elle et mon époux

étaient venus eux r mêmes ; jusqu’à V

au-devant de mo,i ; que ma fille avait pleuré en entendant dire par le conducteur de’ la voiture qu’elle ne verrait paa-sa mère de sitôt., : . • . ‘ ^ ■

Dieu ! quel effet produisit sur moi cette lettre, ^niour ! que demanx tu causes ! je brûlais ppur un infortuné qui pjérissait in- failliblement s%ns mes soins ; j’aimais en- core mon époux ; j’adorais sur-tout moA innocente Clarisse ; quelle ame fpt jamaisau- fant cqmhnttue ! Flottant continuellement entre l’amour, l’amitié et la nature, que de fois dans un jour .la vertu fut triom- phante et vaincue ! •<

. Mes forces physiques succombèrent bien- tôt à tant de mouvemens divers ; ma santé

f

dépérissait tous les jours ; je faillis tomber dans le marasme.^ J’ignorais si j’étais, eri- ceinte ; car ce qui constitue la santé d’une


’ . ( 344 )

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’ ■ . ( 34<5 ) ■

lüres ; il y prit beaucoup d’intérêt.. Il par>

, fait facilement, et avait un air de bonté qui m’inspirait de la confiance. Il me proposa de se charger de mes aflaires ; qu’il, ne me demandait pas de déboursés ; que seule- . ment je m’engagerais à lui placer les deniers , provenans de ma dot (i), lorsqu’il aurait ‘ Üwit toutes les démarches pour me la fair# …. rentrer : que jusques-là je pourais aller de*

’ meurer chez lui, où j’aurais un joli apparr tementàmoi, dont je disposerais comme , : bon me semblerait ; que j’aurais sa table ‘ domestiques à ma disposition ; que sa femme, qui était d’un âge mûr, me trai- ’ terait comme si j’étais leur enfant. Cette proposition était tellement pure et hou-.

J nête, que je consentis qu’il me vint pren- dre le lendemain à l’endroit que je lui in- diquai pour me présenter à sa femme. U’ • jaie pria d’accepter quelqu’argent pour re- ■> tirer de gage mes effets,’ et que je pusse m«  présenter décemment chez lui. Enfin, il me promit de me faire toutes les avances dont , je pourrais avoir besoin, et qu’il me don- > lierait pour cautionnement de ma dot tou-

<i) Uuoze mille frinci.,, -

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’ ’ ’( 547 ’) ’ ■■

tes ses propriétés et celles’ de sa femme,’ avec l’intérêt de dix pour cent ; qu’il était prêt à en passer l’acte. ’ • !

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. Ma position ne me permit pas d’apper- cevoir que cette proposition était trop belle pour ne pas être astucieuse ; j’acceptai sans délibérer, et regardai cet inconnu cpmme nn ange du ciel. Il me conduisit chez moi dans une maison garnie près de l’endroit où nous avions soupé. Il paya mon loyer ;’ et le lendemain, après avoir pourvu à tonte ma parure, il fit venir une voiture et me conduisit chez lui ; ■ • . » "■fi-

Ce procédé me paraissait si sublime, que je n’étais pas fort tranquille sur ce qui al- lait m’arriver ; mais’au surplus, qu’avaès-je à risquer 1 que ’ma dot fût esceoquée ? Eh bien ! quel moyen d’éviter ce piège ? Je ■n’avais plus personne qui s’intéressât à moi ; j’étais dans un tel délâbrement de . santé, que je n’avais pas même le choix des moyens…. • . • -r ’ * •’

Le cocher nous eut bientôt conduit à la


. ( 548 ■■

maison de mon nouvel, hâte. Elle était grande, belle, et représentait l’opulence. ‘ La maîtresse, grande, sèche, d’une mise décente, dans la phisionomie de laquelle était répandu un air de bonté et de douce., mélancolie, vint me recevoir avec toute l’alFabilité imaginable. Nous passâmes dans une salle à manger très-chaude ; on servit - un bon dîner ; et de-là nous fûmes au salon, où je vis un lit très-frais. Mon hôtesse me dit, madame, voici votre lit : cet apparier ment vous appartient ; nous sommes main- tenant chez vous, et nous y passeront la soirée, si cela vous est agréable. Il survint quelques amis ; la soirée fut agréable, et tout le monde se retira à onze heures. Une légère colation termina la journée, et mon liôtasse me conduisit elle-même à mon lit.

Que de conjectures ne fis-je pas pendant cette nuit ! Ma position était si différente,: et si inattendue, que je ne pus fermer l’œil.

Ce noble procédé de M. de L ne pouvait

être que celui d’un tendre amant. Cepen- dant ses intentions ne tendaient à rien moins ; car il me fit, aussi-tôt confidence




d’une intrigue qu’il avait, et dont sa femme n’avait pas le .moindre soupçon.

i

A neuf heures, madame de L…. entra chez moi’ pour savoir ce que je voulais à déjeûner } je m’habillai et passai chez elle. Je restai ainsi deux mois comblée de soins et extrêmement bien, tant pour la table ■que pour tous les autres agrémens de la’ vie. J’étais même devenue l’amie de ma- dame de L…., et ma santé se rétablit. ’’

’• Pendant ces deux mois, que je ne sortis pas du tout ; mes hôtes n’avaient pas né- gligé de s’informer si j’appartenais à une’ famille riche, et s’ils ne couraient aucun’, risque pour leurs avances. Tous les ren- seignemens qu’ils obtinrent furent satis- faisans. Ma famille, cependant, m’avait fait passer pour morte ; mon mari assurait que moir divorce n’était pas légal, et de- mandait quatre ans pour me payer ; au

surplus, il assurait M. de L que ses

avances et ses soins lui seraient remboursés au centuple, appartenant à une famille honnête.


• ’ ‘ 350"): ’• •

’ Enfin, mon hôte pressé de toucher de’ * l’argent, me proposa de faire un voyage à’ S,… pour y arranger mes affaires, et me dit- qu’il était important que mon divorce fût^ légal. Je consentis à ce qu’il allât à S_. pour , faire remplir à mon époux toutes les for-

! malités. Il partit avec des pouvoirs illimi» 

tés. Il revint au bout de quelques jours.

, Il me dit qu’après de grands débats, il avait fini par s’accommoder à l’amiable aved mon mari ; et qu’il devait venir à Paris pour passer avec moi le dernier acte qui fixe le paiement de ma dot ; que cependant il demandait encore deux ans pour payer.

Il avait reçu ma dot en 1785 en écus ; il me payait en 17^5 en assignats ; il’ se li- , hérait donc avec moins de cent écus.

Il vint comme il l’avait promis à M. de ’ ’L,… Il était huit heures du soir lorsque lé domestique, qui ne le connaissait pas, le fit. entrer dans mon appariement ; j’étais

avec madame de L L’aspect de mon

mari au moment que je n’y pensais pas, me troubla à un tel point, que je ne pus lui dire une farole. Il était aussi ému que’


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" ’ V. • ( 35Î ) ; ■ ;• ■

moi^ et madame de L,… se trouvait fort embarrassée entre nous deux. Il ne resta

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pas long-tems, me donna un rendez-vous -, !

pour me trouver avec lui le lendemain chez ’ / ’ un notaire. Après quelques mots mal ar- ticulés, il s’échappa et regagna sa voiture, . où je crois qu’il était tems qu’il entrât. * !

^ De vous peindre l’effet que l’apparition • ’ de ce trop cher époux m’avait faite, ce ’’ . serait entreprendre l’impossible. Je n’eus, .\- pas le courage, ou la faiblesse, de l’arrê- " ;

1er’, de me jetter dans ses bras. Ma fierté’ . me soutint J mais au moment que la porte ■: se referma sur lui, j’éprouvai la sensation ’ ’

la plus désorganisante que j’aye éprouvé de ma vie. Je perdis l’usage de toutes mes facultés physiques, mes larmes enfin me

soulagèrent ] je voulus être seule, et pour •

cela, je fus me coucher. ^ •


, Quelle nuit horrible je passai ! Assaillie- ’ •continuellement par l’image de mon mari ’ •. et celle de ma fille, trahie par tous ceux, .

^ue j’avais adorés, ces deux légitimes pos- ‘ ’ .

s^seurs de mon cœur s’y trouvaisnt les ’ ■


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«niques habitans ; et i’aurais donné ma ^vies pour pouvoir rétrograder sur le passé. Mes souhaits étaient inutiles ; j’étais trc^ coupable à leurs yeux ; les apparences étaient trop contre moi pour essayer de me justifier…, .

Je me levai le matin le teint fatigué, l’œil abattu. Mon bote entra chez moi et me dit : — Du courage, ma pupile j je suis votre ami, votre égide ; je vous con- duis au rendez-voug » ne perdez rien de votre caractère. On vous a trop maltrail^é pour ne pas avoir le courage de soutenir avec dignité la présence d’un homme per- fide qui vous a trompé.

Madame de 1 …. entra chez moi, fit ma toilette elle-même ; elle me para de tous ses bijoux, tira le meilleur parti possible de ma petite personne, et me fit remar-" quer dans la glace que j’étais encore gen- tille. M. de ’L…. me donna la main ; nous montâmes en voiture, et nous arrivâmes chez le notaire en même-tems que mon époux. Mes jambes faillirent ; mais mon , i, . ’ ; compagnon


compagnon de voyage me soutint : nous paiFÛmes devant le notaire. Mon époux*, laissa tomber ses beaux yeux sur moi, jo fus prête à m’élancer dans ses bras ; mai* la bienséance me retint. Je rappellai toute ma fierté, et je le regardai avec assurance.

Le notaire lit un acte que je n’étais pas en état d’entendre : ensuite, il me présenta • une plume pour le signer, en me deman* dant si j’avais connaissance ’’ de ce traité avec mon mari ? Je répondis que non, et ^ue j’étais chez lui sous la bonne foi des traités. Mon mari m’ajouta que je lui avais promis de le signer. Je pris la plume de ses . mains, et ajoutai mon nom au sien. Tout- à-coup sa figure changea de contenance ; il prit un ton insolent et ironique qui le démasqua et nie fit voir en lui le plus fourbe des hommes.

;■ • * .* . « V 

^ Monsieur, lui dis-jé, vous m’avez "trom- .

■ pée : vous avez profité d’un reste de fai-, blesse que j’ai pour vous pour me faire si- •gner’un acte que je ne connais pas : vous vous emparé du peu de fortune que je vous ai apporté ; mais ce n’est pas trop payer ’ ; Tome I IL,, 45, .


p^ur me guérir d’avoir aimé tin tel mon’s» >tre ! Vous faites plus encore, vous poussa. Ja scélératesse jusqu’à me priver de ma fille mais…. — Madame, dit-il en me conduisant vers la porte, on vous donnera l’expédition de l’acte. Adieu pour jamais. •• i

Je remontai dans ma voiture. M. de L…> calma mes sens en me faisant voir que ce dernier trait de mon époux devait me le faire oublier pour jamais. Je demeurai pen- dant plusieurs jours affectée de cette nière rupture ; mais la raison- et ma philo- sophie naturelle vinrent bientôt à -mon. secours.,

Il ne me restait plus qu’un moyen, celui d’aimer ; mais où trouver l’être qui pût- m’inspirer un sentiment prépondérant. Ce n’était pas en restant du matin an soir chez M. de L…. Les grands froids étaient passés ; la vie tranquille que j’avais raeitée chez mes nouveaux amis m’avait fait reprendre uu peu d’eml>onpoint et de fraîcheur. Un ma- tin que le tems était beau et que j’allais faire des emplettes au P.-R…, la queue de


’■■■- ’ <-355 )

tnarobe, sur’laquelle ou marclia, me fit faire un mouvement pour la retirer : on se’ ^isit de ma main en m’e disant ; — C’est vous, chère Olirape ! Ciel ! que devins- je i c’était celui que je n’avajs jamais pu banir <le mon cœur, celui que je n’avais cessé d’adorer ; c’était l’Auguste, l’Auguste par excellence. Quel miracle ! Hélas ! il se fut •bientôt justifié sur. son absence. Je le con- duisis triomphant che» mes hôtes ; iis le’


reçurent comme un second moi - me met nous passâmes la journée, et môme la nuit ensemble. Quelle nuit ! … . que j’eus de plaistr à lui pardonner ! Bientôt je crns de^ voir béiër le ciel de la tournure qu’avait ■ prise ma rupture avec mou mqfi j car le, cœur qui aime voit tout en beau ; c’est en- core une propriété attachée à ce délicieux, sentiment., 4


>


5


Mes hôtes eurent beau avoir des égards . ’ pour mon amant, ils ne lui plaisaient pas. - ’ ;

Il voulut entrer dans des détails sur mes . intérêts. Il demanda qu’elles t étaient les’’ • conditions du traitement amical que je ’

recevais chez eux. Alors, ils firent paraître’


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,fasse- au- dessous de mes fenèlres. Elle est chez elle, dit une Ibninie que:je connais-’ sais ; nous pouvons monter. J’allais me mettre au lit, lorsque j’entendis sonner : je fus ouvrir. Derrière la dame qui se’ présenta, je vis un être de la plus riche taille, une figure à la Louis XV, et si ma-v gnifiqiîe par sa mise, qu’à jieine pouvais-je ’à la lumière soptetiir l’éclat de ses bijoux, t

•J

Nous nous asseyons sur un canapé : il me demande la permission que inaTeinine- de-chambre allât faire venir à souper ; mais comme je n’en avais pas, la dame qui l’a- vait introduit chez moi s’offrit d’y aller. ’Après un souper charmant^ il m^ demanda la permission de faire les honneurs de chez moi ; il congédia la daine et lui donna rc ;idcz vous le lendemain matin pour dé- jeuner, Cet homme, que je trouvais fort à’

. mon gré, m’eût inspiré une grande ]>as- siuii, s’il eût un peu filé le parfait amour.

— Je connais, madame, votre position, qui vous êtes, et à qui vous appartenez ; est-oe que vous ne revieudrez jamais de ces grau- ’ des passions, dont yous n’aycz^ cependant




pas à TOUS louer. Oui, ma chère Félicité, cVst ainsi que je veux vous nommer, je vous aime autant que je vous aimerais dans - “ • quinze jours ; pourquoi perdre ce tems ?,.

Quand on est renfa’nt des circonstances,, j

on n’en a jamais à prodiguer. Dans quinze jours, peut - être, vous ferez un nouvel ’ ;

heureux ; je suis digne de l’être. Toutes les, ’ • -

raisons que vous m’opposez sont autant do, • . ^

sophismes, mon petit ange ; vous avez trop ’ d’esprit pour en être la dupe. Tenez, vous, ’ . / n’étes pas riche, vous avez des deies, je- ■ ; . viens de gagner au jeu, vous me plaisez’,, voici cinquante louis,, jfaitesr vous en hon-^ . . ’ .

neur, et passons la nuit ensemble dans co ;

joli dodo ; pouvez-vous me refuser un iiis- ’ .

tant (le plaisir ?…. Je ne pus résister à des ‘ <

argiimens de cette force ; ses manières charmantes eurent bientôt achevé de vain-- \ cre la résistance du premier momept, et - v nous fûmes ‘complettement heureux, ‘

•’ *■ \ X.

A • • •

. ’v II y avait six semaines que je n’avais revu le perfide Auguste ; ainsi je jurai à ’ - ’

,mon nouvel amant d’avoir pour lui tous^ les sentimens que j’avais eù pour cet ingrat.’





… ‘ > : ( 56o ) • ■ . ’ •

■ -I ’

y" A ric-tif heures du matin you vint’ sômièr ; je fus ouvrir presque nue, croyant que

;ic’était la dame de la veille ; mais quelle fut 

ma surprise de voir Auguste ! Jamais de ma vie je ne fus si confonclue, siembarrassée : ,il m’embrasse sans être nullement, surpris de ma froideur ; et tout en entreprenant encore de se justifier, il allait entrer dans ma chambre à coucher, lorsque revenue démon saisissement, je me jette au-devant de lui en lui disant : n’entrez pas, -vous êtes remplacé. Alors nous changeâmes de rôle. Ce fut lui qui ne savait plus quelle contenance faire. Il entra dans le sallon, • s’assit, et ne pensait plus à s’en aller, lors- que m’entendant nommer Félicité, et re- connaissant, la voix du marquis de’V…., je -passai près de ce dernier, qui me dit qu’il connaissait la voix de son rival ; mais qu’il ^le priait de nous laisser la liberté de déjeuner. . •


Je revins à Auguste, et lui dit que j’é- tais désolée, que j’avais affaire ; mais que s’il voulait repasser dans l’après-midi, j’au- jais une conférefice avec lui qui le mettrait



au


( 3 Gi)

BU fait de cet évènement. Il serait difficile de peindre-son •étonnement et sa mortifi- cation ; car la jalonsie a accès dans le cœur de l’homme lors même qu’il n’aüne pas ; ’ son orgueil offensé l’emporte sur son amour.

•, Comment, ajouta-t-il ! j’ai déjà un suc- ’Cesseur ! et déjà je suis de trop chez vous ? Je n’aurais pu le croire ! O, Olinipe ! je vous avais élevée jusqu’aux cieux, et mon rival ’ n’a fait de vous qu’une Félicité terrestre ! ;.. La fureur était peinte dans toute sa plii- sionomie en se retirant.» •

’ • ■ ’ r /t ■ . . ^

  • Dieu ! qoel’trouble il laissa dans’ mon’

ame ! quel évènement mal-encpntreux !….

.Félicité ! Olimpe ! répéta mou nouvel amant

en s’approchant de moi. . — Venez encore,

ma belle, jouir des félicités terrestres — ..

■Pcjurquoi les mortels voudraient-ils ’anti-r

ciper sur les plaisirs des Séraphins ? Dieu !

que votre Candide est fou ! Màis, bel ange,

raisonnons un peu. Cet homme vous a-t-il ^

■ rendue plus heureuse qu’un autre ? a-t-il

fait pour vous des sacrifices suffisans pour

-vous mettre à l’abri des besoins les plus , . ■* • • * . * *

Tome III. ; » 46 • >


y ’,

,iitgons ? Car pour praiîquer les vertus an- géliques ; il faut être à l’abri des besoins de J’liumanité ; et vptre position, ma chère amie, est itelle, que tontes les nécessités vous assiègent continuellement. Çet extra- vagant moraliste ne peut jamais que vous nuire. Une vaut pas mieux que toute votre vertueuse et angélique famille ; et comme ‘elle, qui prie réternel devons conserver le cœur chaste, il vous laisserait périr de misère, La venu austère dans le siècle où .(Il ou s sommes, mon enfant, n’est pas la route la plus sûre pour arriver au bonheur terrestre ; à moins que tu ne veuilles anti- ■■ ciper sur la béatitude. Alors, que fais-tu à Paris, où une jolie femme ne spécule que sur le plaisir î Tiens, ma reine, un.hon- nêie libertin comme moi te vaut beaucoup mieux que ces vertueux suranné ;s. Il faut avoir l’esprit de sou siècle au moral comme ’ au pin si que. La manière de penser change comme les modes. Ne serais-tu pas ridicule d’avoir des grands paniers, des hauts ta- lons. ? eh bien ! une vestale à Paris est. tout aussi déplacée ; et on ne t’acCordera pas seulement le froid sentiment de l’admira-


Digi’i.


( Wy • ^ r,,

V»,•, - . ‘ ’

tion ; tu péi’iras dans l’indigence et mêii^e le ridicule ; car la vertu indigente a pey de prt)sélytes ; la pitié est le dernier des seii- limens’qu’il faut inspirer.

Mais, viens, viens, mon petit ange ; te voilà Toute sérieuse. Regarde donc comme ce nuage de tristesse a ombragé ton front ! Que tu étais bien plus charmante hier soir,, en t’abandonnant mollement au plaisir ! lui seul a l’art d’embellir ; est-ce à nous à réformer la nature ? Nous y perdrions tout, Abaîidonnons-nous au torrent…. Viens’…*. ^ •viens : ^ué sur ce sopha |e mette mes argii- inens en pratique, et quejé te fasse avouer qu’un libertin aimable est mille fois plus charmant qu‘un inutile moraliste….’ ’’ ’=

Il n’eut point de peine à me convaincre de la verhé, et même de,1a nécessité’de ses principes : ses argunieiis furent sanc- tionnés par le plaisir…..

Là dame awiva pour déjeûner : il lit venir un restaurant, et la gaieté et les ris furent dé ce r,epas. L’aimable roué s’îynusa beau-




coup avec la dame de la visite im-prdmptu que nous venions, de recevoir. Puis, s’adres- sant à moi : — Faisons nos arrangemei*, ma belle.,• -,, ’

  • X, .

■ Je vous aime ; j’éprouve mi me pour vous un sentiment qui m’était inconnu jusqu’a- lors : je craindrais pour ma conversion, si je passais plusieurs jours de suite avee vous ; mais comme il est bien plus inté- ressant pour vous que je vous amène à mon période, que vous.de ’me conduire au vô- tre, écoutez- moi. Je veux être votre amant >

adoré quand je suis avec vous ; je^ux ef- facer le souvenir de tout autre r lorsque je vous possède. Lorsque je viendrai chez vous, votre, porte me sera toujours ouverte, et lorsque je serai cliez’vous, elle sera fermée à tout le monde. Je prendrai,* en partie, soin de vous. Il est doux de re»idre heu- reux ce que l’on aime. Vous voyez que je ne suis pas encore un roué corrbmpii, mais un charmant libertin. J’ai trouvé avec vous la satisfaction des sens, et m^iela félicité du cœur.’ Comme je viendrai vous voir sou- vent, j’eipbellirai yojre^ domicile dont


,( 365 ) ’ ;

vous rue permettreî du faire le mien de tems en teois* Tolérez moi des fantaisies, mtri, je vous passerai des caprices. La li-: berté, même en amour ; de la*constance",’ voilà le bonheur des gens honnêtes. La fidélité est faite pour les fous. Adieu, ma délicieuse Félicité. Tenez-vous prête pour^ quatre heures que je viendrai vous prendre pour aller dîner chez votre voisin Méot, et puis au spectacle. Adieu l’Amour, adieu.

’’f . • ^

’ Il emmena avec lui la dame ; il lui fit un magnifique cadeau, et m’envoya par elle un charmant chapeau,’dont il exigea qiie je fusse parée pour le dîner, parce qu’il devait s’y trouver plusieurs* de ses amis. Il, ne voulait pas non plus que la dame ame- née par lui fût inférieure en toilette aux autres dames, et ‘avait ordonné à sa com- plaisante et la mienne de surveiller ma

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parure.

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Je n’eùs que le tems de faire les em- plettes qui m’étaient nécessaires, et de payer mon loyer et quelques dettes criar- des. Je rentrai chez moi satifaite de ma


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Conquête au point d’en devenir folle. La

-satisfaction répandue dans tout thon être in’avaitdéjà embellie lorsqu’’Auguste ’viïiT. ’Il m’aborda d’un air timide, et s’informa de l’évènement qui avait amélioré mon sort ; Je lui racontai tout, en lui assurant que les sentimens. que j’avais pour lui n’eii souffrirait aucunement ; qu’au contraire’, je profiterais de ma nouvelle aisancé pour lui prouver que j’étais plus’ que jamais ’son amie ; ce que je fis très-loyalement. ’Peu de Jours après, je j^donnai’ un dîner à mes connaissances: mon .Auguste en était l’ame. Il s’était rapproché un peu des principes du jour en fait de galanterie, et nous refe^- lâines quelque lems tons -tranquilles. Ce bonheur calme dura quelques mois. Mon généreux^ amant partit pour un voyage : je reçus pluHeurs de ses lettres ; mais elles cessèrent tout-à-coup et je n’en entendis » plus parler. ’ ’ ■[ ’

Après la perte do ce galant homme, dont je demeurai inconsolable, je vécus .sur les débris de sa gratitude. Je donnais sou- venta mâhger, et Auguste était .toujours





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Comme il faisait très -froid ; — Hortense, me dit-i I ^ voulez- vous que j’aie l’honneur de vous offrir à souper î Montons chez les Provençaux ; ils ont un sallon bien chaud et bien composé. — Hortense ! pourquoi me nommez-vous ainsi, monsieur ? — C’est que dans des tems plus fortunés pour mon cœur, vous m’aviez permis, madame, de vous donner ce nom. Que je suis heureux de vous’ rencontrer, ma chère Hortense ! est-ce qu’il ne me serait plus permis de vous nommer ainsi Je le regarde : il était tellement enveloppé de foiirure, que je n’avais pu le reconnaître avant qu’il ne m’appellât par ce nom. Quoi ! c’est vous, mylord ? quel boftheur de vous rencontrer’, mon excellent ami ! que de choses nous avons à nous dire !…. ’ ’

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’ J’acceptai* sans façon le souper qu’il me proposait. Il me dit qu’il avait été forcé de faire un voyage si précipité, qu’il n’avait pu m’éCrire ; et qu’à son retour, il avait cherché envain après moi, lorsque le ha- sard me fit trouver dans cette vente, où il avait dessein de faire cadeau des bas à la Tome JIL 47




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personne qui mettait la sur-enclière pour lier connaissance avec elle (i). ^ …

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Je lui racontai mes aventures depuis que je ne l’avais vu, et le pourquoi il n’avait pu me trouver ; il m’écouta ^vec la plus grande attention. Nous nous liâmes de nouveau ; je redevins Hortense dans les bras d’un ami sincère. Plusieurs mois s’é- coulèrent dans l’intimité la plus parfaite ; mais comme il n’était pas de bonheur du- rable pour moi, ce qui est ordinaire aux femmes de mon âge n’étant plus commun chez moi, depuis ’mon incarcération, je devins insupportable à tout le monde, et chacun m’abandonna, excepté mylord. Je

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dépérissais tous les jours au point que mon individu ne présentait plus Qu’une char- pente hideuse. Mylord,. je lui dois cet hommage, eut pour moi les_ soins de la plus tendre mère ; Cette tendre amitié que je remarquai en lui m’attacha tellement à la vie en sa faveur, qu’aidée de sas soins, ma santé se rétablit.

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(i) Galanterie anslaise.-


■ Le *3 Vendémiaire arnva^ ^0 reposais tranquillement dans les bras de l’amitié, lorsque j’entendis sonner impitoyable- ment* à ma porte. Je m’empresse aussi-tôt d’ouvrir. Que vois-je ? l’infortuné Auguste qui vient me demander encore l’hospita- lité. Le trouble s’empara de mon ame ; mais ce n’était plus’ c« délicieux sentiment que j’avais éprouvé tant de fois pourlui. Mylord, dont Famé noble et généreuse est au-dessus de to\it éloge, s’empresse avec moi de lui

faire un lit pour le mettre en sûreté.

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L’allarme était si générale dans Paris, que Mylord dut penser aussi à sa sûreté. Après avoir eu la délicatesse d’approvision- ner ma maison et de pourvoir à tous mes besoins pour plusieurs jours, il vint me trouver et me tint ce langage : — Ma chère Hortense, un Anglais étant un être plus que proscrit, il se pourrait que l’on fît des visites domiciliaires et que vous fussiez compromise ; pour éviter ce double mat- heur, je me retire. Tâchez d’être utile à cet intéressant’ proscrit ; et après avoir cherché une cachette pour lui >il nous dit


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adieu : quelqu’instauces que je fisses, rien ne piit l’arrêter. . - ^ • i

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Je restai donc seule avec celui qui Avait été l’idole de mon ame : mon orgueil se trouva terrassé par l’urgence du moment. Mais comme l’amant de mon çœur qui » de son propre mouvenient % cessé de l’être, ne le redevient plus, j’étais bien certaine de n’avoir, plus pour, lui que fa déférence de l’amitié. ’, ., ^,

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Deux dames de mes a mi es .vinrent passer la journée avec moi ; la soirée étailt plus calme, elles retournèrent chez elles. Quand elles furent’paities, Auguste mit tout en. usage pour reconquérir ce cœur qu’il avait bi cruelleineut outragé ; mais il ue put rien obtenir, CetteOlimpe qui jadis était si vo- luptueuse, inémé provoquante lorsqu’elle était- son amante, n’était plus qu’une amie tendre prête à lui rendre tous les services possibles. •

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Au bout de trois jours l’orage politique étant dissipé nous nous quittâmes bons


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amis. Mylord revint chez moi si-lôt la re- traite de celui qu’il avait cru son rival. Enchanté d’apprendre que cfelui-ci n’avait rien regagné de ses droits ÿ il m’en aurait adoré davantage, si depùis long-ieins il n’eût ressenti pouWmoi l’amour le plus ten- dre et le plus constant. .

Ma santé était touiours languissante ; lés médecins m’ordonnent l’exercice du- che- val. Nous étions dans la belle saison et ^Tous les jours nous dînions ou aux Champs- Elysées, ou au bois de Boulogne. Un soir que je montais un éhevàl fouguetix, et que Mylord et ses amis avaient bien dîné, nous faisions caracoler nos chevaux ; lorsque le mien me jetta dans un trou assez profond, ’ où je manquai de me casser la jambe. Cette chiite m’occasionna uue fièvre violente qui fit déclarer une maladie des plus compli-» quée qui me mit à deux doigts de la mort. Pendant plus d’un an que je restai chez moi dans les angoisses de la plus ’affreuse douleur, j’épuisai les finances de Mylord, et me trouvai dans l’état de dénuement le jidus absolu, et sans aucune ressource. •-




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‘ Vons croyez peut-être, mon amie, que* dans un semblable état, je m’adressai à ma famille, point du tout : je’ savais que la générosité était sa moindre vertu. Je pris le parti de céder mon appartement pour’ une somme assez considérable, dont j’em- ployai la moitié à ’payer’ un médecin ; et’ l’autre moitié, avec le reste de mes meu- bles et effets furent portés chez une dame italienne, qui me cédât une pièce chez elle. J’y demeurai un mois. Mes souffrances étant toujours les mêmes, je me fis con- ^ düire dans un hospice.où Je pris un nom supposé pour qu’oii’ ignorât, dans tous les cas, ce que j’étais devenue. ’ -

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‘Mylord avait pris soin de moi chez mon amie ; mais on s’était occupé de cacher à sa ’Sensibilité le parti que je venais de prendre. Lorsqu’il l’apprit, il faillit en mourir de douleur. Il obligea mon amie de l’accompagner à l’hospice qui renfer- mait l’idole de son cœur. Ils demandèrent après moi au bureau de cette maison, qui les envoya dans une salle où il était arri- .vé la veille une femme portant, le nom


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d’Hortense, et qui y«étaît morte presque en arrivant… . . ■ .r ■ .

Arrivés dans la salle, et apprenant que j’étais morte, Mylord n’en voulut rien croire : il demanda aussi-tôt à être conduit à la salle des morts > où, disait-il > il me reconnaîtrait à certain signe. Là, ne trou- vant, que des. femmes sans tête, il fallut bien qu’il eût recours -au signe qu’il me connaissait ; effectivement > il se crut con- vaincu en trouvant pareille marque à un de ces cadavres inanimés. Il voulut encore ’ visiter les mftiades mais il était trop tard. Il s’en retourna avec une fièvre qui le fit rester pendant un mois au lit. - ’ ’

Mon amie apprenant ma mort, vendit tous mes effets et repartit pour l’Italie avec^ son amant ; de sorte qu’à ma résurrection je ne me trouvai pas une chemise à mettre.

• Après avoir passé six semaines dans des tourmens inouis, un médecin bon physio- nomiste découvrit ma maladif et apporta tant de soulagement à mes maux, qn’ea