Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Introduction/XII/b

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Doctrine de la vertu
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 45-47).


b.


De la conscience.


De même la conscience[1] n’est pas quelque chose que l’on puisse acquérir, et il n’y a pas devoir qui prescrive de se la procurer ; mais tout homme, comme être moral, la porte originairement en lui. Dire qu’on est obligé d’avoir de la conscience reviendrait à dire qu’on a le devoir de reconnaître des devoirs. En effet la conscience est la raison pratique représentant à l’homme son devoir, dans tous les cas où s’applique la loi morale, afin de l’absoudre ou de le condamner. Elle n’a donc point de relation à un objet, mais seulement au sujet (en qui elle excite le sentiment moral par son action) ; par conséquent elle est un fait inévitable, non une obligation et un devoir. Quand donc on dit que tel homme n’a pas de conscience, on veut dire qu’il ne tient aucun compte de ses arrêts. Car, s’il n’en avait réellement pas, il ne s’imputerait aucune action conforme au devoir, ou ne s’en reprocherait aucune comme y étant contraire, et par conséquent il ne saurait songer au devoir d’avoir une conscience.

Je laisse ici de côté les diverses divisions de la conscience, et me borne à remarquer, ce qui découle de ce qui précède, qu’une conscience erronée est un non-sens. En effet, quand il s’agit de juger objectivement si une chose est ou n’est pas un devoir, je puis bien parfois me tromper ; mais, au point de vue subjectif, quand il s’agit simplement de savoir si j’ai rapproché cette chose de ma raison pratique (qui prononce ici), pour en porter un jugement, je ne puis me tromper, puisque, sans cette comparaison, je n’aurais point porté de jugement pratique, auquel cas il n’y aurait ni erreur ni vérité. Le manque de conscience[2] n’est point l’absence même de la conscience, mais un penchant à ne tenir aucun compte de ses jugements. Quelqu’un juge-t-il qu’il a agi suivant sa conscience, on ne peut rien lui demander de plus, en ce qui concerne l’innocence ou la culpabilité. Il dépend de lui seulement d’éclairer son intelligence sur ce qui est ou n’est pas de son devoir ; mais, quand il en vient ou en est venu à l’action, la conscience parle involontairement et inévitablement. On ne pourrait donc pas même faire un devoir d’agir suivant sa conscience, car autrement il faudrait une seconde conscience, pour avoir conscience des actes de la première. Il n’y a ici d’autre devoir que de cultiver la conscience, de donner son attention à la voix de ce juge intérieur, et d’employer tous les moyens (ce qui par conséquent n’est qu’un devoir indirect) pour la bien entendre.

Notes du traducteur[modifier]

  1. Das Gewissen.
  2. Gewissenlosigkeit

Notes de l’auteur[modifier]