Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Partie 2/Chapitre 1/S2/$44

La bibliothèque libre.
Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (seconde partie de la Métaphysique des moeurs), suivis d'un Traité de pédagogie et de divers opuscules relatifs à la morale
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 149-150).


C.
la raillerie[1].
§ 44.


La manie de blâmer à tort et à travers[2] et le penchant à tourner les autres en ridicule, ou l’humeur moqueuse[3], qui consiste à se faire des fautes d’autrui un objet immédiat de divertissement, sont de la méchanceté, et il faut bien les distinguer de la plaisanterie[4], ou de cette familiarité, qui consiste à rire entre amis (mais non d’une manière offensante[5]) de certaines particularités qui ne sont des fautes qu’en apparence, mais qui dans le fait dénotent une supériorité d’esprit, ou qui n’ont parfois d’autre tort que celui d’être en dehors des règles de la mode. Mais le penchant à tourner en ridicule des fautes réelles, ou des fautes imaginaires qu’on présente comme réelles, afin d’enlever à une personne le respect qu’elle mérite, ce qu’on nomme enfin l’esprit caustique[6] (spiritus causticus), annonce un plaisir qui a en soi quelque chose de diabolique, et c’est par conséquent une très-grave violation du devoir de respect envers les autres hommes.

Il faut encore distinguer de ce vice cette manière plaisante, mais railleuse, de renvoyer avec mépris à un adversaire des attaques offensantes (retorsio jocosa), qui fait que le moqueur (ou en général un adversaire méchant, mais faible) est moqué à son tour, et qui est une légitime défense du respect qu’on a le droit d’en attendre. Mais, si l’objet ne prête pas proprement à la plaisanterie, si c’est quelque chose à quoi la raison attache nécessairement un intérêt moral, alors, quelque raillerie que l’adversaire y ait mise de son côté, et quoiqu’il prête lui-même le flanc au ridicule, il est plus conforme à la dignité de l’objet et au respect de l’humanité, ou bien de ne point répondre à l’attaque, ou bien de lui opposer une défense sérieuse et grave.

Notes du traducteur[modifier]

  1. Die Verhöhnung.
  2. Die leichtfertige Tadelsucht.
  3. Spottsucht.
  4. Scherz.
  5. Welches dann kein Hohnlachen ist.
  6. Die bittere Spottsucht.

Notes de l’auteur[modifier]