Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Partie 1/Division 1/Ch1/$7-QC

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Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (seconde partie de la Métaphysique des moeurs), suivis d'un Traité de pédagogie et de divers opuscules relatifs à la morale
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 82-83).


Questions casuistiques.


La fin de la nature dans la cohabitation des sexes est la propagation, c’est-à-dire la conservation de l’espèce ; on ne doit donc pas au moins agir contre cette fin. Mais est-il permis de se livrer à cette cohabitation (même dans le mariage), sans avoir égard à cette fin ?

Par exemple pendant le temps de la grossesse, ou quand (par l’effet de l’âge ou de la maladie) la femme est devenue stérile, ou quand elle ne se sent aucun goût pour l’acte conjugal, n’est-il pas contraire au but de la nature, et par conséquent aussi au devoir envers soi-même, comme cela est vrai du plaisir contre nature, de faire usage de ses organes sexuels ? Ou bien n’y a-t-il pas ici une loi de la raison moralement pratique, qui, dans la collision de ses principes de détermination, permette (par une sorte d’indulgence) quelque chose d’illicite en soi, afin d’empêcher ainsi un mal plus grand encore ? — Sur quoi se fonde-t-on pour traiter de rigorisme[1] (sorte de pédanterie relative à la pratique des devoirs considérés dans ce qu’ils peuvent avoir de large) la limitation d’une obligation large, et pour accorder une certaine latitude aux appétits animaux, au risque de manquer à la loi de la raison ?

L’appétit du sexe s’appelle aussi l’amour (dans le sens le plus étroit de ce mot), et il est dans le fait le plus grand plaisir qui puisse être produit par un objet des sens. – Ce n’est pas simplement un plaisir sensible, comme celui que nous trouvons en des objets qui nous plaisent par la seule réflexion qu’ils occasionnent en nous (la propriété d’éprouver ce plaisir est ce qu’on appelle le goût) ; mais c’est le plaisir de jouir d’une autre personne, et par conséquent c’est un plaisir qui se rattache à la faculté de désirer, et même au plus haut degré de cette faculté, à la passion. On ne saurait d’ailleurs le rapporter ni à l’amour de la bienfaisance ni à celui de la bienveillance, — car tous deux détournent plutôt du plaisir de la chair ; c’est un plaisir d’une espèce particulière (sui generis). Mais l’ardeur[2] qu’il excite n’a proprement rien de commun avec l’amour moral, quoiqu’il puisse s’allier étroitement avec celui-ci, lorsque la raison pratique y intervient avec ses conditions restrictives.

Notes du traducteur[modifier]

  1. Zum Purism.
  2. Das Brünstigseyn.

Notes de l’auteur[modifier]