Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Partie 2/Chapitre 1/S2/$48

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Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (seconde partie de la Métaphysique des moeurs), suivis d'un Traité de pédagogie et de divers opuscules relatifs à la morale
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 160-161).


APPENDICE.

DES VERTUS DE SOCIÉTÉ.
(virtutes homileticæ.)
§ 48.


C’est un devoir, aussi bien envers soi-même qu’envers les autres, de pousser le commerce de la vie jusqu’à son plus haut degré de perfection morale (officium, commercii sociabilitas) ; de ne pas s’isoler (separatistam agere) ; de ne pas oublier, tout en plaçant en soi-même le point central et fixe de ses principes, de considérer ce cercle que l’on trace autour de soi comme étant lui-même inscrit dans un cercle qui embrasse tout, c’est-à-dire dans le cercle du sentiment cosmopolitique ; de ne pas seulement se proposer pour but le bonheur du monde, mais de cultiver les moyens qui y conduisent indirectement : l’urbanité dans les relations sociales, la douceur, l’amour et le respect réciproques (l’affabilité et la bienséance) (humanitas æsthetica, et decorum), et d’ajouter ainsi les grâces à la vertu, car cela même est un devoir de vertu.

Ce ne sont là, il est vrai, que des œuvres extérieures[1] ou accessoires[2] (parerga) offrant une belle apparence de vertu, qui d’ailleurs ne trompe personne, parce que chacun sait quel cas il en doit faire. Ce n’est qu’une sorte de petite monnaie ; mais l’effort même que nous sommes obligés de faire pour rapprocher, autant que possible, de la vérité cette apparence ne laisse pas de seconder beaucoup le sentiment de la vertu. Un abord facile[3], un langage prévenant[4], la politesse[5], l’hospitalité[6], cette douceur dans la controverse[7] qui écarte toute dispute, toutes ces formes de la sociabilité sont des obligations extérieures qui obligent aussi les autres, et qui favorisent le sentiment de la vertu, en la rendant au moins aimable.

Ici s’élève la question de savoir si l’on peut entretenir des relations avec des hommes vicieux ? On ne saurait éviter de les rencontrer, car il faudrait pour cela quitter le monde, et nous ne sommes pas nous-mêmes des juges compétents à leur égard. — Mais quand le vice devient un scandale, c’est-à-dire un exemple public du mépris des strictes lois du devoir, et qu’il entraîne ainsi l’opprobre, alors, quand même les lois du pays ne le puniraient pas, on doit cesser les relations qu’on a pu avoir jusque-là avec le coupable, ou du moins les éviter autant que possible ; car la continuation de ce commerce ôterait à la vertu tout honneur, et en ferait une marchandise à l’usage de quiconque serait assez riche pour corrompre ses parasites par les délices de la bonne chair.

Notes du traducteur[modifier]

  1. Aussenwerke, proprement des ouvrages avancés.
  2. Beiwerke.
  3. Zugänglichkeit.
  4. Gesprächigkeit.
  5. Höflichkeit.
  6. Gastfreiheit.
  7. Gelindigkeit im Widersprechen.

Notes de l’auteur[modifier]