Doutes sur la religion/05

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Anonyme
(p. 18-21).


Sur Jéſus-Chriſt.

CHAPITRE V.


Un Dieu, s’eſt incarné, ſon but eſt de racheter les hommes, de les inſtruire & de les ſauver. Aucun de ces trois objets n’a été rempli.

§. I.

Dieu le fils n’a pu ſe charger de nos péchés pour ſatiſfaire à ſon Père, ſans cela il auroit eu une volonté différente de la ſienne ; l’un eſt le Juge, l’autre eſt le Criminel ; l’un eſt l’Offensé, l’autre eſt la Victime. Le fils n’eſt donc point de la même nature que le Pere, car la diverſité des volontés prouve une diverſité des eſſences, puiſque l’on prouve aux Monothélites que la diverſité des eſſences eſt une preuve de la diverſité des volontés. Mais, dira-t-on, il l’a voulu comme homme : Il n’étoit point homme avant ſon incarnation ; d’ailleurs il falloit un Dieu pour ſatiſfaire à Dieu. Il faut donc qu’un Dieu, comme Dieu, ait voulu ſatiſfaire.

§. II.

Dieu n’a pu ordonner la mort d’un fils qui n’étoit point coupable ; s’il l’a ordonnée, il a voulu le péché des Juifs qui l’ont fait mourir.

§. III.

La médiation ſuppoſe une foibleſſe entre les deux parties ; car elles peuvent s’accorder ſeules, ou non. Si elles le peuvent, le médiateur eſt inutile ; ſi elles ne le peuvent pas, l’accord eſt impoſſible & le médiateur eſt encore inutile. Si elles ne veulent pas s’accommoder, c’eſt pour de bonnes ou de mauvaiſes raiſons : ſi c’eſt pour de mauvaiſes raiſons, c’eſt foibleſſe : ſi c’eſt pour de bonnes raiſons, le médiateur doit les faire ceſſer pour le bien de la paix : or il a tort de faire ceſſer de bonnes raiſons.

§. IV.

Quand Dieu le fils a ſatiſfait à ſon Pere, c’étoit comme à Dieu & non comme à la premiere perſonne. Or il eſt auſſi Dieu que ſon Pere, donc il n’étoit pas médiateur entre Dieu & les hommes, ſans cela il le ſeroit avec lui-même. Il étoit pour ſon tiers dans l’offenſe faite à Dieu, il a donc dû remettre aux hommes le tiers de la ſatiſfaction qui lui appartenoit, & il a payé au Pere & au St. Eſprit les deux autres tiers qui leur revenoient le partage fait. Le fils ne s’eſt point partagé lui-même, le créancier ne peut ſe payer lui-même qu’en remettant ſa créance au débiteur, d’où j’argumente ainſi :

Dieu agit toujours par la voie la plus ſimple, il étoit plus ſimple de remettre aux hommes leur dette purement & ſimplement que de faire incarner Dieu pour ſe payer. Donc Dieu n’a pû s’incarner. Mais, dira-t-on, il falloit que Dieu fût payé ; point du-tout ; le Pere & le St. Eſprit pouvoient également remettre leur créance comme le fils remettoit la ſienne.

§. V.

Quelle dette Dieu demandoit-il à l’homme pour ſon péché & pour obliger le fils de s’incarner, & pour faire égorger un Dieu ? La mort à laquelle les hommes avoient été condamnés lors de la chute d’Adam, étoit plus que ſuffiſante pour acquitter la dette contractée par le péché commis par le ſeul Adam. Cette ſatiſfaction étoit ſuffiſante puiſque Dieu lui-même l’avoit imposée & s’en étoit contenté.