Doutes sur la religion/09

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Anonyme
(p. 29-33).


CHAPITRE IX.

Sur les Miracles.

§. I.


Si un homme aujourd’hui reſſuſcitoit un mort, ou ſe reſſuſcitoit lui-même dans Londres ou dans Paris, qui eſt-ce qui refuſeroit de croire un pareil Taumaturge ? cependant cela n’eſt point arrivé à Jéruſalem. D’où l’on voit que les gens ſensés de ce tems-là avaient quelquels doutes ſur les miracles de Jéſus-Chriſt ; les miens ſont les mêmes.

§. II.

En faiſant des miracles Jéſus-Chriſt n’a pu avoir pour but que de prouver ſa miſſion, & de ſe manifeſter aux hommes ; cependant après ſa réſurrection il ſe tient caché, & ne ſe monſtre qu’aux ſiens. A quoi bon faire des miracles pour garder enſuite l’incognito ?

§. III.

Les Evangéliſtes ne font pas tous mention de l’aſcenſion de Jéſus-Chriſt : il étoit pourtant naturel qu’ils finiſſent tous par-là leur hiſtoire. Comme par ſes ſouffrances & ſa mort Jéſus-Chriſt avoit ébranlé ou détruit la foi de ſes adhérens, & avoit ſcandalisé le public par ſon ſupplice qui s’était paſſé aux yeux de tout le monde, rien n’étoit plus naturel que de reſſuſciter & de monter au ciel devant tout le monde, il réparoit par-là le tort qu’il avoit fait à ſa cauſe, & il prouvoit la vérité de ce qu’il avoit prédit en promettant de reſſuſciter le troiſieme jour.

§. IV.

Les miracles de Jéſus-Chriſt ne ſont atteſtés que par ſes Sectateurs dont la cauſe eſt la même que la ſienne. Or perſonne ne peut être témoin dans ſa propre cauſe. Mais, dira-t-on, perſonne ne s’eſt élevé contre ces miracles dans le tems qu’ils s’opéroient : cela prouve qu’ils ne s’opéroient pas, d’ailleurs où ſont les procès verbaux qui conſtatent l’autenticité de ces faits & les rapports des Auteurs qui nous les ont tranſmis ? D’ailleurs les Chrétiens devenus les maîtres ont ſupprimé autant qu’ils ont pu les pieces de leurs adverſaires ; ils ont multiplié leurs propres titres, & le Paganiſme accablé ſous le poids du Sacerdoce & n’ayant plus de partiſans, les réclamations ſe ſont perdues faute de copiſtes. Mais, dira-t-on, les miracles de Jéſus-Chriſt n’ont point eu de contradicteurs depuis 15. ou 16. ſiecles : ſoit ; il ne peut y avoir de preſcription dans la cauſe de la raiſon. Si l’antiquité faiſoit en faveur d’une erreur, quels titres les Juifs, les Guebres, les Payens n’auroiens-ils point ?

§. V.

Soumets ta raiſon orgueilleuſe, adore ce que tu ne comprends pas ; c’eſt le langage de toutes les Religions établies ſur la terre, toutes font un cas particulier de l’ignorance. Mahomet veut que l’homme ſoit brute ; St. Paul lui laiſſe ſa raiſon à condition de n’en point faire uſage ; cependant il étoit lui-même ſi peu convaincu des miracles de Jéſus-Chriſt qu’il lui a fallu un miracle particulier pour le convertir ; chacun de nous ne peut-il point en attendre autant ? Ce grand Apôtre tombe de cheval, il eſt frappé d’un aveuglement qui lui ouvre les yeux ſur la vérité du Chriſtianiſme, enfin il change en prodige la honte d’être mauvais[1] Ecuyer.

§. VI.

Quel miracle plus convaincant que la propagation du Chriſtianiſme ? Comment une religion qui révolte les ſens a-t-elle pu ſe répandre ſi prodigieuſement ſans un miracle ? Plus une religion fera merveilleuſe plus elle aura d’empire & d’attrait. Les Apôtres commencerent par garder des meſures avec le Judaïſme ; Jéſus-Chriſt avoit dit non veni ſolvere ſed adimplere. On ménagea les eſprits, la loi de Moyſe fut confirmée au Concile de Jéruſalem juſqu’à nouvel ordre ; mais depuis elle fut minée ſourdement, & peu-à-peu il falloit enterrer la Synagogue avec honneur. Dieu avoit donc des meſures à garder avec les humeurs.

  1. Ne pourroit-on pas conjecturer que la converſion de St. Paul n’ait eu pour motif quelque mécontentement des Phariſiens qu’il avoit ſervis juſqu’alors avec un zêle qui pouvoit bien lui avoir laiſſé des remords. Peut-être ſentoit-il que le Phariséiſme ne battoit plus que d’une aîle & qu’il lui ſeroit plus avantageux de ſe réconcilier avec une Secte dont la ſingularité commençoit à lui attirer beaucoup de partiſans. Il fit donc ſon accommodement à Damas & il occupa la ſeconde place dans le college des Apôtres.