Du Dandysme et de George Brummell/06

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Alphonse Lemerre (p. 18-19).
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VI


S a vie tout entière fut une influence, c’est-à-dire ce qui ne peut guère se raconter. On la sent tout le temps qu’elle dure, et quand elle n’est plus, on en peut signaler les résultats ; mais si ces résultats sont de la même nature que l’influence qui les créa, et s’ils n’ont pas plus de durée, l’histoire en devient impossible. On retrouve Herculanum sous la cendre ; mais quelques années sur les mœurs d’une société l’ensevelissent mieux que toute la poussière des volcans. Les Mémoires, histoire de ces mœurs, ne sont eux-mêmes que des à-peu-près[1]. On ne retrouvera donc pas, comme il le faudrait, détaillée et nette, sinon vivante, la société anglaise du temps de Brummell. On ne suivra donc jamais, dans son ondoyante étendue et sa portée, l’action de Brummell sur ses contemporains. Le mot de Byron, qui disait aimer mieux être Brummell que l’empereur Napoléon, paraîtra toujours une affectation ridicule ou une ironie. Le vrai sens d’un pareil mot est perdu.

Seulement, au lieu d’insulter l’auteur de Childe-Harold, comprenons-le plutôt quand il exprimait son audacieuse préférence. Poète, homme de fantaisie, il était frappé, parce qu’il pouvait en juger, de l’empire de Brummell sur la fantaisie d’une société hypocrite et lasse de son hypocrisie. Il y avait là un fait de toute-puissance individuelle, qui devait plus convenir à la nature de son capricieux génie que tout autre fait d’omnipotence, quel qu’il fût.

  1. Encore pas toujours. Que sont les Mémoires de Wraxall, par exemple ? Et pourtant quel homme fut jamais mieux placé pour observer que celui-là ?