Du crépuscule aux aubes/III

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Imprimerie Beauregard (p. 25-30).

III

Le temple en ruines


Écoute la clameur humaine :
Depuis Caïn, elle poursuit,
À travers des siècles de peine,
La sérénité qui la fuit.

L’homme voudrait porter sa course
Au delà des dogmes vieillis
Qui l’abreuvèrent à la source
D’où tous les cultes sont jaillis.

Il veut connaître, et non plus croire ;
Trop longtemps son esprit déçu
S’est fait victime expiatoire
D’un acte qu’il n’a pas conçu.


Les vieux mythes sont trop sévères,
Et ses espoirs irrésolus
Aspirent aux nouvelles ères
Hors des temples qui ne sont plus.

Il veut, du baptême à l’absoute,
Sauver ses gloses en péril,
Et se demande dans le doute
Quel Dieu lui semble plus viril.

Il veut ausculter la Puissance
Pour en mesurer les frissons,
Comme un accès de fièvre immense
De l’orbe que nous traversons.

Mais chaque étoile est une lettre
Du mot suprême qui fait peur,
Et ce mot qu’il voudrait omettre
Est le seul qui ne soit trompeur.

L’univers est une pensée
Que Dieu commente chaque soir,
Où toute la vie embrassée
Se montre à quiconque veut voir.


Le Monde n’est plus solitaire,
Ni les êtres emprisonnés
Dans l’éloignement de la Terre :
Ailleurs d’autres êtres sont nés.

D’autres êtres vivent et meurent
Dans les mondes qu’on ne voit pas ;
D’autres, que nos rêves effleurent
Quand ils remontent d’ici-bas.

Leur vie et leur intelligence
N’atteignent pas encor nos yeux,
Car notre mesquine science
Refuse la pensée aux cieux.

Elle a ses bornes définies,
Qui ne dépassent pas la Mort
Ni les terrestres harmonies,
Où se limite son effort.

Son aspiration innée
Veut tout l’Infini pour envol,
Mais elle reste condamnée
À tout ce qui la tient au sol.


Les morts parlent toujours en elle
Dans la crainte ou dans la terreur,
Et l’atavisme se rebelle
Contre un vide fait éclaireur.

L’homme veut que le passé brise
Les dieux qu’il a multipliés
Et l’ancienne croyance apprise
Dans les mystères oubliés.

En cette atmosphère pesante,
L’âme même est un corps trop lourd
Pour que sa vie agonisante
Monte jusqu’aux clartés du jour.

Elle s’interdit jusqu’au Rêve :
Mais le Rêve est un découvreur
Dont jamais la tâche n’achève
De purger le Vrai de l’Erreur.

Laisse crier la clameur vaine :
Elle s’épuise sans retour,
Et son emprise surhumaine
Échoue à son premier détour.


Demande-toi pourquoi tu penses.
Pourquoi ton cœur devine un but,
Pourquoi les fortes espérances
Grandissent le paysan brut.

Pendant que tu cherches et pleures
Dans le doute et l’obscurité,
Entends les voix intérieures
Qui te parlent d’Éternité !