Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre IV

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 83-97).


CHAPITRE IV


LE CŒUR DE LA CAPITALE. — INTÉRIEUR DU MÉNAGE. — ESCLAVAGE DES FEMMES
NIVEAU DE LA MORALITÉ. — UNE RÉPÉTITION EN TOILETTE.


Les habitants du Royaume Ermite sont particulièrement versés dans l’art de ne rien faire en y mettant de la grâce. Il y a en conséquence un charme et une variété infinis dans la vie quotidienne en Corée. Les gens du pays prennent leurs plaisirs passivement, et leur incapacité de constitution leur donne l’apparence d’avoir peu de chose à faire, si ce n’est de se promener lentement au soleil, ou de s’asseoir, les jambes croisées, à l’ombre de leurs maisons. L’inaction leur sied. La lourde dignité de leur aspect et leur ferme maintien communiquent beaucoup de pittoresque aux spectacles de la rue. La population en vêtements blancs, en pantalons blancs, en chaussettes blanches, à la démarche lente, attire l’œil irrésistiblement. Les femmes ne sont pas moins intéressantes que les hommes. La façon unique de leur costume, qui diffère complètement de tous les autres vêtements féminins qu’on ait jamais connus dans le monde, le rend suffisamment caractéristique des variations de l’esprit féminin pour être intéressant.

VOILE DIT Chang-ot

Les femmes n’apparaissent pas beaucoup dans les rues pendant le jour. Le degré de leur réclusion dépend du rang qu’elles occupent dans la société. D’une façon générale, les barrières sociales qui séparent les trois classes sont ici bien définies. Les yang-ban ou nobles sont naturellement la classe dominante. La femme des hautes classes vit assez comme la femme indoue dans le zenana ou gynécée ; depuis l’âge de douze ans, elle n’est visible qu’aux gens faisant partie de la maison et à ses proches parents. Elle se marie jeune, et à partir de là ses connaissances parmi les hommes ne dépassent pas le cinquième degré de cousinage. Elle peut faire visite à ses amies, portée en chaise fermée par quatre porteurs. Elle va rarement à pied, mais si elle le fait, son visage est invariablement voilé dans les plis du chang-ot. Les femmes de la classe moyenne sont soumises à peu de restrictions quant à leur tenue dans les rues, et elles ne sont pas aussi sévèrement recluses à la maison que leurs sœurs de l’aristocratie ; elles ont cependant le visage voilé. Le chang-ot ne cache pas aussi complètement que le voile porté en Turquie. De plus, on l’enlève souvent dans la vieillesse. Il est interdit aux danseuses, aux esclaves, aux religieuses et aux prostituées, toutes comprises dans la plus basse classe, de porter le chang-ot. Les femmes médecins également s’en dispensent, quoiqu’il soit permis seulement aux femmes de haute naissance de pratiquer la médecine.

DANSEUSES CORÉENNES

D’une manière générale, l’occupation principale des femmes en Corée est la maternité. Il est très scandaleux qu’une femme atteigne la vingtième année sans s’être mariée, et il n’existe aucune raison meilleure pour le divorce que la stérilité. À l’égard du mariage toutefois, on demande à la femme de compléter la fortune de son mari et de contribuer aux dépenses de la maison. Quand les femmes des hautes classes veulent s’engager dans les affaires, il est certaines carrières, en dehors de la médecine, qui leur sont ouvertes. Elles peuvent se livrer à la culture du ver à soie, des abeilles, au tissage des chaussures de paille, ouvrir un débit de vin ou se faire institutrices. Elles ne peuvent entreprendre ni la fabrication de la dentelle et de la toile, ni la vente des fruits et des légumes. À mesure qu’on redescend l’échelle sociale, le nombre des professions ouvertes aux femmes augmente et se diversifie. Celles des classes moyennes peuvent se livrer à toutes les occupations permises aux femmes des hautes classes, excepté la médecine et l’enseignement. Elles peuvent devenir concubines, cuisinières, nourrices, ou occuper une place au palais. Elles peuvent tenir toute espèce de boutiques, cabarets ou hôtels ; elles possèdent certains privilèges pour la pêche, qui leur permettent de prendre des peignes à côtes rondes, des seiches et des bêches de mer. Elles peuvent fabriquer n’importe quelle espèce de souliers et de chaussures. Elles peuvent faire des filets de pêche et des blagues à tabac.

COIFFURES DE DEUIL DES FEMMES CORÉENNES

Si un certain respect est témoigné aux femmes de la classe moyenne, celles de la classe inférieure sont regardées avec mépris. Des occupations permises aux femmes de la classe moyenne, il en est deux que les femmes de basse extraction ne peuvent entreprendre. Elles ne peuvent remplir aucun poste au palais et elles ne peuvent pas fabriquer de blagues à tabac. Elles peuvent se faire sorcières, jongleuses, saltimbanques, contorsionnistes, danseuses et courtisanes. Il y a cette grande différence entre les membres des deux plus vieilles professions que le monde ait connues : la danseuse termine habituellement sa carrière en devenant la concubine d’un noble riche ; la courtisane, par contre, ne la termine pas du tout.

LA SALLE DES AUDIENCES IMPÉRIALES À SÉOUL

Il est impossible de ne pas admirer l’activité et l’énergie de la femme coréenne. En dépit du mépris avec lequel elle est traitée, elle est le grand facteur économique dans la maison et dans la vie de la nation. La force des circonstances l’a faite la bête de somme. Elle travaille pour que son seigneur et maître puisse reposer dans la paresse, dans un luxe relatif et en paix. Malgré les effets déprimants et pernicieux de ce dogme absurde d’infériorité, et en contradiction avec des siècles de théorie et de philosophie, son activité et sa droiture sont plus évidentes dans la vie nationale que l’industrie de son mari. Elle est exceptionnellement active, forte de caractère, pleine de ressources dans les cas difficiles, méticuleuse, persévérante, indomptable, courageuse et dévouée. Dans la classe moyenne et la classe inférieure, elle joue le rôle de tailleur et de blanchisseuse. Elle fait le travail d’un homme dans la maison et d’un animal dans les champs ; elle fait la cuisine et elle coud ; elle lave et repasse ; elle entreprend un commerce et le dirige, ou bien elle travaille la terre et exploite une ferme. En présence de toute adversité, et dans ces moments d’épreuves, et de misère où son fainéant de seigneur et maître s’effondre dans le néant de son désespoir, c’est elle qui maintient la misérable famille en péril. Sous la dynastie précédente, la sphère d’activité des femmes en Corée était moins restreinte. La loi de réclusion n’existait pas ; le sexe féminin jouissait d’une plus grande liberté publique. Vers la fin de cette dynastie cependant, le caractère de la société s’abaissa, et les femmes spécialement furent en butte à la violence. Les prêtres bouddhistes se livrèrent à une débauche universelle ; l’infidélité conjugale fut pratiquée comme un sport ; l’enlèvement devint à la mode. La dynastie actuelle s’efforça de réprimer ces désordres en ordonnant et en propageant l’isolement et une plus grande soumission des femmes. Le vice et l’immoralité se pratiquaient depuis si longtemps et d’une façon si générale que les hommes avaient déjà commencé d’eux-mêmes à garder leurs femmes enfermées. S’ils les respectaient dans une certaine mesure, ils étaient tout à fait soupçonneux à d’autres égards. La crainte et la méfiance étaient ainsi les causes dominantes de la réclusion des femmes, et ce système se développait de lui-même, les Coréens ayant appris à redouter les propensions amoureuses de leur propre sexe. Il est possible que les femmes trouvent dans la protection qui leur est aujourd’hui accordée, une légère compensation aux corvées et aux durs travaux qui sont leur partage.

PETIT ESCLAVE

L’esclavage parmi les Coréens se borne aujourd’hui à la possession de femmes esclaves. Jusqu’au temps de la grande invasion de la Corée par les armées japonaises sous Hideyoshi, en 1592, il était permis d’avoir des esclaves des deux sexes. La perte d’hommes fut telle dans cette guerre que, lorsqu’elle fut terminée, on promulgua une loi qui interdisait la vente des esclaves mâles. Il reste toutefois le sang-no (petit esclave), qui rend certains services, et qui en retour est nourri et habillé. La position du sang-no est au-dessous de celle du serviteur à gages, et supérieure à celle de l’esclave proprement dit. Il n’est lié par aucun engagement et il est libre de quitter sa place.

Les devoirs de la femme esclave comprennent tout le gros ouvrage de la maison. Elle s’occupe du blanchissage, — besogne incessante et indispensable dans une maison coréenne ; elle va chercher de l’eau au puits, aide à la cuisine, va au marché et fait les courses. On ne la laisse s’occuper d’aucune fonction d’un caractère supérieur ; sa place est à la cuisine ou dans la cour, et elle ne peut devenir femme de chambre ni servante favorite d’aucune sorte ; elle peut figurer dans le cortège funèbre de son maître.

Il y a quatre façons par lesquelles la femme coréenne peut devenir esclave. Elle peut s’offrir volontairement comme esclave en échange de la nourriture, de l’habillement et du logement, par suite de son absolu dénuement. La femme qui devient esclave de cette manière ne peut plus racheter sa liberté. Elle a moins de droits que l’esclave qu’on achète ou qui se vend. La fille d’une esclave qui meurt dans le service ne sort pas de l’esclavage. Si sa maîtresse se marie, l’esclave de cette sorte fait partie de la dot. Une femme peut être réduite en esclavage pour les actes de trahison d’un parent. La famille d’un homme convaincu de trahison devient la propriété de l’État, et les femmes sont distribuées à de hauts fonctionnaires. Elles sont ordinairement remises en liberté. De plus, une femme peut se soumettre à l’approbation d’un maître éventuel. Si on la trouve satisfaisante et si elle a de bonnes recommandations, ses services peuvent valoir dans les quarante, cinquante ou cent mille d’argent comptant. Quand le prix a été versé, elle fait un acte de donation de sa propre personne à son acheteur, et elle met l’empreinte de sa main sur le document en place de sceau, dans le but de fournir un facile moyen d’identification. Quoique cette transaction ne reçoive pas la connaissance du gouvernement, le contrat est obligatoire.

Comme la loi décide que la fille d’une esclave doit prendre la place de sa mère quand elle meurt, il est de l’intérêt du maître de favoriser le mariage de ses esclaves. Les esclaves qui reçoivent un dédommagement pour leurs services peuvent épouser qui leur plaît ; on fournit un logement au couple. Le maître n’a toutefois aucun droit sur les services du mari. L’esclave qui se voue volontairement à l’esclavage et qui ne reçoit aucun prix pour ses services ne peut se marier sans consentement. Dans ces cas-là, il n’est pas rare que le maître, au bout de quelques années, lui rende la liberté.

CONCUBINE DU PALAIS

Jusqu’ici la position de la femme coréenne a été si humble que son éducation n’a pas été nécessaire. Sauf parmi celles appartenant aux classes les moins honorables, les facultés littéraires et artistiques demeurent incultes. Parmi les courtisanes cependant, les talents intellectuels sont cultivés et développés en vue de faire d’elles des compagnes brillantes et divertissantes. Le seul signe de leur profession est la culture, le charme et l’étendue de leurs connaissances. Ces « feuilles de soleil », trait caractéristique de la vie publique en Corée, se tiennent à part dans une classe particulière. On les nomme gisaing, et elles correspondent aux geisha du Japon ; leurs devoirs, leur entourage et leur mode d’existence sont presque identiques. Officiellement, elles sont attachées à un département de l’État, et sont sous le contrôle d’un bureau spécial, dont dépendent également les musiciens de la cour. Elles sont soutenues par le trésor national et elles assistent en évidence aux dîners officiels et à toutes les fêtes du palais. Elles lisent et récitent ; elles dansent et elles chantent ; elles deviennent des artistes et des musiciennes accomplies. Elles s’habillent avec un goût exceptionnel ; leurs mouvements ont une grâce extrême ; elles sont délicates d’aspect, très fragiles et très humaines, très tendres, très sympathiques et très imaginatives. Par leurs dons artistiques et intellectuels, les danseuses sont, — et cela est assez ironique, — exclues des positions auxquelles leurs talents les rendent si particulièrement propres. Elles peuvent se mêler à la plus haute société, et en fait elles y vivent. On les rencontre dans la maison des personnages les plus distingués, elles peuvent être choisies comme concubines de l’empereur, devenir les maîtresses d’un prince, les poupées d’un noble. Cependant un homme de naissance ne peut les épouser, bien qu’elles incarnent tout ce qu’il y a de plus brillant, de plus spirituel et de plus beau. Parmi les personnes de leur sexe, leur réputation correspond au niveau de leur moralité, car on fait une distinction entre celles dont le métier est embelli par la quasi-honnêteté d’une concubine, et celles qui sont confondues avec les simples prostituées à l’étalage prétentieux.

Dans l’espoir que leurs filles atteindront le succès qui leur assurera des ressources pour la vieillesse, les parents pauvres font entreprendre à leurs filles le métier de gisaing, de même qu’ils préparent leurs fils à celui d’eunuque. Les jeunes filles sont choisies pour la parfaite régularité de leurs traits. Elles sont habituellement jolies, élégantes et fines. Il est à peu près certain que ce sont les plus jolies femmes de Corée, et bien que leur classe soit étendue et qu’elles viennent de toutes les parties du royaume, les gisaing les plus belles et les plus accomplies viennent de Pyöng-an. Les arts et les élégances dans lesquels elles ont été si soigneusement élevées, leur donnent dans la maison de leurs protecteurs une situation supérieure à celle qu’occupe la femme légitime. Comme conséquence, les légendes coréennes sont pleines d’histoires des différends et des plaintes conjugales auxquels donne lieu l’amour ardent et prolongé de maris pour des femmes auxquelles le destin les empêche de s’unir plus intimement. Les femmes sont de faible stature avec des pieds jolis et petits, et des mains bien faites et gracieuses. Elles sont tranquilles et sans prétention dans leurs manières. Leur sourire est éclatant, leur attitude modeste, leur aspect charmant. Elles portent dans les cérémonies officielles des jupes de gaze de soie de nuances variées ; une veste de soie diaphane, avec de longues manches amples dépassant les mains, protège leurs épaules ; une ceinture ornée de pierreries, pressant leurs seins nus, soutient leurs draperies. Elles portent une coiffure compliquée, lourde et artificielle, faite de cheveux noirs nattés et rehaussés de nombreux ornements d’argent. La musique accompagnant la danse est plaintive et le chant de la danseuse quelque peu mélancolique. Beaucoup de mouvements sont exécutés, le pied seulement recouvert d’un bas ; les danses sont absolument exemptes d’indécence et d’attitudes suggestives. Certaines plaisent vraiment par leur curieux caractère.

À une occasion, Yi-cha-sun, le frère de l’empereur, m’invita à assister à la répétition en toilette d’une fête qui avait lieu prochainement au palais. Bien que cette faveur exceptionnelle me fût accordée spontanément, il me fut absolument impossible d’obtenir la permission de photographier les gracieuses figures glissantes des danseuses. Quand ma chaise me déposa au yamen, la danse était déjà commencée. Les chaises des fonctionnaires et les domestiques des danseuses, bavardant, remplissaient l’enceinte ; des soldats de la garde impériale étaient en faction devant les portes. L’air était rempli des notes tremblantes de la flûte et de la viole, dont les cris plaintifs étaient ponctués par le grondement du tambour. Dans un édifice, dont la muraille était percée d’ouvertures, on pouvait voir les groupes de danseuses qui se balançaient lentement et presque imperceptiblement avec la musique.

Du dais où mon hôte se tenait, la danse rayonnait de couleur. Les danseuses étaient au nombre de dix-huit, divisées en trois groupes égaux, et avec le soleil ruisselant qui se jouait à la surface brillante de leurs vêtements, les flexibles et gracieuses figures semblaient flotter dans le reflet d’une mer de lumière étincelante. La danse était presque dépourvue de mouvement, telle était la lenteur avec laquelle se développaient ses fantastiques figures. Pas un instant les petites danseuses ne cessèrent de garder les bras horizontaux, et ne parurent fatiguées de la dimension et de la lourdeur de leur coiffure. Très lentement, l’orchestre assis indiquait l’air. Et très lentement, les danseuses évoluaient dans l’espace libre devant nous, leurs bras levés, leurs draperies de gaze et de soie flottant autour d’elles, leur curieuse chevelure tassée haut et retenue en place par de nombreuses épingles émaillées et ornées de pierres, étincelant au soleil.

L’air était solennel ; et comme si le mouvement était celui d’une cérémonie, leurs voix s’élevaient et s’abaissaient en une harmonie prolongée d’une expression passionnée. Par moment, les trois groupes s’unissaient, les nuances des jupes de soie se mêlant en une flamme vive d’une splendeur barbare. Alors, un autre mouvement succédant, les dix-huit figures se séparaient et, en équilibre sur les pointes, se formaient en cercle en un ensemble imposant et rythmique, les bras se levant et s’abaissant, le corps se courbant et se balançant, dans une ondulation de rêve.

La danse résumait la poésie et la grâce du mouvement humain. Les attitudes élégantes des artistes étaient empreintes d’une douceur et d’une délicatesse délicieuses. Les longues robes de soie révélaient une grâce singulière d’attitude, et on contemplait les danseuses, qui étaient vêtues des pieds à la tête, non pas nues, impudiques et éhontées comme celles de nos parodies, avec un soulagement et un plaisir infinis. Il y avait de la puissance et de la logique dans leurs mouvements, une artistique subtilité dans leurs poses. Leurs robes flottantes accentuaient la simplicité de leurs gestes, la pâleur de leur visage n’était pas dissimulée ; leurs regards étaient timides ; leurs manières modestes. Les notes étranges et lugubres des singuliers instruments, la cadence incertaine du chant, le glissement des danseuses, l’éclat éblouissant des soies, les couleurs vives des jupes, la rougeur de la peau sous les vestes de soie, captivaient silencieusement et fortement le spectateur ; soulevant une émotion et un enthousiasme irrésistibles.

Les fascinantes figures approchaient doucement, d’un glissement égal ; et à mesure qu’elles s’avançaient en glissant lentement, la musique s’épanchait en une lamentation passionnée. Le caractère de la danse changea. N’avançant plus, les danseuses évoluaient à la cadence des tambours ; tournant en cercles de couleur, leurs bras se balançant, leur corps ondulant en avant et en arrière, elles disparurent en reculant peu à peu. Les petites personnes semblaient inconscientes de leur art ; les musiciens ignorants des qualités de leurs plaintives mélodies. Cependant la maîtrise de l’orchestre, la conception, le talent et l’exécution de la danse faisaient de tout cela un triomphe de technique.

Alors que la danse était à son apogée, rien ne montra mieux l’admiration des spectateurs que leur parfaite immobilité. Des cours parvint, à un certain moment, le bruit fait par les serviteurs et par le hennissement d’impatience des chevaux. Des regards menaçants réduisirent au silence les esclaves, et rien ne vint plus de longtemps rompre le magnétisme où la danse les plongeait. La danse finie, ce fut le tour des autres de répéter leurs rôles, pendant que les danseuses, libres à présent, s’étaient assises, causant avec le prince, mangeant des bonbons, fumant des cigarettes, des cigares, ou la longue pipe du pays. Beaucoup d’entre elles, défaisant leurs coiffures, s’étaient étendues sur leurs nattes, les yeux fermés en un instant de repos pendant que leurs domestiques les éventaient. Son Altesse appréciait visiblement la familiarité de leurs façons à son égard. Pour manifester le plaisir que lui causaient leurs espiègleries et les encourager, il leur prenait la joue et leur pinçait le bras, assis au milieu d’elles.

DAME CORÉENNE ALLANT VISITER SES AMIES