Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre XVII

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 269-281).


CHAPITRE XVII


LES MINES ALLEMANDES. — MINÉRALOGIE ET MÉTHODES D’EXPLOITATION MINIÈRE.
UNE CHASSE À L’OURS. — CHASSEURS CORÉENS.


La nature témoigne des bouleversements qu’elle a subis en ces régions. Il y a beaucoup de formations calcaires et d’ardoises, des soulèvements basaltiques, des blocs de lave, et des chaînes où se succèdent les pics de granit. À l’ouest de Tong-ko-kai est le cratère d’un volcan éteint, mais les couches de lave dans le voisinage de la concession sont presque entièrement rongées. Le bassin où est situé la concession est bien arrosé, cultivé et peuplé par places. Il est entouré de montagnes d’une hauteur de trois, quatre ou cinq mille pieds. Le nord de la Corée est montagneux, tandis que le sud est couvert de collines. La ligne de partage des eaux qui s’étend du nord au sud, séparant le versant de la mer du Japon de celui de la mer Jaune, est presque parallèle à la côte est. Cette ligne de montagnes forme comme l’épine dorsale de la péninsule ; le versant oriental est étroit et abrupt, tandis que le versant occidental s’étend et se prolonge en plaines favorables à l’agriculture. L’altitude des pics varie généralement entre cinq et six mille pieds. Quelques points isolés, à l’extrême nord, sont, à ce que l’on croit, plus hauts.

La plupart dés districts miniers sont situés auprès des principales crêtes séparant les bassins. Les fameux districts miniers de Kang-kyoi, de Kap-san et de Teh-chang-chin, qu’occupent aujourd’hui des ouvriers indigènes, se trouvent sur le plateau formé par la jonction de la chaîne qui constitue la frontière septentrionale de la province de Pyong-an, avec la grande ligne de partage des eaux du pays, Les mines anglaises de Eun-san sont situées dans une région traversée par les contreforts nord-ouest de cette grande ligne de partage. Les mines allemandes sont situées pareillement, par rapport à la grande division naturelle du pays, sur le versant est. La Corée possède nombre de minerais utiles — de l’or, de l’argent, du plomb, du cuivre, du fer, de la houille, mais celui dont elle est le plus riche est l’or. La valeur de l’or exporté de Corée, qui était de 363.305 livres sterling en 1900, est montée à 509.738 livres sterling en 1901. En 1902, la valeur de l’exportation d’or a encore augmenté, atteignant 516.961 livres sterling. Ces chiffres indiquent seulement la valeur de l’or déclaré en douane. De fortes quantités sont, chaque année, exportées en contrebande.

Depuis les temps les plus reculés on connaissait la présence de l’or en Corée. Knochenhauer, un géologue allemand, a déclaré que toutes les rivières du pays en contenaient. Jusqu’ici c’est l’or d’alluvion qu’ont surtout recueilli les ouvriers indigènes. Les mineurs suivaient l’objet de leurs recherches aux flancs de la montagne jusqu’à ce qu’ils découvrissent les veines et les filons d’où provenait la plus grande quantité de l’or d’alluvion. Les principaux districts aurifères sont situés dans le nord du pays ; c’est là que se trouvent les mines anglaises de Eun-san, les mines américaines de Un-san et les mines allemandes de Tong-ko-kai.

La source première de l’or coréen se trouve dans les veines du quartz, qui, aux mines américaines, donne, paraît-il, un rendement très important. Les dépôts d’alluvion, amenés des veines qui se trouvent dans les montagnes, ont été traités par les Coréens à leur manière : avec des procédés plus scientifiques, leur rendement est satisfaisant. Les sédiments de schotter, aux mines de Tong-ko-kai, atteignent un maximum d’épaisseur de soixante-quinze pieds, épaisseur qui dépasse de cinquante pieds, la formation habituelle du sédiment. La concession a été accordée en 1898. Aux termes de cette concession, autorisation était donné à une Compagnie allemande de choisir un emplacement de vingt milles de long sur treize milles de large, dans les deux ans à partir de la signature du contrat, et d’exploiter tous les minerais pendant vingt-cinq ans, moyennant une redevance annuelle au gouvernement coréen, s’élevant à vingt-cinq pour cent des profits nets. Les revenus provenant de cette source appartiennent à l’Empereur et vont directement à sa cassette privée. Pour le syndicat anglais, la redevance fut fixée à la somme fixe de 20.000 livres sterling, plus un paiement annuel de 2.000 livres sterling.

L’emplacement choisi par les Allemands était, au moment où ils en prirent possession, le centre d’une importante industrie d’extraction de l’or d’alluvion. Les mineurs indigènes s’opposèrent fortement à leur établissement et se préparèrent à résister par la force à la Compagnie. On vint toutefois à bout de leur résistance, en leur accordant une prolongation de travail d’une année, et lorsque M, Bauer entra en fonction comme ingénieur en chef, il ne rencontra plus d’opposition. Dans tout le district, on voit les restes des anciens travaux dans le schotter du lit de la rivière ; on en trouve aussi à certains endroits dans le quartz, sur les flancs de la montagne. En l’absence des machines indispensables, les travaux sur la concession ne pouvaient être convenablement organisés. La concession fut donc abandonnée pour le moment, des recherches attentives n’ayant pu amener la découverte de filons offrant un rendement suffisant. Au moment où elle cessa ses travaux, la Compagnie employait neuf Européens, treize Japonais et Chinois, et environ trois cents Coréens.

L’exploitation minière en Corée est tout à fait élémentaire. Les méthodes habituelles sont celles du « placer » et du « broyage » et un procédé de traitement par le feu. On creuse un puits vertical, avec des degrés étroits taillés dans ses parois, jusqu’au niveau du roc ; on entasse du bois dans le fond du puits, on rallume et on le garde allumé pendant plusieurs jours. Le roc chauffé devient très friable et cède facilement aux outils primitifs des mineurs. On se dispute ardemment le compartiment du fond dans ces puits ; les plus intrépides n’attendent pas pour descendre que le travail ait refroidi. Le quartz est parfois frotté pour être réduit en poudre, et l’or séparé par le lavage, où bien il est broyé entre de grosses pierres, lavé, broyé à nouveau et bassiné ! On recueille ensuite le métal. Jusqu’à ces derniers temps, il n’y avait pas d’endroits où l’or fût éprouvé autrement que par ces méthodes surannées.

À LA CASERNE. — SOLDATS CORÉENS S’EXERÇANT AU TIR À L’ARC

On a mis tant d’espoir et de confiance dans les mines de Corée que le public ferait bien de se montrer prudent vis-à-vis des placements de ce genre. Il faut attendre de connaître les résultats que donneront les diverses concessions minières actuellement en exploitation, et il faut espérer que ces résultats constitueront une preuve certaine des ressources minières du pays. Le rendement des mines américaines tend à faire croire que ces ressources n’ont pas été exagérées ; mais il reste encore à prouver que l’exploitation des mines peut être conduite avantageusement avec les méthodes et les machines occidentales. Les dépôts où se trouve l’or en Corée sont irréguliers et nullement continus. Cela n’a que peu d’importance pour le mineur coréen. Son outillage lui coûte au plus quelques francs, et il peut facilement transporter son installation à n’importe quelle distance, selon que les circonstances l’exigent. Pour pouvoir installer avec succès les machines occidentales, une organisation différente est nécessaire, et le public veut avoir la preuve qu’il y a dans les environs de la mine une quantité suffisante de minerais pour assurer les bénéfices de son placement. Il reste encore à faire cette preuve pour la mine anglaise ; quant à la mine allemande, elle a abouti à un fiasco. Il est à souhaiter que ces entreprises minières réussissent, dans l’intérêt des indigènes et des étrangers. Elles procurent un travail bien rémunéré à des milliers de Coréens, qui dépensent une partie de leurs gains à l’achat de marchandises étrangères. Toutefois, il n’est peut-être pas à regretter absolument que le gouvernement, à l’heure actuelle, soit peu enclin à accorder de nouvelles concessions.

UNE PARTIE BIEN DISPUTÉE

Pendant notre séjour à Tong-ko-kai, nous passâmes un jour à escalader les montagnes jusqu’à des régions où, à des milliers de pieds d’altitude, des orpailleurs indigènes creusaient le parement de granit de la montagne pour trouver le roc principal. Nous consacrâmes un autre jour à chasser l’ours et le cerf dans les montagnes. Au point du jour, un peu après quatre heures, le matin de cette excursion, M. Bauer nous conduisit au rendez-vous : la cabane d’un orpailleur dans le fond humide d’une vallée, où nos rabatteurs, nos porte-fusils, et nos chasseurs devaient se trouver pour une chasse à l’ours. Les Coréens, hélas ! ne sont jamais pressées… L’homme se leva tard, et notre départ fut ainsi retardé de deux heures. Le soleil était levé quand l’expédition se mit en marche ; la troupe bigarrée des chasseurs professionnels et des rabatteurs nous accompagnait jusqu’à la gorge où était l’ours. Les chasseurs et les rabatteurs se mirent au service de chacun de nous, et nous traversâmes la montagne en suivant un sentier étroit et tortueux qui passait entre les plus hautes crêtes. Nous escaladâmes, nous dégringolâmes maintes gorges abritées et boisées, jusqu’à ce que les chasseurs nous eussent avertis que nous approchions de l’endroit où nous devions nous poster.

PAVILLON SUR LES FORTIFICATIONS DE SÉOUL

Les rabatteurs disparurent et firent un détour de plusieurs li pour battre tous les coins et les recoins qui se trouvaient sur leur passage. Des heures s’écoulèrent pendant lesquelles, souffrant de la chaleur, de la faim et de la soif, nous restâmes cachés dans l’épaisseur des buissons à guetter le gibier. Pendant la première heure, aucun bruit ne vint rompre le silence de la vallée ; à présent les cris des rabatteurs nous parvenaient, sortant des fonds ou des hauteurs environnantes. Tout d’abord ce ne fut qu’un gémissement lointain, comme les sanglots de l’orage parmi les arbres d’une forêt. Ces sons étranges semèrent l’inquiétude parmi les pigeons ramiers, les tourterelles roucoulantes, et les pies bavardes. Les cigognes à la gorge rouge sortirent, avec une élégance dédaigneuse, des replis de la rivière et s’envolèrent vers d’autres étangs. Les brumes de la nuit s’étaient enfuies de la vallée ; la rosée avait disparu des broussailles enchevêtrées ; le soleil s’élevait ; il faisait chaud. Le sang accélérait son cours dans nos veines pendant que nos regards scrutateurs demeuraient fixés sur le côté opposé de la vallée. Les rabatteurs montaient. Leurs cris rauques déchiraient l’air, qui résonnait de bruits destinés à effrayer les bêtes ; un hurlement spasmodique s’élevait du fond de la vallée où un rabatteur isolé se livrait à un véritable accès de vociférations. Des clameurs éclataient au-dessus de nous, et les rocs de la vallée en renvoyaient les échos. De toutes parts, la vallée retentissait de l’effort des rabatteurs qui, grimpés au sommet des crêtes, redescendaient maintenant en chassant tout devant eux. Ils approchaient rapidement, rejoints par les chasseurs du pays, qui avaient pris position sur les rochers surplombant l’endroit où nous étions dissimulés. Notre heure arrivait. Chacun prit son fusil en main et redoubla d’attention pendant que les rabatteurs, faisant un dernier effort, poussaient d’assourdissantes clameurs. Nous regardâmes et nous attendîmes… jusqu’au moment où nous acquîmes la persuasion que l’ours avait depuis longtemps passé à travers la ligne de ceux qui le poursuivaient.

UNE RÉSIDENCE D’ÉTÉ DANS LA CAMPAGNE CORÉENNE

La chasse en général est considérée comme une occupation servile par les Coréens, et la poursuite du cerf, de l’ours et du tigre n’est pas un sport pratiqué par les jeunes gentilshommes du royaume. Les nobles, à l’exception de ceux qui appartiennent à des familles ruinées dans les provinces de l’extrême nord du royaume et de ceux qui sont réduits à ce passe-temps pour ajouter quelque chose à leurs ressources, ne s’y livrent jamais. La chasse est pourtant libre pour tous. Il n’existe aucune loi, ni interdiction de port d’armes, et il y a peu de réserves de gibier. La chasse dans tout le royaume n’est fermée à aucune époque de l’année. Le seul animal qu’il soit interdit de détruire est le faucon, que protègent les règlements les plus stricts. Les territoires de chasse sont presque entièrement limités aux districts montagneux, et les chasseurs constituent une classe tout à fait à part dans le pays. Ils parcourent sans cesse et avec rapidité le terrain à la recherche du gibier, et ils sont nourris par les gens du village qu’ils habitent temporairement, en échange de la protection contre les bêtes sauvages que leurs prouesses assurent aux habitants de l’endroit. Leur arme principale est le fusil à pierre, qui leur vient du Japon. Le canon est orné d’incrustations d’argent et attaché au moyen de bandes minces d’argent ou de fer blanc. On charge cette arme avec des balles de fer, de la même grosseur que celles contenues dans les obus de sept livres. On y met le feu pour faire partir le coup, au moyen d’un rouleau de cordelette en paille tressée, qui reste allumé pendant toute la durée de la chasse. La monture est courte et légère. Quand le coup part, la crosse de cette arme antique et étrange s’appuie contre la pommette. Beaucoup de chasseurs, parmi ceux qui nous accompagnaient, portaient des cicatrices sous l’œil droit.

Leur costume est caractéristique et ils se distinguent aussi par leur hardiesse, leur intrépidité et leur libre allure. Leur uniforme se compose d’une chemise de toile bleue et d’un turban de coton bleu ou vert qu’ils enroulent deux fois autour de leurs cheveux et dont le bout effiloché retombe sur le front. Ils ornent leur coiffure de grains de couleur et ont autour du cou un collier fait de grains semblables. En travers de la poitrine ils suspendent des cordons de fèves auxquels sont attachés les ingénieux instruments de leur profession. Les chasseurs imitent très habilement les cris de divers oiseaux et animaux, particulièrement celui du faisan appelant sa femelle et celui de la daine appelant ses petits. Ils imitent l’appel du faisan au moyen d’une petite rondelle de fer de la dimension d’une pièce de cinquante centimes ; elle est percée et ressemble au noyau d’un abricot. L’appeau employé pour le cerf est fait d’une tige de roseau fendue.

LE TEMPLE DES TABLETTES À SÉOUL

Les chasseurs d’oiseaux ne tirent jamais le gibier au vol. Ils le trompent en se revêtant de peaux et de plumes et l’abattent d’un endroit favorable où ils se tiennent à l’affût. On chasse le cerf pendant les mois de juin et de juillet. Les chasseurs se réunissent en petits groupes et battent les montagnes pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que le gibier soit à portée de fusil. Les cornes sont vendues aux médecins du pays ou expédiées en Chine ou au Japon. Quand il s’agit de l’ours, les chasseurs prennent particulièrement soin de ne tirer que lorsqu’ils sont sûrs de leur coup. Les divers quartiers de l’ours se vendent un bon prix. En dehors du produit de la peau, la chair, la graisse, les tendons et le fiel de l’ours, auxquels on prête certaines vertus médicinales, se vendent leur poids d’argent. Le seul animal royal qu’on trouve en Corée, — tel l’éléphant blanc du Siam, le dromadaire d’Égypte, le bison des États-Unis, — est le tigre. Contrairement à l’espèce indienne qui se plaît dans les jungles tropicales, le tigre coréen vit dans la neige et les forêts du nord, jusqu’au cinquantième parallèle. Dans l’esprit des Coréens, le tigre est le symbole de la férocité, un emblème martial et glorieux. Les chasseurs de tigres affectent de mépriser leur noble proie et parfois même l’attaquent, aidés de chiens dressés et n’ayant à la main qu’une lance ou une courte épée. On prend parfois les tigres au moyen de trous recouverts de terre et de branchages et garnis de pieux. Il est alors facile de les tuer. Les chasseurs mangent la chair et vendent la peau et les os.

Les chasseurs de tigres sont extraordinairement courageux. Le gouvernement a parfois recours à leurs services pour la défense de l’empire. Armés du fusil à mèche, de la lance et de l’épée, ils battirent les Français commandés par l’amiral Roze, en 1866, et résistèrent héroïquement à la marche des Américains en 1871. En 1901, on les rassembla pour défendre la frontière du nord contre les incursions des brigands de Mandchourie.