Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre XVIII

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 283-298).


CHAPITRE XVIII


LES MOINES ET LES MONASTÈRES : DES MONTAGNES DE DIAMANT. — LE TEMPLE DE L’ÉTERNEL REPOS. — LE TEMPLE DE L’ARBRE DE BOUDDHA. — LE BOUDDHISME.


Le gibier abonde dans la région qui s’étend entre les mines allemandes et les montagnes de Diamant, et dans notre marche lente vers le célèbre monastère de Chang-an, nous fîmes de nombreuses et courtes haltes à la recherche des oiseaux et des cerfs. Malheureusement les cerfs se tinrent à l’écart, et il nous fut impossible de faire sortir les faisans des épais taillis où ils trouvaient un abri. Nous pûmes toutefois tuer des pigeons ramiers. Les chasseurs coréens nous accompagnèrent pendant un certain temps, puis quittèrent notre caravane pour suivre leur chemin. Après avoir franchi la rivière Hai-yong, ils devaient se diriger vers l’ouest, au cœur des montagnes, tandis que nous allions vers le nord-est.

Nous eûmes, pendant notre voyage, un exemple des difficultés qu’on éprouve à voyager en Corée. Elles étaient accrues par notre ignorance du chemin exact que nous devions suivre pour nous rendre, de Tong-ko-kai, à la retraite des pieux moines dans les montagnes. Les habitants du village de To-chi-dol prévinrent nos conducteurs de la difficulté qu’il y avait à mener des chevaux à travers la passe de Tan-bal-yang, la seule barrière qui nous restât à franchir et qui sépare le monde extérieur du premier monastère de Keum-kang-san. Les mampus étaient disposés à abandonner l’entreprise, et nous dûmes confirmer nos ordres au moyen de coups de bâton. Leur opposition fut de courte durée, et instantanément leur mauvaise humeur fit place à cette attitude tranquille et à cet air de contentement qui leur étaient habituels. Avec une énergie et une patience infatigables, ils excitèrent leurs petits poneys à escalader les roches, à se faufiler à travers les taillis enchevêtrés et les blocs de rochers qui encombraient le sentier, et à gravir les raidillons. Nous suivions le lit desséché d’un torrent au niveau de la vallée, et nous montions lentement. L’ascension était pénible et la pente devint bientôt tellement raide que le bât des poneys leur glissa du dos. Pendant quatre heures, l’endurance des huit animaux et de leurs conducteurs fut mise à une rude épreuve. Mais les uns comme les autres étaient des produits de la montagne, aux membres vigoureux et au souffle puissant.

La descente, par une fissure de la crête des montagnes, fut moins pénible. Les conducteurs firent des cordes avec des plantes grimpantes, cueillies dans les taillis, et les enroulèrent autour des bagages. Puis ils marchèrent derrière les poneys en tenant les cordes, ce qui maintenait les animaux et empêchait les bâts pesants de glisser à nouveau. Malgré cela, le chemin était jonché des débris de nos bagages. Cependant nous n’eûmes qu’à nous louer du procédé ingénieux imaginé par nos guides, et les petites bêtes se tirèrent d’affaire admirablement à travers les bois frais et verdoyants.

La pente de la montagne était parfumée de plantes innombrables, la brousse était un fouillis de splendides fougères, d’arbres et d’arbustes. Les chênes, l’aubépine, le châtaignier, le bouleau et les pins croissaient touffus et splendides ; l’églantine, le lis tacheté et une orchidée pourpre décoraient la mousse. En arrière des coteaux boisés, les croupes des monts dentelés se dressaient vers le ciel, leurs crêtes, perdues dans les nuages, planant à une hauteur de cinq mille pieds. En dessous, dans la vallée, une muraille faite de rochers granitiques dressait une barrière infranchissable devant une rivière tumultueuse qui, jusqu’à la saison des pluies, n’est qu’un simple filet argenté coulant au milieu du lit à sec.

Nous avions à traverser le lit de la rivière, et de là à gagner le centre des montagnes : un voyage d’un jour avant d’atteindre le Temple de l’Éternel Repos. Après avoir franchi la passe de Tan-bal-yang, nous nous reposâmes une journée à Kal-kan-i. Partant à la pointe du jour, le lendemain, nous traversâmes la passe de Kak-pi, au moment où le soleil atteignait le sommet des montagnes qui enferment la vallée que nous avions à traverser pour la dernière étape du voyage. Nous approchions du dernier refuge de maints pèlerins misérables. Par une brèche des montagnes on pouvait apercevoir les toits recourbés d’un grand nombre de temples. L’air vibrait du joyeux carillon des cloches, et, du chemin que nous suivions, on apercevait la fumée de l’encens dont l’odeur se mêlait à celle des pins. La tranquillité et la solitude de cette retraite spirituelle étaient apaisantes ; en passant sous la porte rouge, marque de la protection royale, le charme et la douceur du lieu vous incitaient à goûter les consolations offertes par cet asile bouddhique.

Il y a trente-quatre monastères et sanctuaires monastiques à Keum-kang-san, et ils sont occupés par trois cents moines et soixante religieuses. Chang-an est le plus, vieux, et il existe depuis des générations. En 515 de l’ère chrétienne, pendant le règne de Po-pheung, roi de Silla, il fut restauré par deux moines, Yul-sa et Chin-kyo. Parmi les autres monastères, qui ressemblent à celui-ci par leur situation pittoresque et solitaire, sont Pyo-an, placé comme Chang-an sur le versant ouest, Yu-chom et Sin-ga sur le versant est. Ces monastères, avec trente autres de moindre importance, sont l’objet du respect le plus enthousiaste de la part des Coréens, et un grand nombre de ces derniers bravent les difficultés et les fatigues du voyage à travers les montagnes de Diamant pour les visiter.

Les quatre principaux monastères sont desservis par cent soixante-dix moines et trente religieuses. Le principal temple de Chang-an est un grand édifice de quarante-huit pieds de haut, d’une architecture que connaissent, pour la rencontrer souvent, ceux qui voyagent en Orient. La charpente est rectangulaire ; elle est recouverte de deux toits, larges, recourbés, avec des rebords richement sculptés et de lourdes tuiles, et que soutiennent des piliers en bois de teck de trois pieds de circonférence. Les panneaux en losange des portes sont rehaussés d’or ; le plafond est élevé, sculpté, orné de motifs riches, profusément doré et coloré en bleu, rouge et vert. Des marches de granit donnent accès au temple ; et les principales pièces de charpente de tout l’édifice reposent également sur de larges dalles de granit.

Sur les murs intérieurs de l’édifice sont représentées des scènes de la vie de Gautama, l’apôtre de la religion bouddhique. Une image dorée figure au centre d’un groupe également doré de sept divinités du passé et du futur, incarnations de l’Unique et Sublime Sakya-mouni, dont les fidèles attendent la réapparition dans l’avenir. Des encensoirs de cuivre, des chandeliers et un livre de messe manuscrit en caractères chinois et coréens, posé sur un morceau de brocart fané, taché et poussiéreux, occupent le devant de l’autel. Au pied de cet autel élevé, d’où émane une étonnante impression religieuse dans la clarté crépusculaire de la salle, un prêtre passe certaines heures du jour et de la nuit profondément incliné, récitant et psalmodiant d’une voix monotone et avec de constantes génuflexions, les mots Na-mu Ami Tabul. Ces syllabes sont la traduction phonétique de certains mots thibétains, dont le supérieur lui-même fut incapable de m’expliquer le sens ; transcrites en caractères chinois, elles sont également inintelligibles.

D’autres temples de ce même monastère sont consacrés à la Demeure de la Vertu, aux Quatre Sagas et aux Dix Juges. À l’intérieur de ces édifices, Sakya-mouni et ses disciples siègent en diverses attitudes d’ineffable abstraction, contemplant les farouches images de démons et d’animaux, et la peinture des tourments d’outre-tombe réservés aux méchants. Beaucoup d’édifices de Chang-an ont été restaurés il y a peu d’années. Les travaux sont terminés depuis longtemps et les cours spacieuses sont maintenant remises en état. Les temples sont propres et immaculés, et tout le monastère témoigne du soin avec lequel il est entretenu.

En dehors des principaux temples, il y a de nombreux sanctuaires de moindre importance, situés dans les recoins de la forêt ; une scène pour des cérémonies religieuses les plus solennelles ; des édifices pour des cloches et les tablettes ; des écuries pour les poneys des nombreux visiteurs, un couvent de religieuses, un réfectoire pour le supérieur et les moines. Il y a, en outre, des cellules pour les prêtres et des bâtiments pour les serviteurs. On y trouve encore des logements pour les veuves, les Orphelins, et les pauvres ; pour les estropiés, les boiteux et les aveugles ; pour les vieillards et les abandonnés, auxquels les moines accordent abri et protection. En plus du supérieur, il y avait dans le monastère, vingt autres personnages, moines, prêtres, néophytes et dix religieuses, les unes jeunes filles, les autres vieilles et ridées.

Les revenus de l’établissement se composent de la location et du produit des terres d’église, des dons des pèlerins et des visiteurs, des offrandes occasionnelles des riches et des quêtes : faites par les moines mendiants. Ces derniers chantent les litanies de Bouddha de maison en maison et parcourent tout l’empire, nourris et logés sur leur chemin, pour recueillir les maigres aumônes que provoquent leurs lamentations. Les quatre grands monastères sont dirigés par un des membres de la communauté, élu chaque année pour occuper cette fonction. Il est ordinairement maintenu jusqu’à sa mort, ou bien jusqu’à ce qu’on l’envoie dans quelque autre centre d’activité bouddhique, à moins que, par sa conduite, il ne donne lieu au mécontentement. Les pratiques et les cérémonies des monastères des montagnes de Diamant sont conformes aux principes de la religion de Bouddha, à peu près comme les coutumes de l’Église anglicane le sont aux différentes confessions chrétiennes qui existent dans le monde.

J’avoue que je serais bien embarrassé de découvrir un fondement de vérité aux accusations de libertinage grossier et d’inconduite que porte un missionnaire américain contre les monastères de Keum-kang-san. Pour moi, qui ai passé bien des semaines dans cette calme retraite monastique, je préfère me rappeler la bonté des moines — leur véritable charité chrétienne — envers les pauvres et les affligés, ceux qui ont faim et ceux qui sont malheureux, comme envers tous ceux qui viennent vers eux aux moments de misère et de malheur. Si nombre d’entre eux apprennent les litanies de leur religion par cœur, si la science leur fait défaut, s’ils ignorent le sens de maintes choses auxquelles ils consacrent tant d’heures monotones de leurs vies, tout cela n’est-il pas de peu de poids dans la balance, lorsqu’on y oppose leur profonde humanité, leur bonté envers tout ce qui respire, leur charité envers les vieillards et les misérables, leur excessive humilité, leur merveilleuse patience, la douceur et la simplicité extrême de leur vie, la nature humanitaire de leurs occupations ?

LE SUPÉRIEUR DU MONASTÈRE BOUDDHIQUE DE YU-CHOM-SA

Le monastère de Yu-chom n’est que paix et quiétude. Il est situé, loin de tout contact avec le monde extérieur, dans une vallée profonde et boisée des montagnes de l’est. Il demeure enfermé en lui-même, et toute son existence est enveloppée dans les mystères de cette foi au service de laquelle il est consacré. Il n’y a là aucun torrent qui gronde, tel que celui qui fait entendre son fracas de tonnerre dans la gorge de Chang-an-sa ; seul un léger murmure s’entend, venant de la source qui jaillit d’entre les rochers, parmi les taillis épais. L’aspect du monastère est solennel et il exerce sur la vie quotidienne des moines, réunis dans ses murs, une influence qui les porte à l’ascétisme le plus rigoureux. Il règne dans toute la communauté cette atmosphère de repos et de solitude qui offre tant de réconfort aux âmes en détresse.

La plus imposante des trente-quatre retraites bouddhistes des montagnes de Diamant est celle de Yu chom-sa. On peut y arriver par le côté ouest de Keum-kang-san en gravissant le chemin rocheux de la gorge de Chang-an-sa et en traversant la crête par la passe de An-man-chai, à 4.215 pieds d’altitude. On descend par un rude et pittoresque sentier à travers des bois épais jusqu’au groupe de temples situé sur la face orientale de la chaîne. Il y a un autre chemin plus facile, par la passe de Pu-ti-chong, à 3.700 pieds d’altitude, qui nécessite un petit détour à partir de Chang-an-sa ; après avoir serpenté à travers plusieurs kilomètres de forêts, il aboutit directement à un sentier qui mène aux portes du monastère. Tous les chemins partent de Chang-an-sa et ceux qui désirent voir les monastères situés sur le versant oriental doivent nécessairement franchir les montagnes. Le voyage dans l’une ou l’autre direction peut être accompli en huit heures ; les difficultés qu’offre le lit du torrent de Chang-an-sa rendent la route impraticable pour les chevaux. Les poneys légèrement chargés peuvent franchir la passe de Pu-ti-chong. Il est utile de jouer des coolies coréens, au prix d’un dollar coréen pour chaque homme.

UN AUTEL BOUDDHIQUE

Les temples de Yu-chom-sa ressemblent beaucoup à ceux de Chang-an-sa. Ils sont toutefois plus nombreux et plus richement dotés. Devant les marches du temple principal est une petite pagode de granit, dont les proportions élégantes apportent un élément de dignité à la cour spacieuse autour de laquelle sont situés les principaux temples du monastère. L’autel de ce temple est orné d’une étrange pièce de bois sculpté. Sur les racines d’un arbre retourné on voit, assises ou debout, cinquante-trois petites figures de Bouddha. Les moines racontent au sujet de cette sculpture étrange une légende très ancienne. Il y a bien des siècles, cinquante-trois prêtres qui étaient venus de l’Inde en Corée pour apporter les préceptes de Bouddha sur cette terre antique, s’assirent auprès d’un puits à l’ombre d’un arbre. Trois dragons surgirent aussitôt des profondeurs du puits et attaquèrent les moines, en appelant à leur aide le dragon du vent qui déracina l’arbre. Au cours de la lutte, les prêtres parvinrent à placer une image de Bouddha sur chacune des racines de l’arbre et transformèrent le tout en un autel, dont l’influence força les dragons à réintégrer les profondeurs du puits où des blocs de rocher entassés les emprisonnèrent. Les moines fondèrent ensuite le monastère et bâtirent le principal temple à l’endroit même où le dragon avait été vaincu. De chaque côté de cet extraordinaire ornement d’église, on voit des feuilles sculptées de lotus, larges et hautes de plusieurs pieds ; au pied d’une immense figure de Bouddha, couverte d’or et de pierres précieuses, qui orne le centre de l’autel, il y a plusieurs vases de bronze magnifiques, larges, pesants et anciens. Des draperies de gaze de soie bleue et rouge, servant de voile, sont suspendues aux poutres massives du toit.

LE MONASTÈRE BOUDDHIQUE DE YU-CHOM-SA

Les figures qu’on voit dans les temples coréens sont celles qui sont reproduites dans tous les temples bouddhiques d’Asie ; la figure suprême et centrale est toujours celle de Sakya-mouni ou Bouddha. Le traitement artistique de la divinité principale du panthéon bouddhique diffère peu du type conventionnel de l’Inde, du Siam, du Thibet et de la Mongolie, Le sage est accroupi sur ses genoux, la plante des pieds tournée vers la face, les doigts repliés sur les paumes ; les yeux sont légèrement obliques, et le lobe de l’oreille est quelque peu bulbeux. Le trône est fait du calice ouvert d’une fleur de lotus, symbole d’éternité. La beauté des figures dans le Temple de l’Arbre de Bouddha est particulièrement remarquable ; et les ors de l’autel brillent dans le jour crépusculaire de la vaste salle comme les rayons d’un feu spirituel. Les exercices de dévotion ne cessent jamais dans cette habitation du Toujours-Suprême Seigneur, et les prêtres se succèdent pour réciter les prières et célébrer les offices. Lorsqu’on aperçoit la silhouette solitaire du prêtre plaidant devant le Toujours-Suprême Seigneur, dans son temple le plus auguste et devant son autel le plus sacré, pour la rémission de ses péchés, le spectacle est d’une extraordinaire solennité. La sympathie et l’émotion sont étrangement excitées en entendant monter et décroître le chant dans la vaste salle, et en voyant l’officiant s’agiter dans le désespoir passionné de son abandon. Le prêtre frappe sur une cloche, qui est devant lui pour marquer les différentes phases du service, et chaque fois il se prosterne et s’agenouille devant le resplendissant Bouddha.

DIVINITÉ BOUDDHIQUE, GARDIENNE D’UN TOMBEAU

Les principales cérémonies du jour et de la nuit à Yu-chom-sa sont annoncées par la grande cloche de bronze — fondue au quatorzième siècle — et par un large tambour de plusieurs pieds de circonférence. Ces deux instruments ont chacun leur édifice dans la cour. Pendant les cérémonies moindres, les génuflexions des prêtres s’accompagnent des notes discordantes des petites cloches de cuivre, qu’ils frappent à plusieurs reprises avec des cornes de cerf. Une superbe image de Bouddha siège au milieu du Temple de la Fleur de Lotus, dans une attitude impassible et bénigne, derrière un abri de verre, contemplant avec gravité les dévotions et les pieux exercices de ses fidèles serviteurs. Cet autel est en retrait et protégé dans son entier par des glaces ; les offrandes de riz, qu’on présente pour la bénédiction, restent en dehors de l’autel. Parmi les autres temples et sanctuaires de Yu-chom-sa, il y a la Demeure de la Vie Éternelle, le Temple du Mois de l’Eau, le Temple de Ceux qui viennent de l’Ouest. Il y a cinquante moines à Yu-chom-sa, plus douze religieuses et huit jeunes gens qui n’ont pas encore reçu les ordres. Un grand nombre de ces novices sont très jeunes. Certains ont été amenés par leurs parents dès le premier âge, tandis que d’autres ont été recueillis par les moines dont la charité est très large, pour être consacrés au service des monastères. Ces jeunes gens paraissent intelligents. On ne leur apprend guère que les chants et les litanies, dont ils connaissent bientôt à fond les versets. Ils sont propres et bien nourris ; tandis que les moines, s’ils sont aussi propres, sont d’une plus grande frugalité. Leur maigre repas se compose de riz et de divers légumes hachés, de gâteaux faits de noix de pin et de miel, ou de riz et de miel. Ils vivent tant bien que mal en suivant ce régime, mais leur corps et leur visage portent des signes d’émaciation. Parmi les religieuses qui sont attirées vers ces divers monastères, il y en a beaucoup qui sont entrées au cloître pour des motifs religieux, et quelques-unes, qui, se trouvant seules dans le monde, ont pensé que c’était là un endroit convenable pour y passer leur vie. Elles n’empiètent en rien sur les fonctions religieuses des moines, et vivent complètement à part, dans un monde qui leur appartient absolument.

LE SUPÉRIEUR DU MONASTÈRE DE CHANG-AN-SA ET SES MOINES

Les formes religieuses qui règnent aujourd’hui en Corée sont le bouddhisme, le confucianisme et le shamanisme. Les affirmations des anciens écrivains chinois et japonais et le témoignage des premiers missionnaires jésuites tendent à prouver que le culte des esprits et des démons a été le fondement de la foi nationale depuis les temps les plus reculés. Le dieu des montagnes est encore aujourd’hui le plus populaire. Le culte des esprits du ciel et de la terre, des puissances invisibles de l’air, le culte de la nature, de l’étoile du matin, des génies gardiens des rivières et des montagnes, du sol et des graines, est pratiqué depuis si longtemps, qu’en dépit des influences du confucianisme et des siècles de bouddhisme que le pays a traversés, la religion réelle de la grande masse du peuple n’a pas subi de grands changements. Quelque persistante que soit cette tendance des classes inférieures vers la démonolâtrie, la philosophie de Confucius est, depuis le quinzième siècle, le culte officiel et à la mode en Corée. Il est arrivé, dans sa période moyenne, à ce point où une religion, qui n’a d’abord été accueillie que par un petit nombre d’adeptes pour s’étendre ensuite jusqu’à être absorbée par le peuple, se sent fermement établie et accentue sa prédominance par ses prétentions bigotes, son intolérance et par la violence de ses prétentions, triomphe ultime des doctrines usurpatrices. Le confucianisme s’est aujourd’hui répandu dans toute la péninsule. Du quatrième au quatorzième siècle, époque où prévalait la religion de l’Illuminé, il n’était étudié et pratiqué que par les classes instruites. Le bouddhisme a prédominé dans toute la partie méridionale de la péninsule, et n’a influé qu’en partie sur le nord, où il n’a pu vaincre les enseignements de Confucius. Dans tout son développement, le bouddhisme a toutefois exercé une influence puissante sur les affaires coréennes, influence qui a duré jusqu’à la fin de la dernière dynastie. À un moment les bonzes dirigeaient la cour et annulaient les décrets du monarque. Au temps de son ancienne suprématie, le bouddhisme devint le plus puissant et le plus formidable facteur dans l’éducation du pays. Il exerça un pouvoir sans limite, et guida les révolutions politiques et sociales de l’époque. On témoigne encore un grand respect aux doctrines du bouddhisme en Corée. De nouveaux monastères et temples sont en cours de construction, les prêtres bouddhistes du Japon et de la Corée faisant cause commune contre les missionnaires occidentaux. L’empereur a lui-même témoigné de l’intérêt pour la propagation de cette foi, et avec Lady Om, il a donné de grandes sommes pour la restauration de certains temples délabrés en dehors de la ville. En résumé, le bouddhisme a marqué d’une telle empreinte l’histoire du petit royaume que, tout en reconnaissant le caractère purement éthique des enseignements de Confucius, il faut nettement classer la Corée parmi les nations bouddhistes du globe.