La Muse gaillarde/En la saison des fleurs

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La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 201-203).



EN LA SAISON DES FLEURS


Quand vient la saison printanière,
Une fleur à ma boutonnière
Me rend son esclave quasi,
À ce point qu’elle me pénètre !…
Cela vous étonne peut-être,
Il en est cependant ainsi.

Cette fleur que j’aurai choisie
Dirigera ma fantaisie
À son gré, pendant tout un jour,

Influencera ma pensée,
D’une façon folle, insensée
Ou raisonnable tour à tour.

Ainsi, par exemple, une rose
Me distraira de toute prose.
Je songe à des vers radieux.
Comme des fleurs elle est la reine,
Pour plaire à cette souveraine
Il n’est que la langue des Dieux.

Si je porte un lis pur et chaste,
Au moins tant que dure son faste,
En moi fleurit un autre lis.
Que voulez-vous ? un rien me pare…
Mais j’ajoute qu’il est bien rare
Quand la fleur qui m’orne est un lis.

Si c’est quelque étrange orchidée
Plus encore étrange est l’idée
Qui s’empare de mon esprit.
Est-ce au contraire une ancolie ?
— La rime veut mélancolie —
C’est donc elle qui me meurtrit.

Lorsque à ma boutonnière éclate
Un coquelicot écarlate,
Je suis orgueilleux comme lui.
D’être rouge aussi je m’efforce,
Je bois comme un muletier corse,
Et je vais méprisant autrui.


Mais, par contre, une violette
Toute douce et toute simplette
Me rend modeste comme trois,
Et me donne le désir vague
— Ne croyez pas que j’extravague —
De m’aller cacher dans les bois.

Pour moi ce n’est pas une chose
Qu’une fleur, pissenlit ou rose…
C’est un camarade, un copain
À qui je raconte mes peines,
Qui me dit, à son tour les siennes,
En un langage superfin.

Je mets tout mon cœur sur sa bouche,
Et s’il arrive que je touche
À ses pétales gracieux,
Ce n’est que d’une main discrète,
Et pour admirer la pauvrette
J’adoucis l’éclat de mes yeux.

La fleur s’impose à moi. Que dis-je ?
M’attire comme le vertige,
Par ses port, parfum et couleur.
Je suis né, pauvre poétastre,
Non sous l’influence d’un astre
Mais bien sous celle d’une fleur.