Encyclopédie anarchiste/Brèche - Byzantinisme

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 1p. 278-283).


BRÈCHE. n. f. On appelle brèche une ouverture faite à un mur, un rempart, une haie. Au sens figuré, le mot brèche sert à désigner un dommage. Exemple : faire une brèche à ses opinions. Le mot brèche est également employé dans quelques expressions fort courantes et très expressives. Être toujours sur la brèche, c’est-à-dire être en lutte et en activité soutenues, ne jamais désarmer ; mourir sur la brèche, c’est-à-dire en combattant ; Battre en brèche, c’est-à-dire attaquer avec force.


BREDOUILLE. n. f. Échec dans ce que l’on entreprend. Ce mot est aussi employé adjectivement : Revenir bredouille, c’est-à-dire revenir sans avoir réussi dans ce que l’on voulait faire. Ex. : Quand le peuple aura pris conscience de ses devoirs de classe, les politiciens reviendront bredouille de leur chasse aux électeurs.


BRIDER. v. a. Mettre la bride à, c’est-à-dire, au sens figuré (qui seul nous intéresse ici) réprimer, contenir, assujettir. Exemple : les dirigeants savent brider impitoyablement les foules en voie d’émancipation. Bridé hier par une noblesse blanche, bridé aujourd’hui par une bourgeoisie tricolore, bridé demain par une dictature rouge, le peuple a toujours eu les membres et l’esprit liés par les lois ou par les préjugés. Il lui faudra cependant se libérer de toutes ces entraves s’il veut pouvoir réaliser son rêve de liberté et de bien-être. Qu’il se souvienne que les anarchistes sauront mettre à sa disposition toutes leurs ressources de révolte.


BRIGANDAGE n. m. On désigne actuellement sous le nom de brigandage le vol à main armée lorsqu’il atteint une certaine envergure. La bourgeoisie a fait s’élargir peu à peu dans la langue cette acception, ce qui lui permet de se servir du mot pour désigner tout acte insurrectionnel ou toute reprise individuelle violente. Elle s’efforce ainsi de desservir ses adversaires, tels les anarchistes terroristes, dans l’esprit public, grâce au sens péjoratif du mot brigandage. Pourtant les brigands ne sont pas là où les bourgeois veulent les faire voir. Bien au contraire ils se trouvent parmi ces bourgeois eux-mêmes ou leurs valets. Prenons en effet le sens du mot brigand à son origine. Le mot de brigand fut donné au xive siècle à des soldats mercenaires qui portaient une cotte de maille dite brigandine. La profession de brigand devint, pendant la guerre de Cent Ans, une profession honorée. Les pillards logés dans les châteaux (qu’ils avaient soustraits à leurs dignes compères et concurrents : les seigneurs), rançonnaient le pays environnant. On le trouvait si naturel, en haut lieu, que l’on vit le pape Innocent VI, à Avignon, recevoir un brigand, Regnault de Cervote, dit l’Archiprêtre. On cite aussi parmi les brigands les plus célèbres : Aimarigot, Marches et Rodrigue de Villandrareda. On voit donc que le véritable sens du mot brigand n’a rien de commun avec le sens qu’on voudrait lui donner aujourd’hui en l’appliquant au pauvre bougre qui vole pour manger ou qui s’insurge contre les ignominies de la société actuelle. Les brigands sont tout simplement des soudards fainéants, assassins de métier, parfois encombrants pour leurs maîtres, lorsque ceux-ci n’ont pas de crimes à leur faire perpétrer. Vous croyez peut-être que cette espèce de brigands s’est éteinte avec la « civilisation » ? Détrompez-vous, elle existe toujours, aussi puissante qu’au moyen-âge. La mondiale boucherie de 1914-18 pourrait en fournir maints exemples mais, comme il se trouvait des inconscients mêlés aux spadassins professionnels, nous n’insisterons pas. D’autres exemples, bien trop nombreux, hélas ! sont là. Citons les beaux faits d’armes qui illustrèrent la prise de Sikasso (Soudan Français) par les « glorieuses » troupes coloniales : Après le siège, l’assaut. Ba Bemba se tue. On donne l’ordre du pillage. Tout est pris ou tué. Tous les captifs (4000 environ) rassemblés en troupeau. On fait avec eux des étapes de 40 kilomètres. Les enfants et tous ceux qui sont fatigués sont tués à coups de crosse et de baïonnette. Les cadavres étaient laissés au bord des routes. Une femme est trouvée accroupie. Elle est enceinte. On la pousse à coups de crosse. Elle accouche debout, en marchant. On a coupé le cordon sans se retourner pour voir si c’était garçon ou fille… (C.-A. Laisant). — Mentionnons cet épisode du Journal d’un marin : « Nous voici dans le Katinou, au milieu des vaincus. Là, j’assiste au plus horrible spectacle qui se soit jamais reflété en des prunelles de civilisé. Le village était pris et Bokary tué, les troupes blanches ont gagné le bord et il ne reste plus sur les décombres que les auxiliaires. L’un d’eux, en ricanant, éventre une femme mourante et s’amuse à lui casser les dents sous ses talons ; un autre émascule voluptueusement une sorte d’hercule qui râle encore et dont les deux bras carbonisés demandent grâce ; un troisième va de-ci de-là, piétinant tous les cadavres avec une indicible frénésie et plongeant le bout de sa sagaïe dans tous les yeux où brille un dernier éclair d’agonie. Celui-ci entortille de sanglants intestins sur le canon de son fusil et son voisin s’acharne à scier avec la lame ébréchée de son sabre, les seins d’une vieille dont la maigre carcasse palpite. Je vois une fillette de six à sept ans dont le corps a été tranché en deux parties égales ; à côté des tronçons, un enfantelet (le frère sans doute) est couché, son petit crâne aplati comme un fromage, et j’aperçois se tendant vers eux les bras raidis et crispés d’un cadavre de femme gisant, le ventre ouvert, dans une marmelade de viscères… » (P. Vigné d’Octon). — Lors des expéditions « civilisées » en Chine, en 1860, rappelons le pillage de Pékin : « Après que tout ce qui pouvait s’emporter eût passé dans les sacs ou pris place sur les fourgons à bagages, après que les hommes eurent dormi ou paillardé sur les étoffes les plus précieuses, on chargea le feu d’achever cette œuvre. Le Palais d’Été devint la proie des flammes : bibliothèque pleine des produits littéraires de plus de quarante générations, pagodes deux ou trois fois plus vieilles que les plus anciens monuments d’Europe, palais, kiosques, ponts pittoresques, terrasses, vases, statues de granit, de marbre, tout cela n’est plus aujourd’hui ! » (Paul Warin). — Et encore : « À la Résidence, le palais impérial a été souillé, les ambassadeurs et leurs femmes mêmes ont volé les inestimables objets d’art des appartements intérieurs, les ignobles contempleurs des sciences ont brûlé en partie la grande bibliothèque ; et comme des chiens pour un os, ils se sont battus entre eux pour les célèbres instruments d’observatoire impérial. Quant à la bibliothèque, c’est le plus grand désastre qui, depuis l’année 625, date de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie, ait frappé la civilisation. Les pertes, surtout celle de la Grande Encyclopédie, sont absolument irrémédiables. Il faudrait détruire toutes les bibliothèques du domaine de la civilisation occidentale pour avoir le corrélatif de cette catastrophe… » (Alexandre Ular, juin 1901). — Nous pourrions multiplier les récits de ce genre, conter comment le colonel Pelissier fit enfumer dans des grottes huit cents Arabes ; comment à Lamina, le 5 juin 1894, on brûla 412 cases sur 498 après avoir pris le bétail, l’or, les vivres et 804 captifs qui furent distribués comme esclaves aux gens de l’expédition (Georges-Anquetil). ; comment le capitaine Voulet fit prendre vingt femmes mères avec des enfants en bas-âge et les fit tuer à coups de lance… pour l’exemple (interpellation de P. Vigné d’Octon, à la Chambre des députés, le 19 novembre 1900) ; comment les soldats français, après la prise de Bossé, se servirent comme appât vivant pour les fauves, d’une fillette de dix ans qu’on avait liée toute nue sur un nid de fourmies noires pour qu’elle criât et qui mourut rongée par les fourmis (Séverine) ; comment un administrateur vola le cheval d’un indigène qu’il fit ensuite envoyer au bagne sur une fausse accusation pour pouvoir s’emparer de sa femme sans danger (Mme Hubertine Auclert) ; comment, à Blagoustcheusk, 5.000 paisibles chinois, hommes, femmes et enfants, furent poussés dans le fleuve Amour par les troupes du général Gribsky (il fallut incinérer les cadavres par crainte de la peste) (Georges-Anquetil) ; comment à Tien-Tsin, les Russes embrochaient même les enfants à la mamelle puis les jetaient en l’air pour les rattraper de nouveau sur la baïonnette, etc…, etc… Qui oserait dire, après cela, que ces monstres enrégimentés ne sont pas les dignes descendants des brigands sanguinaires du moyen-âge ? À côté de ces affreux brigandages l’attentat du terroriste n’est-il pas un geste de saine révolte, d’une révolte qui sait la persuasion impuissante à toucher le cœur ou l’esprit de ces affreuses brutes ? Et comment les lois bourgeoises peuvent-elles avoir l’audace de punir le malheureux qui vole parce qu’il a faim, tandis que l’officier sadique et sanglant voit, à la fin de sa carrière de meurtrier, une décoration fleurir sa boutonnière ? Hélas, il existe toujours des brigands et les lois sont à leur service. Seule, la révolution pourra venir à bout de ce brigandage-là, le seul véritable. Il appartient aux anarchistes d’aider de toutes leurs forces à l’assainissement de la Société de demain en dénonçant hardiment les crimes et les rapines de tous les malfaiteurs officiels. — Georges Vidal.

BRIGANDAGE. — Vol à main armée pillage sur les grands chemins. Au figuré : concussion, rapine. Tel est le sens que le dictionnaire donne au mot « brigandage ». Sens étroit, sens bourgeois qu’il convient d’élargir.

Par brigandage, nous entendons autre chose, et les brigands ne sont point exclusivement ceux qui attendent le passant au coin de la route pour le dévaliser dans l’ombre complice. Ceux dont nous voulons parler sont riches, honorés, haut-placés, très souvent décorés, parlent et commandent en maîtres à tous les peuples. Ces brigands-là sont extrêmement nombreux, mieux armés et plus dangereux que les autres, qui ne sont, eux, que des malheureux affamés et ne sont devenus brigands que contraints et forcés par l’état de choses actuel.

Ce sont les grands brigands qui ont engendré et engendrent les autres, les voleurs de grands chemins.

Ces derniers sont des victimes, les autres sont des coupables conscients de leurs actes et de leur conséquences.

Le patron qui fait travailler ses ouvriers pour un salaire de famine n’est-il pas un brigand, un brigand qui opère à l’abri de la loi, avec le concours des gendarmes et de la police ? Si les ouvriers se révoltent contre ce brigand, tout le régime le soutient contre ses victimes.

Grands brigands aussi les grands capitalistes et les banquiers, dont l’action malfaisante et quotidienne a pour but d’affamer les peuples, de les précipiter les uns contre les autres pour défendre des intérêts qui leur sont étrangers. N’est-ce pas du brigandage que de faire tuer par millions des hommes pour s’emparer des richesses du sol, pour régner sur de nouveaux territoires ?…

Et les guerres coloniales, ne sont-elles pas autant d’actes de brigandages, au cours desquels les soldats enivrés, les malheureux, volent, pillent, assassinent, violent pour permettre à des industriels, à des négociants, à des financiers de mettre en coupe réglée individus et production d’un pays jusqu’alors libre ?

Qui dira jamais, comme Vigné d’Octon, les brigandages commis au cours des expéditions du Tonkin, de la Chine, de la Tunisie, de Madagascar, du Maroc, qui continuent après la conquête pour l’enrichissement scandaleux des négriers, des capitalistes des métropoles ?

Brigandage encore l’action qui consiste, pour quelques gredins, à s’enrichir pendant les guerres à ramasser dans le sang, sur les ruines, parmi les deuils innombrables, des fortunes colossales.

Et ceux qui ont amassé encore des fortunes dans l’exhumation et l’exploitation des cadavres, ne faisaient-ils pas acte de brigandage sur ces champs de bataille après la grande guerre de 1914-1918 ?

Et les coquins qui se faisaient payer jusqu’à cent fois la valeur des dommages de guerre, n’étaient-ils pas, eux aussi, des brigands, qu’on décore et qu’on salue ?

Les pétroliers, les armateurs, les propriétaires de mines qui accaparent, transportent et vendent à des prix majorés, ne font-ils pas encore acte de brigandage ?

Le mandataire aux Halles qui jette à l’égout les marchandises, les denrées au lieu d’en baisser le prix ; le meunier qui vend la farine au prix fort après l’avoir additionnée de succédanés ; le commerce, le négoce, tout ce qui vend à gros bénéfices, ne sont-ce pas des brigands qui spéculent sur la santé publique et sur le portemonnaie du consommateur ?

La vérité, c’est que le brigandage s’étale partout, dans ce monde de corrompus et de jouisseurs. Il est roi et ses auteurs protestent et crient comme des putois lorsqu’ils sont, par un juste retour des choses, l’objet de la peine du talion modestement appliquée.

S’il n’y avait pas eu de brigandage, si, cette action n’avait pas été élevée à la hauteur d’un principe, si on n’en avait pas fait une institution, il n’y aurait pas de propriété, pas de riches, pas d’exploiteurs, ni non plus de misères, de malheureux, d’exploités.

« La propriété, c’est le vol », a dit Proudhon. Ajoutons : c’est le brigandage qui a permis de constituer la propriété.

Il y a aussi le brigandage scientifique, littéraire, qui consiste à dépouiller un inventeur, un chercheur, un artiste du produit de son travail, à le dépouiller parce qu’il est pauvre, en acquérant, pour un faible prix, une invention, un procédé de fabrication qui permet de gagner des millions à celui qui dévalisera le pauvre savant, l’humble chercheur.

Brigandage encore, l’acte qui consiste à faire travailler un artiste de talent pour des prix dérisoires pour revendre ses productions au prix fort. Brigandage toujours que de piller les idées, la pensée des autres, pour les faire siennes. Les cas de ce genre sont légion. Les hommes de valeur meurent pauvres, inconnus et leurs détrousseurs sont célèbres et passent à la postérité, atteignent aux honneurs et à la fortune.

Que sont, auprès de cela, les peccadilles accomplie sous l’aiguillon de la faim, sous l’empire de la misère, pour assurer la vie des êtres chers ? — Pierre Besnard.


BÛCHER. Le bûcher est une pile de bois sur laquelle les anciens brûlaient les corps ; c’est aussi une pile de bois sur laquelle, jadis, on brûlait ceux qui avaient été condamnés au supplice du feu. Ex. : Le courageux Étienne Dolet mourut sur le bûcher. Le bûcher funèbre a été en usage chez beaucoup de peuples anciens, notamment chez les Phéniciens, les Cypriotes, les Gaulois, les Grecs, les Étrusques et les Roumains. Chez les Grecs, si l’inhumation est d’usage pendant la période Mycénienne, la crémation devient prédominante dans la civilisation homérique. Du vie au ive siècle prévaut l’inhumation, puis la crémation revient à la mode pendant la période hellénistique. Les Romains des premiers siècles paraissent avoir préféré la sépulture par inhumation ; mais l’incinération domine pendant les derniers siècles de la république et sous l’Empire, jusqu’au ive siècle de notre ère, époque où l’on revient à l’inhumation sous l’influence néfaste des idées chrétiennes.

Sur le bûcher, enduit de poix, on plaçait le cadavre sur son lit funèbre, avec ses vêtements, ses armes, etc… Les proches y mettaient le feu en détournant la tête. La crémation terminée, on éteignait la braise avec du vin et de l’eau. On triait les cendres et les ornements, souvent enveloppés d’ailleurs dans un linceul d’amiante ; on renfermait l’urne dans un coffret, que l’on déposait dans un tombeau ou dans une niche de columbarium. Il faut regretter qu’aujourd’hui on en soit toujours à la mode de l’inhumation, conséquence du christianisme. L’incinération est, à tous les points de vue, préférable à l’inhumation. Elle pourrait éviter, notamment, beaucoup d’épidémies et de contaminations mystérieuses qui proviennent très souvent d’une source dont le cours souterrain a traversé le sol empesté d’un cimetière. Quant au bûcher, en tant que mode de supplice, nous n’avons heureusement plus à déplorer son emploi. La société ne pouvant conserver cet appareil barbare, l’a remplacé par des procédés plus modernes : guillotine, pendaison, chaise électrique, etc… C’est ce qu’elle appelle le Progrès…


BUDGET. n. m. (mot anglais tiré lui-même du vieux français bougette, petite bourse). — On appelle budget l’état de prévision des recettes et des dépenses d’un État, d’un département, d’une commune, etc… et, par extension, les recettes ou dépenses d’un individu. Les budgets gouvernementaux sont toujours plus ou moins fantaisistes, il s’agit pour les gouvernements de dissimuler, le mieux possible, leurs agissements, et de présenter l’argent dont ils se sont rempli les poches comme ayant servi au bien public. Mais les trous faits dans le gâteau sont généralement si larges que la tâche des politiciens est ardue. Enfin, lorsque rognant sur les dépenses utiles pour couvrir leurs soustractions, ils ne parviennent pas à leurs fins, ils ont recours à une méthode courante : ils augmentent les impôts et font supporter aux classes travailleuses, leurs inutiles dépenses. Mais leur comédie est si soigneusement jouée, que le peuple accepte avec confiance, les explications qu’on veut bien lui fournir. Voici d’ailleurs comment se vote un budget : chaque année, les ministres préparent le budget de leur département respectif. Le ministre des Finances centralise leurs propositions et y ajoute les prévisions de recettes pour compléter le budget général de l’État. La réunion des divers projets de dépenses et de l’unique projet de recettes constitue (avec son commentaire, l’exposé des motifs) le projet de budget général. Du rapprochement des dépenses et des recettes résulte ce que l’on nomme l’équilibre du budget. Le budget est présenté en premier lieu, à la Chambre des députés. Comme toutes les autres lois, il doit être voté par les deux Chambres, pour devenir exécutoire. L’année financière s’ouvre parfois avant que les Chambres aient terminé le vote des recettes et des dépenses afférentes à l’année qui commence. On a recours alors au vote de douzièmes provisoires, c’est-à-dire d’acomptes mensuels en cours d’exercice, tant pour les recettes que pour les dépenses, suivant une répartition purement provisoire. Votée et promulguée, la loi de finance revient des mains du Parlement : dans celles de l’administration, qui assure son exécution. Cette opération comprend, d’une part, la perception des recettes autorisées, et, d’autre part, le paiement des dépenses prévues dans la mesure des crédits ouverts.

Les opérations budgétaires — recettes et dépenses — représentent, dans cette machine massive qu’on appelle l’Etat, le mécanisme financier. On en devine aisément l’exceptionnelle importance. En principe, les partis parlementaires qui se réclament du socialisme doivent refuser le vote du budget, tant pour s’affirmer d’opposition irréductible, que pour priver l’Etat capitaliste des ressources qui lui sont indispensables pour assurer le fonctionnement régulier de ses multiples services. Mais, bien que la plupart des Congrès socialistes aient enjoint aux élus du Parti de refuser le vote du budget, il arrive que, dans la pratique, cette prescription n’est pas respectée. Cette observation s’applique à la majorité des pays dans lesquels les forces socialistes au Parlement sont imposantes.

Chaque année, le vote du budget provoque des débats vifs et prolongés. Les représentants du Peuple discutent à perte de vue sur la nature et la quantité des impôts, ainsi que sur la nature et la quantité des dépenses que les impôts sont appelés à couvrir. La presse qui a pour mission de renseigner les contribuables se livre à des polémiques parfois passionnées autour de ce qu’on appelle l’assiette de l’impôt, qu’il serait irrévérencieux peut-être, mais équitable à coup sûr, de nommer l’assiette au beurre. Au fond et en réalité, ces polémiques de journaux et ces débats parlementaires sont pure — ou impure — comédie, destinée à amuser et à abuser la galerie et à détourner l’opinion publique de préoccupations plus graves et d’intérêts plus sérieux. Car, quelle que soit la forme de l’impôt, qu’il frappe directement ou indirectement le contribuable, il est certain que, par suite des incidences et des ricochets, des répercussions et des cascades, c’est, en dernière analyse, le travail qui, seul, produit et conséquemment, les travailleurs qui, seuls, assurent la production, créent, entretiennent et développent toutes les richesses, c’est le monde du travail, c’est la classe laborieuse qui, en fin de compte, toujours et quand même, assure à l’Etat la totalité des ressources dont il a besoin. Il se peut que le rentier, le propriétaire, l’industriel, le financier, le commerçant soient obligés, par la nature et le mode de perception de certains impôts et de diverses taxes, de verser directement au fisc des sommes plus ou moins élevées. Mais, dans ces sortes d’opérations, il y a toujours, comme le disait Frédéric Bastiat, « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, ce qu’on montre et ce qu’on cache. »

Or, ce qu’on voit, ce qu’on montre, n’est qu’une apparence, une fiction ; la réalité, c’est ce qu’on ne voit pas, ce qu’on cache. Et, en matière d’impôt, ce qu’on voit, c’est le prélèvement exercé par le Trésor sur le revenu, sur la rente, sur la propriété bâtie, sur la terre, sur les opérations de finance, de commerce et d’industrie ; et ce qu’on ne voit pas, ce sont les mille moyens à l’aide desquels rentiers, propriétaires, financiers, commerçants et industriels, récupèrent, parfois largement, ce qu’ils versent au fisc, sur le dos et au détriment de la classe ouvrière qui, d’une part, assure toute la production et, d’autre part, forme la masse compacte et pour ainsi dire innombrable des consommateurs. Seul, le petit, tout petit contribuable, le pauvre, situé tout à fait en bas de l’échelle économique dont le bourgeois occupe tous les échelons au-dessus, supporte et casque l’impôt, tous les impôts, la taxe, toutes les taxes : ceux et celles qui frappent le riche comme celles et ceux qui frappent l’indigent. « L’assiette de l’Impôt » ? En vérité, je vous le dis, ô contribuables qui ne vivez que du produit de votre travail personnel et ne pouvez, ainsi, exploiter personne, il faudra, un jour la casser sur la tête des parasites. Tant que vous ne l’aurez pas brisée et réduite en miettes, il n’y aura rien de fait et rien à faire : c’est vous, vous tous, producteurs, mais vous seuls qui permettrez aux Gouvernements d’équilibrer leurs budgets. (Voir Impôt, Taxe,. Dette publique. Grand Livre, Rente, Revenu, etc. — S. F.


BUREAUCRATIE. n. f. On entend par ce mot, l’esprit, le régime, l’influence abusive des bureaux (Lachatre) [Bureaucratie gouvernementale, bureaucratie administrative, bureaucratie législative, bureaucratie commerciale]. Un des rouages inutiles de nos sociétés modernes. Superfétation sociale asservissant des millions d’individus à un travail improductif.

La bureaucratie embrasse toute la superficie du domaine social, et est une plaie dont il sera extrêmement difficile de se libérer, car elle s’impose par un long exercice. Dénuée de toute logique, de tout jugement, elle ne s’appuie que sur des règles et agit en vertu d’une routine toujours ridicule et arbitraire. Elle s’embarrasse d’une quantité de futilités, de niaiseries, qui fatiguent ceux qui sont obligés d’y avoir recours ; par ses procédures et ses subtilités, elle retarde les actes les plus communs de la vie quotidienne.

La bureaucratie est la conséquence de cette fausse conception sociale, qui fait de la société une vaste entreprise commerciale basée sur le doit et avoir.

« Il ne faut point de formalités pour voler, il en faut pour restituer » (Voltaire). Comme la bureaucratie est attachée au service de ce capitalisme qui accapare tout et ne veut rien rendre, on comprend l’importance et l’étendue de cette institution. Qui donc, en notre siècle de journalisme, n’a entendu citer les cas de certains contribuables inondé de paperasses parce qu’ils se refusaient à payer les quelques centimes qui étaient « dûs » au percepteur ?

C’est surtout dans l’administration de la chose publique qu’elle exerce son influence, son autorité et ses ravages, et nuit aux intérêts de la collectivité. Inutile en soit, il faut qu’objectivement elle cherche à légitimer son existence. De là, sa lenteur et ses caprices. Puissante dans son organisation, elle est la source d’une gradation de pouvoirs, d’une hiérarchie imbécile et incorrecte, devant laquelle sont obligés de se courber tous ceux qui sont en bas de l’échelle sociale. On se brise devant sa force d’inertie qui entrave la marche en avant de l’humanité et l’on désespère souvent de venir à bout de cette soumission qui caractérise le bureaucrate et en fait un des êtres les plus nuisibles de la société.

L’inaction de la bureaucratie est légendaire, et a inspiré des maîtres de la littérature, tel Courteline qui, dans les « ronds de cuir » a brossé un tableau remarquable de ce qu’est l’Administration. Hélas, la forme ironique, maniée à merveille par Courteline, ne prête pas à rire. La bureaucratie, par ses méfaits, entre plutôt dans le cadre de la tragédie. Pas un jour ne se passe sans que nous subissions son étreinte. Elle nous accapare dès notre venue au monde, pour ne nous abandonner qu’après notre mort… et encore !…

Lorsque nous venons de naître, chose inerte et sans pensée, nous sommes immédiatement la proie de cette mégère, qui s’humanise sous la forme d’un officier ministériel attaché à la mairie du village, du canton, ou du quartier, et qui écoute d’un air indifférent et lointain les déclarations de votre père flanqué de ses témoins. — De votre père ? Cet homme n’est peut-être pas votre père ; il se peut que vous soyez l’accident d’une étreinte furtive et passagère ; les témoins ont été recrutés aux hasards de la route, même sous le porche du « respectable » édifice municipal ; qu’importe ? La société exige que vous soyez dûment enregistré, et la bureaucratie remplit ses devoirs. C’en est fait de vous. Vous êtes devenu sa chose, vous lui appartenez ; toute votre existence, vous sentirez peser sur votre échine le poids de son indiscrétion et de sa mufflerie, et durant des siècles et des siècles, lorsque la matière aura depuis longtemps repris et transformé votre pauvre carcasse vivante, et que vous serez, depuis des générations, oublié de tous et de toutes, dans les archives administratives, pour servir de nourriture aux parasites et comme un symbole de sa stupidité, la bureaucratie conservera votre nom, inscrit en superbe ronde, sur un livre que ne lira jamais personne.

Elle vous suivra lorsque, devenu enfant, vous étudierez sur les bancs de l’école. Chaque incident et chaque accident de votre vie d’écolier seront marqués du sceau de la bureaucratie ; elle sera là lorsqu’à vingt ans vous serez appelé, au nom de la « Patrie » à payer votre tribut ; elle sera présente, elle, ses fonctionnaires et ses tonnes de papier, lorsque libéré du service militaire, vous aurez à remplir vos devoirs civiques. Impersonnelle, comme une âme qui flotte dans l’éther, elle vous suivra partout, Rien ne lui échappera ; curieuse, elle pénétrera dans votre vie intime ; exigeante, elle voudra savoir ce que vous gagnez, et par l’intermédiaire du percepteur ; qui se retranche derrière le gouvernement qui, lui-même, est recruté au sein du parlement qui se réclame du peuple, elle vous soutirera, pour des buts indéterminés et sous forme d’impôts directs et indirects, le maigre fruit de vos durs labeurs.

Toutes vos résistances seront vaines et inopérantes : le « Bureau » vous étrangle, vous écrase, mais il est animé par une puissance occulte, invisible, contre laquelle vous ne pouvez lutter.

Êtes-vous sans argent pour payer votre dette à l’État ? N’avez-vous pas de répondant pour faire face aux frais de procédure que nécessitera votre saisie éventuelle ? Qu’à cela ne tienne ; c’est la course aux petits papiers qui commence, les frais énormes qui s’accumulent, sans raison, sans logique, sans but. La bureaucratie travaille.

Avez-vous, par malheur, recours à la « Justice » ? Avez-vous un procès civil ou commercial ? Vous êtes un homme perdu ; tous les éléments de désorganisation sociale s’acharneront sur vous ; l’huissier, l’avoué, le greffier, l’avocat, chacun d’eux dans son cadre et dans sa maîtrise s’arrangeront à embrouiller votre affaire, et votre différend, réglable le plus souvent avec un peu de bonne volonté et dont l’exposé tiendrait en quelques lignes, fera l’objet d’une dépense d’encre et de papier, dont le coût sera souvent supérieur aux intérêts que vous avez à débattre.

Un contrat à passer, une transaction à exécuter ? Pour qu’ils possèdent un caractère d’authenticité, il leur faut, sous peine de nullité, être rédigés sous la haute autorité du notaire. Ainsi le veut la loi.

Et il n’y a pas que dans les questions d’argent que nous sommes envahis. La maladie s’empare-t-elle de nous ? Avons-nous besoin d’être conduits dans un hospice ? Avant de toucher le docteur, le savant qui peut, par sa science, nous délivrer du mal dont nous souffrons, il faut satisfaire à la curiosité du bureaucrate qui, jaloux de son autorité, veut noircir ses folios et ses fiches. Qu’importe notre douleur, la peine de nos proches ! La bureaucratie réclame ses droits, ses prérogatives, ses privilèges. Il faut qu’elle soit maîtresse, elle l’est, et elle triomphe à toute heure et en tout lieu.

Elle paralyse toutes les énergies, toutes les initiatives ; elle intensifie la misère. Le malheureux, le vieillard qui attendent de la charité publique organisée l’assistance qui, de sa maigre mensualité, lui permettra de ne pas crever de faim, souffre de sa lenteur ; l’inventeur est victime de sa routine, et il semble que, comprenant le danger que présente pour elle le progrès, la bureaucratie cherche à le retarder, à l’étouffer, à l’étreindre.

Que de ravages elle exerce ! Que d’hommes elle a ruinés ! Elle enrégimente une armée de pauvres bougres, bourrés de préjugés, inaccessibles à la pensée, saine et large, cantonnés dans la petite vie mesquine et étroite du « bureau » et n’ayant comme horizon intellectuel que la feuille de papier et le porte-plume. Elle étrique le cerveau comme le corps, et comme l’on comprend que les fonctionnaires de cette ruineuse institution, habitués à la discipline hiérarchique, soient férocement attachés à ce régime qui les nourrit à peine !

Combien d’individus seraient rendus à la production et à la vie si l’on se débarrassait de ce chancre social ? Il n’y a, pour en avoir un aperçu, que de jeter les yeux autour de soi. L’État, pour son compte, emploie plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires et, sans crainte de se tromper, on peut affirmer qu’à part ceux attachés au service des postes et télégraphes, de l’Enseignement, de l’Hygiène, de la Voirie et des Transports, les autres sont à la charge de la collectivité, et n’apportent absolument rien d’utile en échange de ce qu’ils consomment. Ce sont d’inconscients parasites, victimes, eux-aussi, cependant, de l’ordre économique actuel.

Et cela n’est encore rien. Il n’y a pas que l’État qui soit le refuge du fonctionnarisme. Les grandes administrations publiques, qui forment un État dans l’État, n’occupent pas la dernière place dans le gâchis occasionné par la bureaucratie. À côté des mécaniciens, des chauffeurs, des ouvriers, des conducteurs, qui assurent le service normal des chemins de fer, il y a une nuée d’employés dont les services sont encore à signaler, et qui entravent le développement des régimes ferroviaires ; il en est de même dans les grandes compagnies d’électricité, d’eau, de gaz, etc…, etc…, et il n’y a pas lieu de s’étonner des difficultés financières que rencontrent ces institutions, lorsqu’on établit les sommes englouties mal à propos par des administrations si peu en rapport avec les progrès de la science appliquée.

Est-ce tout ? Non pas, hélas ! Il y a le commerce, il y a la banque. Là encore, croupissent des centaines de milliers de bureaucrates qui ne paient pas leur tribut de travail à la société. Il y a des centaines de milliers d’individus penchés sur des chiffres qui, du soir au matin, additionnent, multiplient, divisent, sans que jamais, jamais, de cet arithmétique fatigante, ne sorte une unité utilitaire.

« Si un tigre croyait, en sauvant la vie d’un de ses semblables, travailler à l’avènement du bien universel, il se tromperait peut-être » (J. M. Guyau, Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction). Si l’on disait à ces millions d’individus qu’ils accomplissent une tâche rétrograde, qu’ils gênent la marche du progrès, qu’ils arrêtent l’évolution des mondes, que, par leur travail, ils perpétuent un ordre social qui doit s’écrouler pour le bien d’une humanité grande, libre et belle : ils ne nous comprendraient peut-être pas. Et pourtant !…

La bureaucratie n’est-elle pas le symbole du parasitisme moderne ? Ne fait-elle pas pencher la balance du côté du capital ? Il y a actuellement, en France, d’après les statistiques officieuses, six à sept millions d’ouvriers manuels, sur une population de 40 millions d’individus. À part les vieillards, les enfants et les riches — qui sont relativement peu nombreux — tout le reste est jeté sur le marché de l’administration et va grossir cette classe de pauvres bougres, à mentalité de bourgeois, que forment les fonctionnaires et les bureaucrates. (Voir Fonctionnaires.)

Pourtant, tout a une fin. Une sourde lumière a pénétré déjà dans, l’Escurial administratif. Elle en ébranlera les murs. Le travailleur du chiffre commence à se dresser, contre ses chefs, ses maîtres, ses exploiteurs. Demain, avec son frère du chantier et de l’usine, étroitement unis, ils briseront les chaînes qui les tiennent rivés à la bourgeoisie. Ils s’attaqueront à l’édifice social, à un ordre économique meurtrier qui doit disparaître, qui disparaîtra sous les coups répétés de la plèbe en bourgeron ou en faux col.

La bureaucratie aura vécu, ainsi que toutes les institutions sur lesquelles reposent la société capitaliste, et le travail utile fécondera le monde, pour que l’Anarchie puisse réaliser son œuvre. — J. C


BUT. n. m. Au sens propre : point où l’on vise ; au sens figuré : fin qu’on se propose. Ex. : Le pouvoir et la fortune, tels sont les deux buts des politiciens. Si l’on veut arriver à un résultat, il faut s’être déterminé un but précis et tendre vers ce but sans la moindre défaillance. Plus grande est l’énergie de l’homme, plus vite sera atteint le but. Les anarchistes ont pour but la libération de la société. Aucun but n’est plus noble et plus généreux. Les travailleurs doivent s’y rallier sans attendre.


BUTIN. n. m. (de l’allemand : beute, proie). On appelle butin ce qu’on acquiert soit par la force (sens propre), soit par son travail, ses études, etc… (sens figuré). Le désir d’un riche butin a toujours été un excitant de premier ordre pour les brutes militaires. Les armées, quelle que soit leur nationalité, se sont toujours distinguées dans l’art de piller les maisons, saccager les villages, voler les objets précieux, violer les femmes, etc…, toutes choses qui constituent le butin du vainqueur. La « Civilisation » n’a changé en rien les mœurs du soldat professionnel. (Voir brigandage). Aujourd’hui comme jadis, le premier soin des troupes conquérantes est de réaliser un estimable butin. Cet état d’esprit navrant ne disparaîtra qu’avec ses principales causes : l’armée et la guerre. C’est donc l’armée et la guerre que les anarchistes doivent combattre avec ténacité s’ils en veulent voir disparaître les conséquences.


BYZANTINISME. n. m. On appelle byzantinisme une tendance à s’occuper de questions frivoles et subtiles, par analogie avec les disputes religieuses et mesquines auxquelles se complaisaient les Byzantins de la décadence. (L’Empire Byzantin est le nom donné à l’empire romain depuis Constantin, et à l’empire d’Orient depuis Théodose jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453. L’Empire Byzantin, travaillé par des vices intérieurs : disputes et rivalités pour le pouvoir, querelles religieuses, etc… a compté pourtant plus de mille ans d’existence, résisté souvent avec succès aux barbares, du Nord et de l’Orient, et brillé du vif éclat d’une civilisation raffinée). Un byzantinisme dangereux met en péril l’humanité tout entière, par suite de la décadence de la classe bourgeoise, qui s’avère de jour en jour plus impuissante et plus veule. C’est au peuple — lui qui garde en son sein des énergies neuves et saines — qu’incombe le droit et le devoir d’arrêter cette décadence en injectant une vie nouvelle au vieux monde.