Encyclopédie du dix-neuvième siècle 1836-1853

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Encyclopédie du dix-neuvième siècle
1836-1853


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Répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, avec la biographie de tous les hommes célèbres, préf. signée : le directeur, Ange de Saint-Priest, Paris, au bureau de l'Encyclopédie du XIXe siècle, 1836-1853, 26 vol. : fig. ; in-8 et deux volumes de suppléments.

Avertissement

Le mot Encyclopédie est devenu si familier qu’en général on y attache une idée juste. Cette idée résulterait de la simple traduction des mots grecs dont celui-là se compose, et qui signifie littéralement : « Cercle qui embrasse les connaissances ; d’où l’on voit qu’ici la définition est donnée par l’étymologie, et qu’une encyclopédie n’est autre chose que le recueil de toutes les connaissances humaines, c’est-à-dire le résumé complet des principes fondés sur la raison ou sur l’autorité, et des faits constatés par l’observation et l’expérience de tous les temps et de tous les lieux.

Supposez un homme d’un entendement assez vaste pour contenir la totalité de ces connaissances, et assez énergique pour en avoir habituellement une conscience vive et nette, cet homme aurait une tête encyclopédique ; et le livre où il déposerait ses connaissances avec les rapports qui les lient l’une à l’autre, ce livre serait ce qu’on appelle une Encyclopédie.

Supposez que cet homme fût immortel, et qu’il fût toujours présent partout, quel bienfait pour ceux de ses semblables auxquels il daignerait se communiquer ! Mais un tel homme n’existe pas ; car la nature, qui a mis des bornes à la vie, ne permet pas davantage à l’intelligence d’un seul d’embrasser la science universelle ; au lieu que, par le concours de plusieurs hommes, le livre dont nous parlons peut exister, et multiplié ensuite par la voie de l’impression, il peut se répandre à la fois dans une infinité de lieux, et mettre à la disposition des contemporains les découverts des siècles qui ont précédé.

Vj AVERTISSEMENT.

Ce peu de paroles suffirait pour rendre sensible l’utilité des Encyclopédies. Considérée en général, cette utilité serait comme infinie ; car, si d’un côté l’homme est de tous les êtres celui qui naît le plus faible et le moins armé pour sa défense ; si, de l’autre, les animaux fuient devant son regard, et s’il change lui seul et partout la face de la terre, c’est que, s’emparant des forces de la nature, il les fait servir de supplément à la sienne ; mais il ne s’approprie ces forces, en quelque sorte étrangères, que par son intelligence ; d’où il suit que cette intelligence est une force supérieure à toutes les autres, et qu’y ajouter sans cesse par de nouvelles lumières c’est ajouter sans cesse à la puissance de l’homme, et la rendre à la fois plus solide et plus étendue. Les continents, d’abord chargés d’épaisses forêts ou couverts de marais fangeux, se couvrent de moissons dorées et de villes opulentes ; ils sont séparés par des mers et liés par la navigation. Cherchez l’origine de tant de merveilles ? Vous la trouverez dans l’usage que l’intelligence humaine a fait de quelques observations très simples ; dans le parti qu’elle a su tirer d’un gland, d’un peu de chaleur et d’eau, des habitudes d’une aiguille, de quelques notions sur la structure de l’univers.

Voilà pour l’utilité générale. Quant à l’utilité particulière, figurez-vous un homme environné d’oracles qu’il peut consulter à chaque moment sur ce qu’il a intérêt de connaître, de savoir ou d’éclaircir ; un lieu, un nom, une date, un objet matériel, un être organisé, végétal ou animal ; un événement, une famille historique, une loi, un art, une industrie, une invention, une découverte ; un point de science naturelle, morale, politique, etc. ; figurez-vous cet homme qui étend la main, interroge des yeux, et reçoit la réponse : c’est que cet homme a pour ainsi dire à ses ordres une intelligence universelle, toujours prête à entendre et à résoudre les difficultés qui l’embarrassent. Or, dans une grande nation, quel que soit le rang, quelle que soit la profession, et quelle que soit la culture que reçoivent les esprits, il n’en est pas un seul qui n’aperçoive à chaque minute, dans l’ensemble de ses idées, de l’incertitude, de l’obscurité, des lacunes, des vides, et ne sente la nécessité de rectifier et de compléter des parties de son entendement ; et ce service, qui peut le rendre si ce n’est une Encyclopédie ?

Le sentiment de cette nécessité suggéra de bonne heure à quelques écrivains l’idée de composer, pour une science en particulier, des lexiques, des Glossaires, où les termes de cette science étaient expliqués ou définis. Les Grecs nous ont laissé en ce genre, sinon quelques modèles, du moins quelques essais ; entr’autres, ceux d’Érotien, de Galien, d’Hérodote sur les ouvrages d’Hippocrate ; ouvrages que Henri Étienne,

AVERTISSEMET. Vij

Foës et beaucoup d’autres ont depuis imités, mais sur une plus grande échelle. Tels sont encore et l’ouvrage de Stobée et surtout l’ouvrage de Suidas, lequel a un caractère d’universalité qui le rapproche des Encyclopédies. On suppose que chez les Romains Varron et le premier Pline, en écrivant leurs traités, s’étaient proposé d’y réunir toutes les connaissances que l’on possédait alors. Dans nos temps modernes, du cinquième au dix-huitième siècle, on a vu paraître, d’abord de loin en loin, puis à des intervalles plus rapprochés, et finalement aux mêmes époques, chez les différents peuples de l’Europe, et sous des titres divers, des exposés de sciences, des abrégés, des traités généraux, des dictionnaires techniques, etc., puis enfin de véritables Encyclopédies, dont la plus célèbre est celle que publièrent en France Diderot et d’Alembert.

Peser le mérite de ces Encyclopédies serait un travail stérile et déplacé. Quelques-unes ne sont que de faibles ébauches ou des compilations indigestes ; il en est que l’on n’a pas achevées ; presque toutes sont incomplètes, et celle que l’on vit sortir, il y a soixante ans, de la presse française, fourmille de disparités, d’incohérences, de mutilations qui ont allumé plus d’une fois l’indignation d’un de ses principaux fondateurs, de Diderot lui-même. Le blâme le plus fondé qu’elle ait encouru c’est d’être devenue, dans les mains qui l’ont écrite, sinon une arme de destruction, du moins un instrument de perturbation sociale. Elle faisait à la religion chrétienne des reproches qu’aujourd’hui la religion tournerait à bon droit contre la philosophie ; contre cette philosophie tranchante, hautaine, pleine d’orgueil et d’intolérance, qui, née du doute, ne le pardonne pas quand elle en est l’objet ; n’a de foi qu’en elle-même, et prétend imposer son joug à tous les esprits ; elle, dont la présomption reçoit de chaque moment et de chaque découverte l’avertissement de se prendre en défiance, et de n’aspirer point à un empire qu’elle ne voudrait recevoir de personne. Un dessein plus noble nous anime et nous guide. Il n’est point pour nous de phi1osophie sans religion, et nous ne pensons pas non plus que la religion repousse la saine philosophie. Elles ont l’une et l’autre le même objet, c’est-à-dire l’enseignement de la vérité. Or, la vérité consiste dans la fidèle expression des œuvres divines, et Dieu ne pouvant être contraire à lui-même, comment nier l’accord de ces deux manifestations, au moment surtout où la cosmogonie de Moïse est si clairement justifiée par la géologie ? car, de nos jours, la terre parle, et son langage est comme une seconde révélation qui confirme la première. Redressé sur ce point capital, comment l’esprit philosophique ne se tiendrait-il pas en réserve sur tous les autres ? et•

viij AVERTISSEMENT.

comment refuserait-il de s’associer à une religion qui, enseignant aux hommes à s’aimer, à se servir, à se conserver réciproquement, s’identifie par cela même avec toutes les sciences ? Car les sciences, la connaissance des actes et des pouvoirs de la nature qui est l’ouvrage de Dieu, que sont-elles autre chose que des moyens de conservation et de perfectionnement ? C’est ainsi que nous concevons l’alliance de la religion avec la philosophie ; ou plutôt elles sont, selon nous, absolument indivisibles, n’étant l’une et l’autre que l’exacte expression des rapports de l’homme avec Dieu, avec la nature, avec lui-même.

Si la tendance qu’affectait l’ancienne Encyclopédie en a fait un livre dangereux, si les infidélités d’un libraire en avaient fait un ouvrage tronqué, le temps en a fait un ouvrage incomplet. La plume des encyclopédistes s’est arrêtée, mais la science a marché. Elle a marché en France, en Angleterre, en Allemagne, en Espagne ; dans le nord de l’Europe, aussi bien qu’en Amérique ; et, dans cette période de soixante années, elle a fait partout des progrès merveilleux.

Des sciences nouvelles sont comme sorties du néant. On n’avait qu’un simulacre de chimie, et l’on sait quelle place cette science tient aujourd’hui parmi toutes les autres. On sait que, fondée par la crystallographie qui naissait pour ainsi dire avec elle, et, éclairée par la physique et la géométrie, elle a éclairé à son tour toutes les branches de la médecine, et surtout la physiologie, de même qu’elle éclaire tous les arts et qu’elle suscite chaque jour de nouvelles industries et de nouvelles richesses. La géologie n’existait pas, ou plutôt on n’avait sous ce nom qu’un vain amas de fictions romanesques. En entamant à quelque profondeur les couches superficielles de la terre, l’homme a rencontré des restes de mondes détruits, et, frappé de la grandeur, des formes bizarres et de la variété de ces immenses débris, l’homme en a tiré une science inconnue jusque-là. Cette antiquité toute nouvelle a encore excité l’ardeur qui portait les esprits vers l’étude des siècles passés. On a soumis à un plus sérieux examen les monuments, la tradition et les langues, pour découvrir l’origine et le mélange des nations ; et, par suite de tous ces travaux, l’histoire et la géographie ancienne ont reçu de nouveaux éclaircissements. Que n’a-t-on pas fait pour la géographie moderne ? À l’imitation de la France et de l’Angleterre, toute l’Europe, pour ainsi dire, le Danemarck, la Suède, la Russie, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie, l’Espagne se sont couvertes de triangles et ont relevé leurs côtes, pour obtenir des déterminations plus rigoureuses et donner à leurs mers des configurations plus exactes. L’empire ottoman lui-même a suivi ce bel exemple ; et, tandis qu’un enthousiasme de découvertes précipitait de courageux voyageurs sur de vastes

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continents, pour en étudier les terres, les fleuves, les montagnes, les productions et les peuples, d’habiles et hardis navigateurs parcouraient dans tous les sens toutes les mers, depuis les glaces du Nord de l’Asie et de l’Amérique jusqu’à celles qui ceignent le pôle austral, pour achever la géographie du globe. La plus auguste des sciences humaines, l’astronomie, a produit la mécanique céleste, découvert de nouveaux mondes dans le sein de l’espace infini, et créé des instruments d’une grandeur, d’une portée et d’une précision également étonnantes. La grandeur de la terre mieux connue a fourni la base d’un système uniforme et désormais invariable de nouvelles mesures. Toutes les sciences mathématiques, physiques et mixtes ou physico-mathématiques ont fait des acquisitions nouvelles, et ont été portées par un même mouvement vers leur perfection. Tant de progrès n’ont pas été sans influence sur l’art de la guerre et sur l’art de la navigation. L’histoire naturelle, à peine systématisée par un savant Suédois, et considérée dans toutes ses parties, au nombre desquelles nous comprenons l’anatomie comparée, l’histoire naturelle a pris des développements prodigieux. Il en est de même pour l’histoire proprement dite, générale ou particulière. Celle de la plupart des sciences a été tracée par des plumes éloquentes. L’histoire du commerce n’a pas encore été faite ; mais l’écrivain qui la tentera peut, dès ce moment, rassembler autour de lui d’excellents matériaux. Que dirons-nous de la science de l’homme et de toutes les sciences qu’elle embrasse ? l’anatomie, la physiologie, la médecine, avec ses nosologies, ses laborieuses recherches d’anatomie pathologique, ses ressources contre certaines maladies contagieuses, telles que la variole ? Que dirons-nous de la chirurgie et de l’heureuse audace de ses opérations ; de ses récentes et non moins heureuses tentatives contre la pierre, etc. ? Est-il nécessaire de rappeler qu’à la physiologie se rattachent aujourd’hui de neuves et importantes questions, et que cette partie de nos connaissances a été singulièrement cultivée en France, en Angleterre, et surtout en Allemagne ? Ajoutez à cette masse de travaux tous ceux qu’on a publiés sur l’économie politique et la législation civile et criminelle ; sur l’administration, sur l’agriculture, etc. ; et, comme une Encyclopédie ne doit rien négliger de ce que fait le genre humain, joignez finalement à cette longue série de ses œuvres cette foule d’arts tout nouveaux ou de procédés et d’inventions qui rendent le travail plus parfait et plus rapide, et vous comprendrez que, dans le laps d’un demi-siècle, tout a changé de race au milieu des nations, et que le temps est venu de présenter, sous de nouvelles formes, toutes les branches rajeunies des sciences ; et sous leurs propres formes, celles de ces branches

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qui se sont élevées sur le tronc principal avec non moins de vigueur que les anciennes.

L’activité des temps modernes s’est également portée vers la littérature et les arts. Le domaine de l’imagination s’est agrandi des riches conquêtes de l’histoire, de la philologie, et de l’observation psychologique. L’étude des langues étrangères et le rapprochement des peuples ont fait jaillir une intarissable source d’utiles et précieuses comparaisons. À côté de la poésie profane, si belle et si noble d’ailleurs, s’est élevée une poésie nouvelle plus spiritualiste et plus humaine, dont le caractère religieux et mélancolique ramène l’âme à elle-même et la met dans une communication plus intime avec son auteur ; en même temps que des accents inconnus, des associations plus riches et des combinaisons plus hardies dans la langue des Gluck et des Mozart, témoignent des étonnants progrès de la musique. De toutes parts, l’esprit humain a donc marché, et si dans quelques branches des arts d’imitation il n’a pas fait de progrès sensibles, c’est que quelques-uns de ces arts ont leurs règles tirées de leurs chefs-d’œuvre, et que ces chefs-d’œuvre ne sont tels que par certaines conditions qui leur sont propres et qui ne peuvent changer.

Dans cette nouvelle exposition, et, pour ainsi dire, dans ce nouveau bilan des sciences, quel arrangement, quel ordre se propose-t-on de suivre ? le seul qu’on ait adopté jusqu’ici pour les Encyclopédies : l’ordre alphabétique ; ordre de pure convention, il est vrai, qui ne repose sur rien de réel, mais qui, rendu singulièrement familier par l’habitude, et s’unissant aux mots pour lier nos idées et former ainsi notre mémoire, sert de pivot à toutes nos opérations intellectuelles et de guide à notre esprit dans toutes ses recherches ; avec cet avantage inestimable que, n’étant point un ordre réel, il se prête merveilleusement à tous les autres et n’en exclut aucun. Aussi, dans les articles généraux : Science, Philosophie, Zoologie, Géologie, Médecine, etc., les auteurs auront toute liberté de faire ressortir les liens communs de toutes les connaissances humaines, et d’y introduire toutes les divisions, toutes les classifications qu’ils croiront devoir proposer. Cette matière même sera spécialement traitée à l’article Méthode. Du reste, une fois le partage fait pour une science en particulier, il sera nécessaire et l’on aura soin de proportionner les uns aux autres les articles généraux et les articles secondaires, afin d’épargner à leur ensemble l’inconvénient de contenir des répétitions ou de présenter des lacunes.

Un jour cette nouvelle Encyclopédie, en la supposant aussi parfaite qu’elle peut l’être, méritera le reproche que nous faisons à l’ancienne. Elle sera stationnaire et les sciences marcheront. Se plaindre par avance

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de cette future imperfection, c’est accuser la fécondité de la nature, et la réserve qu’elle met à livrer ses secrets à nos besoins ou à notre curiosité.

En terminant ce court exposé, notre pensée se reporte douloureusement vers un des hommes les plus éminents de notre époque, dont la perte subite vient d’affliger tous les amis de la science, et a dû affecter plus particulièrement les directeurs de l’Encyclopédie. M. Ampère, une des gloires scientifiques les plus brillantes et les plus pures du dix-neuvième siècle, avait accueilli notre entreprise avec une sympathie profonde, il s’était associé avec ardeur à nos travaux, et son nom figurait en première ligne parmi les membres de notre comité de direction. Un article spécial, inséré dans notre second tome et confié à un de nos plus illustres savants, rappellera tous les titres de gloire de cet homme modeste. Mais nous devons ici payer à sa mémoire le tribut de nos hommages, de notre deuil et de notre gratitude. M. Ampère nous a prodigué ses conseils et nous a donné constamment des preuves d’un dévouement inépuisable. C’est lui qui a complété nos premières idées, qui a préparé nos premiers travaux, et qui surtout, par ses démarches personnelles, nous a assuré le concours des hommes les plus distingués dans les diverses branches du savoir. Il est devenu ainsi un des principaux fondateurs de l’Encyclopédie, et il vivra encore dans cette œuvre qui a reçu ses dernières inspirations et qui, dans un grand nombre de questions, ne sera en réalité que le développement de sa pensée.

Le Directeur, ANGE DE SAINT-PRIEST.