Encyclopédie méthodique/Artillerie/Affuts

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Panckoucke (p. 2-5).

AFFUTS. C’est, en général, un assemblage de pièces en bois & en fer sur lequel on monte une pièce d’àrtillerie pour pouvoir la manœuvrer & la tirer. Il y a des affûts à canons, à obusiers, à mortiers, à pierriers, &c.

Affûts à canons de campagne & de siège. Ce sont des voitures sur lesquelles on place le canon pour le tirer ; ceux de campagne servent aussi pour le transporter. Les affûts sont composés de deux principales pièces de bois appelées flasques ; les flasques des affûts de siége sont assemblées par quatre pièces que l’on nomme entretoises, & qui portent en même temps le nom de l’endroit où elles sont placées : ceux de campagne n’en ont que trois. L’entretoise de volée est celle qui est à la tête de l’affût ; on lui donne ce nom à cause de la volée du canon qui est dans cette partie. L’entretoise de couche est celle qui se trouve sous le centre du canon : il n’y en a point aux affûts de campagne. L’entretoise de mire est nommée ainsi parce que le canonnier se place contre cette entretoise pour pointer (cette entretoise se nomme de support dans les affûts de campagne, parce qu’elle sert à porter la culasse du canon en route).


L’entretoise de crosse assemble les crosses de l’affût ; elle est percée dans son milieu d’un trou dans lequel passe la cheville ouvrière de l’avant-train. On donne plus d’écartement aux crofsses de l’affût qu’à la tête, parce que le canon a plus de diamètre à la culasse qu’aux taurillons, 8 que les flasques doivent être assemblés de façon à être le plus près possible du canon sans le gêner, étant essentiel qu’il ne puisse se déranger dans aucun sens, soit en tirant, soit dans la marche : on l’empêche de reculer & d’avancer sur l’affût, en creusant pour les tourillons sur le dessus des flasques, un enfoncement circulaire dont la profondeur est des deux tiers de leur diamètre. Il faut que le canon, quand ses tourillons sont placés dans ce logement, puisse se mouvoir dans le sens vertical tant en dessus qu’en dessous de l’horizon, afin que l’on ait le moyen de pointer haut ou bas. On se contente de laisser au canon de siége, dont l’affût est supposé sur un plan de niveau, la liberté d’être pointé à sept à huit degrés au-dessous de la ligne horizontale & à treize ou quatorze degrés au-dessus ; ceux de campagne peuvent, par la construction de leur affût, être pointés sous l’angle de quinze degrés au-dessous de l’horizon & de quinze à dix-sept au-dessus.

Les logemens des tourillons doivent être placés le plus près possible de la tête des flasques, en y conservant cependant assez de bois pour que leur devant conserve de la solidité, & que l’essieu, dont ils déterminent la position, soit soutenu solidement contre le recul de l’affût. On place cet essieu près de la ligne verticale qui passe par-derrière le logement des tourillons, pour que les crosses de l’affût ne soient ni trop légères ni trop pesantes. Au moyen de cet emplacement de l’essieu, les roues de l’affût portent presque tout le poids du canon, quoiqu’il devienne une voiture à quatre roues quand il est monté sur son avant-train ; de sorte que la position des tourillons qui, eu égard au tir de ce canon, doit être près de la tête, devroit, quand on considère l’affût comme voiture, se trouver dans le milieu de l’intervalle des grandes & des petites roues. Pour remplir cet objet, on fait pour les tourillons, vers le milieu de la longueur de l’affût, un second logement où l’on place le canon en route ; quoique la manœuvre de cnanger le canon du logement de tir au logement de transport puisse se faire promptement, on le laisse cependant dans celui de tir quand on marche à l’ennemi ou que l’on en est à portée de faire feu.

Il n’y a de logement de transport qu’aux affûts de 12 & de 8 ; on n’en a pas fait à celui de 4 : les canons de ce calibre étant trop légers pour fatiguer les roues. Ces logemens ne sont pas nécessaires dans les affûts de siége, parce qu’ils ne portent jamais leurs canons que du parc à la tranchée, & que l’on a des hnariots particuliers pour les voiturer.

On met des sous-bandes en fer dans le logement des tourillons pour résister à l’effort du recul qui ne tarderoit pas à le détruire : on fait celles des logemens de tir très-épaisses, mais celles des seconds logemens le sont moins, parce qu’on ne s’en sert que pour le transport des canons. On arrondit & relève les crosses des affûts de campagne, pour pouvoir les laisser traîner en manœuvrant à la prolonge.

Les affuts de campagne & toutes les autres voitures à quatre roues ont des timons. Cette façon d’atteler, outre l’avantage qu’elle a de raccourcir la longueur des colonnes, répartit également l’effort du tirage & laisse aussi aux chevaux toute la liberté qu’ils peuvent avoir en marchant : tandis que les chevaux n’étant que sur une seule file avec la limonière, la longueur de l’attelage est double, les chevaux sont plus difficiles à conduire, et la voiture ne peut guère trotter.

Les pièces en bois qui composent les affûts de campagne sont : deux flasques, trois entretoises, deux roues, une femelle mobile. Les pièces principales en fer sont : un essieu, un anneau carré porte-levier, un crochet à tête plate & percée, un crochet à pointe droite, un croohet à fourcbe, deux clous rivés de crosse, un crochet porte-sceau, une vis de pointage & son écrou en cuivre, deux doubles crochets de retraite, deux boûts d’affût, deux recouvremens de talus des flasques, deux sous-bandes fortes, deux chevilles à tête ronde, quatre chevilles à tête plate, deux sous-bandes minces pour les seconds logemens des tourillons aux pièces de 12 & de 8, deux bandes de renfort, deux bandes d’essieu, deux têtes d’affût, quatre liens de flasque, une lunette, une contre-lunette, un anneau d’embrelage, deux grands anneaux de pointage, deux petits anneaux de pointage, un crochet porte-écouvillon, deux anneaux carrés de manœuvre, deux plaques de frottemens de sassoire, deux sus-bandes, une chaîne d’enrayage pour les pièces de 42 & de 8, quatre plaques de garniture pour l’encadrement des essieux, un bandeau de femelle, une calotte de femelle, une plaque de femelle, une charnière de femelle.

Les parties en bois des affûts de siége sont : deux flasques, quatre entretoises, une femelle, deux roues, un essieu. Les parties en fer sont : deux crochets de retraite, quatre plaques carrées de bandeaux d’entretoises, deux bandeaux d’entretoises, deux recouvremens de tête d’affûts, cinq boulons d’assemblage, deux bandes de recouvrement de talus des flasques, deux sous-bandes, deux bandes de renfort, six chevilles à tête ronde, deux chevilles à mentonnet, deux têtes d’affût, deux chevilles à tête plate, quatre liens de flasque, une lunette, une contre-lunette, un anneau d’embrelage, deux boulons, deux sus-bandes, deux chaînettes de sus-bande, deux clavettes, une vis de pointage & son écrou en cuivre, deux équignons, deux brabans d’équi-


gnon, deux anneaux à hupper, deux heurtequins, deux étriers d’essieu.

Affuts des pièces légères, dites à la Rostaing. Ces affûts & leurs pièces sont supprimés depuis long-temps ; mais comme on présente souvent des inventions de ce genre, on croit devoir en faire mention ici. Les pièces qui étoient en bronze tiroient des boulets d’une livre, & elles avoient à peu près vingt calibres de longueur. On donnoit beaucoup de cintre aux flasques, afin de relever les roues, sans quoi le servioe de ces petites pièces eut été incommode. Aux deux côtés des flasques on appliquoit deux bras de limonières par un boulon. Aux crosses, il y avoit deux anneaux pour y passer un levier en travers de l’affût. Ce levier servoit pour la retraite ; il offroit aussi des points d’appui aux limonières, pour élever les crosses lorsqu’on y atteloit un cheval. Le pointement se faisoit avec un coin de mire, qui glissoit dans une coulisse entaillée sur l’entretoise de couche ; le coin étoit mû par une vis dont l’écrou étoit arrêté au-devant de la coulisse. La sus-bande des tourillons étoit fixée par une charnière ; vers la tête de l’affût, elle s’arrêtoit par une cheville fixée au bouton & tournant avec lui. Cet affût & sa pièce étoient d’une grande légèreté ; un seul cheval les trainoit, & on pouvoit, en les démontant, les transporter facilement sur les montagnes ; mais cette pièce étoit sans puissance à cause de la petitesse de son calibre. (Voyez l’article Canon de troupes légères.)

Affuts de côtes. Ils ont la même forme que ceux de place, & les flasques sont assemblés de la même manière : ils sont montés sur des rouleaux à tête percée pour recevoir des leviers. Le canon se trouve encore plus élevé au-dessus du sol de la batterie qu’avec les affûts de place. Ainsi, au moyen de ces affûts on tire par-dessus l’épaulement, en présentant peu de prise aux boulets ennemis, & on les fait mouvoir circulairement, de manière à suivre les vaisseaux qui passent devant la batterie.

Les pièces en bois qui composent l’affût de côte, sont : deux flasques, chacun de trois pièces, assemblées par vingt goujons, quatre échantignolles, deux entretoises, un gros rouleau avec quatre mortaises, un petit rouleau, quatre recouvremens pour les rouleaux, quatre goujons pour les échantignolles. Les ferrures sont : dix boulons, quatre boulons d’assemblage, quatre bandes de renfort, quatre cordons pour le gros rouleau, deux frettes pour le petit rouleau, une vis de pointage & son écrou.

Affuts à échantignolles. Ces échantignolles étoient destinées à élever la pièce. Il y avoit une échantignolle au-dessus de la tête de chaque fiasque, sur laquelle on pratiquoit le logement des tourillons. Il a été abandonné à cause de son peu de solidité.

Affuts à flèche. Ils étoient composés de deux flasques accolés à une pièce de bois qui servoit en effet de flèche quand on vouloit les manœuvrer. Ils n’ont été en usage qu’à l’armée d’Egypte, où le dénuement de bois de longueur les avoit fait adopter. Ces affûts élevoient le canon de cinq pieds neuf pouces au-dessus de la plate-forme, ce qui les avoit fait appeler affûts-chameaux.

Affuts marins. Ils font destinés à manœuvrer le canon à bord des vaisseaux. On en fait usage à défaut d’affûts de côtes pour les pièces en fer. Ils consistent en deux flasques courts, assemblés par des goujons, le dessous dégagé en arc de cercle, & coupés carrément en quatre degrés en arrière pour les alléger. Ils font supportés par quatre roulettes dont les essieux sont en bois.

Ces sortes d’affûts se construisent promptement & à peu de frais, mais ils sont difficiles à manœuvrer & sont peu élevés au-dessus de la plate-forme.

Affuts à mortiers. Ils sont composés de deux flasques en fer, assemblés par deux entretoises & par des boulons ; ces flasques sont coulés à masselotte. On s’est occupé, depuis que les mortiers existent, à chercher la matière la plus solide pour faire leurs affûts. On les a eus tantôt en fer coulé, tantôt en bois, ensuite en fer battu ; on en a fait aussi en bronze, ce qui étoit très-dispendieux.

Les premiers affûts ont été en bois ferré ; on a trouvé qu’ils duroient trop peu & que leurs ferrures coûtoient beaucoup de façon ; on a préféré dans la suite les affûts de fer coulé, parce qu’ils sont moins coûteux & qu’ils durent long-temps quand la fonte est grise, douce & onctueuse (si l’on peut s’exprimer ainsi). Pour s’assurer que la fonte de ces affûts est suffisamment douce, on perce à froid les trous des boulons qui assemblent les flasques, parce que le fer coulé qu’on peut percer avec des forets n’est pas cassant, & il doit résister aux efforts du recul. Toutefois, ces affûts sont lourds, détruisent promptement les plates-formes, & sont difficiles à remettre en batterie quand ils sont d’un gros calibre.

On les éprouve en tirant trois fois de suite avec leurs mortiers respectifs chargés à chambre pleine, le mortier pointé à soixante degrés & l’affût placé sur une plate-forme horizontale. On reçoit ceux qui ont soutenu cette épreuve sans être dégradés ; mais ceux qui manifestent des fentes ou des cavités sont rebutés & cassés.

Les diverses parties, tant en fer qu’en bois, qui composent l’affût à mortier sont : deux flasques en fer coulé, deux entretoises en bois, deux douilles pour tenons de manœuvre, deux tenons de manœuvre, trois boulons d’assemblage & deux seulement pour le mortier de huit pouces, deux sus-bandes, quatre étriers de sus-bande, un coussinet à tourillons, une plaque de renfort au talus du coussinet, deux chevilles à double mentonnet.

Affûts d’obusier. Ils ont à peu près la même forme que ceux des canons. Il n’y a de différence essentielle que dans leur semelle, qu’il a fallu rendre mobile pour pouvoir tirer jusqu’à l’angle de quarante-cinq degrés. On n’a pas fait de seconds logemens des tourillons à ces affûts, parce que leur poids n’est pas considérable & que d’ailleurs ils sont trop courts pour cela. On monte celui de huit pouces sur l’avant-train à canon de douze, & celui de six pouces sur l’avant-train du canon de huit.

Le[s] parties en bois qui composent l’affût d’obusier sont : deux flasques, quatre entretoises, une semelle, un essieu, deux roues. Les ferrures principales sont : deux clous rivés de crosse, un anneau carré porte-levier, un crochet porte-levier, un crochet à pointe droite porte-écouvillon, un crochet à fourche porte-écouvillon, deux doubles crochets de retraite, deux chaînes d’attelage & deux crochets de retraite, six boulons d’assemblage, deux bouts d’affût, deux recouvremens de talus de flasques, deux sous-bandes, chevilles à tête ronde (6 pour l’obusier de 8 pouces & 4 pour celui de 6 pouces), deux chevilles à mentonnet, deux chevilles à tête plate, deux bandes de renfort, deux têtes d’affût, quatre liens de flasques, une lunette, une contre-lunette, un boulon de lunette, un anneau d’embrelage, quatre anneaux de pointage, deux anneaux carrés de manœuvre, deux plaques d’appui de roues, deux plaques de frottement de sassoire, une vis de pointage & son écrou en cuivre, deux sus-bandes, deux chaînettes de sus-bandes, deux clavettes de sus-bandes, deux équignons, deux brabans, deux happes à anneau, deux heurtequins, deux étriers d’essieu.

Affûts à pierriers. Ils sont en fer coulé, ayant la même forme que ceux des mortiers de huit pouces. Ils étoient précédemment en bois. (Voyez l’article Affûts à mortier.)

Affûts de place. Ils font composés de deux flasques formés par trois madriers assemblés, à crémaillère ou à adent, & dont celui de dessous est délardé en arc de rercle. Ils sont montés sur deux grandes roues & une roulette placée sur le devant entre les flasques. Les affûts de place ont l’avantage de porter le canon à la hauteur de 1 met. 62 (5 pieds), au lieu que ceux de siége ne l’élèvent qu’à environ 1 met. 13 (3 pieds 6 pouces) au-dessus du sol de la batterie. Cet objet est essentiel dans une place assiégée, parce qu’il est dangereux de trop ouvrir le parapet, le canon de l’assiégeant pouvant alors inquiéter, à travers les embrasures, les manœuvres qui se font sur le rempart.

Cet affût est placé sur un châssis mobile que l’on fixe toutes les fois qu’on trouve une direction favorable ; ce qui est commode pour tirer pendant la nuit. On reproche à ces affûts d’être trop massifs & trop en prise aux coups de canon de l’ennemi.

Les pièces en bois qui composent l’affût de place sont : deux flasques, deux entretoises, une semelle, deux supports, un essieu en bois, deux roues. Les ferrures font : deux crochets de retraite, quatre plaques à oreilles, dix chevilles, quatre boulons d’assemblage, deux tenons de manœuvre, deux brides pour leviers de manœuvre, quatre boulons de support, deux bandes de renfort de semelle & de support, deux bandes de renfort sous la semelle, deux bandes d’essieu à oreilles, deux étriers d’essieu, deux heurtequins, deux viroles de bout d’essieu, une roulette en fer coulé, un essieu en fer battu pour la roulette, une vis de pointage & son écrou.

Affuts à roues excentriques. Ils ont été proposés pour remplacer ceux de place & de siège, dont ils diffèrent principalement par les roues. Le moyeu des roues de cet affût n’est pas au centre de la roue, & la différence des rayons est de 0 mèt. 37 (14 pouces), le plus grand étant de l met. 10 (41 pouces), & le plus petit de 0 met. 72 (27 pouces) ; en sorte que, quand on veut tirer, on fait porter les roues sur leur plus grand rayon : par ce moyen le canon tire à barbette. Dans son recul les roues tombent sur le petit rayon, le canon s’abaisse & fait que les canonniers sont entièrement couverts par l’épaulement lorsqu’ils chargent : ce qui est un grand avantage.

On objecte contre cet affût, inventé par M. le colonel d’artillerie Lagrange, qu’on éprouve plus de peine pour le mettre en batterie, la difficulté de raccorder les roues en relevant l’affût afin que la pièce ne soit pas inclinée sur le côté, & la nécessité d’avoir des roues concentriques pour faire voyager l’affût.