Encyclopédie méthodique/Arts et métiers mécaniques/Marroniers

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Collectif
Panckoucke (4p. 636-638).

MARRONNIERS ET MARRONS D’INDE.
(Art d’en tirer avantage.)

Le marronnier d’inde est un grand arbre qui a passé de Constantinople en France il y a près de deux siècles.

On cultive cet arbre principalement pour l’agrément. Il prend de lui-même une tige droite, & fait une tête assez régulière ; son tronc devient fort gros.

Dans la jeunesse de l’arbre, son écorce est lisse & cendrée ; lorsqu’il est dans sa force, elle devient brune & un peu gersée : sa feuille est grande, composée de cinq ou sept folioles rassemblées au bout d’une longue queue en forme d’une main ouverte : la verdure en est charmante au printemps.

L’arbre donne ses fleurs dès la fin d’avril ; elles sont blanches, chamarrées d’une teinte-rougeâtre, & elles sont répandues sur de longues grappes en pyramide : ces grappes viennent au bout des branches, se soutiennent dans une position droite, & leur quantité semble couvrir la tête de l’arbre.

Les fruits qui succèdent sont des marrons, renfermés dans un brou épineux comme celui des châtaignes.

Le marronnier d’Inde est d’un tempérament dur & robuste, d’un accroissement prompt & régulier ; il réussit dans toutes les expositions : il se soutient dans les lieux serrés & ombragés à force de s’élever : tous les terreins lui conviennent, à l’exception pourtant de ceux qui sont trop secs & trop superficiels ; il ne craint pas l’humidité lorsqu’elle est à un point médiocre ; ses racines ont tant de force, qu’elles passent sous les pavés & percent les murs : enfin, il n’exige ni soin ni culture.

Telles sont les qualités avantageuses qui ont fait rechercher cet arbre pendant plus de cent années ; mais son règne s’est affoibli successivement par la propreté & la perfection qui se sont introduites dans les jardins.

On convient que le marronnier est d’une grande beauté au printemps ; mais l’agrément qu’il étale ne se soutient point le reste de l’année ; même avant la fin de mai le marronnier est souvent dépouillé de ses feuilles par les hannetons ; d’autres fois les chaleurs du mois de juin font jaunir les feuilles, qui tombent bientôt après avec les fruits avortés par la grande sécheresse. Il arrive souvent que les feuilles sont dévorées au mois de juillet par une chenille à grands poils, qui s’engendre particulièrement sur cet arbre.

Mais on se plaint sur-tout de la malpropreté qu’il cause pendant toute la belle saison ; d’abord au printemps par la chute de ses fleurs, & ensuite des coques hérissées qui enveloppent le fruit ; après cela par les marrons qui se détachent peu à peu ; enfin, par ses feuilles qui tombent en automne ; tout-cela rend les promenades impraticables, à moins d’un soin continuel.

Ces inconvéniens sont cause qu’on n’admet à présent cet arbre que dans les places éloignées & peu fréquentées.

Il a de plus un grand défaut ; il veut croître isolé, & il refuse de venir lorsqu’il est serré & mêlé parmi d’autres arbres : le peu d’utilité de son bois est encore la circonstance qui le fait le plus négliger.

Le seul moyen de multiplier cet arbre est d’en semer les marrons ; c’est après leur maturité au mois d’octobre, ou au plus-tard, au mois de février.

Avec peu de recherches sur la qualité du terrain, un soin ordinaire pour la préparation, & avec la façon commune de semer en pépinière, les marrons lèveront aisément en printemps : ils seront en état d’être transplantés à demeure au bout de cinq ou six ans ; mais ils ne donneront des fleurs & des fruits qu’à environ douze ans.

Cette transplantation se doit faire pour le mieux en automne, encore durant l’hiver, tant qu’il ne gèle pas, même à la fin de février, & pour le plus tard au commencement de mars. On suppose pour ces derniers cas que l’on eût les plants à portée de soi ; car s’il faut les faire venir de loin, il y aura fort à craindre que la gelée n’endommage les racines ; dès qu’elles en sont frappées, l’arbre ne reprend pas.

Il faut se garder de retrancher la tête du marronnier pendant toute sa jeunesse, ni même lors de la transplantation ; cela dérangeroit son accroissement & le progrès de sa tige ; ce ne sera que dans la force de l’âge qu’on pourra le tailler sur les côtés, pour dégager les allées & en rehausser le couvert : par ce moyen, l’arbre se fortifie, ses branches se multiplient, son feuillage s’épaissit, l’ombre se complète, l’objet annonce pendant du temps sa perfection, & prend peu à peu cet air de grandeur qui se fait remarquer dans la grande allée du jardin du palais des Tuileries à Paris.

Le marronnier est plus propre qu’aucun autre arbre à faire du couvert, à donner de l’ombre, à procurer de la fraîcheur ; on l’emploiera avec succès à former des avenues, des allées, des quinconces, des salles, des groupes de verdure.

Pour planter des allées de marronniers, on met ces arbres a la distance de quinze, dix-huit & vingt pieds, selon la qualité du terrain & la largeur de l’allée.

On en peut aussi, faire de bonnes haies, en les plantant à quatre pieds de distance ; mais on ne doit pas l’employer à garnir des massifs ou des bosquets, parce qu’il se dégrade & dépérit entre les autres arbres, à moins qu’il ne domine sur eux.

Cet arbre souffre de fortes incisions sans inconvénient, & même de grandes mortoises. On a vu en Angleterre des palissades dont les pièces de support étoient infixées dans le tronc des marronniers, sans qu’il parût, après plusieurs années, que cela leur causât du dommage.

Cet arbre prend tout son accroissement au mois de mai, en trois semaines de temps ; pendant tout le reste de l’année, la sève n’est employée qu’à fortifier les nouvelles pousses, à former les boutons qui doivent s’ouvrir l’année suivante, à perfectionner le fruit, & à grossir sa tige & les branches.

Quoique le bois de marronnier ne soit pas d’une utilité générale & immédiate, on peut cependant en tirer du service. Il est blanc, tendre, molasse & filandreux ; il sert aux menuisiers, aux tourneurs, aux boisseliers, aux sculpteurs, même aux ébénistes, pour des ouvrages grossiers & couverts, soit par du placage ou de la peinture.

Ce bois n’est sujet à aucune vermoulure ; il reçoit un beau poli ; il prend aisément le vernis ; il a plus de fermeté & il se coupe plus net que le tilleul, & par conséquent, il est de meilleur service pour la gravure. Ce bois n’est un peu propre à brûler que quand il est verd.

Moyen d’ôter par la greffe au fruit du marronnier d’inde son amertume naturelle.

Transplantez le marronnier, & greffez-le ensuite de son propre bois ou de quelqu’une de ses pousses, par la greffe en canon ou en flûte, par la greffe en fente ou coupée, ou même en écusson.

Cette première greffe étant ainsi faite de l’une ou de l’autre façon, on sera attentif à la pousse qu’elle doit faire, pour ne laisser sur l’arbre au-dessous de la greffe aucun jet sauvage, ce qui lui pourroit nuire : dès que cette pousse sera en état d’être greffée d’elle-même sur elle-même, c’est-à-dire de son bois sur son bois, on y procédera pour la seconde fois, & de même ensuite pour la troisième fois, qui sera la dernière, à moins qu’on ne veuille les réitérer encore, pour augmenter de plus en plus la grosseur du fruit & la finesse du goût.

C’est ainsi qu’on en use tous les jours, meme sur les arbres déjà francs, dont on veut grossir & affiner les fruits. M. de Francheville, dans son mémoire sur ce sujet (académie de Berlin), assure qu’il en sera comme de la pêche, qui étoit si amère autrefois, qu’elle passoit pour venimeuse.

Utilité des marrons d’inde.

Les marrons d’inde présentent divers objets susceptibles d’utilité.

Nourriture du bétail .& des volailles.

M. le président Bon a trouvé que le fruit du marronnier peut servir à nourrir & à engraisser, tant le gros & menu bétail, que les volailles de toutes sortes, en prenant seulement la précaution de faire tremper pendant quarante-huit heures dans la lessive d’eau passée à la chaux vive les marrons, après les avoir pelés & coupés en quatre ; ensuite on les fait cuire & réduire en bouillie pour les donner aux animaux. On peut garder ces marrons toute l’année, en les faisant peler & sécher, soit au four ou au soleil.

M. Ellis, auteur anglais, qui a fait imprimer en 1738 un traité sur la culture de quelques arbres, paroît avoir trouvé un procédé plus simple pour ôter l’amertume aux marrons d’inde, & les faire servir de nourriture aux cochons & aux daims. Il fait emplir de marrons un vieux tonneau mal relié, qu’on fait tremper pendant trois ou quatre jours dans une rivière : nulle autre préparation.

Cependant on a vu des vaches & des poules manger de ce fruit dans son état naturel & malgré son amertume ; mais il y a lieu de croire que cette amertume fait un inconvénient, puisqu’on a remarqué que les poules qui mangeoient des marrons sans être préparés, ne pondoient point.

Amidon, farine, huile à brûler, lampe de nuit.

Ce fruit peut servir à faire de très-bef amidon, de la poudre à poudrer, de la farine pour la colle, une couleurnoire :& de l’huile à brûler ; il est vrai qu’on en tire peu, & qu’elle rend une odeur insupportable. Mais sans qu’il y ait cet inconvénient, un seul marron d’Inde peut servir de lampe de nuit ; il faut le faire sécher, le percer de part en part avec une vrille moyenne, le faire tremper au moins vingt-quatre heures dans quelque huile que ce soit, y passer une petite mèche, le mettre ensuite nager dans un vase plein d’eau, & allumer la mèche le soir ; on est assuré d’avoir de la lumière jusqu’au jour.

Pâte à décrasser.

On en peut faire aussi une excellente pâte à décrasser les mains & les pieds : il faut peler les marrons, les faire sécher, les piler dans un mortier couvert, & passer cette poudre dans un tamis très-fin. Quand on veut s’en servir, on jette une quantité convenable de cette poudre dans de l’eau, qui devient blanche, savonneuse & aussi douce que du lait ; le fréquent usage en est très-salutaire, & la peau en contracte un lustre admirable.

Savon, lessive.

Les marrons d’inde ont encore la propriété de savonner & blanchir le linge, de dégraisser les étoffes, de lessiver le chanvre, & on en peut faire, en les brûlant, de bonnes cendres pour la lessive.

On pèle les marrons, on les rape en molécules fines avec une rape à sucre (si on travailloit en grand, on auroit recours à d’autres moyens), on met cette poudre dans de l’eau de rivière ou de pluie ; il faut environ deux marrons râpés par pinte d’eau, que l’on fait chauffer, afin qu’elle dissolve les sucs astringens, alumineux, détersifs, lexiviels & savonneux des marrons. On agite cette eau de temps en temps pendant l’espace de vingt-quatre heures, & on la décante ensuite de dessus le marc : cette eau doit avoir la blancheur d’une eau de savon, & écumer un peu lorsqu’on l’agite. C'est dans cette eau tiède qu’on peut savonner le linge, & si l’on ne peut pas se passer absolument de savon pour enlever les plus grandes taches, il en faudra certainement bien moins qu’à l’ordinaire ; on peut se contenter seulement d’en frotter les endroits où la crasse est la plus tenace, & cette épargne sera d’autant plus considérable, que la dépense en est onéreuse à ceux qui sont obligés d’employer journellement le savon pour leurs ouvrages, comme les blanchisseuses, les foulons de bas & d’étoffés, &c. M. Marcandier a fait même dégraisser & fouler une paire de bas drapés avec la seule eau de marrons d’inde.

Notre observateur a aussi reconnu que l’eau de marrons d’inde, dans laquelle on fait tremper & macérer le chanvre, dissout, par ses sels & par ses huiles, les particules gommeuses qui font adhérer les fibres du chanvre, ensorte que les fils se divisent bien mieux, s’adoucissent, & sont susceptibles de prendre un bien plus beau blanc que ceux qui ont été préparés avec de l’eau pure.

Chauffage.

Enfin, les marrons peuvent servir à chauffer les poêles.

Remède contre la pouffe des chevaux.

Les maréchaux s’en servent pour guérir la pousse des chevaux ; on fait grand usage de ce remède dans le levant ; c’est ce qui a fait donner au marronnier d’inde le mot latin hippocastanum, qui veut dire châtaigne de cheval.

Poudre sternutative.

On tire des marrons d’inde une poudre sternutative.

Fébrifuge.

On a prétendu aussi que l’écorce & le fruit de cet arbre sont un fébrifuge qu’on peut employer au lieu de quinquina dans les fièvres intermittentes ; on assure même que quelques médecins ont appliqué ce remède avec succès.

M. Peper, habile physicien de Londres, recommande l’usage de ce fébrifuge, & dit que dans le cas où il constipe les malades, il suffit d’y mêler un peu de rhubarbe ; mais on ne doit pas dissimuler l’observation suivante, consignée dans le journal de Paris du 26 novembre 1784.

Les papiers publics, y est-il dit, célébrèrent, il y a quelques années, la vertu fébrifuge de l’écorce du marronnier d’inde. On ne prétendait à rien moins que de substituer cette écorce au quinquina contre les fièvres intermittentes, & spécialement contre la fièvre tierce ; mais il résulte des observations faites par M. Zulatti, que l’effet de ce remède n’a produit, pour ainsi dire, que des accidens. Pour deux fièvres tierces simples qui ont été guéries par son usage, douze autres malades en ont éprouvé des nausées, des maux de tête & de reins, des douleurs dans le bas-ventre, un poids incommode & une chaleur brûlante à l’estomac, enflure des extrémités, froid violent, tremblement général, délire, constipation ; en général, la fièvre augmente, l’accès s’avance & se prolonge, & la tierce se change en double tierce. Dix-huit autres observations qu’a recueilli le docteur Zulatti, viennent à l’appui de celles qui lui sont particulières. Toutes ces autorités doivent faire proscrire une nouveauté dangereuse, & sur laquelle on a imposé le désir de substituer au quinquina un remède indigène. Nous nous empressons de leur donner de la publicité, pour prévenir les effets dangereux qui résulteroient nécessairement de la confiance accordée trop légèrement à ce prétendu fébrifuge.